Souffle de normalité dans cette vie trépidante et ces dernières semaines chaotiques. Coincé dans des bouchons sur le périphérique pendant une demi-heure la veille au soir, Hermès a ragé dans sa Maserati vrombissante. Le dieu messager, obligé de patienter dans les rangées de voitures qui n’avancent pas, simplement parce qu’il lui faut ramener la voiture à la maison, quand même. Augustin apprécie cette voiture, et même si ça le fait râler d’avoir à attendre alors qu’il pourrait simplement se téléporter, il s’est qu’il avait au moins un peu de temps au calme, tranquille dans sa caisse. La radio branchée sur Jazz FM l’apaisait, ces notes souvent improvisées, mélodies douces et entraînantes qui contrastent parfois avec son propre caractère endiablé. Il a toujours aimé le jazz, c’est un de ses péchés mignons. Le nombre de disques et de vinyles qu’il a chez lui est assez faramineux, et là pour le coup c’est une vieille chanson de Sarah Vaughan qui passait à la radio. Lullaby of Birdland, un classique. Et Augustin s’est soudain rendu compte qu’il ne l’avait pas, ce classique, dans sa fameuse collection. Un sacrilège, parce que celui là il se l’écouterait bien à volonté, installé dans son canapé, un verre de whisky à la main après une grosse journée à courir partout.

C’est ainsi qu’il se retrouve dans le centre ville d’Arcadia, en fin d’après midi en semaine. Il a pris le temps d’aller faire un tour pour son propre compte, pour une fois – en vérité du temps il s’en accorde souvent, mais quand on est un égoïste on n’en a jamais assez, n’est-ce pas ? Et puis ces derniers temps, il ne sait plus où donner de la tête. Entre la guerre des mafias, les histoires de Chaos, l’apparition d’une nouvelle faction, le bébé de Sybille, Alan… C’est un sacré bordel à gérer tout ça. Dans ces moments là, la musique reste un échappatoire assez réconfortant. Costume d’homme d’affaires bien en place, il passe la porte de l’Auryn, un disquaire qu’il fréquentait beaucoup à son arrivée en ville mais où il n’a plus mis les pieds depuis quelques années. Il connaissait bien le gérant, à l’époque, mais voilà bien longtemps qu’il ne lui a plus parlé, il se demande ce qu’il a bien pu devenir.

La boutique a sensiblement changé depuis la dernière fois, mais l’ambiance reste assez similaire. C’est cozy, la musique qui passe fait du bien à ses oreilles et lui donne envie de battre du pied. Il salue le vendeur qu’il ne connaît pas, il a l’air assez jeune donc c’est assez normal qu’il ne l’ait jamais vu auparavant. Augustin se dirige vers les étals, commence à regarder distraitement les différents artistes et les titres proposés. Il sait ce qu’il veut, il a juste envie de flâner un moment pour profiter de cette sensation qu’il avait un peu oubliée. Et il n’est pas à l’abri d’un coup de cœur, n’est pas le genre d’homme à s’en refuser. Par deux fois il se surprend à relever les yeux vers le jeune vendeur, n’y prête pas vraiment attention au début mais quelque chose le titille. Au bout de la troisième fois, il fronce les sourcils et le regarde plus attentivement. Il ne le connaît pas, ne lui paraît pas familier, mais… quelque chose… ah. Oui, évidemment. Un divin, Hermès l’a flairé.

Voilà qui attise sa curiosité, et Augustin se déplace, change de section pour faire mine de regarder d’autres titres. En vérité il jette des coups d’œil au jeune homme, essaye de lui donner un âge grossièrement. C’est assez compliqué ce genre de choses passé la quarantaine car les jeunes ont tous l’air jeune. La vingtaine, peut-être ? Enfin, c’est ce qu’il dit le plus souvent. La vingtaine et la trentaine, voilà bien les seules estimations qu’il fait en général. Il y a des chances pour qu’il ne soit pas encore conscient de sa nature, alors… Il sort un vinyle, prétend de lire les titres sur la pochette. Hermès s’agite, la curiosité le prend et il effleure l’aura de son collègue divin, sensation qui lui paraît étrangement familière. Augustin fronce les sourcils, repose un peu brusquement le vinyle sur le présentoir. Il reconnaît cette impression, il l’a vécue il y a peu avec un autre jeune homme. Adnae. Coïncidence ? C’est vraiment perturbant, ces histoires de divin, des fois. Il retient un soupir et décide d’agir en conséquence, Hermès et lui-même n’appréciant pas vraiment d’avoir une curiosité insatisfaite. Il s’approche du vendeur, un sourire tranquille sur le visage. « Peut-être que vous pourriez m’aider, » commence-t-il simplement en essayant de ne pas trop le dévisager. « Je cherche un titre de Sarah Vaughan, Lullaby of Birdland. Est-ce que vous l’avez ici ? »