La dévotion d’Artyom à la pakhan ne semble avoir comme limites que celles de sa haine pour la Femme derrière l’Autorité. Ce sont des petites perles de passé que le fils vient cueillir à même les lèvres de la Madone, des gouttes de venin qu’il s’applique à venir y déposer. C’est un bien drôle de jeu dans lequel ils se sont engagés: le gamin vicié obéit aux ordres de la terrible lorsqu’ils rentrent dans le cadre de la Bratva - ne désire rien d’autre que de la dominer lorsque le voile se fissure. Artyom ne s’embarrasse pas de faux semblants lorsqu’il s’agit d’avoir l’ascendant sur Oksana. Le moindre geste pue la luxure, semble hurler « regarde le monstre que tu as engendré ». Et en cela, la génitrice est peut-être celle avec qui il est le plus sincère.
Le fils se délecte de ces quelques moments où il possède la Reine comme personne d’autre. C’est bien là toute l’ambiguïté des sentiments conflictuels d’Artyom pour la pakhan: le respect qu’il doit à l’une se mêle constamment à la colère qu’il éprouve pour l’autre, l’une est à tout le monde le monde et l’autre ne devrait être qu’à lui. La haine d’Artyom est aussi possessive que son amour. L’appartement d’Ashmill est petit, moins luxueux que les quartiers habituels du second de la Bratva, mais c’est ici que se joue le gros de leur lutte de pouvoir.
Dans un appartement qui ne lui appartient ni à lui ni à elle. Quelques moments volés à la raison, loin de l’intimité - la vraie.
Les doigts du monstre courent le long de la peau d’Oksana, se délectent du plaisir qu’il vient chercher au creux de ses clavicules avant de se refermer fermement autour des épaules de la belle. Les corps se séparent comme ils se sont trouvés: avec poigne. Les hanches se quittent comme elles se sont entremêlées: sans un mot. La terrible divine ne perd pas de temps pour quitter le cocon vicié et couvrir le lait de sa peau. Et voilà que la colère du gamin perdu gronde de nouveau (elle qui s’était pourtant tarie quelques instants au contact de ses lèvres) devant l’empressement d’Oksana à quitter ses bras ténèbres.
L’accusation est à peine retenue, pue l’amertume alors qu’Artyom perd ses atours d’amant pour endosser ceux du diable. Le pantalon est remonté, refermé alors qu’il noue ses doigts autour des poignets de la Sublime. Le geste n’a rien de doux et tout d’un semblant de menace. « Pressée ? Je ne savais pas que tu avais d’autres rendez-vous cet après-midi. » Et toujours cette lueur au fond de ces yeux, cette étincelle déposée là par la nuit elle-même il y a toutes ces années. L’attitude d’Artyom n’est ni celle d’un mari, ni celle d’un amant et encore moins d’un fils. L’oublié veut se faire essentiel à Oksana, revêtir tous les costumes imaginables pour mieux la faire souffrir par la suite. Le gamin blessé brisera la Mère à son image.
