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The War is not Over

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The War is not Over - Lun 27 Aoû - 22:47

Une silhouette est visible sur le sommet. Un homme dont les vêtements clairs rendent un rien la lumière de la lune. Un berger. Il s’appuie sur une canne. AK-47 à l’épaule. Il vaut mieux sortir couvert ; les nuits afghanes sont glaciales dans la région, mais elles ont tendance à se réchauffer très vite. Et les civils du pays ont pris l’habitude en deux siècles de guerre presque ininterrompue à se protéger par eux-mêmes. Les chèvres s’égayent à l’approche d’Anders par la droite. Derrière moi, McHall trépigne. Je sens l’appréhension enfler à toute vitesse dans son cœur. Il dégaine son arme de poing, mais je lui lâche d’un geste l’ordre de rester immobile. J’ai vu Cannet sur la gauche, qui se faufile dans les buissons à contre vent. Et enfonce son crève-cœur dans la poitrine, main sur la bouche du type. Killing Zone. Pas de quartiers, pas de prisonniers. Un frisson parcourt le groupe. Je le ressens. Preillat a peur. Il est à deux doigts de craquer. Tape sur l’épaule, je lui glisse de rester concentré. Le corps du berger retombe au sol. Enflent des sentiments paradoxaux dans tous les soldats qui m’entourent ; l’appréhension. La crainte de perdre pied pour de bon, avec une horreur de plus, avec un crime de trop. Le désir de venger les copains. La haine, née de l’ennui, de la frustration et surtout de la peur. La colère. La résignation. Tous iront jusqu’au bout ; mon cœur bat à l’unisson du leur. Nous progressons encore à couvert. Le visage peint en noir. Du cirage sur chaque élément métallique de nos tenues ou de nos armes. Un chien aboie à l’entrée du village. On ne peut rien y faire ; ce n’est pas pour nous. Vers l’est. Un autre groupe ? Je n’y crois pas.


Je sépare la section en deux, chaque moitié enveloppant la petite localité. Les aboiements continuent. Un homme sort pour pisser et interpelle le cabot. Je ne comprends qu’à moitié mais l’intonation est claire ; l’homme lui gueule de la fermer. Le cabot aboie plus fort encore. Regard échangé dans les ténèbres avec Germain. Main levée sur le côté. Trois doigts. Puis deux. Puis un. Le mec n’a pas le temps de remballer la marchandise qu’il se retrouve avec mon poignard dans la clavicule, fouaillant la cage thoracique. Plus direct que d’autres attaques. Je tire le corps dans les fourrés, pendant que Germain s’occupe du chien. Qui couine. Qui couine fort. Germain s’est loupé. Des cris se font entendre de plusieurs maisons toutes proches. Des mecs en armes en sortent. La section ouvre le feu. Pas le temps d’attendre les américains. La pétarade est terrible et les balles claquent furieusement contre les murs en pierre brute, ou transpercent des villageois de part en part. Des silhouettes se tordent de douleur et tombent lourdement. Les cris se font plus perçants. Ils essaient de s’enfuir par l’arrière du village, vers le col. Gasquet et Brune s’y trouvent. L’arme d’appui crache des rafales qui illuminent la nuit et fauchent les villageois. Des coups de feu épars claquent. Cri sur ma droite. McHall est touché à l’épaule. Il est traîné dans la pénombre, derrière un rocher. Je bondis avec Germain. Armes épaulées. Il abat deux types qui arrosent les collines à l’ouest du village avec des pétoires dignes des fusils à verrou de nos grands-pères. Il les exécute proprement. Double-tap comme à l’entraînement ; un tir dans la poitrine, un autre dans la tête. J’élimine un vieillard qui allait fracasser sa pelle sur Germain, sortant de la masure toute proche. Le vieux retombe comme s’il s’était pris une enclume dans le torse. La fusillade retombe. Les silhouettes de mes fantômes progressent vers le village. Loups qui se jettent sur des agneaux. L’instinct de mort m’a totalement submergé. Je ressens tout ce que mes hommes vivent et ressentent. Ces instincts si primaires, si violents, qu’on ne pourrait les dépeindre sans un séjour à l’asile. Je ressens ce que ces gens qu’on est venu tuer éprouvent. De la peur, de la terreur. Ca me déchire l’âme, mais la colère et la vengeance sont bien plus fortes.


Je pousse la porte alors qu’à l’intérieur, fouillis de peur, de désespoir et de résignation. La femme m’accueille avec un coup de couteau de cuisine qui ripe sur les jointures de ma main, protégées de mitaines épaisses pour m’éviter de déraper sur mon arme. Lorsqu’elle tombe, je vois dans ses yeux l’expression de son désespoir ; son fils est encore là, derrière elle. Et ressens toute la puissance de sa haine, qui me gèle de la tête aux pieds. J’enjambe son corps. Killing Zone. Pas de quartiers. Il faut venger nos frères. Le gamin est pétrifié. Je ressens le cri silencieux que pousse son âme devant la perspective d’une solitude infinie avec le meurtre de ses parents. Mon regard se porte sur ma main, celle qui tient le crève-cœur.


Poisseuse de sang. Elle tremble. Je reporte mon regard sur le gamin. Qui fait quelque chose qui me fout en l’air. Il me sourit. Je m’approche, et je me dis que c’est étrange. Plus de coups de feu. Seulement ce bruit de spectres dans le col, ces puissants courants d’air qui faisaient le bruit des fantômes des légendes.


Seulement le vent.


Je m’agite. Je lutte contre ce qui va arriver. Je sais comment cette histoire se termine, et comment l’autre commence. Je ne veux pas arriver au dénouement. Je me débats, et je ne m’arrête plus de combattre la marche inéluctable d’un destin mortifère. Le Dieu-Père, le Dieu-Juge. Ma conscience me souffle que je suis un salaud, une ordure. Une autre voix me dit que je ne fais que protéger ma propre tribu. Et que je punis ceux qui sont coupables par association. Dilemme onirique. Facilement tranché. Si je ne le fais pas, c’est toute l’unité qui sera jetée en pâture à la vindicte populaire. Qui sera servie sur un plateau d’argent comme prochain scandale.


Je suis comme je suis, et je fais ce pourquoi je suis fait. Et me déchire l’âme dans ce débat infini, cette lutte de chaque instant contre la marche funeste du destin.
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The War is not Over - Sam 1 Sep - 19:05


ft. @Torben Rawne

Le claquement de ses escarpins trouble à peine le silence fragile qui règne à l’accueil de l’hôpital. Les visiteurs sont nombreux, mais comme muets d’anxiété. Seul leur parvient le capharnaüm assourdissant que sont devenues les urgences, où les rescapés d’une « soirée » qui a mal tourné – entres autres réjouissances aux quatre coins de la ville – ne cessent d’affluer depuis de nombreuses heures. Elle sait que plusieurs d’entre eux se font déjà interroger par quelque collègue et qu’il s’agit plus officieusement d’approfondir l’enquête par d’autres voies, en se tenant habilement sur le seuil de la légalité. C’est qu’un premier déblaiement de l’endroit où s’est produit le désastre n’a laissé aucun doute sur le fait que les tenants et aboutissants d’une telle affaire dépassent tragiquement les moyens humains.

Gamze connaît certaines des victimes, plus ou moins intimement, et n’a qu’à se présenter pendant les heures consacrées aux visites avec toute la sincérité à peine contrefaite d’une amie inquiète. Il n’est pas encore nécessaire de tirer les bonnes ficelles, d’exploiter la pourriture plus ou moins étendue des hautes sphères profondément minées par le surnaturel. Les bras fleuris d’un bouquet, elle prononce un nom à la réception, un registre déroulé sur un écran trop lumineux est rapidement consulté, on lui répond que c’est encore un peu tôt, que la patiente a besoin de repos, mais en fin d’après-midi peut-être – cela n’a aucune importance, une amie attend toujours le temps qu’il faut. Elle s’installe posément dans la salle d’attente, feint de s’absorber dans ses pensées pour mieux écouter les conversations murmurantes qui vont bon train. Chacun y va de sa petite anecdote, de son fiévreux soupçon, de son inconsolable larme. Le Sphinx ne s’en lasse pas, se distrait en élaborant ses propres conjectures – et puis l’angoisse octroie des réserves inépuisables de patience, n’est-ce pas.

Lorsqu’elle revient à la charge, on estime qu’elle a suffisamment attendu et qu’elle peut s’aventurer dans le couloir où récupèrent tant bien que mal les patients blessés et opérés, tout juste sortis de la salle de réveil – il ne faudrait pas que les fleurs fanent avant d’avoir rempli leur office, lui dit-on avec un sourire fatigué, ce serait trop bête. Gamze remercie la réceptionniste d’un battement de paupières charmant et se détourne, le numéro de la chambre patiemment acquis sur le bout des lèvres. Le métronome de ses talons reprend tranquillement, ses yeux ne tardent pas à s’égarer, quand ils le peuvent, sur les occupants des nombreuses chambres dont elle dépasse la porte. L’un d’eux attire immanquablement son attention.

Pourtant elle ne s’y arrête pas immédiatement, prend soin de rejoindre son amie éprouvée pour déposer le bouquet à son chevet, échanger quelques mots, dans la mesure de ce que lui permettent les effets des médicaments qui lui amollissent le corps. Peut-être Gamze perçoit-elle le sentiment d’incorrection qui lui pique le cœur maintenant qu’elle a sous les yeux la jeune femme blessée – possiblement innocente – qui lui sert d’alibi à son insu ; mais ses entrailles et son front restent d’airain. C’est aussi pour éviter que ce genre de drame ne se reproduise qu’elle consent – qu’elle doit consentir – à instrumentaliser son entourage, se persuade-t-elle avec une complaisante mauvaise foi dont elle a parfaitement conscience. Sa bouche souriante ne tarde pas à réchauffer d’un baiser le front pâle de son amie.


Une heure plus tard, son devoir enfin accompli, c’est la même complaisance qui la pousse à s’attarder dans le couloir où elle se trouve. La tête blonde qu’elle a aperçue plus tôt s’est agitée entretemps, le visage s’est froncé, sans doute sous la griffure de mauvais rêves. Gamze se tient d’abord sur le seuil, surveille la présence des infirmières débordées, puis pénètre tout à fait dans la chambre, refermant doucement la porte derrière elle. Ses lèvres et ses paupières frémissent comme l’acuité de ses sens, devenus ceux du Sphinx pour assurer ses arrières, augmente considérablement. L’activité du couloir et celle de la chambre lui parvient maintenant comme un pouls. Elle ne cherche pas à tranquilliser l’homme d’une main amicale sur l’avant-bras, mais considère sa fièvre en silence, essaie d’en évaluer la profondeur pour mesurer approximativement le temps qu’elle a devant elle ; l’instant d’après, son regard, d’une placidité et d’une concentration imperturbables, parcourt le dossier du patient, l’étendue de ses blessures soigneusement pansées. Elle secoue négativement la tête, un pli amusé au coin de la bouche. Cet homme a décidément une fâcheuse propension à se mettre dans de sales draps.

Ses mains, toujours gantées, se glissent furtivement entre ses affaires, se referment sur quelque papier qui confirme le nom couronnant le dossier du patient, sur des vêtements souillés de sang que l’hôpital ne s’est pas donné le droit de jeter. Ce n’est pas la première fois. Elle semble condamnée à le retrouver dans un bain de sang dont il se tire toujours miraculeusement – et il en a probablement plus sur les mains qu’il ne veut bien l’admettre, compte tenu de son insistance, l’autre fois, pour ne surtout pas informer la police de son agression.

Mais l’apaisement progressif de l’homme la force bientôt à interrompre sa fouille. Gamze ne cherche pas à réprimer le sourire que lui inspire le papillonnement de ses paupières comme elle approche de son chevet. Elle se souvient du soir où elle a trouvé ces traits, si angéliques en apparence, sinistrement maculés de sang ; le contraste est toujours saisissant, à plus forte raison parce que ce visage lui est étrangement familier. Elle finit par laisser échapper un soupir faussement impatient : « Cendrillon daigne enfin faire se lever l’aurore de son beau regard sur le monde ? » plaisante-t-elle en tirant un siège à elle pour s’installer près de lui. « Salut. On s’est déjà rencontrés, non ? Je crois que la première fois, tu avais le visage tout barbouillé de sang. Par contre, il me semble que la griffure était un peu plus à gauche… Et que tu avais un bleu – moins gros, cela dit – un peu plus par là… » Elle fait de l’humour pour nuancer la gravité des circonstances qui les ont réunis encore tout récemment. « Comment as-tu réussi à te remettre dans un tel pétrin ? Tu ne t’attendais tout de même pas à ce que je débarque encore une fois comme par magie pour te sauver la peau ? Je ne peux pas être partout ! » Ils ne se connaissent pas vraiment, et pourtant le tutoiement lui semble naturel, commandé par l’aide qu’elle lui a apportée quelques semaines plus tôt. Elle se redresse, souriante, le temps de lui faire couler un verre d’eau. Elle n’est même pas certaine qu’il la remette clairement dans le brouillard de l’anesthésie. « En tout cas, tu as une sale tête. C’est navrant. »



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The War is not Over - Dim 2 Sep - 1:06

Je ressens tout. Je me rappelle de tout. Je me rappelle de ces mains pleines de sang. De ces mitaines tenant mon flingue, poisseuses de fluides vitaux. Mains tremblantes. Respiration saccadée. Déglutissement difficile. Je me rappelle du rapport. Du salut de l’américain. Sale fils de pute. Du regard de mes hommes, de mes camarades, de mes frères. Cette conscience infinie et inéluctable de cette vérité qui nous transcende ; rien ne sera plus jamais comme avant. Je me rappelle de ces larmes d’enfant. Je me rappelle de tout. De cette vague brutale d’émotions qui me fait chialer comme un gosse, au moment fatidique où le sang coule sur la lame, inonde la garde, et couvre ma main. Je rouvre les yeux. Trempé de sueur. D’une sueur qui me glace. Je sens presque immédiatement que je ne suis pas seul. J’ai du mal à voir correctement. Foutus anti-douleurs, j’ai toujours détesté ces saloperies. Je reconnais la voix. Je sais que je la connais. Que je l’ai déjà entendue. Les contours distordus de ce visage se précisent quand je cligne plusieurs fois des yeux. Regard trop humide d’un rêve issu d’un sommeil profond, regard vitreux d’un paumé revenu à la vie on ne sait trop comment.


J’entends la plaisanterie. Je déglutis, bouche pâteuse. Et essaie de me redresser un peu dans mon lit. Toujours ce foutu hôpital. A bien réfléchir… Non, j’étais mieux ici que dans mes songes. Je reconnais la nouvelle venue. Une fille que j’avais rencontrée après… Après ma confrontation avec un espèce de vampire, une timbrée qui chassait le grassouillet petit père de famille la nuit tombée, complétement à poil et avec la fin et la perversion d’un carnivore fini à la pisse. Nous ne nous étions séparés qu’après un corps à corps d’une extrême violence où j’avais récolté quelques cicatrices mais de bons contacts m’avaient permis de me remettre « miraculeusement » sur pieds. Et voilà que si peu de temps après je me retrouvais alité dans un hôpital. Aislinn… Je soupire, esquisse un sourire qui se veut poli mais qui n’est sans doute que grimacé. Que faisait-elle ici ? j’étais tombé sur cette fille après l’embuscade dans le parc. Je déglutis.



| Salut. Tu m’as mis un traceur GPS dans la fesse ou quoi ? A chaque fois que je me fais rouler dessus par un char d’assaut, t’es toujours dans les environs. |


Ironie, mais quand même. Je suis à moitié dans le coltard, mais en général quand le destin vous marche dessus, il essaie des deux pieds histoire d’être bien sûr. Je me demande par moments ce que j’ai fait pour que le ciel me tombe comme ça sur la tête en permanence mais je suis bien placé pour savoir qu’il n’y a pas vraiment de réponses à cette question. Elle me dit qu’elle ne peut pas être partout et qu’elle peut pas me sauver la peau. Je le sens, même si mon pouvoir est ténu depuis mon réveil. Calme à cause de l’hopital, qui atténue les émotions avec toutes ces épaisseurs ? Si je continuais à avoir des visites de médecins aussi abîmés dans leur âme, j’allais finir par essayer de me faire hara-kiri avec l’espèce de pot de chambre pour malades, là.


| Désolé de te décevoir, fillette. Y’a pas que ma tête qui est navrante. Il y a ma foutue malchance aussi. Et le fait que quand on se voit j’ai jamais de slip mais pas moyen d’en profiter. |


Pâle tentative d’humour qui me fait tousser. Arrière-goût de sang dans la bouche. J’ai toujours ressenti beaucoup de quiétude chez cette fille que j’avais croisée. Elle n’avait pas paniqué en voyant ma gueule après le rendez vous avec l’Oupyr… Elle avait des nerfs d’acier, elle était solide… Et je la suspectais de faire un travail plus ou moins illégal. D’où son intérêt pour moi qui me fichait toujours dans des situations pas possibles.


| Pour le coup, je suis content que t’aies pas été là, ce coup-ci. C’était vraiment la merde. Je fais vraiment un boulot stupide. Et toi, t’es là pour quoi ? Me dis pas que t’y étais aussi ? |
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The War is not Over - Dim 23 Sep - 21:00


ft. @Torben Rawne

Gamze n’a rien manqué de son éveil, de sa lutte pénible contre les sables mouvants du sommeil et de l’assommement chimique ; tout le temps que dure son émergence, elle garde l’immobilité d’un sphinx, imperturbablement patiente, prête à lui porter assistance s’il en exprime le besoin, afin de différer autant que faire se peut l’intrusion du personnel infirmier. Le sourire qu’il s’efforce bientôt de grimacer nuance son flegme d’un amusement sincère. « Je dirais plutôt qu’à chaque fois qu’il est possible de se faire rouler dessus par un char d’assaut, tu trouves immanquablement le moyen de figurer dans le lot, rétorque-t-elle avec une douceur où n’entre encore aucune compassion, comme pour laisser à un début de remontrance toute latitude pour refroidir sa voix. Il y a beaucoup d’autres blessés, ce soir, et après ta dernière mésaventure, j’imaginais que tu aurais tout fait pour te tenir loin des tracas. » Mais le semblant de sérieux qu’elle affecte se dissipe aussitôt dans un haussement d’épaules qui se veut nonchalant : les réprimandes, même amicales, n’ont jamais été son fait. « Bon, de toute évidence, tu ne rêvais pas de moi. » ajoute-t-elle pour achever d’adoucir l’atmosphère.

Elle pose un instant le verre d’eau qu’elle lui a préparé sur la table de chevet, le temps que la tentative d’humour à laquelle il vient de se hasarder ne cesse de l’étouffer, puis se penche sur lui pour l’aider à se redresser un peu dans le lit et lui permettre de se désaltérer sans s’étrangler. « J’ai cru comprendre, oui, que tu n’as pas le sens de l’à-propos quand il s’agit de perdre ton slip. » raille-t-elle sans rougir de la couleur plus grivoise que prend soudain la conversation. Celle-ci, de fait, ne tarde pas à s’appesantir de nouveau sur la gravité des événements qui ont agité la soirée. « Je n’ai pas eu l’heur d’être invitée. », admet-elle très honnêtement en feignant un instant la vexation. Bien sûr, elle aurait pu se risquer à mentir, essayer de débrouiller plus précisément les rouages de la soirée par de vagues allusions savamment formulées qui l’auraient conforté dans la certitude qu’elle s’y trouvait aussi, malencontreusement dérobée à son attention par le vaste rassemblement de convives ; néanmoins l’instinct du Sphinx lui a rapidement permis de comprendre qu’il valait mieux ne pas s’embarrasser des soubresauts du mensonge avec cet homme-là. Il paraît en effet sensible, songe-t-elle chaque fois qu’elle le contemple, peut-être un peu trop, et elle ne sait pas exactement à quoi cela est dû. N’arrive-t-il pas fréquemment que les traits de son visage deviennent plus lisibles que ne le sont ses paroles ?  Peut-être ses mensonges – à lui – le seront-ils tout autant lorsqu’elle commencera de l’interroger l’air de rien.

« J’ai raté la fête et c’est regrettable, contrairement à ce que tu sembles penser. », soupire-t-elle en s’installant tranquillement sur le bord du lit. Un sourire fait à nouveau frémir ses lèvres tandis qu’elle examine une fois encore son visage abîmé. Elle ne peut qu’acquiescer lorsqu’il se lamente au sujet de son travail, non sans lui signifier d’un regard entendu à quel point il se montre complaisant à cet égard. « Ton métier consiste donc à recevoir à la volée tous les coups dispensés à l’intérieur d’Arcadia – voire au-delà – et à servir de faire-valoir à toutes les petites frappes des environs qui voudraient se flatter l’ego en brisant quelques os ? » Sa voix est presque chantante alors que le sarcasme sans conséquence ourle ses lèvres. « Tu es trop aimable. » Elle secoue négativement la tête dans un simulacre de reproche et d’exaspération qui ne trahit rien de l’agitation du Sphinx derrière son front. « C’était vraiment la merde, donc, reprend-elle en l’imitant, la douceur de sa voix donnant à la grossièreté de l’expression la joliesse d’un poème. Beaucoup de bruit courent déjà, tous plus fantaisistes les uns que les autres… Elle se tait un instant, ne poursuit que dans un murmure. En vérité, je ne suis pas là pour toi, à l’origine. L’une de mes amies est ici, l’a échappé belle comme toi. Elle n’est pas encore en état de se remémorer ce qui est arrivé, mais j’ai espéré, en t’apercevant, que tu pourrais m’aider – tu comprends, plaisante-t-elle encore, j’ai moins de scrupules avec toi, qui aimes si peu qu’on te ménage. » Peut-être y a-t-il un bouillon de colère dans les eaux profondes de sa placidité naturelle ; elle-même ne saurait en déterminer la provenance : s’agit-il du nombre d’innocents impliqués dans le désastre ou de la vanité de ceux qui se pensent en droit de tout fouler aux pieds ? Elle cille longuement pour mieux revenir à lui. « Je m’étonne cependant du fait que tu y sois allé pour le travail et non pour les réjouissances proprement dites. C’est le genre d’événement auquel on se rend avec une jolie femme à son bras – ou un bel homme, ne soyons pas sectaires. Non ? » Le Sphinx semble s’être pris les griffes dans un nœud.



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The War is not Over - Mer 26 Sep - 23:00

Je ne connaissais pas cette fille. Et je ne ressentais pas grand-chose qui émanait d’elle. Ca aurait pu me mettre sur mes gardes. Ca aurait dû, sans doute. Mais je ne sais pas. Je n’avais jamais rien senti de réellement négatif à son sujet ou au mien. Malgré tout ça, je lui faisais confiance. Jusqu’à un certain stade seulement, sans aucun doute. Mais c’était bien réel. Je le sentais dans mes tripes. Cette femme ne me voulait pas de mal. Et dans ce monde où j’avais déjà dû lutter pour ma vie au moins six fois dans les deux mois écoulés, et me rendre coupable de deux meurtres… Ca comptait forcément. J’avais l’impression que me cogner ou me tirer dessus devenait un sport national et même si j’avais toujours su encaisser, les derniers coups m’avaient rendu groggy. Ca avait commencé par cette nuit infâme où j’avais été violé en même temps que cette fille, dans les bas-fonds. J’avais tout ressenti de A à Z, du cœur de la victime comme du prédateur. Le souvenir des deux me réveillait parfois la nuit, tremblant et en sueur, à moitié en train de chialer, à moitié en train d’anticiper une vengeance pourtant déjà accomplie au nom de la nana. Mais ça n’avait pas été tout. Il y avait eu cette bagarre quand cette autre déesse avait manqué –encore un viol- de se faire agresser. J’avais maîtrisé un des agresseurs, et elle l’avait buté sous mes yeux, avec ma complicité évidente. Plus ce deal dans la zone popov qui avait mal tourné, et j’avais tiré le premier sur le mec le plus proche en sentant tous ces gros bras prêts à dégainer. Je ne parlerais même pas de l’Oupyr qui m’avait chassé à poil dans un parc et que j’avais presque tuée à coups de pierre après un corps-à-corps terrible et sans pitié. Trois mois depuis mon arrivée, et déjà tout ce sang. Le mien aussi, en quantité.


Je me sentais épuisé, physiquement bien sûr, mais surtout nerveusement. Mes vieux démons me hantaient toujours plus à mesure que mon travail jetait du sel sur ma culpabilité.


La jeune femme me détend, pourtant. J’aime ce calme qu’il y a en elle. Elle me tance, mais doucement. J’ai une grimace en forme de sourire quand elle dit que je ne rêvais pas d’elle.



| J’aurais préféré, crois-moi. Mais ce serait le genre de rêve qui n’aiderait pas à affronter la réalité, pas vrai ? Le pire dans tout ça, c’est que j’en ai marre de me prendre des ch’tards de partout mais je ne me vois pas faire autrement. Je sers à vraiment à quelque chose dans ce boulot, tu vois ? Si je n’avais pas été là, d’autres gens seraient morts ou blessés. |


Je ne me targuerais pas franco d’avoir sauvé tous ces gens, loin de là. Mais j’avais empêché Aislinn de faire trop de mal aux gens qui l’entouraient et j’avais pris cette balle pour elle. En somme, je n’avais pas été le sauveur, mais j’avais été une diversion faite de chair et de sang, qui n’avait pas manqué d’en perdre beaucoup au passage. Je repoussais la sensation que j’avais ressentie au moment de me noyer dans mes fluides vitaux, qui m’encombraient le nez, la gorge, m’emplissaient la bouche et les poumons, coulaient sur l’avant de mon visage en me faisant suffoquer. J’en frissonnais encore ; il y avait de bien plus sales façons de mourir, mais je n’aurais pas aimé assisté à ce genre de mise à mort par extension, alors la vivre carrément… Je souris à sa plaisanterie, mais grimace quand elle semble dire qu’elle regrette de n’avoir pas été invitée à la soirée. Qui pouvait désirer se retrouver au milieu de tout ce bordel ? Elle se rapproche. C’est étrange comment ce genre de proximité ne la dérange pas. Je suis un peu plus mal à l’aise. Soldat de métier et solitaire dans l’âme, je n’avais pas pour habitude qu’on me veille d’aussi près. Et plus encore, que ce soit une femme qui se manifeste avec autant de proximité physique et morale. Je sens son sarcasme, bien sûr. Et sa réprobation qu’elle manifeste par ce biais.


| Ca a l’air bête, dit comme tu viens de le faire. Mais je n’ai pas vraiment le choix. Je fais ce pourquoi je suis fait. Je préfère protéger que détruire, mais j’ai la compétence nécessaire pour faire les deux. Je préfère choisir ce qui ne me mettrait pas en porte-à-faux vis-à-vis de ma propre conscience. |


Mais c’est vrai qu’entendre ce jugement si dur mais si vrai donnait à réfléchir. Est-ce que j’étais vraiment voué à ça ? A « protéger la tribu » en parant les coups qui la visaient avec ma tête ? Est-ce que je ne pouvais pas trouver d’autres manières d’agir ? Je sens la colère que contient la jeune femme. Et son inquiétude, quand elle dit qu’une de ses amies a été blessée. Et me demandais de l’aide. De l’aide pour quoi ? Je laisse filer, attendant obstinément qu’elle précise ce qu’elle attendait de moi, restant sur mes gardes. Mais elle ne dit rien un long moment. Avant de reprendre sur un autre sujet. Le coin de mes lèvres se tord en un fantôme de sourire. Que dire ?


| Je suis Garde du Corps, fillette. Les histoires à l’eau de rose qui impliquent les gens qui font ce métier n’ont lieu qu’au cinéma. Dans la vraie vie, ça n’est pas ça. T’es transparent pour tout le monde, sauf pour ceux qui veulent la peau de ta mission. Et c’est seulement ces salauds-là qui comptent, au fond. |


Tiens, je lui donnais plusieurs fois du fillette alors que je ne savais même pas son âge. Qu’importe. Je bottais en touche. Je ne savais même plus c’était quand, le dernier rencard que j’avais eu, ou la dernière relation suivie. Jana. Mais ça faisait des années. Je ne voyais pas vraiment comment ça pouvait changer. Et je n’étais même pas persuadé que les choses devaient être autrement que ce qu’elles étaient actuellement. Je m’éclaircis les idées, inspire profondément.


| Désolé pour ton amie. J’étais surtout concentré sur mon propre contrat, je n’ai pas pu essayer de sauver d’autres personnes. Je veux bien t’aider, mais qu’est-ce que tu comptes faire, au juste ? Les gens qui étaient là-bas n’étaient pas tous des enfants de cœur. Il y avait de vrais fils de putes, crois-moi. Mieux vaut ne pas se frotter à ces gens-là, ni à ceux qui leur cherchent des noises. |

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The War is not Over - Dim 30 Sep - 16:26


ft. @Torben Rawne

Gamze sait pertinemment que cet homme ne lui offrira pas ses réponses sur un plateau. Il reste professionnel – et secret – jusque dans la brume des médicaments. Mais c’est très patiemment qu’elle écoute ses circonvolutions, qu’elle le regarde tisser de nouveaux nœuds à mesure qu’elle défait les précédents. « Quel homme ! minaude-t-elle – sans pour autant douter qu’il ait été indispensable ce soir-là. Bientôt tu prétendras sauver tout le monde et tu mourras pour de bon. » Elle ponctue ses paroles d’un petit haussement d’épaules résigné. Sa bouche, pourtant, est toujours souriante d’un amusement qu’elle ne cherche pas à dissimuler. Du reste, elle lui sait gré des efforts qu’il fournit pour soutenir la conversation, pour les tributs de douleur qu’il paie volontiers afin de la suivre un tant soit peu dans ses plaisanteries. Bien qu’elle n’en montre pas grand-chose, elle compatit à chacune des grimaces qu’il esquisse.

Un nouveau soupir finit par franchir le rempart de ses lèvres. Elle se sent tout à coup l’envie de le secouer par les épaules, comme pour mieux le comprendre elle-même, comme pour mieux savoir ce qui, d’une insolente complaisance ou d’une réelle conviction, motive réellement ses propos. « Tu es donc en mesure de déterminer la limite entre protéger et détruire ? » s’enquiert-elle en cherchant son regard. Elle lui épargne cependant les stériles « On a toujours le choix. », puisqu’au fond elle comprend parfaitement – intimement, même – son irrépressible besoin d’agir. C’est simplement que du point de vue de la loi, il n’est pas ce que l’on peut appeler un justicier agréé. Le caractère arbitraire, sélectif de ses contrats ne fait qu’ajouter encore à l’ambiguïté de ses actions ; par ailleurs on ne protège jamais quelqu’un que contre quelque chose ou quelqu'un d'autre. « Je suppose que c’est pour cela que tu fuis la police comme la peste ? La frontière est trop mince, sans doute. » Ses paupières s’alourdissent narquoisement lorsqu’il évoque sa conscience et les choix qu’il prétend savoir faire pour l’épargner. « Ta conscience se porte donc bien ? Tu avais l’air de cauchemarder, tout à l’heure. » rappelle-t-elle en souriant moqueusement.

Toutefois elle n’a pas le mauvais goût d’insister, le laisse plutôt formuler ses réflexions paternalistes sans les lui reprocher – elle n’est pas certaine qu’il soit tout à fait sérieux quand il prend ce ton un peu condescendant avec elle ; et en un sens, c’est de bonne guerre : bien qu’ils soient de parfaits inconnus l’un pour l’autre, elle n’a pas non plus la délicatesse de l’épargner. « S’il est sans doute vrai que les histoires à l’eau de rose comme Bodyguard n’ont lieu qu’au cinéma, assassin du romantisme, je tiens à ajouter que c’est pareil pour les tragédies dont tu te fais le héros. » rétorque-t-elle en cillant innocemment. « Tu t’exprimes comme un homme fait, mais ta vie semble t’échapper complètement sous le prétexte d’un travail imprévisible et exigeant. C’est assez cocasse. »

La douceur de sa voix n’a pas varié. Elle croise posément les jambes, joint les mains sur son genou. « Merci. » dit-elle enfin quand il exprime sa sollicitude. « J’en déduis que tu as pu remplir ton contrat malgré les difficultés que tu as rencontrées. Cela fait au moins une bonne nouvelle. » Elle lui adresse un sourire sincère qui atteint ses yeux. Le pauvre ne mérite pas de se faire importuner par un satané Sphinx alors qu’il vient tout juste de reprendre connaissance. Elle apprécie plus qu’elle ne l’aurait pensé sa disposition à l’aider malgré tout – la fameuse serviabilité qui le perdra un jour, songe-t-elle encore en le dévisageant. « Je n’ai pas nécessairement l’intention de me frotter à qui que ce soit. » En tout cas pas directement, rectifie-t-elle intérieurement. « Mais j’ai toujours aimé savoir à qui mes proches et moi avions affaire. Je sais être complaisante et fermer les yeux car parfois cela vaut mieux ; seulement, quand arrive le moment où ce qu’on prétend ignorer nous rattrape, il est difficile de rester à attendre passivement le prochain coup. » Elle tapote pensivement son genou du bout des ongles. « Beaucoup d’innocents ont dû voir ce qu’ils n’auraient jamais dû voir pendant cette soirée, n’est-ce pas ? Que s’est-il passé, au juste ? » Son sourire se nuance soudainement de prudence. « Mais peut-être es-tu tenu au secret ? Il me tarde de savoir comment la police et les médias vont déguiser tout ça. Il faut croire qu’on ne peut jamais compter sur eux. » Elle dirige un instant son regard vers la fenêtre de la chambre, avant de revenir à lui. « L’idée que des citoyens innocents soient à nouveau jetés en pâture à des forces inconnues ne te chagrine pas, j’espère ? »


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The War is not Over - Lun 1 Oct - 0:55

Je me sentais un peu paumé devant tant de vérités. Que Gamze soit intelligente, je n’en avais jamais douté. Qu’elle soit plus humaine, plus sensible qu’elle le montrait, je n’en doutais pas non plus. Mais c’était une femme à l’intelligence très redoutable. Peut-être pas clairvoyante mais elle avait malgré tout une lecture très claire des événements. Je lui faisais confiance là-dessus plus que sur le reste. Personne sage et avisée… Plus qu’une véritable amie. Avais-je d’autres amis plus « véritables » ? Ce n’était pas dit. Notre relation ne se posait pas en ces termes avec Aislinn, j’étais détesté de beaucoup car en très peu de temps j’avais su affirmer un talent inné pour me faire des ennemis et… Il y avait Falco. Que je connaissais à peine. Reiss. Amis ? Pas vraiment. Compagnons de route, sans doute. Mes derniers amis étaient ceux du peloton de reconnaissance, une vie auparavant. Et je n’avais plus de contacts avec eux, comme souvent à la fin d’une période militaire, nos routes divergeaient. Gamze n'était pas différente des autres sur ce point. Et quand elle me complimente je ne me leurre pas. La douleur, que je ne peux plus juguler par médication, m’aide à me concentrer. J’ai un mince sourire.


| C’est la première chose qu’on nous apprend. On ne peut pas sauver tout le monde. |


Je me rappelais très bien des premières semaines. Quand on ne méritait pas encore le képi blanc. Je sais que je parle de moi, mais à un moment donné, il faut bien que je parle à quelqu’un. J’ai failli mourir pour quelque chose d’important, qui me semblait important, même si le monde ne s’est pas arrêté pour moi. Seconde leçon du drill. Tout le monde peut mourir, le combat continue. Et tout le monde s’en fout, avait rajouté le capitaine. Je me fais un rien plus dur, quand je pense aussi à des mots que j’avais eus avec un ivrogne, quand l’alcool me faisait encore quelque chose.


| Le mériteraient-ils tous autant qu’ils sont ? |


Je ne me faisais pas plus dur que je ne l’étais. J’étais Teutatès, bordel de merde, et tout le monde ne méritait pas la même sanction, à la fin des fins. Je sens l’incompréhension partielle de la jeune femme vis-à-vis de mon action. Qui me fait vraiment réfléchir. Pesais-je vraiment sur les événements et plus encore, avais-je un impact réel sur ce que je cherchais à accomplir ? Je me concentre. Le débat s’élève. Je ne suis pas face à un ivrogne à qui je peux confier mes peurs et mes doutes, mes convictions, et mes compétences.


| Qui a dit qu’il y avait une limite ? Protéger peut détruire. |


Non, je ne parlerais pas de la KZ 7. On ne me croirait pas, de toute manière. Pour les gens, ce genre de choses n’arrivait qu’au cinéma, ou alors, que dans des séries à la Punisher. Je n’étais pas un vengeur, même si c’était bien là ce masque dont nous nous étions tous parés ce soir-là au bout du monde, dans un endroit oublié des dieux. J’ai un sourire figé quand elle parle de la police et de ma conscience.


| C’est mon problème, je n’ai jamais grandi. Je fais des cauchemars de gosse. | avec du phosphore et des munitions de 5.56 à tire-larigot dedans. | Si la police était plus présente, personne aurait besoin de moi. Je suis le businessman de l’insécurité. |


Pas de police ? Appelez Torben. Mieux qu’un gilet pare-balles dernier cri, il sourit à la mort quand il se prend une balle pour votre pomme. Et on est dans le romantisme. Dans le Bodyguard. Rarement utile, parfois indispensable, je ne savais toujours pas comment considérer concrètement ce que j’avais fait pour Aislinn, quelques jours plus tôt. Elle n’a pas tout à fait tort, quand elle rétorque que je n’aurais pas droit à Whitney Houston. Et pas non plus aux lauriers.


| Ma vie m’a toujours échappé. Je pense que j’ai longtemps cherché à lui échapper aussi. Mais c’est fini, maintenant. |


Si je m’écoutais, j’enfilais mon béret vert, je remettais mon pare-balles, et je repartais au charbon avec une pelle et un P9. On n’avait pas le droit de faire le ménage aux USA, ni en France d’ailleurs, mais cet endroit aurait mérité un sacré coup de balais. Je ne réagis pas vraiment quand la belle me dit que j’avais rempli mon contrat. J’étais un garde du corps aussi discret que possible. Je savais ce que trafiquait Aislinn. Et jamais je ne la vendrais intentionnellement, et si je pouvais en sus éviter de faire des bêtises. Je sens des émotions émaner d’elle de façon diffuse. Si ténues que j’ai du mal à les saisir, à la comprendre. Elle attend quelque chose de moi. Comme tout le monde. Si un jour je rencontre un être humain, homme ou femme peu importe, qui n’attend rien de moi, alors je devrais sans doute l’épouser.


Ce n’était pas demain la veille que ça risquait d’arriver. La douleur m’impatiente. Et je n’étais pas qu’un planton destiné à protéger les monuments de la ville du coin. J’étais sous-officier d’une unité de reconnaissance, dans un bataillon de choc. Et je lis dans le cœur des gens. Celui de la jeune femme ne m’est pas accessible, mais je peux déjà me servir de ce que je sais des autres.



| Je te mentirais en te disant que tous les invités de cette soirée voulaient juste boire du champagne ou s’amuser. Mais ça a frappé tout le monde. Je n’avais jamais vu autant de folie en un seul endroit, ni autant de danger. | pas même sous le feu d’une LMG | C’est un miracle qu’il n’y ai pas plus de victimes. |


Je repense à Reiss. Tout le monde voulait savoir ce qu’il s’était passé ce soir-là. Je cille. Fronce les sourcils. Quelque chose ne va pas, dans cette histoire. Je suis un homme simple, un dieu presque effacé dans l’Histoire, et je n’y vais pas par quatre chemins.


| Tu m’as « trouvé » après la fois où j’ai failli me faire buter. Et tu es encore là alors que le destin s’est créé une seconde chance. Tu es quoi, Gamze ? Tu me veux quoi ? Je ne suis pas un imbécile. Enfin, si. Peut être. Je ne sais pas. |


La vérité crue sort, c’en est trop. Maintenant que je me rends compte du parallélisme des questions. J’ai mal au crâne, putain.


| Tu es là les deux fois. Tu poses peu de questions, mais tu en poses quand même. T’es pas là pour moi. | Je ne sentais en tout cas pas d’intérêt particulier chez elle, de quelque nature que ce soit | T’es là pour ce que je vis. T’es quoi ? Journaliste ? |


Ou quelqu’un à venger ? Ou… Je ne sais pas ?


| Je vais te raconter l’histoire de monsieur Dupont. Monsieur Dupont est un type bien sous tous rapports. Il a aimé sa femme dès qu’il l’a vue arriver, au bal de promo.  Dupont, c’est un gars bien, solide. Le genre à pardonner aux gens leur inconstance, à se satisfaire de ce qu’ils lui donnent, mais surtout, de ce qu’il leur apporte. Dupont aime tout le monde, fondamentalement parlant. Il s’en tape au boulot que tu sois une femme, ou que tu sois homo, ou que t’aille pas à la messe. Lui, de toute façon, ça fait longtemps qu’il a oublié d’y aller. Il aimait bien l’idée. Dupont, il aime vivre en communauté. Il dit bonjour au chauffeur de bus, et a un mot gentil pour la serveuse du McDo. Mais monsieur Dupont, il croise la route de X. X est un salaud. X se complait dans une fortune mal acquise, se targue d’un code de l’honneur à géométrie variable, et ses petites amourettes ou ses plaisirs coupables comptent plus pour X que monsieur Dupont qui a rien demandé à personne. Dupont finit par être invité à l’Eden Manor. Il se dit « wouah », quel avancement social ! Tous ces gens riches et fortunés, dont il sait qu’un certain nombre sont des espèces de siciliens du nouveau siècle. Ok, Dupont se sent bien. Sa petite vie bien rangée dépasse de son cadre. Mais Dupont compte quedal pour X. X s’embrouille avec Y, son alter-ego. Manque de pot, Dupont, qui pensait toucher la réussite ultime du bout des doigts, se prend une espace de déflagration mystique qui le dessoude. |


bien résumé, Torben. Bientôt tu deviendras Père Castor.


| Madame Dupont pleure toutes les larmes de son corps parce que monsieur son mari, franchement, c’était pas un mauvais bougre. Leurs trois gosses n’en ont rien à battre de ‘largent qu’allait gagner papa Monsieur Dupont. Il est mort, personne ne sait vraiment comment. Et personne ne le saura jamais vraiment. Et pendant ce temps-là, X a fini par se rabibocher avec Y, et ils passent une soirée agréable au champagne, avant de passer la nuit ensemble pour achever ces retrouvailles. |


Je regarde Gamze, les yeux dans les yeux. Si près et si loin à la fois.


| X et Y n’en ont rien à foutre de personne. Dupont n’avait rien demandé à personne. Et ce n’est pas le seul. Certains ont placé l’argent et l’influence au-dessus des principes. Toi, t’es pas dénuée d’intérêt pour tout ça. Tu dis que tu ne veux pas tendre l’autre joue si j’ai bien compris, très bien. Prouve-le. Et dis-moi en quoi tu peux m’aider à faire en sorte que le frère de Dupont se fasse pas buter et oublier dans la foulée de son aîné. |
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The War is not Over - Dim 7 Oct - 19:27


ft. @Torben Rawne

Gamze sent son propre regard se durcir un peu lorsqu’il évoque l’hypothétique mérite des individus, leur droit d’être sauvés, de figurer parmi les élus d’une volonté arbitraire qui se targue généralement bien vite de pouvoir en juger. Torben, quand il s’exprime, oscille tant entre une surprenante vanité et un réel souci de son prochain qu’elle n’est pas encore en mesure de déterminer ce qui, de l’orgueil ou de l’altruisme, le motive véritablement. « Mais il doit précisément y avoir une limite, laisse-t-elle échapper un peu trop péremptoirement. Autrement il me semblerait bien difficile de prétendre au titre de protecteur. » Peut-être en a-t-elle déjà trop dit. Par bonheur, son autodérision lui permet de faire une percée – elle ignore résolument le caractère enfantin qu’il prête sans doute mensongèrement à ses cauchemars : « Le businessman de l’insécurité, hein ? répète-t-elle pensivement. Opportuniste et cynique avec ça. Tu frôles décidément la perfection. » Sa réflexion sur la vie la fait sourire, essentiellement parce qu’elle n’est pas en position de la comprendre : Gamze n’a jamais cherché à échapper à quoi que ce soit qui puisse la faire progresser dans sa compréhension d’elle-même, et moins encore à sa vie – autrement dit à elle-même, dont elle a poursuivi chaque problème avec la subtilité et l’obstination d’un rhinocéros. Du reste, à le voir ainsi alité sans même en connaître le véritable motif, elle ne comprend pas bien en quoi ses errances sont terminées – dans quelques jours, au mieux dans quelques semaines, Torben trébucherait inopinément sur un nouveau problème et présenterait cela comme une confrontation tout à fait volontaire et réfléchie aux saillies de sa vie-à-laquelle-il-ne-prétend-plus-échapper. « À la bonne heure, conclut-elle avec un sourire mutin. Penses-tu que tes prochains rendez-vous avec ta vie – maintenant qu’elle court moins vite et que tu es enfin capable de la rattraper – seront un peu moins salissants que les précédents ? Parce que je te rappelle que tu as taché ma robe, la dernière fois, et qu’à ce compte-là, il me semble encore préférable de fuir pour épargner vêtements et os – accessoirement. » Elle dodeline de la tête en se composant un air faussement innocent, très consciente de l’agacement qu’elle éprouve face à l’opiniâtreté qu’il déploie lorsqu’il s’agit de courir au-devant du danger. Mais enfin, pourquoi s’en soucie-t-elle autant ?

Elle se mure dans un silence pensif, s’applique à l’écouter avec une grande attention – peut-être aurait-elle dû feindre une forme de distraction, cependant, paraître moins concernée par ses paroles ; mais elle est avide de savoir, et son avant-propos n’aurait pu être plus inquiétant. Les rapports de force qui ne cessent d’ébranler Arcadia n’ont jamais été limpides, mais elle s’étonne d’apprendre la manifestation d’une frénésie qui aurait, d’après lui, surplombé tout le monde. Une nouvelle drogue, peut-être ? Il est peu probable que l’usage en ait à ce point échappé aux convives.

Néanmoins il s’interrompt, et elle le voit venir – c’est juste là, dans le froncement soudain de ses sourcils, dans le regard plus pénétrant dont il la sonde. Qu’est-elle ? La forme de son interrogation lui indique déjà qu’il est sur la bonne voie, et sans doute ne perdrait-elle pas grand-chose à le lui confirmer ; pourtant elle élude, par simple orgueil, comme pour le punir de s’être interrompu dans l’espoir de mieux la cerner : « Tu pourrais te contenter d’être reconnaissant, plaisante-t-elle en feignant la vexation. Et bien sûr que tu es un imbécile, c’est ce que je m’échine à te faire comprendre depuis notre première rencontre. » Elle lui signifie d’un battement de paupières impertinent qu’il ne peut, à cet égard, lui reprocher une quelconque malhonnêteté, avant de poursuivre d’un ton égal, terriblement léger : « Je suis curieuse pour mon propre compte, admet-elle, se surprenant à énoncer un fait qui se rapproche peut-être plus d’une vérité que d’un mensonge. Pour mon propre compte et pour celui de mon entourage, précise-t-elle. Or je pense que ma protection et la leur est de mon seul ressort, pas de celui de la police ou de justiciers autoproclamés dans ton genre. » Ses paroles lui sembleront peut-être agressives, pourtant il n’y a aucune espèce d’animosité dans sa voix. Il cherche légitimement des réponses et, comme lui, elle n’a nullement l’intention de les lui céder aussi facilement qu’un bonjour. « J’aurais pu prétendre être là pour toi voire exploiter la faiblesse de tes hormones, mais il s’avère que tu te mets très bien hors d’état de nuire tout seul et que ce n’est de toute façon pas mon genre – pas trop. Défronce tes sourcils, à présent : que tu le veuilles ou non, tu n’es pas en état de me mordre et je vais pouvoir me montrer insolente avec toi jusqu’à ce qu’une infirmière ne vienne me déloger d’ici. » Son sourire se veut complice, son regard affable et caressant ; mais au fond, badiner en sa compagnie lui en apprend peut-être tout autant sur elle-même que sur cette funeste soirée – dans quelle mesure se trouve-t-elle ici, à son chevet, pour le compte de la police et non pour le sien propre ?

L’histoire qu’il lui annonce la distrait un instant de ses impasses. Elle adore les histoires. Le Sphinx se pourlèche, flaire l’énigme à résoudre à mesure qu’il écoute, qu’il discerne les équivalences à construire ; et Gamze ne cille pas, ne détourne pas son regard du sien tandis qu’il s’enfonce plus avant dans son réseau de métaphores. Cependant elle n’a pas immédiatement le loisir de déchirer le voile de mystères dont il se couvre, doit réprimer un sursaut d’orgueil sitôt qu’il cherche à prendre de la hauteur dans leur conversation. « Il me semble n’avoir rien à te prouver, murmure-t-elle avec une douceur trompeuse dans la voix. Je ne suis là ni pour me vendre, ni pour servir de faire-valoir à qui que ce soit. » Elle se redresse, mais plutôt que de se diriger vers la porte de la chambre dans un accès d'impatience, se penche sur lui pour le regarder au fond des yeux. « M’allier de près ou de loin à un casse-cou tel que toi serait un très mauvais calcul de ma part, je crois. » Se fait-elle plus piquante pour lui délier un peu plus la langue – sous le coup de l’agacement, de la colère ou l’envie de la convaincre de sa légitimité, puisqu’il paraît tant s’en inquiéter ? Le Sphinx essaie de tirer toutes les ficelles qu’il lui est possible de tirer. « Je te l’ai déjà dit, susurre-t-elle sans cesser de le dévisager. Le meilleur conseil que je puisse te donner est d’arrêter de t’envelopper dans une fatalité qui consiste à croire que les problèmes te trouvent sans que tu ne te sois mis en peine de les chercher. C’est une idée qui semble te tenir chaud, et je trouve ça terriblement suspect, pour un homme qui s’enorgueillit du secours qu’il peut apporter à son prochain. » Pourquoi, du reste, se soucier d’aider un homme dont les méthodes ne lui conviendraient probablement pas ? Torben mérite peut-être tout autant que ceux qu’il poursuit de se retrouver derrière les barreaux, bien que sa propension à se jeter dans la gueule du loup pour sauver la veuve et l’orphelin – plus ou moins innocents aujourd’hui – soit charmante, bien que sa veine insolente – il n’est après tout qu’un vengeur ayant eu la chance d’échapper à la mort un nombre incalculable de fois – n’ait peut-être rien d’une coïncidence. « Et puis, si c’est bel et bien toi qui crains l’oubli, essaie-t-elle pour finir, j’ai plutôt envie de dire qu’avec toutes les gaffes que tu commets, l’oubli serait certainement le plus joli cadeau que l’on puisse te faire. » Elle se redresse dans un éclat de rire, trop fort, sans doute, car elle perçoit aussitôt un mouvement dans le couloir. « J’ai l’impression que le personnel infirmier va bientôt venir à ta rescousse, remarque-t-elle avec amusement. C’est dommage, parce que ton histoire m’intrigue de plus en plus. » De fait, c’est de but en blanc qu’elle lui demande : « Ton frère s’est fait tuer ? » Le Sphinx force impudiquement les équivalences, débrouille les énigmes qui ont donné au récit de Torben le poids de demi-mots. Mais Gamze le sait, au fond : elle aurait dû laisser cet homme à son repos et ne pas abuser de son hospitalité, de la facilité de sa conversation.

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The War is not Over - Lun 8 Oct - 23:26

On ne peut pas sauver tout le monde. A la guerre il y a des pertes. Dans la vie il y en a aussi. Je me rappelais de ces stages passés avec les gendarmes et les Pompiers de Paris. Quand on apprenait à gérer les crises, mais aussi à endurer les pertes inévitables. A gérer ses émotions. Ca avait été facile pour moi, tant que je n’avais pas eu à me retrouver confronté aux expériences de groupe et que les gens s’étaient mis à flipper. Là, l’entraînement était devenu dur. Quand il fallait gérer tout ce bordel dans la tête et dans le cœur des autres engagés. Une limite. Elle a raison, Gamze. Je sens son incompréhension, sa curiosité, sa défiance. C’est ténu. Mais au fil de la discussion, ce que je lui dis la fait réagir. Pas autant qu’un individu normal. Et je serais toujours tellement en peine de dire ce qui la motive. Mais je l’intéresse. Pas besoin de lire dans son cœur pour le comprendre, car ses questions ne portent finalement pas tant sur la soirée du manoir que sur ce que je fais, ce que je suis. Je sens aussi une certaine désapprobation quant à mon métier, ou ce qu’on pourrait qualifier de méthodes. Est-ce que je suis dans le vrai ? Difficile. Je sentais la jeune femme avec beaucoup moins d’aisance et de spontanéité que les autres, en temps normal. Prétendre. Un titre. Je fronçais les sourcils, destabilisé.


Je n’aimais pas du tout qu’on essaie de lire dans mon âme.



| Je dois être autre chose, alors. |


Aucune idée de ce que j’étais vraiment. De ce que je serais à l’avenir. Tout me tombait dessus sans arrêt et je n’agissais que sous le coup de l’instinct, de la surprise. De la réaction. Ce qu’on nous avait appris à craindre comme à rechercher, à l’armée. La réaction c’était le propre d’un plan mal bâti mais aussi l’expression des meilleures aptitudes. Personne n’avait jamais tranché définitivement ce type de paradoxe. Elle me dit que je frôle la perfection. Ironie, sarcasme ? Elle rit à mes dépends, sans doute. Et elle aurait bien raison. Si on s’amusait à baliser ma vie, on aurait sans doute l’impression de voir un fou courir à l’aveugle, genre avec une cagoule à l’envers, avec flingue à la main et une bouteille de scotch dans l’autre. C’est mon tour de sourire quand elle évoque le souvenir de notre rencontre. Je secoue la tête, en même temps, le sourire en coin de sale gosse que j'arborais jadis comme la réponse à tout.


| Bien sûr que non. |


Je n’avais jamais imaginé que ma vie se calme et se range. Je ne l’avais jamais pensé. Espéré, oui, sans aucun doute. Surtout dans les pires moments de l’existence, dans ces instants où le remord et la culpabilité me lancent et que je ne vois dans mes actions qu’une fuite éperdue vers l’avant, pour fuir les responsabilités qui incombaient à mes pouvoirs et à ma nature intrinsèque. Je la sens s’agacer, ou s’impatienter, je ne sais pas trop et je n’ai pas non plus de points de comparaison pour m’aider à la comprendre. Je ne comprends pas trop. Me frotte le menton, sur lequel repousse déjà la barbe. On ne m’a pas encore apporté de quoi me raser ici. J’aimerais bien que ça ne tarde pas autrement ça va bien vite me démanger à peu près autant que mon incompréhension de la femme en face de moi, assise près de moi. Si proche, et que je ne saisissais pourtant pas. Elle se dérobe. Pare mes pointes et évite de se dévoiler, même un peu. La dérobade signifie toujours quelque chose. Et je ne crois pas aux « vigilante ». Ce que je fais, c’est le boulot, et je fais pas ça pour la gloriole. Ca m’attire que des emmerdes. Mais je n’ai jamais pu lutter. C’est ce pouvoir qui m’obsède, qui me concentre sur tout sauf moi et ma propre sécurité.


Je ricane quand elle me sort qu’elle aurait pu exploiter mes hormones.



| Ah ouais, alors moi, je suis un justicier autoproclamé. Ouais. Peut être. Mais toi tu veux des infos pour assurer la protection des tiens à la place de la police. C’est quoi la différence ? Mais t’inquiète pas va. J’y aurais pas cru. Je suis peut être un imbécile, mais je ne suis pas le dernier des naïfs de cette ville. |


Inutile d’en dire plus. Je n’alignais pas les conquêtes, et je ne me croyais pas plus « beau » que je ne l’étais. Le sexe ça apportait son lot de complications pour tout le monde, et pour moi qui lisait dans le cœur de mes partenaires, ça rendait les choses encore plus compliquées. Potentiellement plus douloureuses. Je n’avais pas la tête à ça et qu’avais-je à offrir, de toute façon ? Coucher avec une femme, avec mes pouvoirs, ça ne pouvait jamais être tout à fait anodin. Dès que je touchais de si près l’âme de quelqu’un, même pour m’amuser, je me mettais à la comprendre. Et la comprendre me faisait l’aimer. Jamais pour l’autant ; m’éloigner me rendait à mon état, à ma solitude. Rien de durable. Aux moindres turbulences, j’étais aux premières loges. Il y avait des choses qui n’étaient pas destinées à se savoir, et les capter fissurait le peu qui avait pu être construit. Ce n’était pas pour moi.


Gamze me rabroue. Difficile de savoir si elle m’insulte vraiment ou si c’est elle qui est simplement piquée au vif. Manœuvre, ou enfin un peu de sincérité ? Ce qu’elle me dit, je me le suis répété cent fois. Je me le suis ressassé depuis dix ans. Excuses commodes pour couvrir les doutes et les massacres, pour étouffer la culpabilité comme on étoufferait une sentinelle. Sans un regard en arrière. Sans une hésitation. Je ne peux pas nier que ces saillies me touchent. Elles font écho à un discours que je ne me connais que trop bien. Je soutiens son regard et la dévisage, plus durement.



| Je ne sais pas à quel point tu as tort ou raison. Pendant longtemps, j’ai pensé que c’était moi le problème. Que tout ce qui arrivait autour de moi, j’en étais la cause. |


Je savais très bien que c’était parce que j’en savais trop et que je n’avais jamais su me retenir d’agir. Toujours cette grande gueule, toujours prompte à s’ouvrir. Et ces mains que les gens voyaient comme normales, immaculées, mais que je savais imprégnées de tant de sang et de souffrances, témoins de derniers soupirs plus qu’à leur compte.


| En fait, c’est plutôt vrai quand on y repense. |


C’était bien moi le fautif, mais surtout parce que personne ne faisait jamais rien, personne ne s’insurgeait ni ne résistait. J’arbore une mine désespérée, comique tant je force le trait à grand renfort d’ironie.


| Et moi, plus je la raconte et plus je la trouve stupide. |


Je redresse à nouveau le regard vers elle.


| C’est dans ce genre de circonstances qu’on se remet en question, pas vrai ? Je vais suivre ton conseil. C’est en phase avec ma bonne résolution, pas vrai ? Assumer ce que je suis et ce que je fais. |


Sourire de bienheureux, jusqu’aux oreilles. Totalement surjoué, ce qui ne lui échapperait pas.


| Quoiqu’il advienne maintenant, je pourrais pas dire que je ne l’ai pas cherché. J’aurais pu me tirer dans un trou paumé et vivre peinard, mais je crois que je mourrais vite, seul avec moi-même |


Ce serait comme souffler la dernière bougie de la pièce. Personne dans les environs, rien à ressentir. Rien à ressentir, et ce serait le dépérissement et la mort par inutilité à quiconque, y compris à moi-même. J’étais cette mission. J’étais cette vocation. Impossible de nous dissocier. Je l’avais choisie autant que subie. C’était ça ou me fumer moi-même le citron. Je comprends à la question frontale de Gamze qu’elle croit que Dupond, c’est moi. Impossible de lui expliquer que c’est quelqu’un que j’ai ressenti, en partie, un amoncellement d’impressions et d’histoires brodées à partir de ce que j’ai éprouvé ce soir-là dans la vie des gens qui m’entouraient, dans leur cœur.


| Je n’ai pas de frères. Je n’ai personne, en dehors de ce boulot. C’était une image de ce qui m’insupportait, dans cette ville. De ce qui me pousse à « faire l’imbécile », et ce boulot de con. Je ne rends de justice pour personne, sans doute. Mais j’arrive au moins à me donner l’illusion de faire quelque chose. |


C’est pourquoi il comptait autant, ce job. Et je ne comptais pas ma mère, qui s’était cachée et m’avait menti toutes ces années.
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The War is not Over - Ven 19 Oct - 19:39


ft. @Torben Rawne

Gamze ne peut s’empêcher de sourire très discrètement lorsque Torben fronce les sourcils, comme désarçonné, assailli par la désobligeance de ses remarques. Il ne manifeste pourtant pas la moindre hostilité à son égard et il y a pour elle quelque chose de fascinant, de touchant dans son attitude conciliante, dans sa disposition à réfléchir et à se remettre en question. Elle se persuade, en l’observant plus attentivement, qu’elle ne doit pas sa relative placidité à l’infirmité à laquelle ses blessures le réduisent ou aux effets des médicaments, mais qu’au-delà de son tempérament trop téméraire, il garde quelque chose de la force tranquille que l’on peut retrouver dans les éléments les plus immuables de la nature.

Il n’en est pas moins décidé à n’en faire qu’à sa tête et à se rompre le cou. Est-elle étonnée, au fond ? Son sourire s’accentue pensivement. Elle-même n’a jamais eu la prétention de changer les gens, après tout, et cet homme tenu en bride représenterait probablement la plus affligeante des aberrations.

Le ricanement qu’il laisse échapper la rappelle à leur réalité, faite d’odeurs aseptisées, d’iris, de sang séché et de chairs recousues. Elle lui aurait bien rétorqué que leur différence consiste en ce qu’elle n’a jamais tué personne, elle, mais elle s’aperçoit in extremis que ce n’est pas vrai – comme on est prompt à ôter la qualité d’être vivant à un individu qui a fait de vous le fourreau de son couteau, songe-t-elle avec un amusement cruel. La naïveté qu’il refuse de compter parmi ses défauts lui ourle les yeux d’une narquoiserie discrète. Sa bouche s’arrondit en un petit soupir faussement résigné : « Je dois bien l’admettre, oui. » Cependant la chipie ne tarde pas à reprendre ses droits, et elle poursuit en enroulant précieusement une mèche de cheveux derrière son oreille : « Pour ce qui est de la différence, je suis tout de même plus intelligente et prudente que toi et il me semble donc avoir plus de chances de réussir. » Rien n’est moins sûr, en réalité ; mais le sourire on-ne-peut-plus sincère qu’elle arbore désormais indique de toute façon qu’elle plaisante.

S’abîmant dans un nouveau silence, elle l’observe encore une fois, comprend à l’expression d’héroïne tragique qu’il se compose que ses saillies ont fait mouche, dans une certaine mesure. Elle ne s’en félicite pas, néanmoins, tout aussi impliquée que lui dans l’introspection, et le petit rire qui finit par lui secouer les épaules quand il prétend assumer, l’air qu’elle se donne de rétorquer qu’il court à la catastrophe, tous ces indices d’une légèreté contrefaite ne la trompent pas elle-même : « L’ennui nous fait faire bien des bêtises, n’est-ce pas ? remarque-t-elle avec un éclat vaguement mélancolique au fond des yeux et de la voix. Mais le besoin de se sentir utile est encore le plus acceptable de ses déguisements, sans doute. »

Toutefois elle n’a pas le loisir de poursuivre son interrogatoire. Ainsi qu’elle l’a prévu quelques minutes plus tôt, une infirmière fait irruption dans la chambre, affichant aussitôt sa surprise d’y trouver ce qui ressemble à une visiteuse, alors qu’elle avait laissé son patient endormi et à l’abri des visites. Gamze se redresse prestement et devance les questions de l’infirmière en se composant un air candide et en s’armant de l’empressement un peu maladroit d’une jeune femme sincèrement désolée. « Je venais pour une amie, à l’origine, et puis je l’ai aperçu, explique-t-elle en désignant Torben. C’est une bonne connaissance à moi. » Elle a failli dire ami, se surprend-elle, mais n’en laisse rien paraître : elle tourne un instant le dos à l’infirmière pour adresser à l’homme un sourire goguenard. « Je t’aurais bien embrassé, mais je crains de t’endommager plus que tu ne l’es déjà. » Elle le regarde longuement, se demande, l’espace d’une seconde, s’ils se reverront. « Je ne t’invite pas à être prudent, n’est-ce pas ? » Elle a un petit haussement d’épaules et, profitant de ce que l’infirmière s’éloigne pour s’affairer à l’autre bout de la chambre après l’avoir rappelée à l’ordre et s’être assurée du consentement de son patient, elle s’approche pour murmurer : « Rétablis-toi vite et ne meurs pas trop bêtement. » conclut-elle en ayant bien conscience de demander la lune. Elle ne dit ni au revoir, ni adieu, et se détourne dans un dernier sourire, la tête encore pleine de ses métaphores et de ses mystères. Cet homme est un imbécile. Mais elle espère qu’il est de ces imbéciles qui survivent.


RP terminé. The War is not Over 3511962308

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