Il a appris la nouvelle quelques jours plus tôt. il n’a rien montré à la morgue, n’a rien dit, n’a pas gueulé, ni tué le légiste. Il a juste acquiescé, répondu que c’était bien elle sur la table glaciale. La rouquine, la seule et l’unique qui pouvait l’insulter de tous les noms sans qu’il n’explose. Sinead est morte et il n’a pas le temps pour faire son deuil avec son nouveau rôle. Il ne sait même pas s’il en a le droit, c’était une verte. Un putain de leprechaun. Un mexicain n’peut pas pleurer une rouquine. Pas que ce soit interdit par la loi, ce serait juste mal vu. Pourtant, ses hommes, ils ont compris que ça lui foutait le moral en l’air, qu’il n’avait qu’une envie, tuer ceux qui ont fait ça, quitte à déclarer une guerre. Mais Jan ne peut pas réagir comme ça, il est commandante maintenant, il n’a pas le droit de laisser hurler le coeur quand c’est la tête qui doit décider. Alors on a essayé de lui changer les idées, de le faire rire, de le charrier sur des petits détails qui le font toujours sourire. On lui a même offert un maillot de bain depuis qu’on sait qu’il prend des cours de piscine. "Noir comme ton âme" qu’on lui a dit. Ça lui a arraché un demi sourire. Il ne peut pas se laisser happer par les émotions, c’était que Sinead. C’était que Sin… C’était Sin putain. Ils ont tué Sin.


Il fait plus de 32° à Arcadia cet après midi, Jan suffoque. La rencontre avec le couronné du Royaume doit se faire sur une plage privée. Un p’tit bout de sable qu’il a fait réservé pour ses entrainements matinaux. Il peut y courir sans qu’un sicario pète un câble sans savoir où le commandante s’était encore barré. Ça aussi, ça l’énerve, que ce rôle lui ait un peu volé de sa liberté. Mais partir courir deux heures sans prévenir personne et sans téléphone, ce n’est pas non plus la meilleure des idées. Les demies-mesures, Jan, il ne les connait pas. Alors il a réservé ce petit bout de plage, bien assez grand pour faire quelques exercices et aussi, commencer à dompter la mer. Après la piscine, faudra bien y passer.
Il est 16h, l’heure idéale pour parfaire son bronzage. Le maillot noir a été enfilé, il lui va bien, met en valeur ses tatouages. Si Ikaar Killough sera gêné par sa tenue ? Il a eu sa main dans son jean quelques mois auparavant. Ils ont dépassé un certain stade d’intimité. Et autant profité du soleil.
Les sicarios lui ont dit de faire gaffe à la plage, qu’elle n’était pas très clean à certains endroits. Alors le mexicain s’est retrouvé à devoir enfiler des tongs ! Car faut savoir qu’avec les seringues hypodermiques planquées sous le sable, ces gaudasses, c'est le préservatif du pied. Et Jan n’est pas mort dans une fusillade, il ne va pas mourir d’une putain de piqure d’héro’. Ce serait ironique pour une mafia qui trempe dedans quand même.

Posé dans un transat, les lunettes de soleil sur le nez, le roux devrait débarquer d’un instant à l’autre. Et l’instant arrive plus vite que prévu quand le commandante voit arriver l’héritier du trône des p’tits lutins. Il tire une gueule de dix mètres de long, pire que la sienne. Il a un malaise le peignoir ? T’as perdu ton sourire en même temps que ta dignité en branlant le capitano de la Calavera ou quoi ? Et lui, il lui sourit, mais pas de son sourire habituel. Non, il est toujours énervé. Enervé et triste et chez lui, le mélange n’est jamais très bon pour ses invités. Salut Killough.

Lui aussi porte le deuil à merveille mais sa peau de lait va vite prendre un coup de soleil. Va falloir le crémer pour éviter un incident diplomatique. Pas envie qu’on s’imagine que la Calavera est responsable du cancer de la peau du p’tit bébé de la famille Killough. Et visiblement, ils n’ont pas que le maillot en commun, le même poison sort des lippes. Même violence, même toxine, à s’envoyer des piques pour mieux se faire mal et se sentir vivre. Ça lui arrache un sourire, un vrai cette fois-ci. De ceux qui illuminent, qui sont solaires, qui brûlent tout sans qu’on ait rien pour se protéger. Oui, il avait bien aimé. Il mentirait s’il disait qu’il n’avait pris aucun plaisir dans cette ruelle mais, ce n’était pas Ikaar Killough  à ses yeux. Ce n’était qu’un inconnu avec un sacré coup de poignet qui voulait l’aider à oublier. C’était y’a longtemps, ça ne sert plus à rien d’en parler. Jan  a été guéri, a retrouvé l’unique qui est capable de le faire crier. Mauvais timing Killough, de toute façon, ça n’aurait probablement pas fonctionné.

Le silence se fait, Killough est assis, le sable va lui gratter les fesses. Pas habitué à venir à la plage visiblement, le rouquin. J’ai pas envie d’en parler. Jan ne lui retournera pas ses condoléances, pas maintenant en tout cas. Il ne veut pas en discuter, ne veut même pas murmurer son prénom. Même s’il se doute qu’Ikaar et Sin étaient proches, il n’a clairement pas envie de partager sa colère avec le petit roi. Lui a le droit d’être triste, lui peut montrer ce qu’il ressent, en parler, partager, faire son deuil et accepter. Lui fait parti de sa faction, lui n’a rien à se reprocher. Mais Alejandro… Elle était de sa famille sans l’être réellement. Et puis,  ça ne se fait pas, de pleurer sur l’épaule d’un adversaire. Killough est trop faible, il tomberait sous le poids des larmes de Flores.
Le regard, il ne le loupe pas.  Quant à la remarque… Visiblement, le commandante fait toujours son petit effet. Il baisse ses lunettes sur son nez, arque un sourcil en regardant Ikaar. Ça lui avait manqué, cet échange de joutes bien aiguisées. Ça lui rappelle Sin... Faut bien faire profiter le commun des mortels, non ? Arrogance qui sue des pores, on sait bien que Jan, il n’a pas sa langue dans sa poche quand il est question de son physique. Qu’il se sait beau, désirable et qu’un sourire de l’ange n’y changera rien. Quand on a sa gueule et son corps, on en profite. Bon ! Il se lève d’un saut, les bras qui s’étirent comme un chat en plein réveil. À quelques mètres, les sicarios ne le quittent pas des yeux. Il se sait protégé, il sait aussi que Killough est visiblement seul. Ça serait con, un trône qui se vide à cause d'une balle perdue sur une plage privée... Je ne peux pas renvoyer mes hommes mais t’as ma parole qu’ils ne bougeront pas d’un iota. Pas de violence, c’est les vacances comme on dit… Mais on doit discuter. Du sort d’Arcadia, de leur famille respective, des guerres, de tout ce bordel. Putain, le Mexique, c’n’était pas tranquille mais au moins, c’était pas un tel merdier. Là-bas, il devait se battre pour récupérer du terrain pas pour protéger le sien. Là-bas, les rouquins n’étaient que des touristes et on leur faisait les poches avant de les tuer.
Ikaar n’a pas de poches et Ikaar n’a pas le droit d’être tué. Foutues Etats Unis.

Le voir se crémer à quelque chose d’intriguant. Les longs doigts fins qui passent sur les épaules, les phalanges qui se plient sous les gestes. Jan n’a jamais protégé sa peau même si ses tatoueurs lui ont toujours demander de faire attention. Jamais il n’utilise de crème solaire, sauf quand un certain homme lui propose lors de leurs excursions sur les plages du Pacifique. Mais Arcadia n’est pas le Pacifique et Ikaar Killough n’est pas Joaquin Costilla. Sérieusement, le cadet se demande encore ce qu'il fout là...
La tête se tourne lentement quand il entend les mots de l’héritier celte. Mais… Comment… La lèvre inférieure est pincée, les lunettes remises sur le nez. Il est surpris, décontenancé même. Personne ne le sait, même pas la Calavera. Même pas Gaby… Ils ont préféré faire ça en secret, au Mexique, sans réellement officialiser la chose. Par simple envie, par protection aussi. Et surtout, par désir de réellement s’unir. À t’entendre, on dirait que ça t’emmerde. Car la phrase est trop longue, les mots, trop vulgaires. Et puis pourquoi en parler ? Joaquin n’est pas sur Arcadia, personne ne sait réellement où il est. Jan est l'unique à connaitre l'emplacement exact du commandante Costilla. Personne ne peut l’attaquer ou utiliser cette information contre les deux mexicains. Alors pourquoi l’évoquer maintenant, à part pour désarçonner le Jefe de la Calavera ? T’es triste de jamais pouvoir m’entendre crier sous tes coups de poignets Killough ? Et étouffer un rire, le menton relevé, sans honte ni malaise. Il le déteste, ce rouquin, il le déteste autant qu’il le comprend. Tous les deux dans la même merde, à avoir été propulsé sur des trônes qu’ils n’avaient jamais demandé. Tous les deux à devoir accepter un rôle qu’on leur a toujours prédit sans jamais leur donner. Tous les deux à pleurer, la mort d’une personne qui a réellement compté. Faut qu’on parle de nos deux familles. Tu sais comme moi que c’est la merde et si ça continue, on va plus s’entretuer que s’occuper du bordel qu’a foutu le panthéon grec là, avec leur Khaos à deux balles. Il prend une pause de deux secondes avant de s'asseoir en soufflant. Sérieux, le mec s'est donné le nom de Khaos, pas du tout péteux les grecs...

Ikaar avait terriblement raison, Khaos se foutait bien d’eux, s’amusant avec les mafias comme un maitre d’orchestre avec ses musiciens. Ou un marionnettiste avec des pantins. Ils étaient tous au bout d’un fil, dansant sous ses gestes, sans jamais relever la tête et couper la ficelle qui les reliait au chaos originel. C’était stupide, Jan le savait et même s’il aurait aimé laisser ce bordel aux grecs, c’était leur problème à tous au final. En le laissant faire ce qu’il faisait à Arcadia, c’était leurs vies à tous, italiens, mexicains, russes, états-uniens, tous, qui étaient en jeu. Plus de panthéon, plus de « c’est votre merdier, réglez-le ». Si Khaos s’en prenait à toutes les mafias, c’était bien qu’il n’en avait rien à faire, des frontières entre les clans et les religions. Khaos était un fouteur de merde qui faisaient des règles, un beau tas de cendre avant d’en écrire une seule qui lui convenait parfaitement : aucun survivant, aucun prisonnier, qu’on les détruise tous, pas de quartier.
Les yeux abandonnant la mer et se reposant sur l’héritier du Royaume, Jan ne pouvait s’empêcher de voir un certain miroir en le rouquin. Bien que plus jeune et moins séduisant que lui, les deux hommes se retrouvaient un peu dans une situation similaire avec les anciens évènements. Les morts, le parachutage a un rôle qu’il ne pensait jamais avoir, un clan a gérer malgré tout le bordel autour d’eux. Si un jour on lui avait dit qu’il trouverait des ressemblables avec Ikaar Killought, Alejandro Flores aurait éclaté de rire avant de cracher à la gueule de celui qui aurait osé penser ça.
- J’ai commencé à en dire deux mots à Adimari, le Consi de la Camorra… Tu te sens d’attaque d’aller parler aux Ruskovs ? Si j’vais les voir, j’pense pas qu’ils accepteront de m’ouvrir leur satané porte. Sauf s’ils s’imaginent que je viens pour vendre des chocolats ou des calendriers des dieux d’Arcadia.
Il laissa échapper un petit rire, un peu gêné par sa propre blague. Ça serait presque une bonne idée, pour avoir un activité officielle et légale, vendre des calendriers en fonction des panthéons. Y’avait surement quelques fans des plus grands noms de la ville divine dans chaque rang des mafias, non ?
Les lunettes de soleil retirées, son regard ne quittait plus le dernier des Killough. Il hésita quelques secondes avant de placer les mots qu’il n’aurait jamais cru articulés un jour. Beaucoup de première fois pour le commandante de la Calavera aujourd’hui.
- Je me dis que Sin aurait aimé qu’on arrête de se tirer dans les pattes pour tirer dans celles d’un autre en étant alliés.

Alliés. Le sauront-ils vraiment ? Si les chefs le souhaitaient, ce serait à discuter avec leurs soldats avant que tout soit écrit noir sur blanc. Mais le temps leur manquait et si alliance il devait avoir, elle devra se faire avant que Khaos ne s’en prenne encore à eux sous une autre forme ou lors d’un autre massacre. Pas de second Trianon. Pas d’énième tuerie de masses entre mafia. Ce serait de trop, presque too much pour leurs réputation.