Preeti était revenue me voir au centre, en dehors de ses jours inscrits, pour me demander de l'aide. Elle s'éveillait. Durga grandissait en elle et elle sentait qu'elle avait besoin d'assistance pour apprendre à la contrôler, à vivre avec elle et à développer ses capacités. Une de plus sur ma liste. Je devrais peut-être organiser des sessions collectives ça me ferait gagner du temps.

Pour qu'on soit tranquille et que personne ne vienne nous interrompre, je lui avais donné rendez-vous en fin d'après midi au parc national d'Arcadia. La forêt nous offrirait un bon couvert du regard de curieux et un cadre suffisamment sécurisé pour qu'on évite tout dommage collatéral.

J'avais pris Mjöllnir avec moi (toujours), enfourché ma moto et avait foncé, un peu en retard, jusqu'au parking où nous avions convenu du rendez-vous. L'orage gronda tout le long du trajet, et je sentis sa force grandir et les pulsations des éclairs dans les nuées battre au même rythme que mon coeur. Comment vouliez-vous renier votre nature divine lorsque la nature elle-même vous le rappelait. Je me surpris même à accompagner les éléments de ma bécane, faisant gronder le moteur en même temps que les nuages.

En arrivant sur le parking, la pluie se mit à tomber. Je rejoignis Preeti en quelques enjambées et la saluai chaleureusement.

Bien le bonjour très chère. Désolé du retard.

Après les salutations, je l'invitai à me suivre plus profondément dans les bois. Je comptai retourner jusqu'à la clairière où je m’entraînais habituellement. Quelques arbres pulvérisés de plus ne se verraient pas. En chemin, je demandai à l'Indienne.

Dis-moi. Qu'est-ce que tu souhaites savoir exactement ? Et que sais-tu pour l'instant ?

Autant savoir d'où on partait et où on voulait aller, ça pourrait m'aider dans mes leçons.

Je souris à son salut et à son avis sur mon timing. C'est bien beau de citer Gandalf, ça n'empêchait pas que j'étais en retard. J'étais loin du magicien, que ce soit au sujet de la sagesse, de la connaissance ou même de la patience. J'étais plus Gimli personnellement...

Lorsqu'elle m'exposa ce qu'elle savait sur la situation, je me retins cette fois-ci de rire. Un psychiatre ne pourrait rien faire, si ce n'était s'interner lui-même tant ce qu'il découvrirait le ferait partir en sucette. Et puis... ce que nous étions relevait plus du domaine de la foi que de la science. Par contre, je tiquai lorsqu'elle mentionna son fiancé. Une créature ? Mais qui ?... Bah, c'était pas mes oignons.

Je restai silencieux jusqu'à la clairière qui nous servirait de terrain. Les traces de mes précédents passages étaient encore visibles. Des arbres explosés, déracinés, foudroyés. Des coups de hache et des impacts de balles. Tout ça reflétait mes entraînements et mes cours. Je me rendis jusqu'au centre de celle-ci. Je savourai chacune des gouttes d'eau qui tombait sur mon visage. Je m'étirai un instant avant de retirer ma veste, mon sweat-shirt et mon T-shirt. Je n'avais pas envie de les voir se faire pulvériser. Déjà trempés, je les jetai sous un arbre avant de concentrer ma respiration. Enfin, je répondis.

Tu n'es pas malade. Il n'y a pas de traitement, juste la transcendance. Il n'y a rien de faux, de mauvais ou de raté. Juste de l'inexploité. En toi dors quelque chose qui n'attend que de se réveiller, avec ou sans ton accord.

Je pris Mjöllnir en main et le brandis vers le ciel. Il se déchira, laissant un puissant éclair descendre des nuées pour venir droit sur moi. La foudre frappa la hache, passa tout le long du manche pour venir en moi. Mes veines se teintèrent de bleu. Mes yeux devinrent lumineux. J'accumulai en moi toute la puissance et la rage du ciel. Bien que ce fut douloureux, je savourai cet instant. Sentir la foudre battre dans mes veines au rythme de mon coeur était grisant. Je me surpris même à hurler de joie lorsque le tonnerre éclata.

Nous ne sommes pas des créatures ! Nous sommes bien plus que ça ! Nous sommes des Dieux ! Je suis Thor ! Fils d'Odin ! Dieu du Tonnerre, de la Foudre et de la Force !

Hurlant cela, je libérai une partie de l'éclair en direction d'un arbre, faisant complètement exploser le tronc et l'envoyant s'écraser.

Et tu es Durga ! L'Inaccessible ! Déesse guerrière Indienne mais également l'une des plus importantes déités du panthéon hindou.

Autant ne pas y aller par quatre chemins pour les révélations.

Elle était inquiète, troublée, perdue. Normal. Je l'étais aussi au début, avant que Julie ne vienne et ne m'explique tout ça. Le schéma se répétait encore et encore, avec des rôles inversés. Qui sait, peut-être un jour serait-elle celle qui expliquerait à une jeune récurrence les tenants et aboutissants de sa condition.

Je décide de briser un peu la distance qui nous sépare. Des arcs électriques parcouraient mon corps, s'élevant dans les airs avant de revenir en moi, comme s'ils se souvenaient de leur maître. L'air crépitait sur mon passage. Arrivant près de Preeti, je reprends mon discours.

Visiblement non. Tu n'es pas incarnée par elle. C'est elle qui revient grâce à toi.

Je reculai d'un pas et fis volte-face avant de déclamer en levant les bras vers le ciel.

Tu es vouée à un destin grandiose, quel que sera le chemin que tu emprunteras. Tu portes un héritage millénaire en toi. Et un jour, les masses te regarderont comme un guide, une source d'inspiration, un modèle.

Je baissai les bras, laissai s'échapper un nouvel éclair vers le sol et me remis face à l'Indienne.

Ça peut paraître terrifiant, je sais. Tu voudrais concilier ton existence et la sienne et sache que ce n'est pas impossible. Pour "être en harmonie" comme tu dis, il faut commencer par accepter ta condition. Ne lutte pas, laisse toi emporter par Durga.

Etait-ce si facile ? N'était-ce pas moi qui avait plutôt réussi à m'abandonner au dieu qui m'habitait sans difficulté car sans attache ? Je n'en savais rien. Mais si on venait me demander mes conseils, je ne pouvais pas en inventer.

Lorsque vous aurez appris à vous connaitre, lorsque vous saurez ce que chacune veut, alors vous pourrez vous orienter vers un objectif de vie commun. Cela vous permettra de vous mettre en accord et d'avancer non en ennemies mais en alliées.

Ouaip... J'étais définitivement l'alien dans ce monde, le seul à avoir embrassé ma divinité et à me laisser guider par elle. Au fond de moi même, je sentis une pointe de regret s'éveiller. Je n'avais rien à quoi m'accrocher. Je n'avais pas cherché à accomplir quoi que ce soit dans cette vie pour vouloir qu'Hadrien survive. C'en était presque... triste. Je n'étais devenu que l'instrument de ce que je croyais être juste. L'abnégation était belle. Le fanatisme un peu moins.

Bien sûr que non ce n'est pas trop demandé. Vous pouvez concilier vos vies, vous accepter mutuellement et avancer de concert vers les buts que vous vous serez fixés.

La question suivante était beaucoup plus complexe. Dans ce cas-là aussi, je n'avais que ma propre expérience, et nous étions très vite allés dans le même sens. Mais, considérant ce qu'étaient les dieux même dans leur essence, j'avais peut-être une piste à lui conseiller.

Ne cherche pas de logique. Les dieux n'en n'ont pas. Ils ne sont qu'émotions et ressentis. Même les plus sages d'entre eux, les plus savants, vivaient grâce aux émotions des hommes cherchant le savoir, la sagesse, la force ou la justice. Il y a donc 2 options que tu peux essayer pour mieux t'entendre avec Durga. La première serait-celle de la paix intérieure, de l'esprit calme. Dans un état détendu, tu arriveras peut-être à mieux cerner les désirs de la déesse qui sommeille en toi, et ainsi vous pourrez vous coordonner.

Je fis accélérer les pulsations des éclairs présents en moi, ce qui accéléra en même temps mon rythme cardiaque. Je me retournai et libérai la foudre dans mes veines d'un seul coup, pulvérisant deux autres arbres, tout en poussant un grand cri. Un profond mélange de joie, de rage et de détresse. Une fois le dernier brin électrique libéré, je me calmai, me concentrant sur des inspirations lentes et profondes, avant de reprendre mon discours.

Ou bien tu peux briser tes carcans, laisser tes émotions s'exprimer à leur plein potentiel. Aimer comme si tu mourrais demain. Exulter comme si tu tenais enfin ta fille entre tes bras. Enrager comme si tu mettais la main sur celui qui lui avait fait du mal. Espérer comme si de meilleurs lendemains étaient enfin à ta portée. Pleurer comme si cette trop longue guerre était enfin terminée...

Ma respiration enfin redescendue, je réalisai qu'au milieu de toutes les gouttes qui s'écoulaient sur mon visage, quelques larmes s'étaient glissées et s'enfuyaient à toute vitesse.

Ces émotions brutes sont des prières, des offrandes pour ceux qui vivent en nous. Ainsi, tu comprendras mieux ce qu'elle ressent, ce qu'elle désire. Et vous pourrez vous accorder en ce sens.

Preeti choisit la voie de la paix intérieure. Pas forcément celle que j'aurais conseillée, mais si elle lui convenait mieux, alors elle devait essayer. Je hochai la tête à sa remarque, ne comprenant pas forcément ce qu'elle impliquait. Au fond de moi cependant, je laissai Thor envahir complètement mes veines et mon être. Si Durga venait à s'éveiller, je préférais qu'elle se retrouve face à une divinité qu'à un humain. Elles seraient ainsi sur un pied d'égalité pour discuter.

Preeti se concentra, se détendit. Pour patienter, je me mis à faire des jongles avec Mjöllnir, tuant aussi bien le temps que les restes des carcasses des arbres que j'avais pulvérisés aujourd'hui. L'avantage avec la pluie, c'était qu'aucun incendie ne se déclencherait dans la forêt. Je devrais faire attention en été...

La respiration de la jeune femme se bloqua. Ses yeux s'agitaient derrière ses paupières. Ses traits se tendirent. Ses muscles se raidirent. Quelque chose se passait.

Elle rouvrit les yeux, paniquée, cherchant désespérément son souffle. Déséquilibrée, visiblement perdue, je vins aussitôt près d'elle pour la soutenir et l'empêcher de tomber en arrière.

C'est bon, c'est bon. Tout va bien. Je suis là. Qu'as-tu vu ? Que s'est-il passé ?

Soit Durga n'avait pas répondu, soit la déesse s'était montrée hostile. Avais-je une quelconque implication dans ce résultat ? Aucune idée. Mais je devais en savoir plus. Dans l'idéal, il faudrait que je parle directement à Durga. Elle m'avait dit qu'elle avait déjà réussi à la submerger et donc à prendre le contrôle.

Je lui laissai un peu de temps pour se remettre et reprendre ses esprits. D'un geste de la main, je fis revenir Mjöllnir à moi depuis le tronc où il était planté. Puis lui exposai la suite de mon plan.

J'ai peut-être une autre idée, mais elle ne va pas te plaire.

Je marquai une pause, histoire de la ménager face à ma suggestion.

Tu m'as dit qu'une fois, Durga t'avait submergée ? Tu saurais reproduire les conditions dans lesquelles ça s'est produit ? Tu saurais la faire revenir ? Peut-être réussirai-je à lui parler.

Un tigre ? Ses visions étaient nettement différentes des miennes. En même temps, je n'avais jamais eu de vision. Juste des émotions, des joies, des rages, des cris et des batailles. Mais elle ne s'en tirait qu'avec le souffle coupé et une peur bleue, c'était mieux que moi qui ressortait de ces moments avec du sang et de la sueur un peu partout sur moi.

Elle m'expliqua ensuite comment Durga s'était manifestée la première fois. Hé bé, y'en avait qui se mettait bien. Mais j'étais convaincu qu'il fallait que je parle à la déesse. L'alcool avait aidé. Un affaiblissement de la conscience de l'hôte avait sans doute permis à Durga de se réveiller. Bon, je pouvais toujours l'électrocuter pour forcer Durga à se montrer mais ce n'était pas des plus sympathique. Par contre...

Je reste convaincu qu'il faut que je lui parle. J'ai un autre plan. Il sera indolore pour toi, je te rassure. Enfin je l'espérais. Et je tâcherai de contrôler Durga si elle se réveille. Tu me fais confiance ?

J'attendis sa réponse avant de retourner au centre de la clairière et de lever une nouvelle fois mon poing vers le ciel. Mes veines étaient encore marquées du passage de l'éclair et formaient tout un plan sur mon corps. Mais c'était la condition première pour la réussite de mon plan. Une seconde fois, la foudre me frappa et j'en absorbai toute l'énergie. Le coup fut plus violent cette fois-ci, me faisant plier les genoux à l'impact. Mes yeux redevinrent lumineux. Les arcs électriques se remirent à parcourir tout mon corps. Je me retournai vers Preeti et hochai la tête pour la rassurer un peu plus avant de tendre le bras vers elle. Une partie de l'éclair jaillit de ma main et alla s'écraser à côté d'elle en même temps que le tonnerre claquait. Je criai au même moment.

Durga ! On doit parler ! Je t'invoque ! Je t'appelle ! Et t'as intérêt de répondre.

Un deuxième trait lumineux surgit et explosa à gauche de la jeune femme. Peut-être les émotions fortes réussiraient-elles à faire remonter la déesse en elle et à l'inciter à se montrer face à moi.

Deux éclairs suffirent pour la faire s'évanouir. Merde ! J'y étais sans doute allé trop fort. Je voulus m'approcher pour vérifier qu'elle allait bien, qu'elle n'avait rien. Mais à peine avais-je fait un pas en sa direction qu'elle se releva et se rassit comme si de rien n'était. J'eus un instant de doute, aussitôt chassé par ses mots. J'avais réussi.

Te menacer ? Voyons. Je ne suis pas ce genre de divinité.

Bon en fait si absolument. Thor était du genre à péter la tronche du portier ou du majordome jusqu'à ce que celui qu'il voulait voir ne se présente. Et sur ce point, même si j'étais retenu par les carcans de la civilisation, j'étais assez similaire au dieu. Un peu plus patient peut-être.

Je veux juste te parler c'est tout.

Pour montrer ma bonne foi, je libérai les éclairs qui circulaient encore dans mes veines dans le sol à mes côtés, y laissant deux cratères fumants.

Tu n'es pas facile à joindre, tu le sais ça ? Enfin, ce n'est pas la question qui m'intéresse. Je suis là au sujet de ton hôte, Preeti.

Je me tus un instant, histoire de lui laisser le temps de préparer sa réponse.

A ce qu'il paraît tu lui mènes la vie dure. Ou tu joues la sourde oreille, je ne sais plus. Je veux juste l'aider. Vous aider. A vous accorder. Hadrien et moi, ça a été quasiment naturel, ça s'est fait tout seul. Pareil pour Athéna et Julie. Pourtant, toutes les divinités et créatures que je rencontre galèrent à s'accorder avec leurs récurrences. Je veux les aider. Alors explique moi comment aider Preeti à mieux discuter avec toi.

Ça avait le mérite d'être clair. Si je comprenais comment aider deux âmes dans un seul corps à mieux cohabiter, je pourrais aider des dizaines de récurrences avec efficacité. C'était ma meilleure occasion d'en apprendre plus.

Effectivement, il y avait une nette différence de comportement et de caractère entre Preeti et Durga. L'une était introvertie, douce et délicate. L'autre semblait plus entreprenante et aventureuse. Amusant de voir cette dichotomie entre deux âmes dans un seul et même corps. Et pas étonnant que les deux n'arrivaient pas à accorder leurs violons.

Lorsqu'elle mentionna son titre, je ne pus réprimer un sourire ni un sarcasme.

En effet tu es l'Inaccessible. Mais bon, ce serait peut-être bien que celle qui t'as permis de revenir à la vie puisse t'atteindre un peu.

Sa deuxième remarque était par contre très pertinente. C'étaient des questions que je ne m'étais jamais posé. Cela signifiait-il que Preeti avait d'abord rejeté Durga avant de se réveiller en sa compagnie ? J'étais également perturbé par la distinction précise qu'elle faisait entre Hadrien et moi. Nous partagions tant de visions, de points de vue et d'idéaux qu'il devenait déjà presque une facette intégrée de mon être. Néanmoins, mes premières semaines dans ce corps avaient été assez difficile. Je m'en souvenais très bien d'ailleurs.

Tu as raison, je n'ai pas eu ce problème. Nous étions déjà très similaires dès notre rencontre. Et puis Hadrien n'avait rien. Presque plus de famille, pas d'amante, pas d'avenir particulier. Je suis apparu comme sa solution, sa destinée, et on s'est de suite accordés. Et pour te répondre, au début, j'étais particulièrement enragé. Plus que d'habitude je veux dire. Heureusement qu'il était dans l'armée ce con, sinon j'aurais fait un massacre.

J'écoutais ensuite sa description de la jeune femme. Elle l'avait en effet très bien cernée. Mais je tiquai en même temps sur ses propos. Pourquoi personne n'usait du compromis ? Merde, j'étais réputé pour être un crétin, et pourtant c'était l'une des premières choses que j'avais faite avec Hadrien. Compromettre pour mieux m'adapter.

Mouais... vous êtes deux murs qui essaient de discuter en gros. Parce qu'elle, elle veut aussi comprendre ce que tu veux. Sauf que pour l'instant, tout ce qu'elle sait, c'est que tu fais n'importe quoi dès que tu peux.

Les deux étaient visiblement en tort. L'une pour ne pas vouloir écouter et l'autre pour avoir peur de comprendre. Tu m'étonnais que ça parte en vrille à la première occasion.

Ce que je veux dire, c'est que Preeti est sans doute honorée d'avoir été choisie pour t'accueillir, et qu'elle veut sans doute te permettre de vivre tel que tu le devrais. De ton côté, il faudrait également que tu acceptes de faire quelques concessions. Son fiancé, sa fille... Ce sont des choses qui lui sont chères et qu'elle voudrait préserver. Je suis sûr que tu le comprends.

Nouveau moment de blanc avant que je ne reprenne, tout en me massant la tête pensif.

Je sais que ça peut être perturbant comme situation, mais on doit tous faire des efforts. Je travaille sur un moyen de nous aider à reprendre un peu du poil de la bête et Preeti est d'accord pour nous aider. Et je serai d'ailleurs ravi de te compter comme alliée. Mais si vous êtes toutes les deux prises dans du crêpage de chignon divin, on s'en sortira pas. Vous devez toutes les deux faire des efforts. Et t'inquiète pas que je le dirai aussi à ton hôte.

Têtes. De. Mule. Par Asgaard, j'avais l'impression d'être face à... moi ! Pourquoi je ne tombai pas sur des récurrences comme Julie ? Qui acceptaient tout de suite la négociation et la discussion, sans faire des chichis pendant des heures. Bah, on pourrait dire que c'était le destin qui m'imposait ça pour m'enseigner la patience. Oui. On allait dire ça. Ça m'éviterait d'éclater des crânes de manière aléatoire.

N'importe quoi, n'importe quoi... j'ai pas eu tous les détails. Donc je ne fais que transmettre ce que je sais. Il n'empêche qu'elle s'est sentie paumée, flouée et abusée.

Néanmoins, elle avait raison sur le fait que Preeti devait également faire des efforts dans son sens pour que l'entente puisse être plus cordiale que forcée. J'aurais une deuxième fois cette conversation visiblement... Yggdrasil, j'allais avoir besoin de ton soutien.

Lorsqu'elle me demanda ce pour quoi Preeti avait accepté de se battre, mon coeur se senti ragaillardi. Pour ça, je pouvais parler des heures durant. Je me redressai, relevai les épaules et laissai mon ombre dominer la clairière alors que la foudre tombait encore non loin.

Les dieux cherchent tous à retrouver l'adoration qu'ils ont perdu. Je mentirais en disant que je suis différent. Mais la seule façon qu'ils ont trouvés pour l'acquérir à nouveau, c'est en écrasant les hommes, en les extorquant et en devenant esclaves de l'argent et de la corruption. Je veux prouver qu'une autre voie est possible.

A nouveau, mon coeur se mit à battre en rythme avec le tonnerre. Je sentais les résidus de foudre dans mes veines pulser.

On me surnommait Protecteur des Hommes. Et aujourd'hui, pour être à nouveau vénéré, je devrais les écraser ? Non ! Je ne serai pas ce genre de dieu. Je les inspirerai à la grandeur. je leur montrerai tout ce qu'ils peuvent accomplir. Je serai une lueur d'espoir dans un monde rongé par l'obscurité. Mais surtout, je prouverai aux dieux que nous pouvons reprendre nos rôles d'origine ! Celui de modèles, de vertus et de guides !

J'avais instinctivement brandis Mjöllnir en déclamant cela. Je fixai Durga et lui lançai, d'un ton puissant.

Et toi ? Est-ce que l'incarnation de la Paix, la déesse protectrice, voudra se lancer dans d'ignobles guerres de gangs et autres jeux de pouvoir pour retrouver son statut d'antan ? Ou bien se décidera-t-elle à accomplir ce pourquoi les mortels l'ont toujours prié ? Regarderont-ils Durga avec espoir ou avec effroi ?

J'en faisais trop ? Certainement.

Sa remarque m'énerva. Si bien que les résidus d'électricité qui traînaient encore dans mes veines se mirent à crépiter au niveau de mes poings. Je sentis même Mjöllnir vibrer et me supplier de le laisser remplir son office. D'un ton sec et véhément, je répliquai.

Ne me compare pas au Crucifié ! Je ne compte pas me laisser traîner à l’abattoir comme un vulgaire mouton !

Je me calmai cependant aussi vite pour reprendre sur la deuxième partie de sa remarque qui, si elle me mettait légèrement hors de moi, était cependant totalement vraie. Je répondis donc, toujours d'une voix forte.

Ce n'est pas narcissique. C'est intéressé, nuance. Je sais très bien que je fais cela dans le but de retrouver mon statut d'antan, je ne mentirai pas à ce sujet. Et je suis loin d'être irréprochable. Les légendes regorgent d'exemples où mes crises de colère ont attiré plus de problèmes à Asgaard qu'elles n'en n'ont réglé. Mais on nous a conféré des titres, des honneurs. Protecteur de Midgard ! Ami des Hommes ! Voilà ce qui me définit, voilà ce que je dois être. Rien de plus, rien de moins.

Je fus cependant soulagé d'entendre la suite de ses propos, et toute trace de colère s'évapora aussitôt. Mes traits se détendirent et mes épaules redescendirent. Je rejoignis la jeune femme en quelques pas et lui tendis ma main pour sceller cet accord.

Ainsi soit-il.

Une de plus. Et de quatre...