Vivre d’amour et d’eau fraiche. Voilà ce qu’on m’a dit d’essayer, histoire de calmer un peu Huntington, histoire de pas clamser plus vite que prévu. Primero, l’amour et moi, ça fait douze. Ou vingt si je peux me permettre de rigoler de ma propre histoire. Segundo, j’préfère les jus de fruits à l’eau. Alors bon, vivre de rien et de jus d’ananas, clairement ça n’a pas la même gueule. Alors je continue, d’explorer la fin d’une existence en y traçant des sillons de décrépitude au lieu de me glisser dans des draps en coton. Je voltige sur le ring, casse quelques gueules, éclate de rire et oublie un peu que la Mort, elle me bouffe le bide. Littéralement, elle me dévore petit à petit.

Chaleur, chaleur à Arcadia. Où est ce seulement moi ? Regard jeté à droite, vrillé sur les muscles saillants des autres combattants. Plaisir  de pouvoir regarder les peaux sans créer du malaise même s'il savent tous ici, que les femmes n’ont jamais eu ma préférence. Ne m’ont jamais eu du tout.  Les regards jetés, les mains abandonnées, les tapes dans le dos, rien de tout ça n’est charnel. Je touche tout ce qui bouge, j’aime sentir les peaux chauffer, les coeurs bondir, les esprits flipper à l’idée que j’découpe un bout de chair.  La Mort aime sentir la vie autour d’elle, histoire d’être sûr qu’elle aura quelque chose à dévorer en cas de nécroglycémie.

Ah Puch a faim.
Ah Puch mange.
Comme un chien.

Sur le ring depuis déjà 25minutes, je sautille comme un cabri, muscles bandés, poitrail vibrant sous la sueur. Mes poings nus partent sur la face du gars, écrase son nez qui explose en sang. mais pas de répit pour les braves, je continue de frapper jusqu'à ce qu'il tombe, qu'il s'écrase et...Se relève. Fierté du professeur, même la gueule en sang, les enfants en demandent toujours un peu plus.

« Ta garde, tiens ta garde !

Que je balance à mon dueliste, même age, carrure d’une armorie à glace mais qui a oublié de ciseler ses muscles pour devenir moins lourd. La souplesse, y’a que ça de vrai dans la Vale Tudo. Si tu sais frapper, c’est bien. Si tu sais danser, c’est encore mieux. Léger rire qui explose dans la salle, on t'entend Jan, on sait que y’a que toi pour rigoler comme un gosse alors que t’as le torse éclaboussé d’hémoglobine.

« Allez, trouve mon point faible… que je commande
« T’en as pas… que tu souffles

Arrêt sur image, bras grand ouvert comme si je feignais l’indignation.

« Amigo… j’ai une paire de couille bordel ! Alors frappe, on sait tous ce que ça...

Ouh le con. Putà pas maintenant. Alejandro qui se plie, Alejandro qui tombe. Alejandro qui rit.

« Bien joué… Bien… Ma future femme ne te remerciera pas...

On y croit Jan, on y croit.
Attraper la main de Miguel, me relever en chancelant légèrement et en tenant mon bas ventre pour vérifier que tout est encore en place. Sérieux, il aurait pu attendre que je termine mon discours.

« Jan, y’a une chicà qui cherche… léger rire, un peu gras, un peu Cala….MONSIEUR FLORES.

Arrêt sur image - ça commence à faire beaucoup. Depuis quand on me sert du Monsieur Flores ici ? Sourcil arqué, je me stoppe au bout du ring, bras qui se posent sur les cordes, histoire de reprendre mon souffle (et de reprendre un peu contenance.)

« Bah il est là…. !

Et le sourire qui explose sur le visage, celui qui ferait fondre l’iceberg du Titanic, qui aurait sauvé des milliers de gens s’il avait été parmi les passagers du paquebot. Dommage, ils n’ont eu que Rose et Jack, pas de peau.

Blondinette à l’allure chienne. Qui a du cran, du répondant et un visage avec du caractère. Ça me plait. Pas physiquement, pas là où ça devrait selon les religions, mais ça me plait. Car devant moi, c’est bien la chica Beauchamp dont Roukie m’a rapidement parlé il y a quelques jours. Entre-aperçu dans sa boutique, aura divine qui l’entourait, hanches aux proportions normales et joli minois. Elle avait tout pour être sur la liste. Alors ouais, j’ai fais mon curieux, j’ai demandé quelques informations et j’ai prétexté l’envie de rénover la salle pour lui proposer une rencontre.

Entre vous et moi, j’avais oublié l’heure er j’me serais montré un tant soi peu plus présentable si j’avais vu l’horloge tournée.

-Bonjour Monsieur Flores ! Je suis Miss Célestine Beauchamp. Nous avions convenu que nous nous rencontrions afin de discuter de vos projets de rénovation.

Monsieur Flores. Je tique légèrement, tête qui vrille sur le côté, léger éclat de rire face aux mines amusées des mes comparses d’entrainement.  Personne ne m’appelle Monsieur malgré les 40ans. On me nomme Jan, on m’appelle Pretty Boy histoire de me faire chier, Flores sans le Monsieur mais jamais on accole les deux. C’était mon père qui avait le droit, moi, j’fais trop peur pour être paré d'une telle solennité.
Je descend de mon ring, muscles crépitants encore un peu sur la fin du duel, sueur sur le front, sourire en coin. Au moins, elle m’aurai vu dans dans mon carcan habituel la Célestine.

Je remarque sa gêne, elle qui regarde à droite à gauche discrètement, elle qui se fait mater par tout le monde, elle qui… propose un autre espace, plus intime. Doucement Miss Beauchamp, on parlera affaires avant de parler d’enfant.

" Arrêtez de m’appelle monsieur, sinon ils vont tous se foutre de moi après votre départ…

Sourire poli tout en attrapant une serviette propre et m’essuyer le front.

"On va rester là, si ça ne vous dérange pas. Il faut que je fasse redescendre mon rythme cardiaque…

Et ça peut durer longtemps ces conneries, tant le Dieu est passionné quand ça pue la mort sur le ring.  Je lui adresse d’une main une table au fond, un peu en retrait, histoire qu’elle s’assied pendant que je commencerais les étirements.


"Ella está conmigo, ¡no la miramos!

Que je gueule à toutes ces bougres qui prennent la gente féminine comme de pâté pour chien. Avec moi Miss Beauchamp, tu crains rien. Même si la majorité des gars du coin font trois fois mon poids, ça recule, ça baisse la tête. Ça dit plus rien devant Flores.

 "Excusez moi pour leur… comportement. Reprenons, appelez moi Jan et pas monsieur Flores. Et oui, c'est ce batiment que je vais , peut être, rénover. Ça dépendra de votre offre...

Dos qui craque, muscles qui se détendent, je vais t'écouter me déblaterer toute ton offre Célestine et après j'te parlerais de ce que j'ai à t'offrir. Chez les Flores, c'est du rapide, les rendez vous commerciaux, ça se finit soit avec une poignée de mains, soit avec des doigts en moins.

Et bien, c’est que t’es sérieuse Célestine quand tu te mets au travail. Les mots virevoltent, j’en attrape quelques uns au vol, entend rénovation, budget, gain. Ça me parle jusqu’à là, tandis que je fais craquer mes muscles et étire mes épaules l’une après l’autre. Regard jeté rapidement aux brochures, les images très peu pour moi, je préfère le réel. En chair, en os, en métal. Et pas sur papiers brillant.
Pendant qu’elle cause, je me permet un coup d’oeil plus… Détaillé. Jolie, d’après les critères que j’ai pu récolter à d’autres à gauche. Blonde-chatain, un mélange qui disparaitra surement vu mes origines et une peau aussi pâle que le cul d’un ange. Et beh si avec ça on est pas bien assorti Célestine, c’est que j’ai besoin de lunette en plus d’une seconde chance. Physiquement, t’es mon opposé et ça me fait un peu rire de m’imaginer à tes côtés. Le jour et la nuit. La Belle et le Clochard. Beauchamps et Flores. Là par contre, ça sonne juste, là ça me parle. Clairement, c’est difficile de ne pas rire devant un tel plan. Si un jour on m’avait dit que je ferais passer des entretiens non officiels pour trouver une femme, je pense que j’aurais explosé de rire avant de demander où se cachait la caméra.

-Vous savez combien de superficie vous avez pour la toiture ? Peut-être que vous pourriez envisager des panneaux solaires ?

Perdón?
Merde, va falloir que j’apprenne à t’écouter parler si je ne veux pas passer pour une imbécile. Pas que je ne m’intéresse pas à ce que tu racontes Célestine, je ne suis juste pas habitué à me retrouver à discuter toitures et rénovation après avoir encaissé quelques heures de combat. Normalement, je sors, je mange et je dors.  Mais là, j’peux pas. Fuir, me barrer, prétexter une connerie.  Car y’a cette fille devant moi, qui me pose une question et qui n’imagine même pas qu’elle est potentiellement sur une liste qui me met très mal à l’aise rien que d’y penser.

C’est qu’un nom après tout.
Qu’un gosse.
Tu donnes pas ton coeur Jan.
Toute façon, il t’appartient plus depuis longtemps déjà.

« On a peu près 180m2 pour tout le bâtiment. Après la salle doit être dans 100… Y’a des bureaux, des vestiaires…

Ne parle pas de la cave, ne parle pas de la cave…

« Une chaufferie. Mais c’est surtout la salle qui doit être revue niveau toiture. Le reste a été construit dans un bâtiment accolé donc….Personne ne se les caille l’hiver.

Dit Monsieur-Je-Brule-Sous-Moins-5-degrés.
Étirement des jambes, de la nuque et on a fini pour aujourd’hui.

« Mais… Pardonnez moi, je ne suis pas du tout au courant de ce qui se fait dans le milieu. Je vous fais confiance, j’ai un  budget assez…. » Illimité ? « Conséquent. Je veux juste que mes combattants soient biens, au frais, au chaud, juste… Bien.

Et je ne mens pas. Ça m’importe réellement le confort de ceux qui viennent ici, passer quelques heures ou quelques années. Le bien-être de la famille avant le compte en banque comme on dit.

« Et sinon vous… Vous….. » J’aurais du demander à Trini de me donner quelques cours de séduction avant de faire le premier pas. Histoire de savoir ce que je dois demander à une fille dans ce genre de situation. « … pensez quoi du Mexique ?

Règle numéro 1, ne jamais parler politique au premier rendez-vous, surtout quand la personne en face n’a aucune idée du-dit rendez vous.

Les procédures, revenir les voisins, expliquer, prévenir…. Okey, cette fille, elle ne sait vraiment pas à qui elle a à faire visiblement. Même pas certain qu’elle sache que cet endroit appartient à la Calavera. Une nymphe qui n’est pas accolée au dieu, c’est rare, surprenant même. Normalement elles se font toutes tripoter par Alcide et sa cour. Une indépendante, ça signifie moins de soucis avec les autres panthéons, pas de risque de créer des histoires avec d’autres dieux. Celestine Beauchamp, tu gagnes quelque place dans le classement.
Et tu en grappilles encore un peu en flattant le propriétaire des lieux. Ravi Alejandro, d’entendre que ça se voit, que tu fais gaffe à ton club, que tu apprécies tes clients et que tu fais tout pour les mettre à l’aise. Alors je lui adresse un grand sourire, heureux comme un chat qu’on vient de câliner.
Sourire qui bug légèrement face à ta réponse sur le Mexique. Balle renvoyée dans ta tronche Alejandro, car même toi, tu ne savais pas ce que tu voulais dire par là… Putà Trini, faut vraiment que tu m’apprennes comment ça marche les chicas. Je me sens tellement incapable, c’est la première fille qui peut potentiellement cocher toutes les caractéristiques dont j’ai besoin et….

Ta gueule Jan, parle pas d’elle comme d’un objet.
Si, il faut, voir ça comme un contrat.
En plus, elle a l’air douée en papier, elle n’aura aucun problème à comprendre pourquoi t’en arrives à là.

« Je…. Tous les sens ? »

Mauvaise réponse. Mauvais terme. Aucun talent pour les explications.
Je baisse un peu la tête, pas mal à l’aise, juste incapable de savoir par quoi commencer. Lippe mordue, plissement des yeux puis reprendre contenance et darder à nouveaux mes prunelles dans les siennes.

« Enfin je veux dire… Vous aimez les enchiladas ? Je prépare un délicieux guacamole aussi, j’y mets un peu de piment fort et…  »

Stop, arrête, clairement tu ne t’y prends pas bien. Autant tu sais choisir tes mots pour titiller les entrailles, autant quand tu dois charmer le sexe opposé, t’es aussi utile qu’un rital après deux verres de champ’.

« J’vais être franc, je vous ai aperçu chez Aislin O’Reilly et je vous ai trouvé….»

Jolie ? Mignonne ?

«…Pertinente.»

Et finir sur ça, les bras croisés, le regard vrillé dans le sien, en comprenant que la situation va être bien lus difficile à débloquer.
Pertinente…….Alejandro Flores, t’aurais du plus écouter quand on te disait de comprendre une autre langue que celle des hommes.

Et merde. Et bordel de merde. J’ai tout foiré.  A la définition de « looser », je pense qu’on pourra accoler mon prénom. J’ai juste envie de me prendre la tête dans les mains histoire d’oublier ce mauvais moment à passer. Ou de repartir sur le ring pour frapper quelques crânes. Tout sauf assister  à cette scène qui risque de rester dans les annales. J’le sens, ton agacement au creux de tes mots. Ton incompréhension, ta panique et ta colère. En même temps, si un potentiel client me demandait si j’aimais le guacamole, je pense que je lui aurais foutu un coup de dextre dans la carotide depuis longtemps.

« Je….

Ne peux pas en placer une vu que tu continues de me parler sans attendre la moindre explication. Et voilà qu’en plus de crétin, je me vois affubler du rôle de stalker. Et ça continue et blahblahblahblah…. Tais toi ou ça va vriller Celestine... Tais-toi....Ah question. Merci Mademoiselle, enfin le temps d'expliquer un peu le pourquoi du comment du guacamole.

Silence dans la salle.
5secondes.
10.
15.
20.

Alejandro Flores qui se fait couper la langue par une chica, c’est une première.

« Je…Y’a aucun rapport, j’aime… L’avocat.

Révélation du siècle, on applaudit.  Putà Alejandro, tu creuses des jardins dans les entrailles des gens mais parler à une fille qui pourrait peut-être correspondre à ta liste, ça ce n’est pas possible.

Pique dans le crâne.
Dard dans la colonne.
Coups de chique dans les doigts.
La maladie, elle mord.

Pas maintenant, pas… Respire Alejandro, respire, va pas lui tailler un sourire parce qu’elle te parle comme un crétin. T’en es pas un, t’es juste pas capable de t’avouer que ça te fait mal de devoir choper une fille simplement pour faire plaisir à ta famille. Simplement parce que tu vas clamser.

Bordel.

« Désolé, j’ui pas  très doué pour parler de ça, je… Ça vous dirait d’aller…. Boire un verre ? Je suis pas un stalker, je vous ai juste vu, je vous ai trouvé jolie et… Je suis naze pour engager des conversations.

Trop de mots en une phrase, trop de galère, trop de supplices. Ça devait être simple. Ça devrait être simple.
Ça sera jamais simple dès lors que tu fous en l'air tout tes principes.

Et tu m’enfonces. Tout en grâce et en discrétion. « Pas naze mais peut mieux faire ». Excusez moi Mademoiselle Beauchamp d’avoir autre chose à foutre que de remplir mon CV avec la ligne « séducteur level 5 ». Certains ont un métier et n'on pas qu'à  siroter des grenadines en allant courir dans les champs de blé. Les nymphes et leurs priorités, ça me laissera toujours sur le cul.

On respire Jan, on range ses doigts, on range ses crocs et on imite l’imbécile heureux. Prend exemple sur Silas Salvatore tiens, lui, il sait parler aux femmes à ce que t’as pu entendre ! Bombe le torse, expire un grand coup et… Bah non Célestine ne me fous pas tes doigts juste devant les yeux, ça créé des envies ça. Comme les triturer et en découper la chair lentement, pour voir si derrière y’a quelques racines. En attraper un, le découper, avec précision, phalange après phalange, pour…

Mariage. Bébé. Mariage. Bébé.
Cette histoire va me faire tourner guignol.

« O’Reilly ?

Eviter de balancer un Roukie sur le tapis, histoire de ne pas noyer dans une merde que je ne gère déjà plus depuis quelques minutes. Aislinn, je lui ai demandé. J’lui ai même fais mes yeux de chat potté, mais rien n’a fonctionné. Silence chez la rouquine, pas envie de répondre, à moi ou au capitano de la Cala.  Ça devient complexe notre relation Roukie. Sautiller d’une étiquette à une autre, ne pas savoir ce que t’es au fond, pour moi. Ma dealeuse ? Mon médecin ? Ma fin ? Ouais surement les trois en même temps… Faut pas être con pour savoir que l’équilibre est précaire entre nous trois. Qu’il suffit d’un éclat de trop pour que le lien s’effiloche et se coupe en me foutant à terre. En me laissant sur le carreau.

« Je ne la connais pas, j’avais juste une commande à passer prendre chez elle.  

Tisanes pour dormir, calmants pour vivre.
Dealeuse d’existence, qui tient le roi au creux de ses doigts, prête à lui retirer sa couronne.

« Ouais… Bref. Ça vous dit ou pas ?

Un peu brusque, un peu agacé. Je sais gérer des boyaux et des cris Célestine, c’est pas toi qui me fera tomber. Alors soyons clair et net, raz le bol de tourner autour du pot. Je n’ai pas que ça à faire, j’ai d’autres chicas sur la liste, j’vais pas m’arrêter pour une nymphette qui s’amuse de ma difficulté à être ce que je ne suis pas.

Jan respire, calme toi, les nerfs parlent, la colère parle, Ah Puch crépite, ne le laisse pas faire pour une fois.
Mais Ah Puch a terriblement raison, de s’égosiller. Toi qui a toujours aimé les corps plats et les mâchoires carrées, les ombres sur la peau et les moustaches bien coupées, qu’est ce que tu fous, à essayer de séduire quelque chose qui jamais ne te fera bander ?

« …Je suis plus sympa quand je mange, promis. »

Là au moins, j’aurais une vraie raison de ma taire, j’aurais la bouche occupée.

Un bout. Célestine Beauchamp, ça se voit que tu ne me connais pas. Un bout, pour moi, ça signifie crever la gueule ouverte et l’estomac qui rage. Si tu acceptes de manger avec moi, va falloir t’accrocher, les assiettes, je les multiplie, les menus, même pas j’les lis. « Je prend tout, gracias ». C’est simple, efficace, j’fais jamais la fine bouche au restaurant, dans tous les cas, j’aurais faim quelques heures après, alors autant y aller franco.
Je me lève, déplie la carcasse, tête qui tourne, cou qui craque. Un regard rapide jeté à ma tenu - qui n’en est pas une - et qui, malgré la chaleur, risque de mal passer à l’extérieur.

« Ça vous dérange si j’enfile juste un tshirt ?…

Je ne pue pas la sueur, malgré la chaleur qui m’étouffe. C’est normal, chez moi, de cramer de l’intérieur. Et clairement, j’préfère manger plutôt que d’aller me doucher à cet instant précis. J’aurais tout le temps de me récurer de haut en bas après avoir bouffé. Et puis, Célestine Beauchamp, si on dépasse le vouvoiement va falloir accepter que je brûle par chaque pore de ma peau, que j’échauffe tout ce que je touche et que je crame tout ce qui m’effleure.

« … De la végétation ?

Ça se sent, l’accent espagnol qui tricotte des boucles dans la dernière syllabe. Du vert, des plantes, j’vais t’amener au Zoo Célestine, tu t’y sentiras bien.
Hésiter quelques instants, se mordre la langue, hésiter, hésiter… Allez, au pire, tu te barres en courant.

« Okey, mais uniquement parce que je suis galant et vous êtes une nymphe..."

Et te lancer un sourire en coin avant de t’abandonner pour aller choper un t-shirt et une nouvelle bouteille d’eau. Que le jeu commence Célestine.

Ta réflexion m’arrache un léger sourire. C’est vrai qu’enfiler un tshirt en deux minutes montre en main, c’est long. Un peu stressée miss Beauchamp ? Ou juste pressée ? Léger signe de tête pour valider ta question, allons dévorer des tacos et boire quelques verres de jus d’orange. Histoire de se rafraichir et de contenter Ah Puch qui gronde à l’intérieur. Main levée vers les autres combattants, ils fermeront derrière eux et dans tous les cas, je repasserais ce soir pour finir deux trois papiers.
Sortir du club, se prendre la vague de chaleur en pleine tronche alors que mon corps est déjà prêt à exploser. J’aurais du rien foutre sur le dos, ça m’aurait éviter de me transformer en cocotte minute au moindre pas. Tant pis, au moins Célestine, elle m’aura vu dans mes pires apparats. Et puis la remarque, la question, qui tonne dans ton crâne depuis que je t’ai avoué connaitre ta récurrence. J’étouffe un léger rire et te jette un regard en biais.

« Je suis une tombe en matière de secrets, ne vous inquiétez pas…

Une tombe. Jolie blague Flores. Une tombe morbide, pleine de vers et qui rigole des autres. Qui pourrait se douter que derrière ce visage de félin, derrière cette démarche sûre et pleine d’entrain se cache la Faux elle-même ? Que derrière ce sourire qui illumine les bureaux de la Calavera, se dérobe la fin dans son plus simple appareil ? Personne. Et j’en joue. Et je m’en amuse. La Mort est belle, la Mort attire. Et quand tu te rends compte de ta bêtise, il est trop tard, la Mort est déjà là, au creux de tes draps, prêt à prendre ta vie.

« Y'a pas d'oreille qui traine au club, vous n’avez pas à vous inquiétez pour tout à l’heure et… Si y’en a un qui parle, il aura à faire à moi.

Menace tranchante dans la voix d’un ange. Flores qui contrôle, Flores tout en haut. Presque tout en haut. En dessous de lui. Non, pas en dessous. A ses côtés. A jamais, même s’il faut faire taire le coeur et noyer les désirs pour y rester.

« Je vous propose…je me mords la lèvre inférieur, regard d’enfant, sourire enjôleur, quand on parle de bouffe, j’ui plus le même. J’perd le contrôle de mes pensée. Le Delilah. Plats traditionnels mexicains, des bons jus de fruits…. Du guacamole.

Index relevé, se poster devant toi tout en marchant en arrière pour suivre ta cadence.

« Meilleur que le mien, je vous promets ! Calida s’en occupe, c’est une mamà du quartier, elle est adorable, vous allez voir !

Calida qui me fait des plats pour cinq. Calida, Nina et Elzon qui me nourrissent pour cinq. Calida, Nina, Elzon, Karine et Pina qui pensent que cinq ce n’est toujours pas assez. Elles ne peuvent pas comprendre, elles n'imagine pas que dans ce corps, y'a trois âmes qui dévorent.

« ... Et il y a de la verdure, je vous promets.

Clin d’oeil, regarde comment j’pense à toi. J’ai pas doué pour séduire mais mettre les gens à l’aise, c’est ma specialité.

Avant de les croquer.

"L’art de bien commencer un rendez-vous par Alejandro Flores."

Première étape, faire croire à la demoiselle qu’il s’agit d’un rendez-vous professsionnel. Done. Deuxième étape, lui laisser imaginer que vous êtes un stalker qui a un soucis avec le guacamole. Done. Troisième étape, se rattraper en l’amenant dans le plus mignon et le plus délicieux petit restau du quartier mexicain. Done. Quatrième étape…. Y’en a pas encore mais elle va arriver, et soyez sûr que je vais exceller !

Porte ouverte, laisser passer Célestine en premier et l’inviter à s’asseoir à la table de son choix. Je n’ai pas mon diplôme en séduction féminine mais je sais me tenir. Je l’abandonne quelques instants en voyant arriver Calida, sortant des cuisines, avec toujours le même sourire qu’elle me sert à chaque venue. « Mon petit chat ! Viens par là que je t’embrasse. » Baiser sur la tempe d’une mamà parmi d’autre qui a pourtant plus contribuer à mon éducation que ma véritable mère. "Calida,  toujours aussi belle ! Et qu’est ce que ça sent bon, tu as fais du… " "Pollo Pibil , oui Jan… Et tu vas en avoir ration double, tu as encore maigri, cariño mio" Calida qui commence à me regarder. Calida qui commence à faire le tour de ma taille avec ses gros bras, Calida qui… « Okey okey,okey, je vais manger, je ne suis pas venu seul… " Calida qui exulte face au visage féminin que je lui montre du regard. « Madre dios Alejandro ! Une femme !!! Mais…. " Oh Dios, no…. Calida qui se rapproche de Célestine et lui sert un sourire encore plus grand qu’à moi. " Vous êtes… Adorable ! Notre Jan mérite le meilleur vous savez, on commençait à s"inquiéter et… " Et je débarque au bon moment pour couper court à toute tentative de me foutre encore plus dans la merde que je ne le suis déjà. "Oui okey bon on va commander ! Une assiette de Polli pibil, une autre de tacos et… " Je me tourne vers Célestine en lui servant un petit sourire. Plus doux, plus calme. Plus gêné aussi face à la scène à laquelle elle a assisté. "Que voulez vous manger ? Ses enchiladas sont délicieuses...."

Commande faite à Calida qui disparait et m'asseoir en face de Célestine sans pouvoir m'arrêter de triturer le bord de table en bois. S'occuper les mains, penser à autre chose, essayer de ne pas encore paniquer comme tout à l'heure. "Désolé pour Calida, elle est... J'ai été un peu élévé par toutes les femmes de ce quartier et... Elles sont très.... Très."

Très heureuses.
Très exaltées.
Très tout.

Bien pire en honte ? J’ai hâte de connaitre la suite, car clairement, s’entendre dire en une phrase qu’on a maigri, qu’on ressemble à un charnier, qu’on ramène jamais de chicà au restaurant ET que ça inquiète toutes les mamàs, ça pue la gêne à plein nez. Heureusement qu’aucune femme de ce quartier n’a jamais capté les regards que je lançais à mon commandante lorsqu’on déjeunait ici. Sinon… Je me serais terré dans un trou histoire de ne pas être noyé sous les allusions qu’elles m’auraient servi en plat de résistance.

Alors Alejandro, quand est ce que tu te maries ? 
Alors petit chat, quand est ce que tu nous ramènes une femme ? 

...Quand j’aurais réussi a bander en imaginant des courbes féminines mesdames. Mais visiblement, ce n’est pas pour tout de suite, malgré le joli visage de Célestine et son caractère qui ne me laisse pas glacé.

Et puis les questions arrivent enfin. Pourquoi toi ? Pourquoi cette proposition d’aller manger ? Pourquoi cette gêne, ces allusions au guacamole et cette difficulté à causer ? Alors Alejandro, tu vas montrer ton jeu ou la laisser galérer encore quelques heures ?

« Bon, je ne sais pas mentir donc laissez moi finir avant de vous enfuir..

Visiblement, je vais foutre toutes tes cartes sur la table, quitte à te prendre une mandale en pleine tronche pour outrage à la féminité. Mais je n'ai pas de temps à perdre, j'm'en balance de passer pour un goujat. Je sais que je n'en suis pas un, que j'ui juste un cadavre sur le point de tomber.

« Je recherche… Une compagne…. Une femme.

La carte du fou est pliée, balancée au nez de Célestine. Mes mains gravitent sur la table pour ne pas la lâcher. Pour éviter de vriller sur une chair que le Dieu a envie de lacérer.

«… Là j’imagine que vous me prenez pour un... hijo de la putà  qui pense pouvoir s’approprier quelqu’un sans le connaitre mais je vous promets que je suis très sérieux. Je pense qu’en tant que nymphe, vous avez connaissance des mariages arrangés entre divinités. C’est ce que je recherche en premier. Une alliance.

Regard dardé dans le tien, je ne lâche pas mon discours, entrainé et préparé au moindre éclat de moquerie, de haine ou de rage que tu vas surement me balancer dans la tronche.

« Ce n’est pas votre liberté que je demande. C’est le sang divin qui coule dans vos veines. En échange, j’ai beaucoup à donner….Beaucoup.

Un nom, un héritage, une protection éternelle. Tellement de choses pour si peu demandé. Un enfant, rien que ça. Simplement un enfant histoire de finir en beauté.

« … Et je vous autorise à me frapper après avoir mangé  si cela ne vous dérange pas Célestine. Posez toutes les questions que vous souhaitez, j'y répondrais autant que je peux mais... Pensons à manger aussi.

Et en parlant de manger, les assiettes arrivent. La tienne est de taille normale, la mienne est gargantuesque. Il va m'en falloir de l'énergie pour continuer à défendre mon plan de mariage.

Et comme je m’en doutais, ça explose. Les femmes et leur théâtralité, toujours une incompréhension pour moi. Je peux totalement comprendre que ça te mette mal à l’aise et que tu ne ne comprenne pas. Mais à ma connaissance je n’ai pas encore proposer de bague ou de contrat. Alors on respire, on s ‘assoit et on cause. Fourchette attrapée, première bouchée avalée. Bordel que j’ai faim. Ça se creuse en moi, ça mord l’estomac, ça dévore les entrailles. Ah Puch grogne, Ah Puch pique sa fourchette dans l’assiette et mange comme s’il était affamé. Comme si quelque en chose lui grandissait et dévorait tout dans sa croissance.  

Ça commence par un H et ça finit dans le sang.
Et non, je ne parle pas de cuire des haricots jusqu’à se cramer les doigts a cause de la vapeur chaude.

Tu manges Célestine, tu grappilles ton assiette et pique ta fourchette autant que ta verbe.  Premièrement, je ne fume pas, ça nuirait à mes capacités sportives. Deuxièmement, j’ai parlé de mariage arrangé mais pas avec toi. Le fait de t’inviter ne te met pas en 1ere sur la liste. Troisièmement, mon dieu que ce plat est délicieux, il faut que j’aille remercier Calida.

« Écoutez Célestine… nouvelle bouchée avalée en un quart de seconde. Prenez moi pour un connard ou autre chose mais … J’ai préféré être vrai avec vous. Je ne suis pas un menteur, vous avez été le principal témoin de mes capacités à séduire, je suis nul, alors autant être sincère. Vous invitez ici et vous en parler ne signifie pas… Réellement que je vais vous faire une…

Tanguer de la tête, hésiter, ne pas savoir quel terme utiliser pour ne pas l’effrayer encore plus.

« … Proposition. Je préfère simplement dire ce que j'ai à dire aux femmes qui pourraient… être intéressées.

Fourchette plantée dans la viande, dévorée en quelques instants alors que je me permets une pause dans ma gerbe matrimoniale. Bordel que je déteste cette partie, si je pouvais simplement signer un chèque, ce serait tellement plus simple.

« Je préfère rester discret sur le dieu qui m’habite… Ce n’est pas ça que je met sur la table Célestine. J’ai un héritage, un nom respecté et surtout une place de choix au sein d’Arcadia qui pourrait permettre à la personne qui acceptera les termes du contrat, de vivre en sécurité et de faire ce qu’elle décidera des richesses que je lui laisserais….

Car je lui en laisserais, des thunes et du pouvoir. Un nom accepté, un rang réputé, une famille puissante et qui ferait couler le sang si on lui demandait.

« Je ne vous demande pas d’accepter juste.. Que je ne suis pas un menteur. Je refuse de vous faire miroiter ce que je ne peux offrir à une femme… Je recherche une alliance, pas l’amour. Je recherche la sécurité, pas une épouse.

Nouvelle bouchée. Elle a le gout de l’acide et de la colère. De la haine contre moi, de m’abaisser à ça, de faire fi de ce que je ressens, de mes croyances et de mes sentiments.  Être un Flores n’est pas un choix. C’est une obligation. Les marques sur ma peau sont la preuve qu’a jamais j’appartiendrais à ce nom. Que je suis à eux, que je n’ai jamais été seul.

Tu transformes tout. Comprends tout de travers. T’agaces, t’énerves, me prend pour un imbécile. Et plus ta verbe m’accule, plus je mange  comme un affamé. Le coup de fourchette s’accentue, la faim progresse, la rage gronde. Je pense avoir été calme suffisamment longtemps, je pense avoir mis les formes, expliqué le pourquoi du comment sans te manquer de respect. Voilà pourquoi je devrais darder mes choix seulement sur tes filles du quartier. Elles comprennent, elles me connaissent, elles savent très bien que jamais je ne leur manquerais de respect. Multiples réputations Jan, celle du capitano à la loyauté reconnue. Celle de l’homme qui jamais n’a été vu en compagnie d’une chicà. Celle du tueur sanglant à l’allure d’un ange tombé trop bas, celle de l’enfant du quartier qui a toujours tout donné, tout offert, tout abandonné pour la Calavera. Mais une gringa ne peut rien comprendre de tout ça. Une gringa ne peut pas concevoir que le nom passe avant le coeur, que la famille passe avant les valeurs.

« Depuis trois heures, pourquoi ?

Que je te balance avec un air dédaigneux au creux de la gorge alors que je termine mon assiette sans l’avoir vu passé. Bordel de faim. La colère me ronge le bide et Ah Puch crépite à l’idée de faire taire cette gamine.

« Ecoutez Célestine, ce n’est pas vous en particulier que je choisis. Prenez moi pour un loco si vous voulez, je recherche juste une femme avec du sang divin et capable de me donner un gosse. Si elle est indépendante, ça me convient, si elle est caractérielle, ça me convient. Si elle s’en contrefout de mon cul, ça me convient encore plus ! Joder de mierda !

L’insulte part brutalement alors que lâche les couverts sur la table, les mains tremblantes et les entrailles qui brûlent.  T’es vraiment nul à ce jeu Alejandro. Tu pensais que ce serait simple, que sortir tes arguments de gros boeuf suffirait mais… On est au 21ème siècle mon gars, les femmes s’en balancent de ton or et de ton nom.
Respire, inspire. Calme-toi. Respire, inspire. Endors-toi. J’ai faim. Bordel que j’ai faim.

« Je suis parfaitement conscient que c’est totalement con ce que je vous présente mais encore une fois, je préfère être clair sur mes intentions. Pensez-vous vraiment trouver un homme ou une femme qui puisse vous accepter avec votre véritable nature ?

Je me fiche du genre que tu aimes Célestine, je n’ai jamais apprécié les courbes féminines et regarde où j’en suis pour faire honneur à ma famille.

« …Si vous me répondez oui, c’est que vous vous mentez. Nous ne sommes pas des humains, nous sommes différents, l’amour n’a aucune valeur par chez nous, seules les alliances comptes…Y’a qu’avec nos semblables que  nous pouvons êtes réellement ce que nous sommes… Et ce n’est pas une question d’ego ou de fric, c’est une question de logique !

Car j’ai déjà essayé les hommes lambda. Ils ont fini le corps déchiqueté, les entrailles sur le matelas.  
Je souffle brutalement, referme les bras sur le poitrail et tente une seconde fois de calmer le Dieu qui a apprécié ce coup sanguin alors que je m’étais promis de rester calme.

« Vous pouvez partir si vous voulez… J’vous enverrais toutes les infos demandées pour la rénovation du club.

Et je me lève, me retirant près du comptoir pour aller me calmer en croquant dans quelques gateaux traditionnels. Putà de mariage de merde.