blood of my blood, bone of my bone ★ ohta & emiko Cœur vacillant, frayeur distillée dans l'ichor frémissant. Elle a peur, l'enfant, ne désire rien, si ce n'est l'étreinte des bras de sa mère. Effrayée, un brin amère, aussi; réalisation acide que la mort avait été moins douloureuse, rapide élan de la faux, oubli amené des voiles d'Izanami posés délicatement sur son corps mourant — la vie n'était devenue que prolongation douloureuse de sa peine et du froid de ses veines gelées. Lasse,
si lasse. Elle ne désirait plus qu'un point final, une issue comme promesse de paix pour son âme fatiguée. Tout, plutôt que l'attente et l'incertitude, serait libération.
Mais il ne s'agit plus d'attendre, désormais, et elle pressent la fin. Que l'on fasse tomber ses chaînes ou que l'on choisisse de faire couler le sang carmin, tout serait bientôt terminé. Et la pensée l'apaise, étonnamment, en contemplant la femme.
Superbe de puissance, auréolée du pouvoir des mortels assujettis.
Et la gosse épuisée à ses pieds triomphants. Valse des regards qui s'entrecroisent quand elle étudie la divine, quand elle détaille la reine.
« Tu n'as rien à craindre, tu es chez toi, Emiko. » Les mots de japonais sont pieu douloureux dans le cœur juvénile, écho des comptines susurrés de la voix d'une mère attentive. La mère lui manque, brusquement — douleur qui s'ancre dans la poitrine, obstrue violemment le souffle hésitant. Mélodie des syllabes qui prennent sens dans ses oreilles, pourtant si vacillantes sur sa langue. Elle ne sait quoi répondre, la gosse. Ne sait trouver les mots pour arracher la liberté, pour se battre encore. Incapable de comprendre l'augure sibyllin derrière les vers de l'impératrice Nagai.
Elle n'était pas chez elle, la gosse, brûlait de retrouver la douceur d'un foyer.
Quelques clignements de paupières papillonnants pour retenir une larme échappée, quand elle ne désire que la présence de la mère, violente et irrationnelle. Une mère, auguste sérénité déposée sur les plaies ouvertes d'une vie devenue trop violente, paix et réconfort apportés des yeux tendres et affectueux.
Et elle vacille, un instant, la gosse, croise le regard qu'elle croit être celui de la mère pourtant si loin, yeux immémoriaux reflétant l'âme aimée. Mais ce n'est pas Nozomi, au parfum de solvants et de peinture fraîche, au parfum de fleurs épanouies et de thé léger. Aïeule soutenant un bambin, aïeule inconnue — aux yeux si familiers, pourtant, baume de douceur sur son cœur effrayé. Aïeule dont elle ne sait détacher le regard, dans la transe stupéfaite de l'être qui reconnaît les siens, écho lointain de palpitants battant à l'unisson.
« Baba est certaine de te connaître – de connaître ta mère. » Les iris dorés retournés vers la terrible, presque à regret, alors qu'elle se tasse sous l'aura de puissance exhalée de la peau de la reine. Gosse ébahie, qui voudrait parler, ne trouve plus les mots, brusquement.
'Je -- je --' Elle voudrait affirmer l'identité de sa mère, la gosse, art un brin reconnu chez les esthètes, ne sait pourtant que dire.
Il n'est rien qu'elle ne puisse dire, pourtant, alors que la vérité triomphe, exhalée d'un sang qui révèle les secrets enfouis dans le noyau même de son être.
« Je m'appelle Ohta Nagai, et voici ta grand-mère. » Elle se fige, la gosse, lèvres entrouvertes, incapable d'entendre la réalité exhibée. Une envie violente de nier, négocier, contester cette parenté qu'on affirme. Invoquer l'aïeule véritable, matrone d'un père perdue de vue. Mais elle voit le visage dans la mère dans la mâchoire de la reine.
'Non.' Voit les yeux de la mère dans les iris de la vieille souriante.
'Non.' Voit la force de la mère dans la puissance de la souveraine.
'Non.' Voit le sang palpiter à l'unisson dans les peaux fines, voit les traits d'argent lier la généalogie révélée.
Paupières brusquement fermées, dans une tentative puérile de se fermer à l'évidence qui se dessine.
'Ce n'est pas possible, Mama disait toujours --' Des sanglots échappés pour faire trembler plus encore le japonais vacillant entre ses lèvres.
Maman disait toujours que sa famille était compliquée.Compliquée.
Comment aurait-elle pu deviner à quel point?
Comment aurait-elle pu imaginer la réalité?
Sang souverain de la pègre, régents de New Kabuchiko, empereurs du Soleil Levant sur un nouveau monde.
Le crime dans les veines.
Elle voudrait se montrer forte, la gosse, ne sait contenir les tremblements violents et les hoquets, alors que l'univers s'effondre, bâti sur des fondations nouvelles.
'Comment? Comment est-ce possible? Mama n'a jamais été --' Les mots s'étranglent, vacillent, se noie dans le désespoir grandissant. Avant que ne s'embrase la lumière violente, dans le cœur désemparé.
'C'est elle qui vous a demandé de venir me chercher? Elle est ici?'Les yeux posés sur les femmes de son sang, elle ne désire plus que les bras d'une mère.
Nagai.