« C'est ma place. »

C'était sa place.

Elle n'était pas vraiment égoïste, ni même spécialement attachée aux lieux. Ce n'était d'ailleurs pas son genre de faire une scène pour quelque chose d'aussi trivial.
Elle n'avait aucun problème à se séparer d'habitudes qui n'avaient aucun intérêt concret. Elle n'allait certainement pas rester bloquée sur un point aussi insignifiant. Ce serait illogique et bien trop immature.

C'était quand même sa place, though.

Croisant les bras sur sa poitrine, plus boudeuse que sur la défensive, elle considéra l'homme qui lui faisait face.

Bien plus âgé et plus impressionnant. Plus usé aussi. Si l'un d'entre eux ressemblait à quelqu'un qui pouvait se permettre de réclamer une place sur un bout de trottoir, ce n'était pas elle.
Damariss était bien consciente qu'elle aurait eu l'air plus à sa place à l'entrée d'un Hollister, à répéter en boucle « Hi, what's up » à tous les clients, en tongs et tshirt, qu'il neige ou qu'il vente, plutôt qu'ici, dans la lumière grise et froide des matins d'Arcadia.

Elle ne portait pas l'une de ses tenues de travail habituelles, le mysticisme troqué pour la sobriété, l'angoisse des problèmes de faction peignant son humeur, et par extension sa garde robe, de noir.
Damariss avait espéré se changer les idées, retrouver un semblant de normalité en reprenant pour quelques heures son petit stand.

Elle avait une des mafias les plus violentes à dos. Pis, elle devait travailler pour la seule mafia qui les concurrençait en terme de violence et, comble du désespoir, personne de sa faction ne semblait avoir de connaissances basiques en meme.

Les jours s'annonçaient sombres pour elle à Arcadia.

Alors, innocemment, elle avait voulu se remonter le moral d'une des meilleures façons qui soit : extorquer leur argent aux badauds naïfs en déblatérant des inepties.

Et, tendue comme elle l'était, elle devait avouer que ce simple détail, voir que le bout de trottoir qu'elle avait si souvent côtoyé ; en tout bien tout honneur s'il vous plaît, n'était pas vacant, prêt à l'accueillir, l'avait contrariée.

Négligeant son propre attirail, elle posa son regard sur celui de l'occupant illégal de son domaine.

Des cartes. Rien de plus.

Pas de cartes de tarot ou d'une croyance occulte obscure, juste un bon vieux paquet de cartes classique, pas neuf mais assez bien entretenu pour ne pas avoir de marques qui permettrait de tricher en identifiant des cartes.

C'était si... normal. Après tout ce qui s'était enchaîné dans sa vie, voilà ce qui la laissait abasourdie, l'espace d'un instant.

Impossible de lire les présages funestes avec un tel jeu de cartes. Du moins, c'était ce qu'elle pensait. Qui savait quelles autres bizarreries Arcadia lui réservait, mais, à l'heure actuelle, elle préférait ne pas se porter la poisse et éviter d'envisager le pire.  

Décroisant les bras et s'approchant légèrement, la rue encore peu fréquentée commençant à accueillir les passants pressés, un sourire naissant aux lèvres, elle s'exclama :

« Ooooh. Un magicien ??»

Toute pensée d'endroit réservé évanouie, elle s'écarta, libérant la vue aux badauds curieux interpellés par son exclamation.

Damariss arborait désormais la même expression que celle d'un enfant de huit ans devant son premier tour de magie, visage mêlant excitation et curiosité dans l'attente d'être ébloui.   

C'était bien là la seule magie qu'elle souhaitait voir pratiquée aujourd'hui.