Sourcils froncés et l’air menaçant, je fusille la moindre personne qui passe le pas de la porte volontairement laissée ouverte. Le rythme de la distillerie dictait ma cadence, alors que je tiens vigoureusement les registres des comptes. Il faut que tout soit parfait pour les événements à venir et je ne saurais tolérer une erreur de comptabilité. Non pas parce que j’en suis le responsable, mais parce qu’il y avait bien trop enjeu. Une virgule mal placée et les conséquences étaient désastreuses. Le Royaume devait être prêt, c’était à la fois une obligation et une nécessité. Pour notre survie face aux forces sombres qui s’animaient, il fallait être fort et construire nos propres barricades. Et lorsque je pensais aux membres de la famille, nous avions les épaules pour survivre mais pas nécessairement pour l’emporter. Il fallait préserver la famille. Je fixe ma chevalière, aux symboles de Claddagh qui trahit la provenance de mon accent particulièrement fort du comté de Galway. Symboles qu’une de la famille arborait aussi et je n’avais cessé d’être piqué d’une curiosité grandissante.

Un gamin passe la porte et me fixe. « Quoi ? Tu t’es perdu petit ? » Je me lève et reboutonne la veste de mon costume. Je lui verse un verre de whisky et le lui tends. Le mortel ne le saisit pas et secoue la tête, d’un air fier. « Bon gars. » La main hideuse dans ma poche de pantalon, je la sors pour attraper mon portefeuille. Un billet, deux billets. Au final, j’en sors cinq et les lui tends. « Va me chercher Ayo Adams. Peu importe ce qu’elle fait, tu me l’amènes. Tout de suite. » Je sors ma montre à gousset et attrape le jeune par la nuque pour le guider hors du bureau. Je jette des regards froids aux personnes alentours, ou qu’ils perçoivent comme froids alors que je ne fais que les ignorer. S’ils ont besoin, ils savent où me trouver. Et lorsque mon téléphone vibre, un large sourire spontané étire mes lèvres. Siobhàn. Et dès que des pas se font trop proches, mon visage se ferme automatiquement.

Quelques heures, deux précisément, le gamin revient. « Ayo. Mon bureau. Maintenant. » Un sifflement accompagne le geste de main nonchalant. Je me tiens à l’encadrement et referme sèchement la porte derrière nous. « Installe-toi. » Je verse à nouveau deux verres de whisky et lui en tends un, échappant un grognement en reniflant bruyamment. Les traits durs et naturellement clos, je toise la jeune femme et le bijou orné des mêmes motifs. « C’est joli. Tu l’as volé où ? » Au regard de la qualité des détails et de la noblesse des matériaux, il ne pouvait provenir que de deux choses : un vol ou un héritage. Je devais en savoir plus.