Perdue dans les méandres de mes angoisses,
une seule issue semble s'offrir à moi.

Celle de la parole,
de l'échange,
du partage.

Un visage se dessine dans mon esprit perturbé.
Il faut que j'y aille, que je me lance.
Je n'ai pas le choix, je me sens dépérir.

« Docteur »

Ma voix si faible peine à prononcer ce simple mot.
Pourtant je le sais, je n'ai pas le choix.

« Excusez-moi de vous déranger »

Je sais qu'elle est fatiguée, qu'elle n'a peut-être pas envie de me voir.
Mais j'ai besoin d'elle, et de son oreille attentive.

(98 mots)
@Brónach E. Mooney

Le visage qui me fait face porte les traces de la fatigue.
Je ne dis rien, je tais les premières paroles qui me viennent à l'esprit.

Que pouvait-elle faire à part m'écouter ?
Je ne suis là que pour me plaindre, après tout.

Je sens au fond de moi que la détresse enfle tel un abcès douloureux.
Impossible à soigner, il ne disparaîtra pas.
Le seul moyen de me soulager est de le percer, de laisser s'écouler le mal.

« J'ai besoin de vous parler, vous avez quelques minutes ? »
Ou quelques heures, je n'en suis pas sûre.

Elle finit par s'installer à côté de moi.
Je l'observe, longuement, avant de bafouiller bêtement.

« Je ... »

J'hésite.
Je doute.
Je regrette.

Les mots semblent se bloquer à la frontière de mes lèvres.

Je souffle.
Je soupire.
Je revis.

La peau de mes joues reprend peu à peu de la couleur.
Il semblerait que l'avoir à côté de moi me redonne du courage.

« Mes rêves. Mes cauchemars. Ils continuent de me hanter. »

Mes mains se frottent pour essuyer la transpiration.
Je suis gênée de venir l'embêter pour ça, pour si peu.
Quelle sotte je fais.

Fuir aurait été la meilleure option.
Me cacher, garder mon mal-être avec moi.
Exorciser mes cauchemars à coup de lame sur ma peau.

J'ai froid, terriblement froid.
La voix du docteur apaise mes maux.
Elle est si douce, si claire, si charmante.

J'écoute ses paroles qui me sont destinée.

« Je ... Je ... »

J'hésite, encore une fois. La fuite, ou la parole.
Je ne pourrais attendre le lendemain, je le sais.

« Je vois la mort rôder. Dans mes rêves. Elle est partout. »

Je rapproche mes jambes près de ma poitrine.
Ça me rassure, ça me protège.

« La mort est partout, dans chacun de nous.
Elle rôde, impunément sur le chemin de la vie,
et semble se jouer de moi et de mes visions. »

Ma langue se délie, enfin, accompagnée des tremblements de ma voix.
Va-t-elle me croire ? Va-t-elle se moquer de moi ?
Je me nourris de sa sérénité, de son calme.
La paix règne dans ce lieu, elle m'apaise.

« Elle prend possession d'inconnus, de mes proches.
Amis, ennemis, elle s'associe à tout le monde.
Et je n'arrive pas à l'arrêter.»

Maudite spectatrice que je suis.
Quelle terrible destinée m'a-t-on imposé ?

L'oreille est attentive.
Le regard conciliant.
Je suis à l'aise, je parle.

« Je ne peux pas l'arrêter. Je ne dois pas le faire. »

Comment lui expliquer ?
Comment lui dire que je ne suis que la voix ?
Celle qui voit sans pouvoir intervenir ?
L'Oracle.

« Je vois l'avenir des gens, à travers mes rêves. »

Peut-être le sait elle déjà ?
Peut-être lui aie-je déjà avoué ?

« Et la mort est souvent là.
Elle s'insinue dans l'avenir des gens.
Mais je vois parfois d'autres choses,
que la mort elle-même. »

Rassurant.
Salvateur.
Je respire, enfin.

La peur est là, bien présente sur mes épaules.
Je la sens couler le long de mon dos.
Douche froide, glaciale, paralysante.
J'agonise, lorsque soudain, mes lèvres se mettent à se mouvoir.

Avais-je le droit de parler ?
Ou étais-je condamner au silence, pour l’éternité ?

« J'ai envie de vous en parler.
Rien ne me l'interdit.
J'ai juste ... »

Peur.

« C'est difficile pour de nombreuses personnes,
de parvenir à saisir ce don que je porte.
Il est si imparfait, parfois si cruel. »

Je porte une main à mes cheveux,
glissant une mèche blonde derrière mon oreille.

La vérité suinte de ses paroles.
Je les bois, en silence,
Jusqu'à ce qu'enfin ma respiration reprenne.

Lente,
Mesurée,
Précise.

Je sens qu'elle s'intéresse à moi.
Qu'il est temps de se dévoiler.

« J'essaye. Je veux. Mais je n'y arrive pas. »

La peur. L'angoisse.
Constamment martyrisée par mes démons.

« J'ai peur de ce que je perçois.
Ces choses que je ne peux maîtriser.
Je ne peux changer ce que je vois. »

Et parfois, le destin réserve d'horribles surprises.

« Que feriez-vous, docteur,
Si vous étiez capable de lire l'avenir ? »

Une simple question.
Une évidence.

Ses paroles m'obsèdent, me perturbent.
Comme si elle a compris, bien avant moi,
L'importance, l'utilité, de ce qui m'a été offert à la naissance.

Ce don.
Cette malédiction.

Peu importe comment on le décrit.
Cela n'en reste pas moins un fardeau,
Aussi lourd que délicat à porter.

« J'ai toujours souhaité,
apprendre à le contrôler. »

Je respire, plus fort, plus longtemps.
Puis je me calme, peu à peu.
Je sens qu'elle a touché un point sensible.

« Je peine à trouver ma place.
Avec ce don. J'ignore comment me positionner.
Moi qui ai toujours cru devoir tout contrôler.  »

Ses questions s'enchaînent, se succèdent.
Le rythme est infernal.
La curiosité se fait malsaine,
Presque déstabilisante.

Pourtant sa voix chaude et suave me rappelle sa position.
Celle d'une psychiatre bienveillante.
Je me sens rassurée, je m'ouvre à elle.

Encore plus,
Toujours plus.

« Je considère le contrôle comme le stade ultime de mon don.
Il est le pouvoir. Sa stabilité. Sa finalité. »

Le déglutit pour finalement baisser la tête.

« Et c'est le fait de ne pouvoir l'atteindre, après tant d'années, qui me terrifie.
Y arriverai-je un jour. Voilà la vraie question. »

Ma respiration, déjà apaisée, devient erratique.

Il y a des mots qui blessent.
Des mots qui heurtent.
D'autres qui tuent.

Non, ceux du docteur Mooney ne sont rien de tout cela.
Elle m'écoute. Elle me parle. Elle me comprend si bien.

Elle est la voix qui apaise, celle qui soigne.
Sans elle, je serai perdue dans les limbes de la mélancolie.
De la destruction.

« Le calme. La paix. »

Ma voix se fait soupire, alors que je ramène mes jambes à ma poitrine.

« Je veux pouvoir dormir.
Mes visions non contrôlées m'en empêchent.

Cela me fatigue, m'épuise.
Je suis à bout. »