@Kalen Giacometti | 21.07.2020

La journée avait été longue, ponctuée de poignées de main, de sourires affables et de futurs rendez-vous à honorer.  Desserrant sa cravate, Lewis l’envoya balader et se laissa tomber dans le fauteuil Chesterfield qu’il avait acquis une semaine plus tôt. Fermant les yeux, il se laissa bercer par le silence ambient qui régnait dans son appartement, déconnectant totalement avec le monde extérieur en l’espace de quelques minutes bénies. Pour une raison qui l’échappait, il se sentait particulièrement à cran ce soir. Son humeur passant par des centaines d’émotions. Si son ressenti n’était pas assez flagrant, les ombres jouaient avec lui ce soir, faisant vaciller les lumières qui ornementaient sa suite. Un coup d’œil à sa montre lui apprit qu’il était temps qu’il se mette en route. Gardant son pantalon gris anthracite, il enfila une nouvelle chemise blanche, passa la main dans ses cheveux pour leur donner un semblant de forme et fila aussitôt. Son cousin l’attendait. Régulièrement, Kalen et lui se rejoignaient pour relâcher la pression, discuter des dernières nouvelles et… passer du bon temps ensemble, tout simplement. Malgré leur différence d’âge, ils avaient directement accroché lorsqu’ils s’étaient rencontrés pour la toute première fois, douze ans plus tôt. Lewis considérant d’ailleurs Kalen comme le frère qu’il n’a jamais eu. Leur complicité sans faille leur avait valu plus d’une situation cocasse, souvenirs qui les faisaient encore bien rire aujourd’hui. En bon co-pilotes  qu’ils étaient l’un pour l’autre, on peut dire que leurs soirées étaient loin d’être ennuyeuses. Un sourire aux lèvres face aux perspectives qui s’annonçaient pour ce soir, il se dirigea vers l’ascenseur. Il attrapa son téléphone, le coinçant contre son épaule, alors qu’il appuyait sur le bouton qui le ferait descendre au 47e étage, tout en donnant à Renato ses dernières directives pour la soirée.  Les portes s’ouvrirent sur le bar de l’hôtel et il alla directement s’installer dans l’alcôve tout au fond où il avait ses habitudes. Un clin d’œil et deux doigts levés vers son barman suivit par un hochement de tête de ce dernier lui confirma qu’il avait bien saisi la demande : la tournée habituelle des cousins Giacometti. Le bar était plus ou moins rempli ce soir bien que plutôt calme contrairement à l’accoutumée. Laissant ses pensées vagabonder, Lewis remarqua que ses phalanges étaient encore rougies par son entraînement corsé de ce matin. Son coach sportif l’avait littéralement mis sur les rotules mais ça lui avait fait un bien fou d’enchaîner les coups sur le sac de frappes. Cela faisait dix ans qu’il connaissait Luca et que ce dernier se pliait aux exigences peu conventionnelles de son patron. Dormant très peu et étant à la limite d’être insomniaque, Lewis commençait ses entraînements vers 4 heures du matin, six jours sur sept, le dimanche étant réservé au Seigneur. Ahem. Quoi qu’il en soit, la fatigue le rattrapait ponctuellement mais ça faisait des années qu’il avait réussit à coexister avec elle. Une silhouette familière se détacha soudainement et le visage de Lewis se fendit d’un sourire éclatant. Le barman arriva à leur table alors que Kalen s’installait en face de Lewis. « Tu as failli me faire attendre et tu sais ce qu’il arrive à ceux qui me font attendre… » lâcha-t-il avec un clin d’œil tout en attrapant son verre de whisky. « Je pensais discuter un peu ici et on peut ensuite descendre au speakeasy… je pense que tu vas apprécier le chanteur de ce soir… ». Un regard entendu, un claquement de verre pour trinquer à la soirée qui débutait et une gorgée du liquide ambré vint réchauffer son palais. « Tout va bien sinon ? » Lewis redéposa son verre et se cala dans son siège, son regard scannant la salle tel un faucon, bien que totalement focalisé sur son cousin.

 

@Lewis Giacometti | 21.07.2020

Vingt heures trente. Et merde. Kalen n'avait pas pour habitude d'être en retard, ou plutôt... il n'avait pas pour habitude d'oublier l'heure. Les retards volontaires étaient fréquents pour diverses raisons. Faire attendre, se faire désirer, agacer son père. Entre autres. Mais pour le coup, il n'avait pas prévu d'arriver en retard à sa petite soirée avec son cousin. Heureusement, il lui restait un peu de temps pour se préparer et filer. Il commanderait un taxi et ferait comprendre au chauffeur qu'il ne pouvait pas se permettre d'arriver en retard. S'extirpant avec hâte de son lit dans lequel il s'était posé, casque sur les oreilles et musique dans le crâne pendant des heures, il alla se doucher rapidement pour ensuite se coiffer et enfiler une chemise de créateur et le pantalon noir assorti. Les soirées avec Lewis se passaient souvent de la même manière, mais il était incapable de s'en lasser, et les choses étaient assez excitantes pour ne jamais donner l'impression d'une routine. Une fois encore, ils allaient réquisitionner le coin de bar qui leur appartenait, se comporter comme deux souverains dans leur royaume, puis identifier quelques proies et voir comment s'amuser avec celles-ci. Programme prévisible, mais inlassablement passionnant. Dans le taxi, il vérifia l'heure sur son téléphone. Hors de question de prévenir d'un quelconque retard. Il avait trop de fierté pour ça, et il arriverait à 21h05 tout au plus. Son chauffeur avait bien compris le message, appuyait sur l'accélérateur avec talent jusqu'à s'arrêter devant l'hôtel. Quelques billets en guise de pourboire, et Kalen sortait de là pour s'élancer vers les portes. L'instant suivant, il était dans le fameux bar, là où ils avaient leurs petites habitudes, et ce fut à la table dans le coin qu'il trouva Lewis. Rien de surprenant à cela. Déjà, le serveur était en train de poser deux verres de whisky sur la table, tandis que Kalen s'installait dans le fauteuil qui faisait face à son cousin, s'épargnant d'ailleurs toute salutation normalement attendue. A peine Lewis eut-il ouvert la bouche qu'il arracha un sourire et un haussement d'épaules à Kalen. A l'évocation du chanteur, il arqua un sourcil, intéressé. « Ah oui ? J'espère qu'il est talentueux. Je fréquente pas les artistes médiocres, même si c'est juste pour quelques minutes » il lança en réponse, un sourire s'étirant sur ses lèvres. Il avait des standards, après tout. Estimant que toute minute passée avec lui était un don du ciel, il ne pouvait pas en faire profiter n'importe qui et s'intoxiquer avec des présences néfastes. Verre contre verre, et voilà qu'il sentait la douce brûlure du whisky descendre dans son œsophage, promesse d'une belle soirée en perspective. « Très bien. J'ai signé un contrat on ne peut plus intéressant ce matin, puis je me suis offert mon après-midi en récompense » En récompense, comme s'il y avait eu le moindre effort désagréable, comme si tout n'était pas désespérément facile parfois. Certes, les négociations avaient duré quelques semaines, il avait fallu se battre et ne rien lâcher, mais Kalen avait su dès le début qu'il obtiendrait ce qu'il voulait. « Et toi alors ? Bonne journée ? » il demanda après avoir zieuté en direction du bar, là où se trouvait un petit groupe de jeunes femmes en robes de soirée. Bijoux, coiffures, maquillages impeccables et éclats de rires sonores autour de verres de vin.

 

@Kalen Giacometti | 21.07.2020

La répartie spontanée de son cousin, bien que totalement prévisible, le fit éclater de rire, évacuant par la même occasion toute la pression sournoise qui s’était accumulée récemment sur ses épaules. « T’ais-je seulement déjà donné raison de douter, cher cousin ? » argumenta-t-il d’un ton mi-sérieux, mi-amusé. La réponse était pourtant limpide comme du cristal : obviously fucking not. Les Giacometti ne faisaient pas dans médiocrité. Leur image était très importante, les gens qui évoluaient autour d’eux se devaient d’être irréprochables – au yeux de la presse et en apparence, en tout cas. Après tout, la réputation de leur famille était en jeu. « Tu sais pourtant que je ne propose que la crème de la crème », accentua-t-il en finissant par une expression française pour se donner bon genre. D’un signe de tête, il indiqua à Julio, le barman en service ce soir, de les resservir, sachant pertinemment que leurs verres se videraient bien assez vite. Bien qu’ayant une cinquantaine d’employés au sein de l’hôtel, Lewis les connaissait tous, ayant fait un checkup intensif sur chaque personne qu’il employait. Pas question qu’un rat de la Bratva et autre  vermine vienne infester son lieu de vie et de travail. Paranoïaque ? Just a tad. Il avait un besoin viscéral de tout contrôler, de savoir ce qui se passait au cœur de son établissement à toute heure – job qu’effectuait Renato à la perfection grâce aux hommes qui étaient sous ses ordres, lui envoyant des notifications dès que quelque chose clochait ou qu’une personne d’intérêt franchissait les portes du Belmond. Rien ne lui échappait, même s’il feignait parfois  d’être au courant, juste pour avoir l’avantage sur son interlocuteur. Il finit d’une traite son whisky – un Talisker de vingt-cinq ans d’âge, aux arômes fumés et épicés, très représentatifs de l’île où il est produit – tout en écoutant son cousin raconter le déroulement de sa journée. Songeur, Lewis se fit la réflexion que cela faisait bien longtemps qu’il s’était octroyé une après-midi de repos, étant constamment en train de bosser, que ce soit pour son hôtel ou pour le compte la Nuova Camorra. Il comptait grimper les échelons et il savait qu’il ne pouvait pas se permettre de dormir sur ses lauriers. « Pas trop mal, » commença-t-il en faisant tournoyer le liquide ambré. « Enfin, si on exclut le fait que mon père, et le tien aussi d’ailleurs, m’ont fait comprendre que mes jours de célibat étaient comptés… » finit-il d’un ton lugubre, guère enchanté par la perspective de se faire passer la bague au doigt. Il s’était fait la promesse de ne se marier que par amour, c’est-à-dire, jamais ; le concept lui étant totalement étranger. Si le sentiment l’avait une fois effleuré, une décennie plus tôt, il avait vite été écrasé et maté dans les tréfonds du palpitant. Pourtant, il savait qu'il n'irait pas à l'encontre des désirs et intérêts de sa famille. Prima la famiglia. « Rien d’officiel pour le moment mais, vraisemblablement, il s’agirait de la fille d’Alcide Bellandi. » Il confirma face au questionnement de son cousin. La fille du don de la mafia italienne d’Arcadia. Galatea. Une beauté de sept ans sa cadette. Une jeune femme aux ressources inépuisables qui lui avait déjà donné un avant-goût de ce que leur vie maritale pourrait leur réserver. Ce que bénéficieraient son père et son oncle grâce à cette union, Lewis n’en avait cure ; cependant, il n’était pas idiot et savait qu’il pourrait lui aussi profiter de cette ascension. « C’est pourquoi, je compte bien en profiter ce soir », termina-t-il en prenant son cousin par les épaules. « D’ailleurs, je me réserve le droit sur la brunette au bar, » lui souffla-t-il dans l’oreille en jetant un regard vers les jeunes femmes que son cousin observait discrètement depuis quelques minutes. C’était un jeu entre eux, si quelqu’un leur avait tapé dans l’œil, ils devaient aussitôt le dire et cette personne devenait off limits pour l’autre. Un autre geste et Julio comprit aussitôt cette deuxième directive : et une tournée de shots offerte par la maison pour les demoiselles aux jambes vertigineuses et aux décolletés plongeants.

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