Parfois, je n’ai pas le choix. Je suis obligée de dépenser de la thune pour me nourrir. Je ne peux pas toujours me faire inviter ou vivre aux crochets de mon entourage. Ça me soule de devoir dépenser de l’argent pour quelques choses d’aussi banal que de la bouffe, mais entre vivre et mourir, je crois que choix est vite fait. Et puis, mourir de faim, ça n’a pas l’air d’être la meilleure fin pour une soi-disant récurrence de divinité.
Le casque sur les oreilles pour me couper du monde je suis aux rayons frais des fruits et légumes quand une petite vieille m’aborde pour je ne sais quoi. Mamie ! Est-ce que je n’ai pas l’air de la personne la moins intéressée du monde par tes soucis pour choisir un melon importé d’un pays du Tiers-Monde là ? Ça ne se voit pas sur ma tête que je n’ai pas envie de parler avec les gens ? Je ne veux pas sociabiliser avec toi mamie !
Bon. Je pense tout ça fortement, mais j’aide quand même la vieille à choisir son melon, à le peser parce que ces crevards de la grande distribution nous prennent pour des cons, à nous vendre au truc au poids plutôt qu’à la pièce. Mamie s’éloigne en me remerciant et j’affiche un grand sourire de façade prête à remettre mon casque sur mes oreilles. Je suis en train d’effectuer le geste quand j’entends une dame dans le rayon poissonnerie non loin dire un truc à propos de poisson d’élevage et qu’on ne peut pas dire que c’est dégueu. Ben si madame ! On peut dire que ces trucs-là, qui sont nourris avec de la farine d’animaux malades et pleins d’antibiotiques, c’est dégueulasse ! Et pas besoin de le gouter pour le savoir ! Non, mais, n’importe quoi le discours maternaliste de mes deux. Elle s’est prise pour la daronne de qui ?
Je fais le tour des légumes verts pour voir la scène au moment où le client à qui elle parlait se met à hurler non après qu’elle ait essayé de lui foutre un blini au tarama dans le gosier de force. Le client tente de s’enfuir et fait le tour de la table de la poissonnière, vendeuse, ou je ne sais trop quoi si bien que j’arrive à voir maintenant la tête du fameux client en face de moi. Bordel de merde ! C’est l’autre creep de la piscine ! Celui qui essaie toujours d’entrer sans payer et qui en plus m’insulte comme si j’étais sa copine de toujours. Quelle tête de con celui-là, je vous jure. N’empêche que je comprends son désarroi. Il n’y a pas moyen que je bouffe un truc rose comme ça. D’ailleurs, quand elle tente de lui faire manger de force, je vois rouge. On ne force pas les gens à bouffer de la merde rose sérieux ! Même si ces « gens » c’est un con. Voilà maintenant il lui lance ses toasts. Bien fait ! N’empêche, je ne suis toujours pas calmé.
Je m’avance et évite un morceau de pain et attire l’attention de la poissonnière et de son plateau. J’en prends un ou deux sur son plateau. Elle sourit croyant que je veux gouter, mais je les écrase directement sur ses lèvres. Devant son regard choqué, je lance alors : «
Ben vous voyez que c’n’est pas cool de forcer les gens ! » La poissonnière rougit et écarquille les yeux ; les miens se posent sur l’énergumène de la piscine : «
Et toi. Faut toujours qu’on te remarque où que t’ailles on dirait. » Toujours à faire des scandales ce mec.
(c) AMIANTE