Symphonie résonnant dans la salle, ritournelle assommante berçant le cygneau abandonné du sommeil. Gamine lâchée aux venelles depuis des semaines, déchet jeté du père, malmenée du frère. La danse, passion enfantine, devient espérance, rêve qu'elle caresse du bout des doigts sous le voile de la nuit. Appel de son nom. Elle sursaute, arrachée des bras de Morphée, se lève et s'avance, se sent tel un puceron écrasé sous le regard du roi des cygnes. Tambour du cœur que sa petite main tente de faire taire avant que ne se déploient le corps malingre en même temps que les bras malades, décorés de veines trouées de substances. Elle danse, cherche à susciter un émoi dans le regard bordé de miel. Poupée clamant être perle au milieu des châssis dénués de toile. Elle danse, repousse le pâmoison qui menace de la prendre, chuchote à son oreille et la pousse à suivre des gammes païennes. Elle danse, sourde aux quolibets moqueurs de celles qui espèrent ravir sa place. Elle danse, danse avant que ne tombe le couperet qui lui coupe les ailes. Arrêt de la musique. Elle se heurte à la brutalité du silence, titube au
non assené, sous le rejet de cet œil borne, déjà rivé sur un cygnet plus gracieux.
***
Châssis échoué au canapé. Le pouce rédige les pensées dans une messagerie vide, supprime et écrit de nouvelles bribes. Invitation qu'il souhaite envoyer à la déité sombre, jumeau infernal aux réactions tempétueuses. Moment à partager, l'inspiration est à d'autres inconnus, n'éveille aucun intérêt de ses rares idées. Il soupire en entendant les fracas à la porte, s'apprête à renvoyer l'intrus mais la curiosité se pique à la surprise, au cygneau et son regard bordé de noir où luit un éclat grenat. «
Pourquoi ? » demande l'éperdue, impétueuse dont la voix tente de couvrir de traîtres sanglots. Sourire navré au spectacle qu'elle lui donne, qu'il prétend en réponse à sa tirade. Il s'écarte de la porte, invite la martyr à entrer, profite du dos qu'elle a tourné pour écrire au double mortifère.
« j'ai un cadeau pour toi. es-tu disponible pour passer le prendre maintenant ? ps : je suis sûr que ça va te plaire. viens. »
***Capharnaüm de pleurs. Le cygne a abandonné sa parure de belle âme, dévoile le serpent tapi sous son plumage immaculé. Les crochets fendent le bec par un discret sourire alors que les ambres contemplent le cygnet se débattre avec la vie. Bout de verre embrassant la carotide, elle menace le monarque de faire couler le cruor qui embrase ses joues, colore son visage gonflé par ses larmes mais Stoyan reste de marbre à sa peine. Handicapé des sentiments depuis son adolescence. Hybris en responsable alors que la croyance blâme un trauma. Il hausse un sourcil en entendant un fracas à la porte, réprime un sourire. «
Ne fais rien, il s'agit de mon frère. » Charme céleste usé à ses mots, évitant au cygneau de se taillader dans un geste brusque. Il contourne la jeune femme, ouvre la porte et invite son jumeau à entrer. Main posée sur une épaule plutôt qu'une bise, le français roule sur la langue, murmure les desseins imaginés par la psyché malade. «
Laisse-moi te présenter ton cadeau : cette demoiselle a passé une audition pour un rôle dans le prochain ballet que je prépare et le manque de sommeil a rendu sa chorégraphie bancale et banale. Je comptais la donner à la Bratva en la voyant au pas de ma porte mais, que dirais-tu de jouer à un jeu ? Pousse-la à s'ôter la vie pendant que je tente de la lui sauver. Pas de pouvoir, que nos mots. » Susurre Nahash. Cruauté réanimant l'éclat nacarat au regard à l'attente d'une approbation.