17 août 2018 Loin de se douter qu’un déséquilibre majeur s’est produit à Arcadia avec l’éclipse solaire totale de la veille, Sinead sait toutefois que les tambours de la guerre résonnent dans toute la ville, silencieux pour qui ne sait pas les voir. Çà et là, les armes luisent dans un revers de manteau et les esprits s’échauffent. L’entrepot de la Nuova Camorra qui a cramé le soir du Bal masqué n’était peut-être que le début de leurs ennuis, le feu mis aux poudres répandues entre les différentes mafias, et les alliances conclues n’y changeaient rien, voire empiraient la situation. La Guerre a un goût amer dans la bouche, sait que sa loyauté va au Royaume mais sait aussi que le canon de son arme aura du mal à se diriger vers certaines personnes de l’autre côté de la frontière. L’idéal serait de se déclarer neutre et de les laisser s’entretuer. Au moins, elle ne serait plus concernée par leurs affaires. Mais dans son cœur pulse encore et toujours le serment fait à la Reine, et la fidélité inscrites dans ses veines depuis que son père l’a introduite dans An Riocht. Autant dire que choisir de tourner le dos à cette Famille criminelle, c’est tourner le dos à son père, c’est trahir et tuer le père déjà mort, même.
Alors Sinead fait ce qu’elle sait faire de mieux, en ces temps troublés : elle cherche des informations, en échange quelques unes autour d’une bière, tend l’oreille à la moindre rumeur, et elle recrute pour le Royaume chaque profil qui pourrait les intéresser. Car il leur faut grossir les rangs, sans quoi ils seront noyés et vaincus par le nombre et le poids des autres.
Ce soir, elle arpente les ruelles du Downtown, une photographie dans la poche intérieure de sa veste en lin. Point d’étui d’alto pour l’occasion : elle avance le corps libéré de toute entrave éventuelle, parce qu’elle redoute d’avoir à courir, des rangers défraichies aux pieds. La Reed est loin des gravures de mode qu’elle peut imiter lors des concerts de l’orchestre philharmonique, non. Sa bonne fortune est visible, mais pas ostentatoire, pas comme ces nouveaux venus dans le jeu criminel, les Kyosei-Kai qui ont définitivement pris d’assaut le quartier asiatique. Clope au bec, elle pénètre dans un bar de Cornucopia District, sur la base de renseignements qui y localisent la cible de ce soir.
Brune, de longs cheveux, une silhouette qui est loin d’être frêle, le sujet intéressant Sinead est assise à une table, non loin du comptoir. Rictus mutin qui se dessine sur ses lèvres, la Courtisane s’approche sans plus de cérémonie et s’assied face à l’inconnue prétendue. Elle a son air des mauvais coups, Sin. Son minois espiègle du « je vais t’entuber sans que tu ne le vois venir ». Nemhain, elle, approuve fortement ce plan : après tout, qu’est-ce qu’une déesse de la guerre ne ferait pas pour avoir une valkyrie à ses côtés ? Il faudrait juste qu’elle parvienne à voir son dos, pour confirmer ce qu’on lui a rapporté, que sur les omoplates de son interlocutrice, il y a deux cicatrices identifiables. « Pardonnez mon intrusion si cavalière, vous êtes Jaime Malone, il me semble. » Ce n’est pas une question, et le rictus se fait carnassier alors que les billes bleu-vert de la Celte s’ancrent dans celle sombres de la squattée : « Rassurez-vous, je n’ai pas de convocation du tribunal à vous refourguer. » Ces gens avec leur médiocre œuvre qui lancent You’ve been served sans compassion… « Par contre, j’aurais des questions à vous poser. Vous buvez quelque chose ? », qu’elle demande, amène, pour passer commande dans la foulée (whisky pour elle, ajouté à ce que veut Malone).
