Il griffonne dans son carnet, en attendant sa station. Les freinages brusques du métro et les virages soudains font trembler sa main, mais ça le dérange pas tant que ça - au contraire, ça donne une toute autre dimension à ses traits. Dans ses oreilles, il a sa musique à fond - il pourrait y avoir un shooting à côté qu'il entendrait quedalle. C'est peut-être pas si positif, vu qu'il s'est déjà fait poignarder une fois faudrait pas qu'il frôle encore la mort de si près - pas sûr que le Baku puisse lui sauver une seconde fois la vie.
Entre ses pieds, y a ses sacs de courses - enfin bon, il reste pauvre, donc c'est pas des trucs super sains. Des pâtes. Du riz. Des conserves. Des gâteaux qui étaient en promotion - il espère qu'ils ont bon goût, parce que ça le ferait chier d'avoir claqué quatre dollars dans un truc dégueulasse. Quatre dollars dans un truc qu'il aime pas ? Sachant qu'à chaque fin de mois il se demande s'il va pas se nourrir à l'oxygène, c'est déjà trop de gâché.

Le train s'arrête. Un de ses écouteurs tombe. Il entend le sifflement des rails - la sonnerie qui indique l'ouverture des portes. Il fourre son carnet au milieu des conserves, remet l'écouteur qui est tombé et attrape ses deux sacs - puis se mêle à la foule qui quitte les lieux, le visage caché par l'ombre de sa casquette (c'est pas une Nike, il est trop pauvre pour s'en payer une).
L'agitation, ça le fatigue. Il est un peu trop introverti pour passer son temps entouré de plein de monde - il préfère son petit taudis miteux, la compagnie de ses coquelicots et des fourmis qui viennent dire bonjour parfois. Il songe même à prendre un chat, histoire d'avoir quelqu'un à qui raconter ses états d'âme - un chat, au moins, ça peut répondre en miaulant. Une fourmis pourrait t'insulter tes morts que t'entendrais rien. Et un coquelicot ... bon, on va pas tergiverser dix ans là-dessus. Ça parle autant qu'il dort - c'est-à-dire pas du tout.

Alors qu'il monte les escaliers pour quitter la bouche de métro, y a un mouvement de foule - une masse qui arrive, qui le fait tituber. Déjà qu'il dort pas beaucoup et tient pas forcément debout, faut pas le tester non plus - c'est fourbe, ça. Pendant un quart de seconde, il vacille sur une jambe - et donne un coup avec son sac (pas celui qui a les conserves, thank God) à la personne qui monte les escaliers à côté de lui. « Sorry. » qu'il marmonne d'un ton las, traînant (et un peu hésitant peut-être, parce qu'il a la musique a fond dans ses oreilles) - ce genre de voix qui en fait rager beaucoup. Parfois, on se demande s'il dort pas debout - la vérité, c'est qu'il ne dort jamais. Peut-être que c'est pour ça qu'il semble tout le temps sur le point de s'évaporer. Tu devrais dormir un peu qu'il lui dit son patron, parfois. La bonne blague, s'il savait. Ça fait six ans qu'il a pas eu de vraie nuit de sommeil - au lieu de ça, il voyage dans celui des autres.
Le temps d'une seconde, il croise le regard de la personne à côté - et hausse légèrement les sourcils, sous l'ombre de sa casquette. Sur le coup, il se rend pas compte qu'il a l'air d'un mec totalement atteint - faut dire qu'il est tellement à côté de la plaque, aussi. Puis il la reconnaît, finalement. « Ah. Salut. » En même temps, ne pas la reconnaître alors qu'il passe souvent dans ses rêves pour y apporter sa petite touche de tranquillité, ça serait fort - mais avec Nate, tout est possible.

Après, faut qu'elle le reconnaisse elle aussi - mais pas sûr que ça soit le cas. Ils se sont pas revus depuis qu'il s'est pris un coup de couteau dans l'abdomen - il a changé depuis, le bougre.

C'était y a quoi ...
Six ans ?

Si son père sait qu'elle est là, elle est morte.

Heureusement, il était actuellement en voyage d'affaires en Italie et il n'avait pas appelé depuis déjà trois semaines. À force, cela ne faisait presque plus mal. Au début, lorsqu'il avait commencé à partir, son cœur en avait souffert. Elle avait eu l'impression qu'on lui enfonçait dix millions de coups de couteau, puis après quelque temps cette sensation s'était transformée en de simples petits douleurs occasionnelles puis elle avait arrêter de s'y soucier. Elle se sentait horrible de penser ça, mais ce serait mentir de dire le contraire. Elle s'était détachée de son père, il était devenu comme une espèce d'inconnu et sa mère, un simple fantôme du passé. Sa mère lui envoyait une lettre tous les trois mois environ, mais Sakura n'en avait rien à faire et dès qu'elle les voyait, elle les jetait à la poubelle. Pour elle, sa mère l'avait abandonné lâchement incapable de supporter sa simple vue. Depuis quelque temps, Sakura s'amusait à découvrir les nombreux quartiers divers d'Arcadia. Elle adorait découvrir de nouvelles cultures, de nouvelles personnes et aime surtout s'aérer l'esprit. Bien sûr, ses études en médecine lui prennent déjà beaucoup de temps, mais dès qu'elle a un peu de temps, elle sort et découvre le monde.

La meilleure découverte de sa journée fut un restaurant mexicain délicieux. Bon très épicé, mais elle pourrait manger une centaine de nourritures là-bas alors elle reviendrait sûrement. Chez elle, sa mère ou son père avait toujours fait des plats japonais ou coréen. Sakura n'était pas un super méga fan des hamburgers, mais ils étaient mangeables. En sortant du restaurant, elle raffermit son manteau autour d'elle et enfonça son bonnet sur sa tête. Elle se dirigea vers la station de métro la plus proche et après avoir mis ses écouteurs, elle descendit les marches vers ce monde souterrain. Elle adorait l'ambiance qui régnait dans le métro, mais elle détestait le monde alors elle soupira. Au milieu de la foule, cependant, il y avait cet homme. Soudainement, elle s'arrêta de marcher et les gens l'évitèrent en marmonnant des injures. Elle se rapprocha et Nate la salua, elle eut soudain l'impression de se retrouver dans l'un de ses nombreux rêves.

Tout ces rêves commençaient de la même manière, elle se revoyait entrer dans sa salle de bain avec ce petit sourire aux lèvres et à la fin, elle se retrouvait avec les mains trempées du sang de son frère en train de pleurer seulement, alors qu'avant ce cauchemar recommençait en boucle, elle ne voyait plus ça désormais. En effet, le sang sur ses mains devenait des pétales qui s'envolait dans le ciel bleu puis lorsqu'elle regardait autour d'elle, elle était dans un champ de coquelicot. Elle marchait sur un petit chemin en terre et souvent, elle voyait au bout un homme. Cet homme. Sakura se ressaisit bien vite et adressa un sourire à Nate « Salut, tu es Nate Park n'est-ce pas ?» Elle l'avait soigné sous les yeux attentifs des médecins alors qu'elle n'était qu'une stagiaire. Elle était à l'époque en stage dans l'hôpital du coin et elle avait trouvé ce moyen pour aérer son esprit de la mort de son frère. Grâce à ses pouvoirs, Sakura se souvenait très bien de lui, elle rajouta après quelques secondes « Je suis Sakura Lewis, je t'ai soigné, je ne sais pas si tu te souviens de moi.» Elle voulait trouver la raison de sa présence dans ses rêves, pourquoi le voyait-elle ? Pourquoi lui et pas un autre ? Elle ne laissa rien transparaître de ce qu'il se passait dans son esprit et regarda plutôt autour d'elle. Il n'y avait plus personne. Elle avait raté son métro.

Bon, elle devait prendre les choses positivement : elle pourrait découvrir d'autres endroits en attendant.

Il a encore les écouteurs dans les oreilles quand elle lui répond, alors il met quelques secondes à tilter. « Hein ? » Du Nate dans toute sa splendeur - à côté de la plaque, mais pas trop. L'instant d'après, les informations lui parviennent et il capte ce qu'elle a dû lui dire. « Ah oui oui, c'est moi ! J'pensais pas que tu te souviendrais de ma tête, la dernière fois j'étais pas en si bon état. » Rire de la fois où il a frôlé la mort - y a que lui pour faire ça. C'est pour ça que tout le monde te trouve barge, Nate. Et c'est sûrement pour ça que Sakura en a toujours eu marre de lui, à l'école - le premier de la classe qui voulait pas de ce rôle. L'adversaire qu'elle s'était fixé, mais qui n'était jamais là pour répondre à sa rivalité - y a rien de plus rageant que de vouloir dépasser un mec qui en a rien à foutre de ses réussites, pas vrai ? C'est un peu comme cracher dans la soupe, quand on y pense - mais Nate voit pas les choses comme ça.
L'école, ça a toujours été un cauchemar pour lui - une prison spirituelle dont il a toujours voulu s'échapper, par le biais de pensées oniriques ou de dessins griffonnés dans un coin de ses feuilles de contrôles (et qui lui valaient des commentaires mesquins de la part des profs). Les profs. Il a un tas de choses à dire sur eux, aussi. « Si si, je me souviens, bien sûr ! Sombre histoire, ça fait un bail. » Qu'il reprend, quand elle se présente. Il se voit pas trop lui dire "Si si, je viens visiter tes rêves souvent ! C'est grâce à moi que tes cauchemars sont plus aussi fréquents !". D'ailleurs, est-ce qu'il y a une façon correcte de dire ça ? Genre, sans passer pour un fou ? Pas si sûr.

Un ange passe, pendant quelques secondes. La situation est un peu awkward - ils sont là, au beau milieu des escaliers. Elle, qui veut descendre - et lui avec ses sacs qui puent la pauvreté, qui veut monter. Des gens râlent qu'ils sont au milieu de la route, ils les bousculent parfois - Nate dit rien. Il dit jamais rien. C'est un peu un pantin, un paillasson sur lequel tout le monde marche - un paillasson miteux sur lequel y a même pas écrit "Bienvenue". Un paillasson qui attire même pas l'attention. « Merci, d'ailleurs. Enfin, je suppose ? » Tenir les conversations, encore un truc auquel il est pas doué. Y a un tas de choses dans lesquelles il excelle pas, le gamin - c'est écrit sur son front en lettres rouges : "socialement inadapté". C'est récurrent chez les artistes, apparemment.
Peut-être qu'ils sont trop perdus dans leur imagination, et qu'ils finissent par en perdre le goût pour les réalité ? Van Gogh s'est bien coupé l'oreille pour l'offrir à une prostituée - quelle personne saine d'esprit fait ça ? Nate jette un rapide regard autour de lui - y a plus personne, soudainement. Puis il comprend que le métro vient de partir - elle a raté son métro. Silence. « T'as raté le métro ? J'peux attendre le prochain avec toi. » Sa proposition est pas totalement inutile - ça craint ici, le soir. Et puis, il traîne suffisamment sur Twitter pour savoir que les transports en communs, c'est un nid à détraqués sexuels. « J'ai des conserves là-dedans, si un mec chelou t'approche ou pourra lui vider des petits pois à la gueule. » Est-ce qu'il était réellement obligé d'ajouter ça ? Il se rend jamais compte de ce qu'il dit, ou des trucs un peu chelou qu'il peut sortir - c'est comme si son esprit et son corps étaient à mille lieux l'un de l'autre. Mais ça fait rire, en général - alors tant mieux si les gens le prennent bien.