Libre ! Enfin !

Je vais commencer ma p'tite nuit par un somme bien mérité. C'est pas que ces conneries de bénitier m'ennuient, mais elles sont un super moyen de m'endormir vite ! Je me jette sur le ridiculement petit lit du prêtre, et, pas même déshabillé, je sens que je commence déjà à dériver. Bonne soirée à tous ! J'arrive après.

Peu après, la sonnerie du téléphone retentit dans la petite chambre. Je tâtonne, je trouve, j'empoigne et constate : 21h30 ... Mince ... J'ai pu seulement dormir une heure et demie ? Je rassemble du courage, un semblant de voix et annonce en décrochant

"Skoro à l'appareil"

Une voix de femme, agréable, avec un soupçon d'accent que le manque de sommeil ne me laisse pas discerner. Elle semble hésitante mais fini par me donner la raison de son appel.

"Non non, tout vas bien... Un spectacle de danse ? Ce soir ?"

Me voilà un peu plus éveillé tout à coup. Un peu plus attentif, du moins. C'est toujours très agréable quand une conquête vous rappelle pour un petit rappel à l'ordre. Bon, je ne me souviens pas de celle-là exactement mais cela va me revenir en temps voulu.

"Non non, ne t'inquiète pas pour l'heure de fin. Écoute, donne moi l'adresse, on se rejoint là bas et je te ramène en voiture après jusqu'à chez toi, en bon gentleman que je suis."

Étrangement, la fille n'a pas rit à ma blague. Ou alors elle a soupiré de consternation et je n'ai pas entendu. Possible... Elle reprend cependant avec du sourire dans la voix.

"Oui, je t'attendrai dans la salle de réception après. Aucun soucis. A ce soir ! Merci beaucoup de m'inviter."

Et je lâche le téléphone et m'octroie encore une quinzaine de minutes à flemmarder dans le lit. Ma soirée commence plus tôt que prévue, chouette ! Je décide d'y aller décontracté : une chemine rouge, un blouson en cuir et ça ira très bien. Il faudra juste que j'oublie pas de virer cette putain de croix de mon cou.


Sur le chemin, au volant de ma voiture, il me semble que le souvenir de la demoiselle avec qui j'ai rendez-vous essaye de me revenir presque par lui-même.

Elle m'a dit son nom en appelant, rapidement. Pretty, quelque chose comme ça. Probablement un surnom ou un pseudonyme qu'elle utilise à son travail. Mais sa voix et son accent me chantent autre chose. Ils ont l'odeur d'épices, l'odeur de l’encens. Et cet accent était celui typique des pays chauds, pas celui d'emprunt que certaines professionnelles se donnent. Les souvenirs affluent de plus en plus ... Pretty ... Preeti ... Cela a une odeur étrange de ... thé ?

"OH BORDEL !!!"

Sur la route déserte, je donne un énorme coup de frein qui fait déraper ma pauvre voiture sur la chaussée. Finalement, elle s'arrête sur le bas côté et je donne un violent coup dans le volant ce qui fait klaxonner le tout.

"Meeeeeerde ! J'fais quoi moi, maintenant ?" je demande à qui veut l'entendre en me prenant la tête dans les mains.

Je n'ai pas le droit de me faire passer pour Kyan ! Il va me tuer au sens littéral s'il apprend ce que j'ai fais. En théorie, je devrais le rappeler à la surface pour que ce soit lui qui passe la soirée avec la belle Preeti. Mais très franchement, je tiens trop à ma liberté pour ne pas envisager d'urgence une solution de repli.

C'est alors que je vois un regard dans le rétroviseur qui me fixe. Mes propres yeux, verts et brillants. Non, je n'ai absolument rien fait de mal ! C'est peut-être un poil tiré par les cheveux mais après tout, la demoiselle n'a pas clairement signifié qu'elle voulait inviter Kyan !

Pleinement satisfait de moi-même, je redémarre et repars.


Profondément assis dans mon siège, je constate que je suis placé plutôt proche de la scène mais je doute qu'elle ne fasse la différence à cette distance, sans compter que je suis presque plongé dans le noir. Le spectacle commence, les danseurs arrivent, les gens applaudissent et je me joins à eux. Je la reconnais immédiatement. Preeti Sita. Elle est la reine du spectacle sans aucune commune mesure.

Pendant un moment, je ferme les yeux afin de m’imprégner de la musique exotique indienne et je les ouvre sur un monde où je suis seul dans la salle, Preeti est seule sur scène, et elle ne danse que pour moi. Autour de nous, le monde entier à disparu. A ce moment là, son regard se porte sur moi et je la vois me sourire. Je lui souris à mon tour.

Ses gestes sont d'une perfection et son déhanché est à perdre la tête. Tu vois, Kyan, je fais ça pour toi, j'me sacrifie pour que tu garde ton âme saine et pure ! Parce que si tu vois ça une fois dans ta vie, j'te jure que tu vas en perdre la tête ! C'est mieux qu'tu m'laisse ce genre d'à côté pas franchement agréable pour un prêtre. Tu me remerciera plus tard.

D'ailleurs ... Pourquoi diable inviter un prêtre ici, à voir ça ? La petite Preeti aurait-elle quelques raison de vouloir charmer Kyan ? Serait-ce un genre de test ? La voilà d'un coup bien plus intéressante à mes yeux. Enfin plus qu'elle ne l'était déjà !


Après la représentation, je suis l'un des premier à me lever pour applaudir. Rapidement rejoins par la foule, je vois Preeti qui me cherche des yeux. Je lui fais un petit signe de la main auquel elle répond. Je me dirige alors vers la salle principale où tout le monde retrouve tout le monde. Je vais vers le bar déserté par la foule et m’assoies sur l'une des chaises hautes.

Je n'ai rien le temps de commander que je vois la fameuse danseuse débouler dans la salle. Elle reçois ça et là quelques félicitations et finalement se dirige directement vers moi. Je ressens mon épiderme se couvrir de délicieux frissons alors qu'elle s'approche. Bien entendu, c'est alors qu'elle est à portée de voix qu'elle se met à hésiter.

"Salut Princesse ! Enchanté, je suis Sheitan. Je te r'mercie de m'avoir invité. J'avais tellement hâte de te rencontrer ! Kyan m'a tellement parlé de toi !"

Libre ! Enfin !

Je reste un moment, cherchant mes mots. Il ne lui a donc pas TOUT dit, voilà qui est très intéressant. Le prêtre si chaste s'en est tenu à notre version de frères jumeaux incompatibles. Soit...

"Oh, j'suis désolé, Preeti, mais tu ne le trouvera pas ici. En fait, tu m'as appelé tout à l'heure, c'est moi qui ai décroché directement. Je suis donc seul ici. En fait, Kyan ne sait même pas que tu m'as donné rendez-vous." Cette révélation ne pouvait pas me mettre de plus bonne humeur. Le savoir est réellement distrayant, le dire à haute voix me procure une joie immense.

Souriant à la ravissante danseuse, je remarque que d'autres personnes aimeraient bien lui rendre hommage à leur tour. Non, ce soir, elle est à moi, désolé tout l'monde. Je regarde la foule et rapidement, celle-ci renonce pour aller voir ailleurs.

"Tu veux boire un verre avant d'aller manger ? J'espère que tu ne veux pas rentrer directement. J'aimerai vraiment qu'on fasse connaissance."

Pendant un moment, j'hésite à me rapprocher de la jolie danseuse, lui caresser la joue, lui susurrer des mots à l'oreille... Peut-être même lui faire une petite démonstration de mes propres talents... Mais je suis déjà tellement fautif en cet instant précis que je ne pense pas qu’aggraver la situation serait la meilleure chose à faire si je veux conserver ma liberté relative.

Du coup, je fais juste un pas vers elle et lui prend la main. Ces deux gestes combinés sont juste des excuses pour : 1- montrer aux autres qu'elle est sous MA protection ce soir et 2- lui murmurer quand même quelque chose dans le creux de l'oreille, quelque chose qui l'intéressera et qui la fera me suivre de toutes façon.

"J'aimerai tellement en apprendre plus sur celle qui est en train de rendre Kyan complètement fou."

Libre ! Enfin !

Mon sourire s'agrandit alors qu'elle se rapproche de moi. Cette femme n'était absolument pas celle à laquelle je m'attendais : farouche et intelligente. A l'avenir, je sais que je garderai un œil sur les fréquentations de Kyan. Moi qui pensais qu'elles étaient toutes ennuyeuses, je suis ravi de m'être trompé. Alors qu'elle me lâche le poignet, j'ai encore du mal à retenir mon pouvoir.

"Deux virgin mojitos, s'il te plaît. Tu as entendu la dame, je conduis ce soir !"

Et surtout, je ne voudrai pas qu'on m'accuse d'avoir essayé de saouler une danseuse. Que qui que ce soit m'accuse. Je m'installe alors au bar suivi par cette dernière, et j'ai vraiment du mal à ne pas jubiler.

"Pour ce qui est des explications, je pense que dès demain matin, quand Kyan va se réveiller, il va annuler la totalité de ses obligations pour filer chez toi en flèche et se confondre en excuse. Moi, j'suis pas là pour m'excuser, j'ai rien fais de mal à part de m'être sagement laissé entraîné entre vous deux. "

Sheitan, la dame avait posé une question ...

"Vois-tu, princesse... Kyan n'a pas de téléphone. Il n'a pas de voiture non plus d'ailleurs. C'est moi qui ait insisté pour qu'on ait un moyen de communication à peu près moderne, et c'est lui qui exige qu'on le partage. Basiquement, tu appelles la nuit, tu as de bonne chances pour tomber sur moi, et le jour, tu vas forcément tomber sur lui. C'marrant d'ailleurs, parce qu'il prend souvent des messages pour moi, rarement le contraire... Mais très franchement, je lui laisserai le soin de t'expliquer tout cela. Il faut le comprendre, lui et les relations sociales, c'est pas vraiment son fort, il devait pas s'attendre à ce que tu l'appelles..."

Nous recevons les boissons, je paye et tend le verre pour trinquer avec mon invitée. Quelque chose me fait percevoir qu'elle n'est pas d'humeur à faire la fête. Visiblement, il n'y en aura que pour Kyan, oui, je l'ai cherché ça. Je pose mon verre et porte ma main à ma bouche avant de laisser glisser deux doigts devant mes lèvres tout en regardant Preeti. Comment aborder le sujet qui nous intéresse ce soir avec elle ?

"Bon, je vais peut-être pas t'apprendre grand-chose, mais Kyan est un putain d'asexué ! Pendant son adolescence, on aurait dit qu'il était dépourvu d'hormones. Et je t'assure qu'il a été soumis à la tentation, les trucs les plus pervers de toute la création, comme on dit, mais rien ! Aucune faiblesse ! Il ne s'est jamais laissé tenté par quoi que ce soit ! Il aurait préféré mourir que succomber. J'pensais d'ailleurs qu'il allait mourir sans jamais avoir touché aucune femme, ni aucun homme d'ailleurs. Et c'est là que tu arrives en scène !"

Cette fois, je bois pour ménager mon effet. C'est une putain de belle soirée ! J'laisse passer quelques longues gorgées alors que les souvenirs de la danse affluent. Quel déhanché n'empêche ... Ça laisse rêveur, j'me demande si le prêtre serait finalement sensible à ça ...

"J'vais pas passer par quatre chemins. Kyan, j'le connais plus ou moins mais y a un truc qui trompe pas."

Je baisse la voix et m'avance vers Preeti. J'ajoute alors sur le ton de la confidence.

"Le soir de votre rencontre, il est venu me trouver directement. D'ailleurs, je te remercie, ça nous a rapproché ! Aerm, bref ... Il est venu me voir et m'a menacé de ne pas venir te tourmenter. Pas mis en garde, ni gentiment demandé, non non, véritablement menacé ! Si ce soir je merde avec toi, je t'assure que je risque vraiment très gros ! C'pour ça que ton invitation, j'pouvais pas la manquer, j'avais tellement hâte de te voir en chair et en os !"

A nouveau, je lève mon verre pour que nous puissions trinquer.

Libre ! Enfin !

Bon, TRÈS farouche, TRÈS intelligente. J'ai un petit rire quant à sa réaction

"Écoute, pour tous les détails, tu verras ça avec l'intéressé demain. Je pense qu'il va débarquer chez toi vers ... Allez 8h15."

L'histoire de la cicatrice était quelque chose dont on avait vaguement discuté lui et moi. On aurait pu garder l'histoire du bec-de-lièvre car cela était effectivement héréditaire et deux jumeaux pouvaient donc l'avoir mais j'ai affirmé que personne ne nous détaillerai l'un et l'autre d'aussi près pour se poser la question. Par ailleurs, Kyan avait surenchéri que ça n'intéresserai aussi probablement personne. En bref, je le laisse se dépatouiller avec sa chère et tendre.

Par contre, sa tirade sur le téléphone me fait redevenir sérieux tout à coup. Je suppose qu'elle blague mais je n'en suis pas sur. Dans le doute...

"Non non ! Pour le téléphone, c't'entièrement ma faute ! Tu peux continuer à l'utiliser. Je te jure que je ferai passer tes messages au besoin sans soucis. Et en prime, je t'emmerderai pas. J'ferai pas de blague comme de me faire passer pour lui ou ce genre de conneries. Promis !"

Écrire via le courrier ? Et puis quoi encore ? Pour UNE fois qu'il se passe quelque chose de vraiment intéressant dans la vie sociale de Kyan, j'allais pas laisser impunément tout ça ralentir.

"J'apporte l'amour entre les Hommes sur terre. Mais d'une manière plus concrète et plus physique que Kyan ne le fait." Je ricane et je me décide à répondre un peu plus honnêtement "Non, je fais pas mal de petits boulots de nuits pas spécialement déclarés. Suivre des gens... Des maris infidèles surtout. Ou ... Comment dire ça sans t'froisser ? Faire des "mises en garde" à des personnes persuadées qu'elles peuvent tout faire sur une femme ou sur un enfant."

Je sais de quoi ça a l'air. Et la réalité est bien moins glorieuse encore : peu de gens étaient aussi généreux qu'un père qui a peur pour sa fille revenue avec un œil au beurre noire. La générosité me rapportait un peu d'argent, mais rendait surtout mes rendez-vous très satisfaisants. Quand les gens sont très reconnaissants, ils en deviennent remarquablement passionnés.

La danseuse boit de l'alcool. Et pas n'importe quoi, un whisky gingembre ? Excellent choix ! Je suis sur le point de commander le même breuvage mais je me rappelle que j'ai reçu un ordre que je ne dois pas outrepasser.

Je bois un peu de mojito et la voilà qui me fait une tirade à quel point il est formidable de ne pas avoir de relations sexuelles toute sa vie. Je souris, j'connais le refrain, merci ! Et mon sourire devient éclat alors qu'elle s'étonne de savoir Kyan aussi sensible. C'qu'il faut pas entendre, j'te jure !

"En réalité, non. Il était d'un calme froid à faire peur quand il m'a expliqué à quel point il ne voulait pas que je te nuise... Par contre ..." Oui, son accusation était de trop. Je vais rectifier ça illico. "Preeti, ne sois pas si naïve. Penses-tu qu'il m'ait menacé parce que je suis si infernal, comme tu dis, ou parce qu'il tient tout particulièrement à toi ? Ou plus proche de ce que je conçois être la vérité : parce qu'il est tellement fou amoureux à la limite de l'obsession qu'il ne sait même plus quoi faire pour s'assurer de ton intégrité physique et morale ? Allez, lequel des deux, selon toi ?"

Je retourne à mon verre et le vide d'une traite. Kyan va être totalement fou demain matin. Je ricane en pensant à ce qu'il va dire ou faire mais il faut que je m'attèle dès maintenant à trouver comment calmer sa colère. Je comprend son intérêt pour cette mignonne et j'apprécie l'ironie de la situation : il lui plaît bien plus qu'à moi car croire que c'est un amour à sens unique serait une erreur.

Libre ! Enfin !

"Histoire de savoir ce que je fais de toi ?" en n'importe quelle autre circonstances, j'aurais sauté sur l'occasion de faire une blague salace. Mais la jolie indienne vient tout juste d'avoir de l'estime pour moi, je ne veux pas gâcher ça, pas tout de suite.

"Oui, finalement, lui et moi ne sommes pas siiiii différents. Mais bon, je peux encore te décevoir, la nuit est encore jeune." je dis ça en riant de bon cœur. Pas un rire moqueur mais juste pour la situation.

Nos verres finis, je paye et attrape mon blouson. Nous ne sommes plus très nombreux dans le vestibule. Sans doute que le barman aimerait commencer à faire sa caisse et fermer. Finalement, voilà la belle qui cherche ses mots.

"... qu'il est désormais sexué ? Damné ? En train de sérieusement envisager le divorce avec Dieu ? J'te l'dis Preeti-jolie, les pires perversions, les pires tentations, et c'est toi qui l'ébranle ! Sans mauvais jeu de mots aucun."

Je remarque que la petite a l'air profondément concernée elle aussi. Dans un instinct protecteur de mon hôte, je suis ravi qu'il n'ait pas jeté son dévolu sur quelqu'un qui profiterai de la situation. Je souris et fais un clin d’œil à Preeti alors que je remets mon manteau sur les épaules.

Dans un pur réflexe de relation sociales, je tend le bras à Preeti pour que l'on sorte sur le parking. Le quartier est calme et c'est bien dommage, je pense qu'il ne se passera rien de fâcheux ce soir. A peine dehors, je ne peux pas m'empêcher d'ajouter, en riant.

"Enfin, j'dis ça ... Si ça avait été Kyan ce soir... Ouais, il aurait signé une rupture conventionnelle de contrat avec Dieu immédiatement ! Mais non, Preeti, je suis là pour veiller sur lui ! Désolé de m'être trouvé en travers de ta route ! Je me dois de protéger mon frangin !"

A distance, j'ouvre l'une des seules voitures restantes du parking. Mon p'tit bolide rouge brillant qui n'est pas officiellement à moi. J'ouvre la porte côté passager pour faire passer la danseuse.

"Votre carrosse est avancé, Princ... Euh ... Preeti ... Je te ramène directement chez toi ou on s'arrête pour manger un truc ?"

J'ai demandé ça sans aucune perversité palpable dans la voix. Presque juste à titre informatif. Cela me ferait tellement plaisir si elle acceptait, cela serait tellement plus intéressant de passer ma soirée avec elle qu'avec n'importe quelle autre compagne. Bon, je comprendrai aussi facilement qu'elle décline. Accoudé sur sa portière, j'attends presque impatiemment la réponse.

Libre ! Enfin !

Deux choses amusantes : Preeti ne semble pas connaître l'étendue de son pouvoir sur Kyan, et Preeti ne m'a pas mis une énorme claque dans la tête alors que j'étais sur le point de l’appeler Princesse. Pire encore, elle m'a appelé "Mon Prince". Quelle horreur ! Je goûte à l'ironie de la situation.

Me voilà au volant de ma voiture. Avant de démarrer, j'hésite un peu. Effectivement, il est près de deux heures du matin et à moins de faire un énorme détour par le centre-ville, il n'y aura pas grand-chose. L'idée d’emmener Preeti faire une véritable virée me traverse bien l'esprit mais je pense que je vais manquer cruellement de temps. Je pense que je vais simplement prendre par le sud et nous trouver un simple Diner sur la route.

Alors que nous roulons doucement, une question me traverse :

"Dis-moi. Tu m'as remercié tout à l'heure de ne pas m'être fait passé pour lui... C'est une drôle d'idée ça. Qu'est ce que j'pourrais bien retirer au fait de m'faire passer pour un prêtre, sérieusement ?..."

Malgré moi, en voulant regarder Preeti, mes yeux tombent sur ses jambes. Des jambes longues et gracieuses de danseuse. Je détourne vite-fait le regard et me recentre sur la route. Ah ouais, j'avais pas DU TOUT pensé à ça, tiens.

"De toutes façon, t'as raison. On s'ressemble pas du tout. J'sais même pas si j'serais capable de m'faire passer pour lui, ou lui pour moi."

L'idée me fait franchement rire. Mais lui comme moi savons que ça compliquerait pas mal les choses si on commençait à faire ce genre de petit jeu.

"Et toi, Madame Sita, t'as une fratrie ? Tu es proche d'eux ou c'est la croix et la bannière aussi ? T'as pas une sœur qui te ressemblerait mais qui ne se serait pas éprise d'un prêtre, par hasard, j'demande ça pour faire la conversation, tu t'en doutes !"

Libre ! Enfin !

Personnellement, je n'avais pas relevé le pourquoi du comment de la remarque sur le fait que l'on soit pareil sur le plan physique. En fait, c'était logique que la seule personne qui nous ait un tant soit peu détaillé l'ai remarqué. Même taille, même corpulence.

Par contre, le fait que Preeti apporte des précisions me fait beaucoup rire. Mal à l'aise ?

"Pretty-Preeti ... Ne te justifie jamais ! Parce que ça pose plus de questions que ça n'apporte de précisons. En plus, c'pas moi qui vais te juger sur quoi qu'ce soit. Je t'assure !"

Pas de Madame non plus ? Mince, coriace la p'tite. En même temps, il y a autre chose, comme si j'avais réveillé un mauvais souvenir. Je la regarde furtivement et je vois que le visage de l'indienne s'est fermé. Rapidement, cependant, elle tente de me faire rire avec une remarque sur Kyan. J’éclate de rire à nouveau.

Je tourne dans le parking de l'un des Diner, pas le plus connu, mais au moins un que je connais pour être assez raffiné. Je me gare sous les néons violets, tire le frein à main et regarde Preeti dans les yeux.

"Alors qu'on soit bien clair, c'pas parce que Kyan arrive à me faire peur que je me sentirai menacé sur le plan amoureux. En ce qui te concerne, par contre, je vais briser tous les rêves que tu as construit depuis ce début de soirée : toi et moi, ça va jamais pouvoir le faire. L'boss a été bien clair à ce sujet..."

A moins que je n'arrive à séduire Preeti avant la fin de la soirée sans pouvoir, et sans subterfuges, et qu'elle aille elle-même annoncer à Kyan sa volonté de sortir avec moi. Ouais, non, c'est beaucoup de complications pour une relation que je risquerai de gâcher sans aucun doute.

Je sors de la voiture avant d'en faire le tour pour ouvrir à Preeti. Le restaurant est confortable et presque vide à cette heure-ci. Nous choisissons deux banquettes l'une en face de l'autre longeant l'énorme baie vitrée.

"Après une telle représentation, tu dois être morte de faim. J'te l'ai pas dit d'ailleurs, je t'ai trouvé particulièrement ..."

... Bandante !

"... Doué. Enfin, je ne m'y connais pas du tout en danse du ventre, je ne me fie qu'à mon ressenti. Mais j'ai beaucoup aimé ce que j'ai vu."

Libre ! Enfin !

"No souci baby. Ton secret est bien gardé avec moi."

La question suivante est un peu plus dure à répondre. Il me faut un temps pour bien réfléchir à ce que je vais bien pouvoir dire. Preeti est liée à l'accident, celui-même qui m'a donné le jour. Notre déménagement et tout le reste lui était lié. Il m'est vraiment dur de démêler ce dont Kyan et moi avons parler et ce qui concerne Preeti exclusivement. En fait, l'indienne fait désormais partie de nos vies, qu'elle le veuille ou non.

J'attends que nous soyons donc bien installés et que nous ayons commandés. La serveuse arrive et nous sert du "mon chou" à toutes les sauces. J'aime quand on m'appelle "mon chou" avec ce sourire désabusé et complice. Je lui commande donc une omelette avec une salade. Bref, je me reconcentre alors sur la question restée en suspens.

"Pour finir de te répondre, ce que Kyan a dit sur toi ... Hé bien ..."

Je me passe la main dans les cheveux, nerveusement. Très franchement, tout y était passé. A quelle point Preeti est formidable, courageuse, qu'il fallait la protéger et l'aider à tout prix... D'autant qu'avec Kyan, nous avions presque dépassé le stade des mots pour pouvoir n'échanger que des idées, à moins d'être en colère l'un avec l'autre ce qui arrivait encore très souvent. Mais Preeti nous avait mis d'accord.

"J'aimerai beaucoup te résumer ça simplement mais ça va être particulièrement délicat. D'autant qu'il m'a parlé de... Votre affaire. Il n'a pas été dans les détails. C'est juste que comme j'arpente les rues la nuits, j'aurais pu, ou je pourrai voir quelque chose."

Je reprend immédiatement sur un ton beaucoup plus joueur.

"Il m'a aussi dit que tu es très intelligente, qu'il fallait que j'me méfie de toi parce que t'allais te servir de moi comme esclave sexuel et m'attacher à ton lit pendant quatre jours..."

Après mon sempiternel éclat de rire, j'ajoute avec un clin d’œil :

"Et chérie, ne t'en fais pas pour mon égo. J'adore quand on me dit non !"

Nos commandes arrivent et je suis ravi de voir que les quantités sont tout à fait décentes. Moi aussi j'ai une faim de loup.

"J'comprends que tu ne m'invites pas la prochaine fois. T'as peur de succomber à mon charme, logique. Mais j'peux venir te servir de garde du corps. On sait jamais, il y a tout un tas de spectateurs pervers dans les salles. Bref. Quelle est la danse que tu pratique le plus ? Ou du moins, avec le plus de plaisir ?"

Libre ! Enfin !

"C'est juste que Baby rime avec..."

Et la voilà qui devient agressive, presque blessante. Ok, je e contenterai de Preeti. Je baisse alors les yeux et me concentre sur mon assiette. J'aurais aimé que l'humeur légère du début de soirée continue encore un peu.

Pour ne rien arranger, il semble qu'elle prenne ombrage de mon pseudo rapprochement avec la serveuse. Heureusement que je n'ai pas utilisé mon pouvoir sur elle !

C'est en silence que je continue donc à manger. J'me demande pourquoi elle me déteste autant après m'avoir dit que j'étais pas si mal. J'peux comprendre qu'elle aurait préféré l'autre. J'avoue commencer à sérieusement me sentir coupable. Toujours les yeux baissés, je dis :

"Non non. C'était une vraie question... "

Il ne me faut plus longtemps pour finir, du coup.

"Ça va ? Tu aimes quand même ?" Je demande en désignant son assiette du menton.

Libre ! Enfin !

Je reste un moment silencieux à apprécier ses excuses. Pour une raison étrange, ça me fait beaucoup de bien de la sentir s' adoucir ainsi. J'acquiesce, cherchant mes mots.

"J'te l'ai dit, tigresse ! T'as absolument rien à craindre de moi. Tiens, tu pourrais même me draguer lourdement que ça ne changera pas. En fait, tu pourrais même te déshabiller, et te mettre à danser en te frottant à moi que je ne broncherais même pas."

Quoique pour être tout à fait honnête...

"Ouais, j'dis pas que j'me rincerais pas l'oeil. Mais j'abuserai jamais de toi. C'promis. T'es très sexy mais Kyan me fait un tout petit peu plus peur. Peut-être quand il aura fait tout foiré entre vous avec ses règles à la con... mais pas avant"

Je regarde le profil de Preeti. C'est tellement frustrant de ne pas pouvoir la toucher, lui caresser la joue, lui voler un baiser...

Par la suite, elle me demande ce que j'aime faire. J'hésite à répondre honnêtement. J'ai vraiment peur de la choquer et de casser ce qui vient péniblement d'être reconstruit. Je regarde alors Preeti dans les yeux et commence :

"'J'aime faire la fête, boire et danser... Mais ce que j'aime plus que tout, ma véritable passion, ce sont les .. les relations charnelles. Du baiser le plus chaste à l'orgie de quatorze personnes en passant par le bondage et l'amour tantrique. Chaque rapprochement humain a le don de me faire vibrer. Kyan appelle ça de l'accoutumance, de la perversion, mais moi, c'ma passion. Voilà tout."

Alors ? L'indienne serait-elle choquée ? Pour conclure, je m'approche d'elle et, sur le ton de la confiance, lui lance :

"Par exemple, tu sais que je peux entraver totalement une personne en moins de 10 secondes avec une simple paire de lacets ?"

Je lui souris. Pas un sourire charmeur, juste un sourire de contentement. La soirée s'annonce un peu meilleure...

Libre ! Enfin !

Oui, moi non plus, je ne suis pas sur que tu comprenne une menace à base de résistance à la douleur et de torture au fer rouge. Cela fait partie du côté assez extrême de Kyan... Enfin, de nous, vu que sur ce point, nous sommes à peu près les mêmes.

"Je trouve ça très mignon que tu essayes de t'en convaincre ..."

Oui, sa foi lui a toujours suffit, mais les choses ont malheureusement un peu changées. Malheureusement, un jour son extra-sexualité finira par prendre le dessus si Kyan continue de la refouler de la sorte. Pour lui comme pour moi, ce serait mieux s'il se trouvait une compagne ... avant que ça n'arrive.

"... Mais tu sais, Kyan est un homme désespérément seul. On va dire que la foi lui suffit comme on peut se contenter de vivre dans 10 mètres carrés. Enfin, il préférera toujours l’honnêteté au mensonge, ou pire, au déni. Après, franchement tu fais c'que tu veux, Tigresse !"

Preeti me dit quelque chose qui m'interpelle ... Comment ça "paraît-il ?" Elle est vierge ou n'a simplement jamais connu l'ivresse de l'amour physique ? Non, la première hypothèse est simplement impossible. La seconde est simplement triste.

"Alors pour moi, c'était dans le noir. Du moins, les yeux bandés. Devant ou derrière n'a pas d'importance, c'est plus simple derrière parce que la personne peut moins se débattre. Après, un lacet pour les poignets, un pour les chevilles. Non, ce qui est vraiment décisif est si la personne sait ce qui va lui arriver. Quelqu'un qui a déjà subit ça peut être plus méfiant et ça peut prendre plus de temps."

Finalement, elle n'est pas choquée facilement, la p'tite. Cela me plait beaucoup car je sens presque une légère provocation dans la question. Si elle veut jouer, on peut jouer !

"Si j'peux garder un secret ?" Je m'esclaffe "Preeti, je connais les pires perversions de la moitié de la ville. Des révélations à faire pleurer les anges ! Oui, tu peux me confier un secret sans soucis !"

Ma curiosité est piquée au vif. Que va-t-elle me révéler ? Qu'elle n'a jamais connu l'orgasme ? Que c'est une adepte de la soumission ? Qu'elle souhaite qu'on ait une étreinte passionnée dans ma voiture à condition que je porte une soutane ? Ouais, je prend un peu mes rêves pour des réalités, mais c'est bon de fantasmer !

Libre ! Enfin !

"On s'en fou que ça soit rapide, non ? Quand tu sais qu'il peut arriver n'importe quoi à n'importe qui n'importe quand ... Enfin bref. Oui, je te conseille d'agir. Et je suis d'accord, quand on s'attache à quelqu'un il faut qu'elle soit prévenue !"

Preeti me fait alors sa fameuse révélation, j'en reste bouche bée. C'était très loin de ce à quoi je m'attendais. Un an à étudier le sujet des plaisirs et de l'amour ? Son défunt mari devait être l'homme le plus heureux au monde. Enfin, je sais aussi qu'il faut trouver un bon partenaire pour être doué au pieu, tout est une question de compatibilité. Enfin ... Avoir une partenaire qui sait déjà se donner du plaisir est quelque chose de tellement précieux, surtout pour une jeune fille. Cela laisse songeur.

Après le choc passé pendant lequel je continue à regarder Preeti sans savoir quoi dire, une foule de questions vient me tarauder l'esprit. Il y a de telles écoles ici aussi ?

"... Mais ... Alors déjà, non, je te rassure, je n'en parlerai à personne. Même si j'ai très TRES envie de voir la tête de Kyan fort de cette information..."

J’éclate de rire rien qu'à l'imaginer. Preeti est vraiment une femme géniale, cachant des surprises là où vraiment on ne l'attend pas. Je regrette de ne pas m'être fait prêtre pour la soirée, du coup. J'aurais été puni très sévèrement, mais ça en aurait valu le coup !

"Et du coup, comment ça se passait ? Vous étudiez la chose en théorie ou vous aviez de la pratique ? Il paraît que le kamasutra n'est pas qu'un simple recueil sur les positions sexuelles car au final, un seul chapitre leur sont consacrés. Du coup, de quoi parle le reste ? Vas-y raconte moi une journée type !"

A ce moment, je repense à ce qu'elle vient tout juste de me dire.

"Attends, ton mari non plus n'était pas au courant ?"

Malgré moi, je me suis rapproché de Preeti, les coudes sur les genoux. A ce moment là, nous avons presque l'air de deux mômes à pouffer de rire ainsi.

"Ouais, cette révélation-là, c'du lourd. J't'en dois une, laisse moi réfléchir ..."

En fait, je n'en ai pas tant que ça sous le coude. Après tout, je ne suis âgé que de deux ans et quelques. Et encore, mon existence propre ne remonte qu'à quelques mois.

"Une nuit, je voulais obtenir auprès de Kyan le droit de sortir. Il a refusé catégoriquement. J'ai passé les deux heures suivantes à lui expliquer avec moult détails mon dépucelage. Il n'a pas craqué, en fait, ça s'est même retourné contre moi parce que ça a fini limite en confession. J'me suis même senti obligé de lui partager mes craintes et mes doutes. Il m'avait simplement écouté, le bougre."

Libre ! Enfin !

"Allez, raconte. C'est quoi l'idée ? Si j'ai un bon conseil à te donner est de prendre les devants avec Kyan. S'il est au courant de ton affection, il est persuadé que pour rien au monde tu le trouverai attirant. Enfin bref, fais le premier pas."

Voilà... Pile au moment où je me sens en paix avec moi-même et avec les principes de Kyan, il faut que je trouve un moyen pour tout gâcher. S'il apprend que j'ai donné ce conseil, je pense que je peux dire adieu à ma liberté.

"Si tu montre cette photo à quelqu'un, je dis à tout l'monde que t'as une attirance malsaine pour les loutres !"

Et nous voilà reparti avec nos fou rires. La serveuse nous regarde en coin et je pense qu'il serait presque temps d'y aller.

"On vit ensemble depuis peu, oui. Kyan souhaite me garder auprès de lui pour essayer de sauver mon âme. J'ai beau lui dire à quel point je me fiche de tout ça, je sais qu'il n'abandonnera pas. Bon faut dire aussi que j'ai fais des progrès à son contact. Je ne regarde plus de porno à longueur de nuit..."

Oh ! La vanne est trop belle !!!

"La première chose qui t'a touché chez lui ? C'était quoi la deuxième ? Et là maintenant, tu aimerais qu'il te touche avec quoi ?"

Ouais, je sais, c'est puéril. Mais Preeti est la seule femme avec qui je peux rire. Cela change de mes autres nuits. Et c'est tellement agréable que j'aimerai que ça ne se finisse jamais. Surtout vu ce qui m'attend.