BOLOSS SMASHS THE DOG.
- - - - - - - - - - -
Dwayne & Salome
Les pieds de la gamine se dérobent sous son poids. Les vêtements se déchirent, les os craquent et déforment la peau. Sur la carne imprégnée de soleil, la fourrure anthracite se répand, épaisse et tavelée de couleurs. La douleur arrache un cri que les sous-bois dévorent, étouffent dans la nuit noire et recrachent à pleine puissance. Le
hurlement devient celui de l’animal, échappé de la gueule entrouverte, garnie de crocs brillants.
La mutation vient à son terme, et la bête épuisée détend ses muscles endoloris. Le corps s’affale dans la terre fraîche, cherche à faire abstraction des bruits ; rampe en direction des odeurs familières, s’apaise au contact rassurant.
Encore un téléphone abandonné dans l’herbe. Sous les éclats lunaires, le museau haletant vient renifler l’amas d’étoffes écartelées.
Un tas d’affaires qu’elle ne reverra plus. Et les paupières se ferment, les pensées mélangées du chien et de l’humaine, troublant le long sommeil qui aurait pu se faire réparateur.
* * *
Deux jours que le cabot vadrouille. Avalé par la baie, grisé par ses parties de chasse, et ses courses effrénées. Ivre de liberté, sans images pour lui rappeler sans cesse tout ce qu’il a perdu, et ceux qu’il ne reverra plus...
A l'affût du dîner, le clébard guette sa proie dans un puits d’eau salée. Toujours affamé, jamais rassasié, il espère un repas
sain avant de regagner le centre-ville et ses poubelles pleines à craquer.
Les pattes enfoncées dans le sable, les pupilles se contractent et l’iris reflète bientôt les écailles de la cible. Ignorant le vacarme des volatiles sous le soleil de plomb, et leur ballet céleste dessinant des ombres à la surface de l’eau,
l’animal s’immobilise avant le grand plongeon. Hypnotisé par la nage du butin et par le bruit des vagues, il déploie ses muscles bandés pour s’élancer enfin. Tête la première dans le bain saumâtre, il s’immerge et harponne le poisson d’un coup de dents brutal.De retour sur la terre ferme, le cabot se régale.
Les crocs brisent en deux l’arête centrale, et les oiseaux s’invitent au banquet à moitié englouti. L’un d’entre eux, téméraire, tend le cou et s’empare d’un bout de chair en un claquement de bec. La bête grogne pour faire fuir la mouette avant de songer à s’en faire un dessert. Maigre pitance et pourtant suffisante jusqu’au prochain repas, elle secoue son pelage en avalant la dernière bouchée. Un regard en arrière sur les côtes sauvages, et l’animal bondit dans la flore, le palpitant attiré par la ville, et ses grattes-ciel en ligne de mire.
Il lui faut quelques heures pour atteindre la zone industrielle et ses usines ; humer les effluves, fuir les passants, happer la nourriture qu’on lui tend. La nuit recouvre les immeubles et la vie grouillante quand il atteint le centre. Il en traverse cent, peut-être davantage, des routes remplies de chauffards et de voitures bruyantes. Pourtant, celle qui relie la gare aux beaux quartiers ne lui laissera jamais atteindre le trottoir d’en face.
Assommé par le choc, la langue pendue sur le côté, le clébard demeure inconscient quelques secondes. Avale un phlébotome posé sur sa mâchoire en reprenant connaissance , et se prend à gémir quand il découvre que son corps ne peut plus le porter. L’ichor s’écoule lentement sur le bitume et la douleur s’étend, tandis que deux silhouettes l’inspectent au devant du véhicule. A l’intérieur de la carcasse, la gamine ne reconnaît ni les voix, ni les visages. L’esprit embrumé s’égare, et tout ce qui se passe depuis l’accident jusqu’à son arrivée dans la demeure du juge lui échappe complètement.
Sur le pas de la résidence, les pattes tremblantes retrouvent le sol et la truffe se perd sur les vêtements de l’homme.
Inconnu toujours. Mais tandis que la clef s’enfonce dans la serrure, l’animal s’affale encore sur le palier, et le juge le soulève pour le mener à l’intérieur. Installé sur un fauteuil confortable, il observe l’environnement sans se montrer rétif ni inquiet. Loin d’être un chien de salon, il n’a pas la force de se montrer sauvage et encore moins de s’enfuir en courant. Alors quand le chauffard disparaît, le clébard se contorsionne pour lécher sa plaie, et se laisse aller à somnoler encore. Péniblement, il se traîne sur le divan qui offre plus d’espace, le recouvre de terre et de poils, pour accueillir le retour du propriétaire avec un jappement sourd qui fait trembler la pièce.