Je regarde la convocation de haut en bas avant de replier la lettre. Parfois, il pouvait arriver que la bénédiction ou le refus arrive directement par courrier, ce n'était donc pas une si mauvaise nouvelle. Un peu stressante, cependant.
Fermant les yeux, j'adresse une prière silencieuse devant la grande porte. Je ne connais absolument pas l'évèque d'Arcadia et encore moins les prêtres qu'il a choisi pour l'accompagner. Je frappe avant d'entrer et m'incliner. Ils sont cinq hommes à me faire face, deux regardent ailleurs à ce moment là comme s'ils avaient mieux à faire que de bénir ou me gâcher la vie, l'évèque me regarde aimablement, un autre fouille dans une liasse de papier et prend des notes, et le dernier me détaille avec soin comme si son regard me traversait de part en part. Je connais ces yeux qui suivent les auras, ce prêtre sait pour moi. Je déglutis en pendant que c'en est fini.
"Bien, asseyez-vous. Nous avons quelques questions à vous poser..."
Je m’exécute et attends sagement la suite des évènements. Les sourcils froncés légèrement.
"Nous ne pouvons pas cacher notre extrême surprise quant à votre requête, je dois dire. Lors de votre parcourt à New-York, vous aviez été exemplaire, je dois dire. Beaucoup d'action menées à bien, beaucoup de travail de terrain."
"Je n'ai fait que la volonté de Dieu, mon père."
"Très bien... Que représente cette femme pour vous ? C'est une païenne, c'est cela ?"
Je hoche la tête. Dans sa bouche, ce mot sonne comme une insulte, je prie silencieusement Preeti de me pardonner. Plus jamais je n'utiliserai ce terme avec elle.
"Oui, son obédience diffère de la mienne et nous les respectons mutuellement. Cette femme est devenue toute ma vie le jour où j'ai voulu l'aider. Contrairement à ce que je croyais, c'est elle qui m'a apporté son aide avec certains problèmes psychologiques suites à mon accident. Je lui suis entièrement redevable et dévoué."
L'homme en costume doré soupire, visiblement blasé par la situation qu'il a sans doute vue des centaines de fois.
"Vivez-vous avec cette femme ?"
"Non, mon père."
"Fort bien, dans le cas où nous refusions votre demande. Que se passera-t-il ? Renonceriez-vous à elle ?"
Je me redresse sensiblement
"Mon père, sauf votre respect, je dois la vie à cette femme. Si je n'ai pas votre bénédiction, je vivrai avec elle quoi qu'il m'en coûte, être puni ou excommunié serait un désastre pour moi mais ne serait rien en comparaison de la souffrance de notre séparation. Mon père, elle fait de moi un être meilleur. Mes actions à Arcadia peuvent en témoigner !"
L'homme acquiesce lentement en me regardant dans les yeux. Puis, il laisse échapper un soupir bruyant avant de m'autoriser à partir d'un geste de la main. Je me lève et salut tour à tour toutes les personnes présentes avant de faire demi-tour sans un regard.
Une fois la porte passée, j'entends des pas pressés.
"Monsieur Skoro ?"
Je me retourne, cette appellation est mauvais signe. Il s'agit de l'homme qui me détaillait tout à l'heure, son regard n'est pas hostile mais toujours aussi scrutateur.
"Laissez-moi vous raccompagner. J'ai quelques questions supplémentaires à vous poser."
"Soit" je dis en reprenant ma marche.
"Croyez-vous en Dieu, Monsieur ?"
Je m'arrête brutalement, ne comprenant pas la question, attendant la suite, ou une mauvaise blague qui ne vient pas. Après un long silence, je dis finalement.
"Pourquoi cette question à l'évidente réponse ? Serait-ce un test ?"
L'homme sourit, et me dit :
"Votre croyance vient d'être ébranlée. Je le sais. S'il vous reste encore quelques bribes de croyances, alors vous avez toutes vos chances dans votre demande. Dites-moi, en quoi êtes vous certain de croire ?"
Ce n'est pas un piège, cet homme est sincère. Son sourire est honnête et nos yeux se comprennent. Il sait pour mon Satyre et mon cas semble particulièrement l'intéresser.
"Je crois au paradis, Monsieur. Seulement à présent, je sais que ce n'est pas un endroit où l'on va, mais bel et bien un sentiment profond pendant un moment dans la vie. Quand je l'ai trouvé, j'ai su que ça resterai en moi à jamais."
L'homme penche sa tête vers moi, son sourire s'accentue. Pendant un moment, j'ai peur qu'il ne devine de quoi je parle exactement. Ce sentiment aussi moral que physique m'a fait tellement peur au moment où je l'ai ressenti
"Pourriez-vous lui rester fidèle, Monsieur Skoro ?"
La question pourrait m'offusquer, mais je sais qu'il a deviné la nature du démon qui m'habite. Je répond alors naturellement.
"C'est elle, ou personne. Monsieur."
L'homme incline la tête, visiblement satisfait.
"Je vais voir si je peux essayer de les convaincre. Mais je suis impressionné par votre retenue ! Une autre personne avec un problème de votre nature aurait certainement choisi une solution de facilité à la place de la fidélité. Je vous souhaite bon courage pour la suite... "
"Que Dieu vous bénisse"
"Elle l'a déjà fait, Monsieur Skoro"
Derrière moi, la porte se referme. Je ne sais pas si je dois me réjouir ou non de cet entretien. J'ai été honnête mais j'espère que je ne devrai pas payer de mon Dieu le prix de la Vérité.
