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Les cordes vibrent, se frottent contre l'archer habillement manié, laissant s'exprimer les notes claires et suaves d'une mélopée aux accords classiques. Caprice n°24 de Paganini. Un air qu'elle avait toujours apprécié et qu'elle aimait à reproduire quand venait l'heure pour elle de s'exercer. Un demi sourire étirant ses lèvres rosies, les yeux clos, elle laissait son esprit s'envoler, loin, loin de cette maison, loin de cette ambiance morose, loin de celui qui était à l'origine de tout cela... Ses doigts semblaient courir, glisser; se mouvaient sur le manches et les touches de son violon comme s'ils faisaient parti d'une même entité. Une dernière fois, elle fit frémir cordes, laissant s'épanouir puis s'évanouir les ultimes notes du morceau. Doucement, elle rouvrit les yeux, posant sur sa mère un regard empli d'inquiétudes, que la femme aux traits rayonnants fit taire d'une seule œillade en sa direction. Ensuite, retentit le claquement de mains habituel de son jeune frère, qui délaissait avec plaisir pendant quelques instants ses devoirs obligatoires pour s'arracher quelques secondes de repos. « Tu t'améliores encore ma chérie, je ne sais comment tu fais mais bientôt il faudra te changer de professeur... Je crains que tu n'en viennes à le surpasser ! » Phaedrig, assis près de la figure maternelle, acquiesçait, adressant à sa sœur aînée un clin d’œil exagéré. Elle aurait commencé à rire si, le bruit sourd d'un claquement de langue ne venait pas de rompre l'harmonieuse tendresse qui régnait entre eux...
Tournant brutalement leurs visages vers la porte de la pièce, ils y découvrirent la haute stature, imposante et solennelle, de Baethan; dardant sur la petite assemblée un œil rude, sévère, presque glacial. Se reculant au fond de sa chaise, son épouse se détourna de lui, attendant avec bouillonnement le couperet qu'il allait implacablement laisser s’abattre. Le cadet se tasse, se ramasse, plonge rapidement le nez dans son manuel, semble vouloir disparaître... « Excellente interprétation, Deirdre, c'est magnifique. Phaedrig, au travail maintenant. » Trois mots, elle n'avait retenu que ce qu'il venait de dire à son jeune frère. Des mots secs, implacables, dénués de la moindre forme de sentiments envers celui qui était pourtant sa chair, tout autant qu'elle ou ses sœurs pouvaient l'être. Difficilement elle déglutit, serrant si fort le manche de son violon, comprimant les cordes tendues et abîmées... Que l'une d'elle céda sous le poids de cette aigreur. L'attache se brisant siffla, dardant sur la jeune fille le regard paternel. Ses dents crissèrent devant ce visage indifférent. Elle s'en déroba, tournant les talons pour aller poser l'instrument près de son étui duquel elle sortit une petite trousse. Prenant un nouveau câble et une pince, elle remplaça rapidement celui qui n'était plus utile, celui qui avait cédé, elle le regarda un instant, avant de le ranger et de fermer l'écrin de velours noir d'un coup sec. Le dos tourné, elle replaçait la mentonnière sur son épaule, inclinait sa tête relevait son bras au dessus de l'instrument.  Les cordes vibrèrent, se frottant contre l'archer habillement manié, laissant s'exprimer des notes sèches et âpres d'une mélodie aux accents lourds. Un rire guttural suivait le départ du paternel après qu'elle eut commencé à jouer. Danse macabre de Camille Saint-Saëns.


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Assise devant les éprouvettes, les béchers et les pipettes graduées; elle commence déjà à souffler bruyamment; un crayon entre les doigts et les feuilles de papiers sous la main. Elle n'a jamais apprécié les travaux théoriques, les grands théorèmes à recopier, les paragraphes à rallonge et les monologues de professeurs trop absorbés pour se rendre compte que la moitié de la classe est assoupie; peut-être même s'en fichent-ils au fond, tant que leur travail est fait et rémunéré, peut leur importe l'état de végétation de leurs élèves. Les ustensiles sont pourtant là, sous son nez, à la narguer de leur propreté -presque- éclatante, ne demandant qu'à être manipulés, exploités, salit... « Passons donc à la partie pratique, si vous le voulez bien; placez vous par deux et commençons. » Ses amies dans un autre groupe, elle se retrouvait seule, elle en avait l'habitude pourtant, c'était comme ça depuis plusieurs mois maintenant; elle d'un côté de la liste, ses copines de l'autre; mais encore une fois, elle eut un pincement au cœur quand elle voyait les binômes se former sans qu'ils n'aient à bouger de table. Et tandis qu'elle regardait d'un air las les rangées devant elle, un sac vint se poser sur la place à côté d'elle, suivit d'une silhouette mince, prisonnière d'une énième et commune blouse blanche. « Je peux ? » Surprise, elle hocha la tête. Prenant place à ses côtés, il tendit vers elle une main aux longs doigts effilés. « Je m'appelle Duncan, et toi? » Un étrange rire lui échappa tandis qu'elle glissait sa paume contre la sienne. « Deirdre. »

La main toujours dans la sienne, les yeux rivés aux siens, ils souriaient béatement en attendant les mots tant espérés. « Vous pouvez embrasser la mariée. » Les paumes chaudes et moites du jeune homme vinrent emprisonner les mâchoires de Deirdre, glissant sur sa peau pour lui déclencher un délicat frisson, avant de venir sceller leur union par un baiser. Des applaudissements s'élèvent dans l'assemblée tandis que les nouveaux époux se tournent vers eux afin de redescendre l'allée et de sortir du bâtiment. Elle voit les visages défiler, les bouches s'étirer, les mains se frapper, certains même se laissent aller à pleurer... D'aucun disait qu'ils étaient trop jeunes pour tout ça, pour tes les responsabilités qui les attendraient, pour la constitution d'un foyer; d'autres se réjouissaient de cette alliance forgée au sein même du royaume, qu'ils n'en resplendiraient que plus encore ! Mais eux s'en fichaient, eux étaient sourds à toutes ses chants de sirènes, eux ne voyaient que l'amour, le bonheur et la joie d'être enfin deux, ensemble, unis; mariés. Les pans de sa robe blanche se froissaient, bruissaient, à mesure qu'ils s'approchaient de la sortie, à mesure qu'ils rejoignaient l'âge adulte, à mesure qu'ils avançaient vers leur avenir; à la fois tracé et incertain. Tout au fond d'elle, au creux de ses entrailles, Deirdre sentit quelque chose se former, comme une sphère... petite, fragile, elle irradiait d'une chaleur douce et diffuse qui englobait ses sens lorsqu'elle portait son regard sur celui qui lui tenait la main, encore et toujours. A cet instant, quelque chose lui fit comprendre que c'était ça, l'Amour...     


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Elle attendit quelques instants, dans un silence pesant, jouant avec l'alliance autour de son doigt, que la porte s'ouvre enfin. Mais rien... Elle recommença encore une fois, plus fort, avec plus de vigueur, plus de conviction; à s'en faire blanchir les articulations de la main. Mais toujours rien. Hier déjà, Deirdre était passé voir sa sœur aînée, espérant pouvoir enfin lui parler après le procès qui l'avait accusé d'être à l'origine du meurtre de son époux, après des semaines sans avoir réussi à la croiser, des semaines d'un mutisme exacerbé de sa part. Jamais elle n'était passés les voir, jamais elle n'avait appelé ses cadets... Aurait-elle put d'ailleurs le faire, alors même que leur père avait interdit aux plus jeunes de prendre des nouvelles de leur demie-sœur... S'il avait toujours été d'un naturel taciturne et sombre, il l'était encore plus depuis que Siobhán l'avait trahi, avait trahi la famille, sa famille... Mais elle ne le voyait pas comme ça, non, Deirdre n'avait pas le même point de vue, aussi arrêté et tranché que celui de son père; elle voyait bien, comprenait bien que les sentiments étaient une donnée importante, une grande part de toute cette macabre histoire sans pour autant comprendre de quoi il en retournait réellement. Le paternel n'avait rien laissé filtrer à ses enfants, si ce n'est que Siobhán avait commis une énorme erreur...
Comprenant que personne n'était dans l'habitation à cet instant, la jeune femme se mit à chercher, frénétiquement mais avec minutie, partout autour de l'encadrement et sous le tapis, le précieux sésame; et lorsque enfin, ses doigts rencontrèrent le petit objet de métal froid, un rictus ironique vint peindre ses traits tirés. Glissant la clé dans la serrure, s'est en tremblant qu'elle actionnait le mécanisme, espérant que ce soit la bonne; et quand le cliquetis du loquet se déverrouillant se fit entendre, elle ne put réprimer le souffle de soulagement qui s'échappa de sa gorge nouée. Poussant la porte, elle s'engouffrait à pas feutrés dans ce qui était, auparavant, le foyer d'un couple qu'elle appréciait, l'antre de repos où vivait cette sœur qu'elle aimait tant et de celui qu'elle avait choisi pour partager sa vie. Une étrange atmosphère enveloppait les lieux, tant et si bien qu'un long et profond soubresaut se glissa sous sa peau, le long de son échine... Les volets étaient entrebâilles, les rideaux tirés, rien n'avait bougé, tout semblait parfaitement à sa place... La jeune femme se faufilait dans l'intimité de sa sœur, et si elle s'en voulu un court instant, très vite tout ne laissait place qu'à l'inquiétude. La vaisselle traînait dans l'évier de la cuisine, les placards étaient encore emplis de nourritures; et dans la chambre à coucher, réceptacle de moments charnels, les affaires de Riorgh gisaient là, abandonnées, délaissées, oubliés... Dans le placard, un immense vide s'était creusé. Deirdre ni retrouva ni les robes, ni les pulls, ni les pantalons de son aînée; ses chaussures aussi n'étaient plus là; et si une grande partie de son maquillage s'étalait encore dans la salle de bain, la brosse à dents manquait aussi à l'appel. Vide. C'est ce que venait de laisser Siobhán dans la poitrine de Deirdre. C'est ce qu'il subsistait d'elle dans cet appartement qu'ils avaient pourtant occupé à deux. Les larmes ruisselant sur ses joues, elle balayait du regard cet endroit d'où son aînée venait de s'échapper, de cette vie qu'elle venait d'abandonner; et s'approchant de la table du salon, sur laquelle Deirdre était certaine de trouver des mouchoirs, s'est là qu'elle les aperçut. Prudemment posées, mises en évidence, des enveloppes immaculées, sur lesquels une calligraphie connue avait noté d'une encore noire les prénoms de la fratrie. Elle les regarda, de longues minutes, laissant se tarir les ondées salées sur ses pommettes, avant de les prendre une à une, délicatement, comme si elle avait peur que le papier ne s'effrite sous la pulpe de ses doigts, et de les glisser dans son sac. Elle sortit alors, referma la porte, reposa la clé sous le paillasson et s'en alla, sans jeter un regard en arrière.                     


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Les mois étaient passés, les jours s'écoulant immanquablement; ses formes se dessinant, s'arrondissant lentement. Pour ne laisser que l'absence... et le bonheur ! Ils s'étaient habitués à cet énorme ventre rond, à ces difformités parfois lorsque ce qu'il contenait tentait un mouvement éphémère, à cette pression sous les mains de ces minuscules petits êtres qu'ils avaient créé et qui bientôt quitteraient ce cocon de chaleur et de douceur pour venir se loger dans leurs bras. Caressant ce ventre inoccupé, déserté, vidé; elle regardait maintenant ce qu'ils avaient tant espéré, rêvé et attendu. Dans un lit aux rebords de plexiglas, emmaillotés dans des langes -on-ne-peut plus sexiste- bleu et rose, dormaient à poings fermés ceux qui étaient devenus en quelques minutes les plus grands trésors de sa vie. « Ils sont magnifiques. » Haussant un sourcil, Deirdre sortit de sa contemplation pour regarder le visage serein mais fatigué de Duncan, assis dans un fauteuil inconfortable au possible, qu'il n'avait pourtant pas quitté depuis la naissance des jumeaux, son petit doigt enserré dans la main lilliputienne de leur fille. « Que veux-tu, ils tiennent tout de moi ! » Ils rirent. Doucement mais sincèrement. Il y a quelques heures pourtant, ils s'étaient narquoisement offusqués que les nourrissons ne ressemblaient qu'à deux nuggets trop cuits, faisant blêmir de terreur la toute fraîche grand-mère Kearney qui n'avait pas remarqué l’œillade complice que les jeunes parents s'étaient échangés.
Se replongeant dans les draps immaculés de son lit d'hôpital, la jeune femme regardait, attendrie, le tableau que représentait dorénavant sa famille, son accomplissement en tant qu'épouse et mère. « J'ai hâte de rentrer à la maison; Eryn et Glenn seront encore plus adorables dans leur propre berceau. » Oui elle avait hâte, hâte de s'enfuir de ses murs trop blancs, hâte de quitter cet endroit où bien que le personnel soit bienveillant il n'en restait pas moins infantilisant envers eux, hâte de retrouver dans leurs habitudes, hâte découvrir ses enfants dans ce qu'est leur réel foyer. Elle avait surtout hâte de voir les petits pieds et les petites mains se débattre, les gazouillis s'élever, des berceaux de bois que Phaedrig avait construit de ses mains pour ses neveux à naître. Elle avait en revanche bien moins hâte d'essayer la gamme de soins au lait de jument qu'Eabha lui avait offert, même si elle lui assurait des bien-fondés de ces produits sur sa peau abîmée par la grossesse. Au moins avait-elle pensé à sa cadette et avait-elle cherché quelque chose, à son image, pour la féliciter. Ils étaient pressés oui, mais une ombre venait noircir le tableau idyllique de cette première naissance, symbole de l'arrivée d'une nouvelle génération au sein de la famille Kearney... Voyant son regard s'assombrir, Duncan se leva et vint s'asseoir près de son épouse, enveloppant ses épaules de son bras protecteur. « Sa réaction t'inquiète, n'est-ce pas ? » L'accusée acquiesça, posant son front contre le torse chaud et rassurant qui lui était offert. « Je ne lui laisserait pas le choix... » Relevant son visage vers celui de Duncan, Deirdre vint déposer un baiser rapide sur ses lèvres pleines.

Et elle avait raison de craindre sa réaction; Baethan cria, hurlant, dénonçant une trahison de plus envers la famille. Il faisait les cent pas entre son bureau et sa fille, qui se tenait droite, dardant sur lui un regard franc, cachant tant bien que mal un rictus de triomphe. Elle n'avait jamais aimé les conflits, toujours partisane de la diplomatie; mais cette bataille là, elle n'aurait pas accepté de la perdre. « Mais comment ! Comment as-tu osé me faire ça !!! » Le front paternel était creusé des sillons profonds d'une colère sourde, ses paumes fermées blanchissaient à mesure qu'il tournait en rond, sa mâchoire se contractait à en faire ressortir les veines bleues sous sa peau. Il allait de nouveau ouvrir la bouche, elle le savait, verve acide et assassine; mais elle ne le laisserait pas faire. Levant la main tandis qu'il se tournait à nouveau vers elle, le geste le coupa net. « Ils porteront mon nom car j'aime notre famille; mais ils porteront son nom car je l'aime lui. » Laissant son bras redescendre, elle lui tournait le dos pour sortir de l'imposant bureau, insensible aux injections paternelles lui intimant de revenir, qu'il ne laisserait pas cela se faire, qu'elle n'avait pas le droit... Mais que pouvait-il faire, quand son heure sonnerait quelques mois plus tard...        


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Pourquoi était-elle là ? Que faisait-elle avec cette palette, ce pinceau, devant cette toile immense, dans cette salle immense et calfeutrée ? Tenant le pinceau devant ses yeux, elle l'observait avec attention. Il était fin, extrêmement fin, et long. Une goutte de peinture roula sur le manche, elle en suivit le trajet jusqu'à ce qu'elle s'échoue sur son ongle, teintant ce dernier d'un ton marron monotone. Elle aimait peindre, ça elle le savait, mais pourquoi ce style sur la toile ? Ce n'est pas ce qu'elle appréciait. Pourquoi ces couleurs ternes et insipides ? Ce n'est pas ce qu'elle appréciait. Elle ne savait pas, elle ne savait plus... Déposant le matériel à l'écart de l'oeuvre, elle se posait sur une chaise, non sans une hésitation. Plongeant son visage dans ses mains tremblantes, elle cherchait, fouinait, creusait. Son prénom ? Deirdre. Ceux de son mari et de ses enfants ? Duncan, Eryn et Glenn. Son âge ? La trentaine tout juste. Déjà ça, elle ne l'avait pas oublié; au moins échapperait-elle à la crise d'angoisse cette fois-ci. Elle respirait profondément, toujours perdue, à tenter de remettre en place le fil de ses souvenirs. « Madame Kearney ? Tout va bien ? Vous êtes toute pâle. » Elle ne sourcilla pas, reconnaissant ce timbre chantant, cette petite voix ténue et fluette doublé de ce fort accent asiatique. Hochant la tête vers son apprenti/assistant/surveillant, il en profita pour s'agenouiller devant elle, soucieux. « Je vais vous chercher un verre d'eau; laisser donc ce Courbet tranquille pour aujourd'hui, il ne s'enfuira pas de toute façon. » Il emporta les ustensiles salit et disparu aussi rapidement qu'il était arrivé. Elle regardait alors le tableau devant elle, sous un angle nouveau. Le Désespéré. Un autoportrait du peintre; un jeune homme de face. Les yeux, la barbe et les cheveux d'une noirceur contrastant habilement avec le blanc de sa peau et de sa chemise; un regard fixé droit vers celui qui le regarde, habité, malséant, malaisant. Les mains dans sa chevelure la tire vers l'arrière, semble vouloir l'arracher. Elle, elle a la désagréable impression de contempler son reflet... Elle s'en détourne vite. A besoin de fuir se regard inquisiteur. A besoin de retrouver, de se retrouver. Elle glisse vers une statue à la candeur pure, à la peau de pierre pourtant si réelle, au visage délicat, inaltérable, inébranlable, que le temps atteint dans son fondement sans réellement atteindre à sa beauté originelle. Elle caresse le contour de sa bouche, immobile; elle se délecte du contact froid sous ses doigts, se découvrant pourtant une chaleur à cet exercice; elle détaille, remarque, étudie, considère. Et tout lui revient, lui explose au visage comme une bombe à retardement. Sa collègue. Sa tristesse. Son envie d'en finir. L'insistance avec laquelle Deirdre a refusé de la laisser parler, de laisser faire... De la laisser penser... Le voile devant les yeux de cette personne. Puis son sourire, joyeux, rayonnant, lui intimant qu'elle avait raison et qu'elle ne se laisserait plus abattre. Sa démarche gracieuse quand elle s'en est retournée à la vie... Et l'obscurité, les ténèbres, cette sorgue divine dans laquelle l'hôte fut plongée après cet épisode...
Deirdre plaque ses main sur sa bouche, étouffant un cri d'effroi. Elle se cale contre le buste de marbre et laisse tout couler: ses larmes, sa frayeur, sa douleur, sa panique... Elle est là, ancrée au fond d'elle, cette déesse conviée à la réincarnation. Àine. Déesse de l'amour, de l'été, du soleil, de la poésie mais aussi... de la folie.