Il fallait apprendre à tourner la page. Occulter les mirages du passé. S'enivrer des destins prodigieux qui viendraient embrasser l'âme tôt ou tard. La demoiselle avait parfaitement conscience que son passé était un poids, et que lentement, elle venait à s'en débarrasser. Il était 10h du matin, elle venait de terminer sa semaine de nuit. Ciara était trop gentille, et acceptait toujours de remplacer ses collègues. Elle était célibataire, sans gamins, et cela était supposé qu'elle était disposée à subir les pires horaires. Tout cela, pourtant, fut source de joie quand la demoiselle décida de quitter l'hopital. Elle avait un projet, qu'elle remettait à plus tard depuis des semaines. Détachant son chignon une fois la porte automatique dépassée, elle observa vaguement les patients affluer, les collègues en train de fumer alors que la blonde sortait elle aussi une clope en prenant le chemin de sa voiture. Une fois à l'intérieure, elle resta le visage fixe un bref instant en s’interrogeant une nouvelle fois sur ce qu'elle devait faire. La clope fut achevée sans grand intérêt, venant jeter cette dernière dans son cendrier en prenant soin de l'éteindre. Elle abaissa son pare soleil pour s'admirer dans la glace, un court instant. Récupérant dans son sac de quoi parfaire son maquillage, cacher la misère sous ses paupières et rougir ses lèvres qui venaient rehausser son immense sourire. Ce reflet, elle le fixa en souriant étrangement. Ignorant si cela était sincère, ou si elle se préparait. Cela faisait désormais plusieurs années, qu'elle n'avait pas foutue les pieds dans l'endroit désiré. Il était temps d'y retourner et de faire un pas que son défunt mari ne daigna jamais envisager : s'excuser. La blonde démarra le moteur et quitta son parking en prenant direction du quartier historique pour retrouver un bar qui fut une pierre angulaire dans sa vie : un endroit arraché tout comme le fut sa liberté du temps du malheureux enfoiré qui daigna l'épouser.

Elle se gara, et d'un pas semi-assuré, se dirigea vers l'entrée de l'Inferno. Elle ne débordait pas de confiance, mais assez de motivation pour ne pas se retourner. La blonde poussa alors la porte de cet endroit qui fit remonter des souvenirs. Employée, voilà ce qu'elle fut. Nullement une habituée qui viendrait s'excuser pour ses actes irrévérencieux durant ses beuveries. Ciara venait retrouver des souvenirs, les bons, les vrais. Cela semblait sans aucun doute stupide. Le personnel avait changé, et la secrétaire se contenta de traverser la pièce sans saluer avec attention les employés. Face au barman elle afficha un immense sourire.   « Un cappuccino s'il vous plait, je vais m'installer à une table...  »  Marquant une légère pause, doutant finalement de ce qu'elle voulait et de ce qu'elle comptait demander. Une pause brève, qui fut rapidement rattrapée. « Vous pourriez dire à Christopher, que Ciara est là ? Enfin s'il est là, enfin vous embêtez pas.  »  La blonde se retourna pour s'installer à une table en sortant son téléphone. L'idée de lui envoyer un sms pour le prévenir ne sembla pas effleurer son esprit.

La place de la cliente. Elle l'occupait, en ne pouvant s'empêcher de se remémorer le passé. Un élan de nostalgie qui semblait venir la frapper régulièrement ces derniers temps. Qu'il était ardu, de se rappeler ces années. Des mois, qu'elle tentait en vain d'oublier cette période. Retirant le bon et le mauvais de sa mémoire sans daigner faire la distinction entre ce qu'elle aimait et méprisait. Revenir ici, semblait anodin et enfantin. Pour elle c'était un retour en arrière nécessaire, qu'elle assumait en levant la tête. Elle était fière de revenir, et ne baissait pas la tête. Ciara n'était pas honteuse, elle ne portait pas le poids d'une faute, mais simplement d'une vie trop compliquée. La blonde ne lui devait rien, lui non plus, mais devoir n'était pas synonyme de vouloir. Il arriva finalement à ses côtés, avec cette même voix, reflet d'un ton légèrement froid, mais assez chaleureux pour faire remonter des souvenirs à la jeune femme. La secrétaire hocha la tête avec un petit sourire.   « Quatre ans, presque. Un peu plus, un peu moins.  »  Elle s'en souvenait, autant que lui. Le bar avait continué à vivre sans elle, et la demoiselle ne s'était pas arrêtée de vivre en quittant cet emploi étudiant. Christopher avait un sacré caractère, une personnalité un peu austère, mais avec un grand coeur. La blonde ne serait pas là, si l'homme avait été méprisant ou désagréable avec elle au fil des années – chose plutôt logique.

Elle l'observa s'installer en face d'elle. Il était intimidant, mais avec le temps, elle sembla s'habituer à son attitude. Il n'était pas méchant, mais ferme. La blonde se souvenait encore de ses soirées à bosser dans le bar, de cette dernière fois tragique qui avait fait basculer la demoiselle. Christopher ne saurait jamais les véritables conséquences de cette soirée, mais pourrait se contenter d'imaginer la réalité. Il n'était pas idiot, elle n'était pas conne et ne comptait pas prétendre que sa vie fut rose. Néanmoins, tandis qu'il déposait le café face à elle, ce fut de manière implicite qu'il évoqua le sujet. Comment le lui reprocher ? Il passait d'une terrible soirée, où elle fut obligée de ramener son mari semi-alcoolique entraînant la disparition physique de la demoiselle,  à une visite inattendue. Sa remarque la fit sourire tandis qu'elle le remerciait pour le café. Dressant sa main gauche avec un certain humour, où il était possible de remarquer l'absence d'alliance à son annulaire gauche.   « Mieux vaut être seule que mal accompagnée.  »  Venant se saisir de la tasse de ses deux mains.   « Et toi tu sembles toujours fidèle à toi-même. Le temps n'a donc pas d'effet sur l'Inferno ?  »  La demoiselle laissa échapper un sourire en portant la tasse à ses lèvres.

Une absence était rarement causée par un seul individu. Le choix de renoncer aux nouvelles, était généralement réciproque. Ciara voulait prendre du temps pour elle, et cela fut nécessaire. Le monde ne s'était pas arrêté de tourner, le monde avait avancé, Christopher lui aussi avait évolué sans elle. Tout le monde devait trouver sa voie, tracer sa route. Il semblait, gravé dans le marbre, lui. Ce visage, avec des marques en plus évidemment, mais à sa simple remarque elle devina que les bases étaient toujours là : il avait toujours sa bague au doigt. Il était marié, heureux, et bordel que cela faisait rêver. Comblé, propriétaire et avec un physique qui supportait le poids du temps. Difficile d'y trouver un défaut, sur cette magnifique peinture. Tout dans la surface, mais difficile à dire si le fond était aussi doux et joyeux. Il n'était toujours pas un adepte des compliments, il n'avait pas de passion particulière pour la physionomie. Chris' ne cherchait pas des serveuses sexy, ou même un personnel de manière globale attirant physiquement. Celé était rare, assez pour être souligné. L'inferno avait du charme, et il était en grande partie liée au travail acharné de son propriétaire. Elle reconnaissait à cet homme une force et un courage surhumain. Il n'était pas divin, elle le sentait, mais elle pouvait ressentir la passion humaine en lui.

Hochant la tête avec un petit sourire.   « J'espère bien, il faut vivre avec son temps. Le changement c'est bien, enfin je crois, ça dépend des cas, mais ça fait peur inutilement. Faut savoir changer, mais conserver des bases solides.  »  Bien sûr que ce bar était différent, fort heureusement. Il serait triste d'admirer le temps venir dévorer l'Inferno et le priver d'une chance d'évoluer, grandir et devenir meilleur. Elle se doutait de ce qu'il sous entendait, au fond. Il avait toujours lutté pour préserver cet endroit de la pègre, de la corruption et des trafiques. Cela avait posé problème avec elle, d'ailleurs. Ciara avait dû faire face à sa vie, à ses relations et à son incapacité à venir admettre qu'elle avait un pied dans une mafia. Il fut déposé de manière brève, et désormais, il en était parfaitement retiré. Circé animait en elle une curiosité nouvelle, une envie de répondre à des questions. Les réponses, elles n'étaient pas chez les enfants terribles, mais chez la Nuova. Une mafia d'un autre genre, plus luxueuse, mais qui semblait répondre aux aspirations de la déesse. Pourtant, ne fut-elle pas exclue sur une île pour s'éloigner du panthéon ? Paradoxe que la blonde finirait par résoudre. La question fatidique fut posée et elle sentait le poids de la curiosité sur le thème des mafias. Marquant un moment de légèreté en venant lui proposer du boulot. Laissant échapper un rire en portant la tasse à ses lèvres sans oser répondre durant plusieurs secondes.   « Je crois que le rythme s'est perdu, je serais à la ramasse.  »  Cela n'était qu'un fait : cela remontait à loin, tout ça.   « Donc, je me suis reconvertie, pour ne rien te cacher. Je suis secrétaire médicale à l’hôpital. J'avais envie d'un boulot où j'aurais du contact sans passer ma vie à courir.   »  Parce qu'il fallait du rythme dans les bars, et qu'elle avait fait des études en biologie à l'origine.   « En un mot ? Ce que je deviens ? Indépendante.  »  Elle ne devait rien à son défunt mari, aux enfants terribles ou encore à ses liens tordus avec les divinités. « Comment va ta petite famille ? »