Il paraît que l’amour dure trois ans. Dans leur cas, il n’aura duré que sept mois. Deux cent treize jours intenses mais brefs ; leur romance adolescente tuée en plein envol.  

Las des soirées entre mecs à jouer aux jeux vidéo ou des parties de foot partagées, c’est tout naturellement que Lewis et sa bande commencèrent à fréquenter les pubs, leurs pas les amenant régulièrement dans l’un des établissements qui peuplaient le quartier vivant de Shoreditch, dans l’est de la capitale britannique. Héritiers de familles richissimes, on ne questionnait rarement et le fait qu’ils soient mineurs semblait s’effacer dès les premiers billets allongés. Il faut dire que l’endroit était tenu par l’oncle de l’un de ses amis, qui n’hésitait pas à regarder de l’autre côté, le pub étant bien trop souvent bondé pour qu’on leur prête une réelle attention. C’est ainsi qu’il l’aperçu, par un après-midi pluvieux, confortablement installée dans une des alcôves, les mains se réchauffant autour d’un chocolat chaud, riant aux éclats face à son interlocuteur.  Il tomba aussitôt sous son charme, avant même de croiser son regard. A l’époque, Lewis était loin d’être le séducteur aguerri d’aujourd’hui, aussi ne prit-il son courage à deux mains que plus tard, ayant ingurgité quelques pintes pour se donner de l’audace. Le stratagème n’avait pas du tout échappé à la jeune femme qui l’avait observé au gré de ses battements de cils, anticipant - non sans une certaine excitation - le moment où il choisirait enfin  de l’aborder.  À la suite de cette rencontre, il se sont revus, encore et encore, jusqu’à devenir inséparables. Elle devint sa confidente, celle sur qui il pouvait se reposer, celle qui le complétait comme nul autre ne l’avait fait. Lui qui avait soif d’attention – la faute à ses parents trop souvent absents -, il avait enfin quelqu’un qui était là pour lui et qui ne le lâcherait pas à la dernière minute par des excuses faiblardes.  Elle fut son roc suite à l’annonce fulgurante de la mère de Lewis, emportée dans la fleur de l’âge par un cancer brutal.  Pourtant, leur idylle était vouée à n’être qu’éphémère. Six mois après les funérailles de la madone Giacometti, le père de Lewis déclara qu’il comptait se remarier et – shocking news – sa future femme était en réalité sa maîtresse avec laquelle il avait entretenu une liaison pendant près de vingt ans et de cette liaison était née une fille. La demi-sœur de Lewis. Cette seule information en tête, Lewis rencontra donc sa nouvelle belle-famille… avant de constater avec horreur que sa demi-sœur n’était autre que celle qui avait ravi son cœur. Profondément perturbé par la nouvelle, Lewis coupa court à leur relation, sans aucun mot, tellement meurtri par cette révélation qu’il crut pendant longtemps que leur relation n’avait été qu’un jeu destiné à le briser. Si elle tenta de le contacter à plusieurs reprises, ignorante des manigances de sa propre mère, elle finit par se rendre à l’évidence que leur histoire était bel et bien finie, Lewis ignorant totalement ses messages et appels. Quand elles s’installèrent dans la résidence londonienne des Giacometti, Lewis se fit de plus en plus absent, logeant régulièrement chez ses amis, sortant jusqu’à pas d’heure, enchaînant les coups en plein cœur. Cette situation douloureuse et inconfortable prit fin lorsqu’il s’envola aux Etats-Unis pour y faire ses études, s’effaçant totalement de sa vie.  La jeune femme ne découvrit le pot aux roses que plus tard et l’évidence lui sauta alors aux yeux : sa mère, profondément amoureuse de Gabriele Giacometti, l’avait manipulé à penser qu’elle était sa fille. Malgré tous ses défauts, sa mère ne lui avait jamais menti. Elle lui avait omis énormément de choses, certes, mais jamais elle ne lui avait menti en pleine figure. Si bien que, lorsqu’elle la confronta avec cette vérité dérangeante, elle avoua et la jeune femme comprit tout à coup pourquoi leur relation avait pris cette tournure déchirante qu’elle n’avait jamais pu s’expliquer.  

Il paraît qu’on n’oublie jamais son premier amour. Qu’on reste hanté par toutes les possibilités qui auraient pu en découler. Qu’un seul regard peut vous rendre vulnérable et vous faire retomber dans les méandres du passé.