Elle avait beaucoup attendu, beaucoup réfléchi, à une potentielle fuite, à claquer la porte de son appartement, et ne plus jamais y revenir. Elle en avait même rêvé ces derniers jours, ces dernières semaines, depuis que Bellandi était derrière les barreaux. C’était le moment, si elle devait faire un choix. Cependant, il y avait toujours quelques soldats qui se tenaient là, au pied de son immeuble, regards certainement posés sur les quelques fenêtres composant le lieu. C’était du suicide, que lui répétait une partie de son esprit en boucle. Et la prudence avait raison de tirer les signaux d’alarme, de vouloir la faire reculer. Parce que c’était la mort qui l’attendait au tournant dans ces conditions. Et qui de sain d’esprit irait en courant droit dans le mur, ou se caler le canon d’un pistolet entre les deux yeux ? Toi. Elle l’avait déjà fait une fois Nesryn, en se laissant enfermer par la Camorra. En acceptant la manipulation, pauvre gamine effrayée dans ce monde d’adultes. Après tout, elle avait tué cet homme, il y a trois ans, à cause de ses pupilles. Même pas une semaine après avoir foutu les pieds sur le territoire américain, elle avait commis un crime. Et la mafia l’avait sauvée.

Du moins le pensait-elle à cette époque-là. Avec le recul, avec la réflexion, elle comprenait à quel point elle s’était fait avoir, et elle dépendait aujourd’hui entièrement de la mafia. Son travail avait été obtenu grâce à eux. Son appartement était au cœur de Little Italy. Et son argent finissait dans la banque d’Augustin Esposito, consigliere de la Camorra. Autant dire que partir reviendrait à tirer un trait sur tout, en plus d’être traquée. Néanmoins, pouvait-elle continuer à vivre de la sorte, effrayée à l’idée que ses yeux lui soient arrachés, que son pouvoir soit autant réclamé ? Il fallait qu’elle apprenne à le contrôler, qu’elle vole de ses propres ailes, plutôt que de s’enchainer au sol, sans aucun espoir de s’en sortir. Il fallait prendre des risques dans la vie. Et même si elle n’y arrivait pas aujourd’hui, cela devait être plié en quelques jours, pour éviter à la garde d’être renforcée. Esposito aurait-il les hommes pour cela d’ailleurs, quand le quartier réclamait défense et protection ? Plus elle y pensait, plus la suédoise se rendait compte que l’opportunité ne se représenterait pas deux fois. Qu’il faudrait la saisir rapidement, avant de la voir disparaître à jamais.

Profonde inspiration, alors que les premières idées se mêlaient à son esprit. Elle pouvait bien faire quelques tests, sortir et tenter de les semer ? La tête se secoua, réaction directe de ses pensées. Elle s’y attarderait plus tard, pour le moment, elle avait son deux-roues à utiliser, pour vérifier que les dernières réparations avaient été faites correctement. Parce qu’elle ne croyait plus en l’Italie, en tous ceux qui avaient voulu l’utiliser, sans jamais l’aider. Si sa rébellion latente avait été perçue, peut-être que l’engin avait été trafiqué, de façon à la tuer dans un accident…

Petite promenade dans les rues de la ville, quittant son quartier pour s’aventurer dans ceux qui n’appartenaient à aucune mafia. Neutralité assumée, affichée, obligeant les italiens à être discrets dans leur filature, pour ne pas attirer la police… Jusqu’à ce que son véhicule commence à faire des siennes. Etonnamment. Regard posé sur les alentours, attiré par un panneau non loin. Un garage, comme par hasard. Peut-être serait-ce l’occasion de vérifier pour de possibles traqueurs aussi…

Et elle prit sa décision, après quelques minutes d’hésitation, poussant métaphoriquement la porte de l’établissement. En revanche, c’était bien le véhicule qu’elle traînait depuis quelques mètres. Les prunelles s’accrochèrent à celles de l’homme présent, se tordant le cou par la même occasion. Grand. Trop grand. Et impressionnant aussi. « Bonjour… » Même la voix se barrait en couilles. Fallait dire, Nesryn était effrayée par tout et rien, avec les trois années passées au cœur de la Camorra. Elle avait vu assez de meurtres, ou de tortures, par des types aussi baraqués… Mais ça va aller. « J’ai quelques soucis avec mon véhicule ces derniers temps, et les précédents réparateurs n’ont pas su trouver ce dont il en retournait réellement… » Ou ils l’ont fait exprès. La peur restait accrochée dans les iris, alors que des coups d’œil réguliers étaient glissés par-dessus l’épaule, aussi discrètement que possible. Même si cela devait juste apparaître étrange…