Cette nuit avait encore été terrible. Non, mais vraiment. À croire que plus la population croissait à Arcadia et plus le crime devenait roi. Deux adolescents qui semblaient être inconnus des services de polices s'étaient retrouvés avec une balle – chacun – à la base de leur occiput, rompant ainsi la colonne vertébrale et les tuant sur le coup. C'était une exécution. Tout simplement. Ni plus, ni moins. Une exécution comme on avait pu en voir tant, durant toute l'histoire de l'humanité. Sommaire, mais efficace. Les gamins avaient le temps de voir venir le coup, puisque quelques égratignures sur leurs genoux avaient été identifiés. Ils étaient donc à genoux, leur assassin (ou assassins au pluriel ?) dans le dos. Un seul coup avait suffi. Mais c'était surtout pour le second que cela avait dû être terrible. En plus de savoir ce qui l'attendait, il avait vu son ami tomber avant lui. Une mort atroce. C'était certain.
Les deux corps avaient été rabibochés au mieux pour patienter la nuit dans le congélateur. Quelques petites annotations sur leur dossier respectif. Il dodelinait du chef. De si jeune vie arrachée. Il aimait son boulot, mais seulement parfois, il se disait que la vie était une sacrée chienne. Un petit sms envoyé au lieutenant Pasolini, histoire de la tenir informé. Il n'avait toujours rien trouvé de tangible pour les identifier, mais il lui donnait tout de même rendez-vous le lendemain dans l'après-midi, histoire de voir avec elle, si ses informations pouvaient se recouper avec celles qu'il venait de trouver ce soir. Minuit moins le quart. Il était temps de rentrer.
La fatigue l’assaillait terriblement. Il ne se souvient plus vraiment de la manière dont il est rentré chez lui. Tel un robot, conduisant de manière automatique, il s’était retrouvé au pied de son escalier. C’était le signe. Il devait aller s’allonger. Son regard s’obscurcissait. C’était inévitable. En même temps, il n’avait pas son quota de sommeil. Quatre heures en quatre jours ce n’était clairement pas assez. Non, clairement pas. SOMMEIL – NÉANT.
Son portable vibrait. Trop fort. Il grimaçait, mais machinalement, il répondait. C’était Anna. Son amie de toujours. Son alliée de toujours. La seule personne qu’il considérait aujourd’hui comme sa véritable famille. Dès qu’il entendait sa voix, cela se produisait comme une sorte de gros électrochoc. Une décharge d’adrénaline dans tout son corps. Il se réveillait soudain. Est-ce que c’était grave ? Il entendait au son de sa voix qu’il se passait quelque chose, mais rien qui ne semblait vital. Du moins, il l’espérait. Promettant de l’attendre avec un café et de l’eau chaude, il l’attendrait sous le perron de sa maison.
Et la voilà qui arrivait. Cette belle rousse, aux cheveux d'ange, telle Raiponce, qui abritait sous ses côtes deux magnifiques bambins à arriver. Il avait hâte. Hâte de voir ces deux nouveaux êtres fouler, crier et respirer sur cette terre. Cette terre, qui, bien que gangrénée par la peste et le choléra, allait devenir bien plus belle grâce à elle, son mari et ses enfants. Et c'est en ça qu'il avait espoir.
Il l'embrassait, l'étreignait et l'empressait de lui montrer la porte pour qu'elle pénètre dans sa demeure. Il fut un temps où ils devaient tous les deux se protéger de certaines personnes à Arcadia. Et même si aujourd'hui, il se protège un peu moins, il ne voulait faire prendre aucun risque à la future nouvelle maman.
« Installe-toi, retire ton manteau et mets-toi à l’aise, comme d’habitude » déclarait le médecin légiste en montrant la grande table de chêne qui trônait dans sa salle à manger. « Thé ? Café ? Autre chose ? » lui demandait-il alors qu’il était déjà dans la cuisine. « Tire une rune pendant que je prépare tout ça ! » C’était son « dada »… Il avait laissé son sachet de rune sur la table et depuis pas mal de temps maintenant, il s’exerçait à cette divination. Un peu comme une sorte de jeu. Il ne s’entraînait pas vraiment. Il y allait plus à l’instinct. C’était comme ça qu’il voulait faire maintenant. Il avait passé tellement de temps à vouloir contrôler tous les aspects de sa vie, sans grande réussite, grâce à la participation de son cher frère, qu’il essayait maintenant de lâcher prise, tout en gardant des objectifs précis.
Il revenait avec ce qu’il fallait et s’installait face à la jeune femme. « Alors, raconte-moi ce qui se passe ?! »