beyond memories

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Ned & Nesryn

L’hôpital avait été un endroit reposant, malgré les multiples visites auxquelles elle était soustraite. Les souvenirs avaient été remués, pour mettre une identité sur l’agresseur, pour permettre à la Police d’avancer son travail. Des centaines de questions, de reconstitutions, pour avoir un portrait-robot, des signes distinctifs de cet homme qui s’en était pris à elle. Etonnamment, cette nuit-là, dans ce quartier, les caméras de surveillance avaient toutes été mises hors d’état de fonctionnement. Dans les faits officiels. En réalité, Nesryn se doutait que cela était différent. Si l’homme de la Camorra avait pu bloquer son champ de vision avec son pouvoir, pourquoi les caméras seraient-elles différentes ? Inconnue dans sa réflexion, dont elle ne pouvait pas parler à quiconque. Les humains n’avaient pas à savoir. Pour leur bien-être. Pour leur survie. Parfois, mieux valait se taire, baisser les yeux, feindre l’ignorance. Car les dieux n’avaient aucune pitié, les mafias non plus. Italie écrasant les traitres, ceux les effrayant. Pourtant, de quoi avaient-ils peur ? L’agression avait prouvé qu’elle était incapable d’utiliser son pouvoir, et ce n’était pas comme si les connaissances se bousculaient au portillon. Tous l’avaient toujours maintenu dans l’ignorance, pour mieux pouvoir se jouer d’elle. A part quelques noms qu’elle pouvait vendre aux plus offrants, aux autorités.

Sauf que l’esprit était toujours brisé, toujours écorché par les trois passés là-bas, et reparler de cette époque lui était encore compliqué. Y’avait trop de pensées structurées qu’on lui avait demandé d’intégrer, qu’elle gardait toujours aujourd’hui. Même quand il n’y avait plus aucun danger, plus aucune manipulation, ça restait, ça s’accrochait, c’était devenu une partie d’elle au même titre que son éducation en Suède. Et ses iris, son pouvoir, en étaient le véritable reflet. Incapable de s’en servir, de l’accepter entièrement. Et plus elle le rejetait, plus il s’imposait. Paradoxe épuisant, même si Nesryn était pour le moment incapable d’y penser.

Là, il fallait qu’elle se mette à l’abri. A cause de ses silences, de ses propos vagues, la Police n’avait pas pu déclencher une réelle enquête, la mettre sous protection. Et le temps de rééducation, à l’hôpital, touchait à sa fin, les derniers papiers entre ses doigts officialisant son départ. C’était un retour à la case départ, à l’extérieur qui l’effrayait, et aux nuits sans sommeil qui l’attendaient, cauchemars latents que le sommeil révèlerait.

Elle n’était plus à l’abri dans les rues d’Arcadia. Néanmoins, courir en permanence était impossible. Fuir non plus. Puis, avec les chevilles toujours blessées, la cicatrice qui se dessinait sur sa cuisse, celle sur l’arcade sourcilière qui avait failli lui prendre la vue… Elle ne valait rien actuellement. Un agneau perdu au milieu des loups, qui n’attendait que de voir lequel lui sauterait à la gorge le premier. Profondes inspirations, pour ne pas perdre face quand le premier pas passa la porte de l’hôpital, accompagné de la béquille qui lui serait fidèle encore un temps. Aucune attaque. Repos accordé, mais elle ne pouvait se reposer sur ses lauriers. Une main pour arrêter un taxi, pour se retrouver quelques kilomètres plus tard au cœur des docks. Si elle n’aimait pas déranger les autres, il était définitivement temps de se rendre compte qu’elle ne valait rien seule. Et qu’apprendre à se battre deviendrait nécessaire pour s’en sortir dans cette nouvelle vie. Tout comme maîtriser son pouvoir.

Elle s’arrêta devant la porte, hésita une nouvelle fois. Néanmoins, le taxi avait disparu, reparti dans les limbes d’Arcadia. Si elle partait, ce serait à pied. Et Dieu savait qu’elle n’en avait pas la force actuellement. Alors, le poing s’abattit contre le bois, trois fois. Et l’attente reprit, jusqu’à ce que la porte s’ouvre sur celui qu’elle recherchait, Éamonn. « Bonjour. » Pause. Comment était-elle supposée continuer cette foutue conversation ? « Il faudrait que je te parle, si tu as un peu de temps. » Après tout, le silence des dernières semaines pouvait mettre la puce à l’oreille, bien qu’elle ait prévenu ses patrons. Ca et la béquille, les blessures qui se percevaient sur sa chair…