Le petit restaurant mexicain est loin de son territoire, mais l’enragée ne s’en formalise pas. Il y a, là-bas, quelque chose qui l’attire irrémédiablement. Ou plutôt, quelqu’un. Une jolie brune aux yeux fuyants, aux joues sans cesse rougies de gêne. Emiko. Le prénom a jailli quelques fois, hurlé depuis les cuisines pour attirer l’attention de la jeune serveuse. Seyi l’a saisi au vol et gardé comme un trésor, enfoui dans ses pensées. Le soir, lorsque la solitude pèse trop fort sur ses épaules, elle repense à la serveuse du Kahuna. A ses joues roses et ses yeux sombres. A sa maladresse, à sa gentillesse. Tout ce qu’elle n’a jamais été et ne sera jamais. Féminine, tendre, douce. Elle, la guerrière.
En pénétrant dans le restaurant, Seyi esquisse un sourire. Le stylo de la serveuse chute et celle-ci se baisse pour le ramasser, heurtant son comptoir en se redressant. Le sourire se transforme en grimace inquiète. Elle hésite à se précipiter pour s’assurer que tout va bien, mais avant qu’elle ne prononce un mot, Emiko lui sourit. D’un sourire mal assuré, comme si, tout en débitant son laïus, elle se demandait ce qu’elle foutait là. 'Bienvenue au Kahuna. Qu'est-ce que je peux vous servir?' Un peu décontenancée par l’incident de la serveuse, Seyi prend un court instant pour se ressaisir. « Laissez-moi réfléchir… » En réalité, elle ne vient pas ici pour manger. Pas particulièrement attirée par la bouffe mexicaine, l’africaine. Elle ne vient ici que pour profiter de l’anonymat offert par la foule qui défile sans cesse au fast food. Et aussi pour observer, à la dérobée, la jolie Emiko. « En fait, je me demandais dans combien de temps serait votre prochaine pause ? » A cet instant, Seyi se moque de son corps mutilé. De sa joue scarifiée, de sa main tronquée. Son souffle s’accélère légèrement, de même que son rythme cardiaque. Elle peine à croire qu’elle ait vraiment osé demander cela. Pourtant les mots flottent entre elles, et elle attend la réponse avec anxiété.