«Every child is a different kind of flower, and all together make this world a beautiful garden.»
Le petit humain blottit au creux de ses bras dort paisiblement, sous le regard brouillé de son père retenant ses larmes. Il est si minuscule, trop fragile, si bien que Clarence craint de l’abîmer par mégarde. Pourtant, ce n’est pas faute d’expérience, mais ça fait longtemps qu’il n’a pas tenu un bambin naissant. La dernière fois, c’était Aster et dieux savent comment les quelques mois qui suivirent furent taché d’un tragisme qui n’attendait que « le bon moment » pour frapper. C’est sûrement pour ça que l’expérience le bouleverse plus que cela ne le devrait, à la sixième fois. « À vue d’œil, je dirais qu’Arthur est plus rembourré que son frère, effectivement. Peut-être 2.8 kilos. », répond-t-il au pari (d'ailleurs, il a gagné le premier !). L’homme se penche lentement et pose un baiser sur le front d’Anna, laisse son nez contre sa chevelure quelques secondes. Elle est habituée, mais il est tout de même fier d’elle et heureux comme tout. C’est qu’il l’attendait, cette journée où il accueillerait Andrew et Arthur dans ce monde ; les premières esquisses de leur nouvelle vie de famille, qu'il espère tranquille. Sveinn aussi a droit à un gros bisou sur sa joue dodue ; pauvre bonhomme qui n’a pas dû tout comprendre. « As-tu besoin de quelque chose ? », qu’il demande, la voix et le regard tendre. Il envisage de se reprendre sur tous les points où il avait été négligeant, avec Eleanor ; c’est trop tard pour les regrets, mais la volonté d’être un homme meilleur est bel et bien là. Soudainement, Andrew se réveille et recommence à s’époumoner, comme pour répondre aux pleurs de son jumeau. Tout doucement, Clarence le berce pour essayer de le calmer, murmure des « chht » délicats. Il espère tout de même qu’ils ne seront pas de grands pleureurs, parce que multiplié par deux ça va être tout un boulot !
Ses craintes ne se sont pas réalisées mais avaient grandement lieu d'être. Les deux garçons auraient pu snober le calendrier et décider de se pointer plus tôt ; un cordon baladeur-étrangleur est vite arrivé, etc. La liste d'alternatives morbides est infinie. Mais ils n'ont pas eu à braver le suspense et la panique des complications. Les jumeaux ont jailli de leur boîte comme des petits diables. Lorsqu'elle constate cela, Irina se dit que c'est bien dommage que personne n'ait pensé à apporter le champagne. Tout en réfléchissant, elle vérifie le poids du premier bébé. Comme anticipé, Andrew ne dépasse pas les trois kilos. Il se met à pleurer dans les bras de Clarence tandis qu'Arthur affronte l'épreuve de la balance. Plutôt... 2,650 kg. Plus léger qu'Andrew mais il n'y a pas à s'inquiéter. Je ne pourrai pas passer tous les jours alors ce sera à vous de les peser, dit-elle à l'adresse du père. Cela annoncé, elle confie l'enfant à sa mère.
Paramètres mis à part, la déesse logée en elle est satisfaite. Elle ressent tous les bienfaits du double miracle : sur le visage du papa, dans le sourire fatigué d'Anna. Mais ce n'est pas elle qui s'exprime lorsque Irina ajoute d'un ton clinique : Il faut que tu les allaites maintenant. Simultanément ou non. Les premières heures n'offrent pas de temps pour les grands sentiments.
«Every child is a different kind of flower, and all together make this world a beautiful garden.»
-T’as encore gagné, qu’il grommelle, amusé, à Anna lorsque l’autre femme annonce le poid du dernier jumeau. Une petite moue mi-boudeuse, mi-rieuse, pour couronner le tout avant d'acquiescer à l’ordre de l’infirmière ; s’il peut bien peser les portions de légumes, il peut tout à fait peser un bébé ! Même si, de toute évidence, il manipule Andrew avec plus de prudence qu’il ne le ferait avec une carotte lorsqu’il le pose dans les bras de sa mère. Les lèvres s'appuient le front de cette dernière avant que l’homme ne se pose sur la chaise pour observer silencieusement la scène de tendresse. Ses enfants sont calmes au creux des bras chauds d’Anna ; il faut qu’il accepte que, pour un moment, il a encore moins la priorité des étreintes rassurantes. Enfermé dans sa bulle, il sourit niaisement et c’est comme si l’infirmière n’était plus là. Une main glisse dans les cheveux de la belle, évite quelques petits noeuds en se faufilant jusqu’à la nuque encore un peu moite des efforts fournis. - Anna, je te trouve magnifique, et forte, laisse-t-il tomber d’une voix douce, sincère. Il croit cela nécessaire, lorsqu’il se souvient qu’elle a autrefois accouché seule ou avec des hommes qui ne la méritaient pas, cette femme qui pourtant aurait dû avoir la plus belle des vies… Le mariage ne lui paraissait que trop loin, en ce moment. Le regard glisse à nouveau sur les nouveaux-nés- J’ai hâte de leur mettre les bonnets avec les oreilles d’ours ! , un fond de niaiserie dans la voix et les joues rosies d’attendrissement. Définitivement, Clarence est un papa poulet.
«Every child is a different kind of flower, and all together make this world a beautiful garden.»
Il le cache tant bien que mal, mais les larmes lui montent aux yeux lorsqu’Anna lui dit qu’il est formidable, qu’il est à la source de son bonheur. Elle ne sait probablement pas à quel point c'est important pour lui d’entendre ça, alors qu’il y a encore peu de temps, il était convaincu d’être responsable de la mort d’Eleanor. Il avait fait des erreurs, certes, mais il s’était promis de ne pas les refaire avec Annalisa qu’il chérirait autant que possible. Répondant à la demande de la maman, Clarence ramasse le sac contenant les vêtements et le lui donne. Dans un silence solennel, il l’observe couvrir les petites têtes avec les fameux bonnets achetés sur un coup de coeur.
Il veille bien, en récupérant Arthur, à ne pas le réveiller. Eleanor lui disait souvent que son plus grand talent, c’était de réveiller les bébés. Talent qui, drôlement, ne s’était pas manifesté lorsque Sveinn était encore un bambin. Peut-être que vieillir lui avait accordé plus de délicatesse. Le bout de chou ne se réveille même pas lorsque Sveinn approche son visage, l’air tout confus. « T’as déjà été aussi petit, Sveinn ! », murmure-t-il avant de déposer un baiser sur sa tête de gros jaloux. Ça le fait sourire, puisque ça lui rappelle quand bébé Timothy a mis une claque à bébé Maisie lors de leur première rencontre. « T’inquiètes pas, tu seras toujours le petit bonhomme à papa. », ajoute-t-il comme pour le rassurer. Il ne sort de sa petite bulle qu’à la seconde où Anna lui demande s’il a appelé son père, ce à quoi il répond en secouant la tête ; d’autres choses occupaient son esprit.
« Tu veux que je l’appelle maintenant ? »Son regard alterne entre Anna et le petit Arthur qu’il n’a pas envie d’abandonner immédiatement, mais si madame le demande, monsieur fera, de toute évidence. L’idée de faire revenir toute la famille n’est pas sans le faire sourire. Honnêtement, ses enfants lui manquent beaucoup et ne pas les avoir près de lui creuse un vide qu’il supporte peu. « L’appartement de l'hôtel est assez grand pour tout le monde ? », qu’il laisse tomber en riant, comme pour la taquiner. Dans le pire des cas, s’ils ont vraiment du mal à ranger tout le monde, Maisie et Timothy ne seront probablement pas contre l’idée de rester seuls à l’appartement qu’il n’a pas encore vendu ni même vidé. Son nez vient se frotter sur la joue d’Annalisa, profite un instant de sa chaleur. Une millième fois, il lui répète comment il l’aime.