“here's to you and here's to me.” & Sur les docks d’Arcadia, Eskel constate l’absence d’activité le soir venu. Peut-être que les travailleurs sont déjà rentrés à la maison, ou bien sont déjà arrivés dans le petit bar surchargé où la plupart d’entre eux venait finir leur soirée. D’ordinaire, il salue quelques travailleurs, des marins venus rapportés des cargos au port. Mais avec les récents événements, la peur qui s’installe et la maladie qui se répand, la plupart des bateaux étaient cloués à quais et les travailleurs étaient au chômage forcé. Un silence inhabituel, perturbé par le vent faisant claquer les coques contre le quai. Il finit par bifurquer sur la gauche, trouvant les fines allées de briques centenaires fleuris ça et là, typique quartier industriel du début du siècle dernier qui n’a pas perdu son charme avec les décennies. Difficile à croire ici dans le calme d’un petit quartier que la ville ultra technologique, coeur d’Arcadia peuplé de bureau, se situe à une vingtaine de minutes de marche seulement. Il pousse la lourde porte de l’établissement, tout aussi calme que le port pour un soir de semaine. Cela changeant de Siren Alley qui ne dort jamais, la vodka remplacée par le whisky que l’on boit dans ce bar celte où il n’avait rien à faire, si ce n’était pas pour voir Caleb. Il se sentirait presque désolé pour les irlandais.. Et à vrai dire pour toutes les autres mafias dont les affaires ne sont pas vraiment florissantes en ce moment, mais ce serait mentir. Si maintenant il était exposé à leur monde, si il était lui aussi un parias maintenant, il ne pouvait pas se sentir désolé pour les un ou les autres, son seul salut lui importait. Pas même celui de sa patronne: le sien, seulement, dans cette ville gangrenée.

Cela ne l’empêchait pas d’apprécier les autres, d’aller boire avec les uns et les autres, neutralité au milieu des guerres de gang qu’il a toujours vécu de l’extérieur, bien avant de devenir un membre de leur communauté, chien errant qui ne sait trop où se poser pour faire tranquillement la sieste. A défaut il rejoint Caleb, assis au comptoir déjà une bière servie devant lui. Poignée de main donnée, tape sur l’épaule du Dieu il s’asseoit à coté de son ami. « J’ai vu que c’était le désert dehors aussi. J’imagine que c’est compréhensible mais c’est quand-même étrange. » Désagréable, mort presque. Une triste vision même si il était certain que les affaires devaient toujours tourner, dans la matinée peut-être. « Une partie de fléchette me va parfaitement. On va voir qui va casser la cible en premier, ce sera intéressant. » Sourire lancé à l’ami et bras levé pour attirer le serveur jusqu’à lui. La dernière fois qu’ils ont voulu faire un bras de fer sur une des tables derrière eux ils avaient manqué de casser celle-ci, le poids des coudes sur celle-ci suffisant pour que la table peine à tenir. Il a fallu les arrêter pour préserver le mobilier, la question de qui était plus fort que l’autre irrésolue, une égalité qui finalement, leur allait bien. « Quoi de neuf depuis le temps ? » Banalités à échanger, simplicité de discussions sans conséquences. Un temps pour décompresser, une bière, celle de d’habitude, déposée devant Eskel. Rien de bien compliqué, comme il aime.
 
 

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“here's to you and here's to me.” & C’est la simplicité qui symbolise le mieux leur amitié, cette habitude de se retrouver, sans se prendre la tête sur quoi que ce soit, sans jamais hausser le ton ni critiquer l’autre qui fait que tout se passait bien entre le dieu et le monstre. Une neutralité qui permettait d’avoir quelqu’un avec qui parler, sans recevoir de jugement ni se faire balancer. Caleb et Eskel peuvent parler de tout et de rien, de ces mafias qui dirigent leurs vies comme de leurs vies personnelles, sans besoin de se justifier, sans chercher la petite bête. Libérateur, comme quoi deux personnes qui n’ont pas grand chose en commun, hormis cette force surhumaine  dont les deux sont pourvus, peuvent s’entendre. Un peu comme avec son frère cadet, sauf que cette fois c’est Eskel le plus jeune des deux.

Personne sur le port, rien de bien étonnant quand on regarde les informations, il est vrai. «  J’ai entendu pour la fusillade. » De très près même, la patronne critiquant la manoeuvre du camp russe ouvertement à son employé, dans la voiture qu’il conduisait jusqu’au narcisse enchaîné. Quand à l’épidémie touchant les dieux, il n’en connaît aucun personnellement, de touché par ces maux inexplicables. Anna et son mari était préservés, les enfants de ceux-ci également, quand à ses autres connaissances aucune n’est divine, les créatures et monstres plus approchables il trouve, le bas de la chaîne alimentaire répondant aux corps célestes. D’après Caleb certains sont assez amochés et pourtant, ça semble le faire sourire, peu scrupuleux pour ses collègues divins. «  Roh, c’est pas bien d’en rire, quelle cruauté. » Pourtant le sourire s’étire et les canines se montrent, le chien toujours amusé du malheur des autres, la mort comme radar et la fascination malsaine pour le morbide impossible à ignorer. «  On m’a dit que ça me concernait pas, alors j’ai pas trop suivi ce truc. Ma patronne non plus d’ailleurs, puisqu’elle n’est pas divine.» Il se serait permis une blague, sur le fait sa divinité était peut-être autre, mais il se retient. C’était donné raison à Garm qui ronronne dans les pattes de la mort-vivante, petit chien fidèle si intéressé par cet aura de mort qu’elle porte, l’oupyr, et il se refusait de le suivre là-dessus.  

La bière arrive enfin et Eskel ne se prive pas pour en boire une bonne gorgée, gargantuesque pour certain, normale pour le géant à la soif intarissable. Il savait très bien que Caleb était l’un d’eux, mafia irlandaise qui écume le quartier, bar appartenant sûrement à celle-ci. Il y a quelques temps il aurait ronchonné à l’idée de mettre les pieds dans un endroit pareil gangrené par cette mafia qu’il a cherché à combattre. Aujourd’hui, il ne vaut pas mieux qu’eux tous, rejet de la société employé par cette arriviste cherchant à dominer cette bratva alliée du camp local. D’eux il ne connaissait pas grand chose, au final, et le poste de duc ne lui parle pas vraiment à l’islandais qui a encore beaucoup à apprendre sur ce monde de l’illicite; En revanche, il comprenait leur système de royauté, la reine dont tout le monde causait étant morte, il imagine qu’avec un titre pareil, il devait être haut gradé après de cette monarchie.«  Si t’as eu le poste, c’est qu’ils t’en pensent capable. » Simple constat, les responsabilités on évite de les donner aux incompétents et même si leur nouveau roi était bien jeune, plus jeune qu’eux deux d’après ce qu’il avait comprit, il n’a pas dû choisir en tirant au sort le prochain duc. Enfin, supposément. Il dirait qu’il l’espérait même si en fait… Il se moque un peu, au final, de la façon dont le Royaume est tenu par le duc présent à ses côtés que par les autres, étranger à cette mafia en tout point, si ce n’est par Anna et son époux. Pour le reste le système entier peut s’écrouler que cela ne lui ferait ni chaud ni froid, pas concerné, neutre dans cette guerre sans fin, le dieu supposé le diriger n’ayant même pas cherché à l’apprivoiser et il espère sincèrement ne jamais rencontrer la divinité supposée diriger son existence. Il observe l’ami lancer sa fléchette et se planter un peu, la cartouche s’enfonçant loin du centre, ce qui le fait sourire à sa remarque, avant de se lever pour prendre sa place. «  Tu dis ça parce que tu sais d’avance que tu vas perdre. » Qu’il moque, en prenant une fléchette à son tour qu’il lance, essayant de viser le plus juste possible… Et non, à côté, sur une des petits sections non loin lui donnat soixante points. Il gagne tout de même quelques points de plus que son ami, et ça suffit pour le faire jubiler. «  Comme quoi ça sert la police, mon Duc. » dit-il, dans l’accent le plus bourgeois possible avant d’aller à sa place. «  Pense à mettre le zéro, derrière, hein. » Qu’il évite de lui mettre que six points par “erreur”, moquerie gentillette en posant ses fesses et en récupérant sa bière. Quoi de neuf de son côté. Rien, qu’il a envie de répondre. La vie toujours ennuyeuse au possible. «  Ma patronne pue la mort. Et pas dans le sens qu’elle a pas prit de douche depuis une décennie, ça je ne peux pas te dire, je sens plus rien de “normal” maintenant...Elle sent vraiment la mort. Et c’est de lui en plus asphyxiant, j’ai envie d’acheter un masque à gaz, mais je suis pas certain que ce soit efficace là-dessus. » Surement que non.. Et pas très discret non plus. Pourtant c’est une option à laquelle il songe, histoire de se préserve de cet faiblesse qui le hante, cette impression de sentir le chien gratter de l’intérieur pour s’échapper du corps. «  J’ai du mal avec Garm, du coup. » Meilleure façon d’expliquer les douleurs et l’impression de n’avoir quelque chose d’étranger lui grouillant sous la peau comme dans alien, prêt à bondir hormis de son estomac comme une mauvaise césarienne. «  Sinon, pas grand chose de neuf. J’ai gardé les enfants de mon amie l’autre jour, une dizaine. C’était horrible. Je veux jamais de marmot. » Annalisa traumatisante avec ses gamins, la galère d’en être responsable, même un tout petit peu, même si elle était présente était déjà beaucoup trop pour lui, les questions de l’un de ses - nombreux - fils hantant encore l’oncle de fortune qui avait du mal à répondre à ces questions existentielles d’enfant. Rien qu’à y penser il est victime de flashback, comme la comptine qu’il a été forcé de chanter à un moment donner pour empêcher Sveinn de pleurer en plus de Fafnir et de ses questions. Non, jamais il n’aurait de gosses, c’était clair. «  Aller, va en lancer une autre que je te mette la pâtée.  »

 
 

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