Le sourire s’était glissé sur les lèvres, sur les traits trop rarement illuminés depuis l’arrivée à la Camorra de la suédoise. On lui avait fait tant subir, consciemment ou non, en l’enfermant entre les quatre murs de la mafia. Aujourd’hui, Nesryn ne pourrait plus jamais s’en départir, menottes appuyant sur les poignets, bien qu’invisibles. Elle avait compris, avec le temps, n’être qu’une arme, future certes, mais unique. Son pouvoir, peu de prophètes l’avaient. Il s’agissait tout de même de s’enfoncer dans les tréfonds les plus profonds de l’âme de sa victime, d’en faire ressortir les pires horreurs commises, et de détruire l’esprit. Un seul contact visuel, et une vie pouvait être réduite à néant. Quelques secondes peuvent suffire, pour le plus grand pêcheur, à mourir sous le poids de ses propres fautes. Ou pour ceux n’ayant pas de force mentale, une seule erreur, et c’était la fin. Petit à petit, à force de traîner à Arcadia, avec les italiens, elle avait pris conscience de ce qui pesait dans ses pupilles, avait fini par l’accepter. Même si dans le regard des autres, elle percevait ce dégoût, cette peur d’être le prochain à se prendre le don de plein fouet. Même si même les prêtres s’enfuyaient, alors qu’il s’agissait là d’un pouvoir de Dieu. Fausse divinité.

Et aujourd’hui, elle allait enfin faire quelque chose qui lui plaisait, confiance en partie accordée par les supérieurs. Ou alors était-ce seulement une façon de la tester ? Qu’importait, elle avait l’interview accordée par Maître Gates, des possibles rumeurs à déployer, en réaction à ce que souhaitait la Camorra. Il ne suffisait que de quelques mots, acérés, bien manipulés, pour entrer dans le jeu, et réduire les autres mafias à néant. Bon ok, elle s’emballait peut-être un peu là. Cependant, Nesryn se savait capable de cela, elle qui avait toujours aimé écrire et donner son opinion, gagner des débats… Dommage qu’Arcadia l’ait poussé à se détester, à se haïr et à rentrer dans un moule. Ou alors était-ce la présence des mafias, des dieux, et de l’ultra-violence qui l’avaient fait changer ? Après tout, elle avait compris que ne pas être d’accord avec ceux qui l’avaient recueillie ne ferait qu’aggraver la situation. Elle était passée outre les violences par sa docilité et sa timidité. Pas un mot au-dessus de l’autre, ordre et discrétion respectées… Quitte à s’oublier, quitte à s’auto-détruire, se rendre malade, sans jamais rien dire à personne…

Mélancolie dans les pupilles, elle poussa la porte de l’Arcadia Times, auquel elle appartenait. Les iris ambrées se posèrent un instant sur l’open-space, vide à cette heure si matinale. En revanche, le bureau qu’elle cherchait était quant à lui allumée. Douce lumière accentuant son sourire, alors qu’elle traversa la première pièce au pas de course, débarquant telle une tornade aux côtés d’Alice. Evidemment que sa collègue était présente. Et évidemment qu’elle allait partager avec elle l’idée du siècle qu’elle avait eue, ou plutôt qu’on lui avait susurré à l’oreille. Y’avait que la blonde pour user de son verbe avec autant de facilité qu’elle. « Bonjour Alice ! Tu es bien matinale. » Et au grand sourire de Nesryn de montrer qu’elle n’avait jamais été aussi impliquée dans un projet. Il se pourrait bien que ce soit contagieux aussi… « Il faut absolument que je te parle de quelque chose. » Et la porte du bureau fut refermée derrière elle. Pour l’intimité. Pour éviter que d’autres ne captent les mots. Il ne fallait pas que ça s’ébruite non plus, s’ils souhaitaient que ça fonctionne… Et la suédoise connaissait suffisamment la haine de sa comparse envers les mafias, certaines tout du moins, pour lui parler du projet. « Ca te dit, de t’en prendre aux organisations criminelles qui polluent la ville ? »

Nesryn était certes timide, avait toujours peur de mal faire, mais elle restait une excellente oratrice, dépassant son stress, quand il le fallait. Sous la douceur se cachait la rage de la lionne…