Okey, t’es dans la panade Lulu. Tu as sept commandes qui ne peuvent pas partir à cause de la neige tombée cette nuit. Sept colis de noël qui sont attendus par leurs acheteurs. Sept colis sur lesquels tu as passé trois nuits pour tout finir à l’heure, en mettant encore plus de coeur à l’ouvrage qu’en habitude, période de fête oblige (tu aimes coller des petites étoiles sur le papier marron acheté en bas de l’immeuble, ceci explique cela). Sept… Tu as beau avoir contacté Fedex et même le livreurs de pizza qui t’aime bien, les rues sont trop enneigées pour que les vélos roulent sans encombre. Alors, toi, tes cheveux même pas lavés, tes cernes de trois mètres de long et tes cadeaux, vous vous embarquez dans une folle journée. En plus de joaillière, tu pourras ajouter à ton cv, leprechaun, livreuse de cadeaux express. Toujours là pour rendre service, la Lulu Gold, les intempéries et la fatigue, c’est pour les mauviettes et les conducteurs de bicyclette.

Cinq heure plus tard, tu aurais aimé être une mauviette. Ou avoir une bicyclette.  Il te reste 2 commandes à livrer, t’as les mains glacées et les muscles tétanisés. Pfiou tu devrais proposer à Majken d’aller courir avec elle, ça te fera gagner un ou deux points en activité physique !  Enfin arrivée à l’adresse écrite, tu relèves la tête, voit le rouge, regarde ton téléphone une seconde fois, relève encore la tête… Ah bah si, c’est bien ici, caserne centrale d’Arcadia. Le grand rideau de fer est levé, tu t'y engouffres discrètement et….  « Oh mon dieu c’est une échelle à coulisse trois plans 0713E ? Elle est…. » Si brillante. Mais tu ne continues pas, les yeux flamboyant comme des étoiles, les bras occupés par des paquets.  Un homme tousse, tu comprends que tu n’aurais pas du te rapprocher aussi vite du matériel.  « Bonjour ! Joyeuses fêtes ! »  Trop d’entrain.  « Je viens livrer un colis pour… Markus… Beurre ?» Le français aura ta peau Lulu, ou ta sociabilité. Mais au moins, ta prof serait fière de ta prononciation quasi parfaite !

Il est de service aujourd'hui. Uniforme sur le dos et vigilance constante, comme préconiserait l'autre borgne. Ces derniers temps, pas d'incendie de fast-food ni de domaine de riches. Rien que la routine, si l'on oublie la neige sur les toits et le verglas qui tapisse les trottoirs. Hier, en voulant sortir promener son Cavalier King Charles, Mrs Smith, domiciliée non loin d'Historic District, s'est fracturée le tibia et le péroné. Mark a toujours éprouvé une certaine tendresse envers les plus âgés ; une affection naturelle mariée à un respect certain. Il a noté dans ses rappels de téléphone de rendre visite à Mrs Smith.

« Oh mon dieu c’est une échelle à coulisse trois plans 0713E ? Elle est…. La voix déchire le beau silence professionnel. John toussote. Bonjour ! Joyeuses fêtes ! Mark reste de dos. Il est occupé à vérifier la pression des pneus d'un autre véhicule. Je viens livrer un colis pour… Markus… Beurre ? Son visage pivote lorsqu'il entend son prénom. Le reste... lui fait arquer un sourcil. T'as de la chance, Petit Beurre est juste là, fait-il en montrant Mark du pouce. Je te l'avais dit que tu devrais penser à changer de nom, plaisante John en quittant le garage. Le veinard prend sa pause. C'est vrai qu'après toutes ces guerres, l'Allemand sonne un peu désaccordé aux oreilles américaines. L'intéressé abandonne sa machine et fait volte-face. Oui, c'moi. Il cherche la voix du regard, et finit par tomber sur... Lulu G-Gold ? Elle est encore plus rayonnante IRL et son sourire est plus fluide que sur ses Boomerangs. Ben, ben ça alors ! Il s'approche et lui tend la main gauche, se corrige au dernier instant et tend la droite. C'est le toubib de famille qui lui avait appris ça. Et regarder dans les yeux. Très important. Les siens pétillent comme du champomy. Oui c'est exactement ce modèle d'échelle. Faut pas avoir le vertige... Les filles lui font avaler sa langue et la surprise, quant à elle, lui fait dire l'évidence. Joyeuses fêtes aussi. Vous voulez tester l'échelle ? »

Ah voici l’intéressé ! Pas du tout une tête de plaquette de beurre, tu te notes de lui redemander la prononciation de son nom plus tard. Par contre, tu ne peux pas t’empêcher de sourire avec la même énergie qu’un réverbère en pleine nuit Lulu, étonné de voir qu’il te connait ! Un follower ? Encore mieux, t’aimes ça, rencontrer ta communauté, encore plus quand ils te commandent des bijoux.  Et il a l’air tout heureux, quoi que un peu gêné, de te voir en vrai. La main est tendue, le paquet dans les bras, tu manques de le faire tomber pour l’attraper et… Ah okey, l’autre main, c’est bien aussi, la droite. Les doigts gelés rencontrent ceux de la main calleuse. Vu qu’il bossait sur un des camions, c’est normal les aspérités, comme toi avec tes bijoux et tes breloques en métal ! Peut-être qu’il est le mécano des pompiers ? Le stagiaire ? Dans tous les cas, face à sa proposition, tu ne peux t’empêcher d’ouvrir grand la bouche, comme lorsque que tu fais des unboxing en direct. S’il te suit, il doit connaitre cette réaction.  « Vous… accepteriez que je l’essaye ?» On y sent de l’enthousiasme dans ta question mais pas un soupçon de stress. Su’mporte si tu montes à trente mètres, sans protection et sans entrainement, la simple idée de gravir les montants de l’échelle te rend toute excitée, comme un chaton sur le point de gravir pour la première fois, les marches de l’escalier. « Faut pas demander à votre maitre de stage avant ? Je ne veux pas vous attirer d’ennuis… »  La remarque est murmurée comme un secret, la main libre en porte-voix, les bouclette brune titillant l’épaule de Markus.  « Oh et avant d’oublier ! Votre commande ! Excusez moi, aucun livreur ne voulait travailler aujourd’hui alors…» Un pas en arrière, le colis porté à bout de bras  « Gold express à voter service ! » Un peu plus près, et tu lui aurais exploser le front avec le bout du carton Lulu.

L'incrédulité heureuse de Lulu Gold fait marrer ses yeux, sa p'tite bouche en O aussi. Il est impressionné : il n'avait jamais rencontré quelqu'un de famous sur le web. C'est assez ouf : c'est comme si elle sortait tout droit de son smartphone ou d'une imprimante 3D ! Il lui partagerait bien sa pensée mais c'est moyen nul comme compliment. « Mon quoi ? » Mais elle est trop rapide, les mots s'échappent de sa bouche à toute vitesse malgré les faibles décibels. Elle est toute proche de lui : s'il le veut, il peut humer son parfum, presque entendre ses sourires. Il peut empoigner sa crinière et la faire crier. Non. Te trompe pas de commande, là-dedans. Ça lui rappelle cette drôle de jeune femme, l'autre soir, devant le Teddybeer. Celle à qui il a filé un coup de poing. Il ferme les yeux et grimace durant une milliseconde. L'épisode lui fend le coeur et lui donne un goût de gerbe aux lèvres. Contre lui-même.

Le paquet vient tutoyer son menton pas super bien rasé. Il l'attrape des deux mains : c'est léger. « Vous devriez faire ça plus souvent. Il s'apprête à faire volte-face quand la petite voix flashback de Tante Hedda lui lance Mais de quoi Mark ? Il oublie toujours de préciser de quoi il parle. Ah, j'veux dire, de livrer en personne. Mais vous avez sûrement beaucoup de commandes... » Il ne se souvient plus du nombre d'abonnés mais il a la certitude d'être un parmi des milliers.

Aucun doute que le bijou soit en bon état : le carton est énorme et il ne s'agit que d'un bracelet. Elle a sûrement abusé en papier bulle. « Alors en fait, commence-t-il en s'éloignant. Il dépose le colis sur un établi et revient rapidement vers elle. Pour être exact, j'suis pas stagiaire. Il ne sait pas s'il doit rire ou pâlir de la méprise. Sûrement rire, on lui fait souvent le coup. Faut le voir en action pour comprendre qu'il n'est pas là pour prendre notes des catastrophes. Là y a que John et moi. John... euh, c'est mon collègue. Celui qui dit que mon nom n'est pas pratique. Quatre lettres c'est pas grand-chose, mais c'est sûr que c'est moins catchy que Gold. Si j'avance le camion sur cinq ou six mètres, et que je déroule l'échelle... normalement vous pouvez arriver tout en haut. Et sans plus attendre, il va chercher les clefs du véhicule. Trois minutes plus tard, l'échelle est adossée à la caserne et donne accès au toit tout droit, tout blanc. Markus grimpe sur le camion et fait signe à Lulu. C'est stable ! » A défaut d'être magique, la vue est imprenable : si on n'est pas myope, on peut apercevoir les contours de la mairie.

Oui c’est vrai, tu devrais utiliser plus souvent tes gambettes pour aller livrer les personnes qui commandent ! Peut-être seulement sur Arcadia ? Ça te ferait du sport, Majken serait fière de toi et en plus tu rencontrerais tes followers. Et s’ils étaient tous aussi gentils que Markus Beurre, ça vaudrait le coup. En pleine réflexion, tu ne le vois même pas disparaitre pour poser le colis, les sourcils froncés quand tu réfléchis. Et quand il reparle, tu te sens un peu gênée de t’être trompée. Pas de rougeur sur les joues pourtant, rien qu’une lèvre pincée.  « Oh vous savez, les gens pensent souvent que je suis encore lycéenne ! » Tu te dis qu’il comprendra où tu veux en venir, qu’il fait plus jeune que son age et qu’un métier comme le sien… Bah il est un peu petit, non ? Pour soulever des lances à eaux ? Ou alors il fait beaucoup de musculation et le cache bien sous son polo. À méditer, tu feras des recherches là-dessus une fois rentrée chez toi !
Pas le temps de répondre sur son nom de famille que tu trouves super joli en passant, qu’il va chercher ses clés et joue des grosses roues pour sortir le camion et t’offrir la possibilité de jouer à la cascadeuse. « J’adore le bruit de l’échelle qui se déplie… » que tu murmures, les yeux brillants comme des comètes. Tu grimpes sur le toit du camion, vérifies tes chaussures d’un coup d’oeil, histoire de ne pas te prendre les pieds dans tes lacets de sneakers et commence à grimper avec l’aisance d’un petit singe sur son arbre.  « Aufait, votre nom est super cool ! J’pense pas le dire correctement mais j’l’aime bien, il est marrant. » Tu dis ça en lâchant un barreau, le regard dardé sur le bas alors que t’es déjà bien trop haute. Et hop on continue, la pensée toujours en retard, les réponses qui viennent toujours bien après les questions. Comme si ton cerveau avait besoin de  maturation avant que tu puisses élever la voix.
Sans peur et sans reproche, tu gravis l’échelle sans aucun soucis, d’une rapidité effarante qui ferait crier Majken. Arrivée en haut, tu restes pourtant sur l’échelle, tourne ton corps de 3/4.  « Okay… Je sais ce que Rose DeWitt Bukater a ressenti sur le Titanic…» C’est dit tout haut, un sourire sur le visage, l’impression de voler comme un oiseau, avant de crier comme un petit loup heureux d’avoir retrouvé sa liberté.   « Whoo whoo whooooo ! Markus vous êtes mon Père Noël secret !  » et finir par monter sur le bâtiment, histoire de ne pas mourir après cet excellent passage cinématographique.

Il a envie de lui dire qu'elle a le peps d'une fille de 17 ans mais se fait la réflexion que non, ça ne relève pas tant du compliment... Et on peut très bien être énergique à 75 ans. Alors il ne dit rien et sourit lorsqu'elle met en mots ce qui se lit dans ses yeux. Il l'aime bien, Lulu, même si ça ne fait que sept minutes. Il la laisse grimper à sa guise, ne l'assaille pas de conseils : elle a l'air aussi dégourdie qu'un élève en fin de stage. Sûrement parce qu'elle prend l'exercice pour un jeu, et qu'aucun drame ne se profile. Risque 0... Le drame serait qu'elle glisse et s'étale -au mieux sur le toit du camion, au pire sur le béton-. L'échelle est stable mais la maladresse ne connaît aucune règle. Sa main pourrait glisser... Il s'empresse d'escalader les premiers barreaux. Ah oui ? C'est... Il grimpe sur deux mètres. enfin, on le prononce comme l'animal. Ou le verbe, l'irrégulier là... Il avait mis du temps pour ne plus écrire Bear Beard Beard. C'est pas très américain. Comme mon prénom. Je préférais Mark, avant.

Lulu fait l'acrobate et ça lui fait plaisir de lui faire plaisir, même s'il a l'estomac un peu noué en la voyant se mettre autant en danger. Il est vraiment bien ce film., approuve-t-il en la rejoignant. Jack lui avait fait verser plus d'une larme. Mais j'ai jamais compris pourquoi elle jetait le collier... et j'sais pas si je suis vraiment un père noël... Il contemple la vue en se grattant la nuque. La ville a enfilé sa tenue du dimanche. Depuis leur perchoir, elle les éblouirait presque. C'est vraiment un chouette endroit. On voit mon quartier, là-bas. Avant j'habitais en périphérie..., poursuit-il en pointant du doigt un pâté d'immeubles modernes mais pas clinquants. On reconnaît Cornucopia. Euh... pas trop froid ? Le vent souffle et aucun bâtiment ne peut l'arrêter. Il est libre d'aller. Puis il pense à la neige sous ses fesses à elle, et ôte sa veste de travail. Là, ce... j'pense que ce sera mieux. Il se retrouve en pull mais n'est pas du genre frileux.

Markus est gentil, assez en tout cas pour te passer sa veste et se peler les miches. Le manteau de pompier est lourd mais il fait briller des comètes dans tes prunelles. Une vraie veste de… Okey ça, ça vaudra un selfie avant de partir. Mise sur tes épaules, la lourdeur du tissu retombe sur ton petit corps frêle qui retrouve un semblant de chaleur. Tu demanderas à la fin s’il en existe à ta taille ! « Vous trouvez que je ressemble à un vrai pompier ? » que tu lui demandes au jeune homme, le menton trop relevé sous une fierté feinte mais délicieuse à regarder. C’est que ça te va bien, l’uniforme Lulu. Le portable attrapé, tu pianotes quelques instants avant de prendre quelques photos de la vue.  « Vous habitez là-bas ? » Le yeux qui passent du viseur du téléphone à la vue, la rangée d’immeuble modernes s’étalant sur un p’tit coin de paysage.  « Ça a l’air super joli ! Moi je vis… » la main du jeune homme est attrapée de ta menotte libre, le doigt pointé sur Historial comme un mime obligerait le corps d’un invité à se plier à ses requêtes.   « Par là-bas ! Entre les immeubles gris et… les immeubles gris. » Et blanc, avec la neige qui s’est abattue sur la ville. C’est joli Arcadia, quand on oublie la violence et les histoires de mafia.
Un soupire, le portable toujours en main, tu te tournes vers Markus, lui offrant un large sourire comme prête à lui demander quelque chose.   « Vous n’avez pas froid parce que vous êtes habitués à travailler dehors ? » Caserne ouverte, incendies, interventions, tout pleins de sorties extérieures qui expliqueraient que le petit pull tricoté du pompier lui suffisait malgré la température hivernale.