never enough jewelry

@ambrose moran ⊹ @SIOBHÁN KEARNEY

Elle ne le cachait plus. Ce galbe trop longtemps dissimulé, masqué aux yeux du monde par peur et par superstition, elle l’affichait désormais sans détour et s’autorisait même à vivre. Si la prudence était de mise, elle pouvait de nouveau sortir, vaquer à ses occupations habituelles, et profiter de son état à cette période où les douleurs s’estompaient pour laisser la place aux sensations plus agréables. Maintenant que les risques étaient moindres - pour elle autant que le bébé, qu’elle apprenait à maîtriser sa dernière faculté et pouvait agir seule sur leur santé, plus rien ne semblait pouvoir gâcher son bonheur.
Evidemment, il y avait toujours les mafias, les dieux et le Chaos plus que jamais prêt à sortir de l'ombre, et ils étaient toujours à Arcadia.
Elle y pensait souvent, les yeux rivés sur l'océan, à prendre le premier avion et à ne jamais revenir. Au fond, ses craintes étaient toujours les mêmes ; que la vie la laisse de nouveau espérer, être heureuse, juste assez pour qu'un drame finisse encore par tout détruire. Que cette ville gangrenée par le mal la prive d'un plaisir aussi simple que celui de vivre une vie normale, de fonder une famille...
Mais elle n'était plus seule, pour songer sérieusement à partir. Ici, il y avait toujours ses proches, deux enfants désormais, et celui à venir. Un foyer presque éclos, certes bâti dans la panique, qui pourtant semblait sain et rempli de promesses.
Et puis, il y avait de nouveau un homme. Pas celui qu’elle aurait pu un jour imaginer. Pas un qui la conforte dans ses doutes et dans ses peurs mais qui, bien au contraire, sait peu à peu les effacer. Un homme qui ne cille pas, qui ne s’inquiète pas à outrance ; à la limite de l’insouciance parfois, mais qui lui fait beaucoup de bien. Un homme qui ne se morfond pas, qui préfère profiter, et qui l’exhorte à faire de même. Un homme qui, par ses habitudes - si éloignées des siennes, la libère finalement de ses angoisses et la rassure, seulement par sa façon de voir les choses et d’affronter la vie.

Par la paix intérieure qu’il lui apporte - alors que paradoxalement, il souffle sur son existence un vent de nouveautés, véritable tornade qui a chamboulé ses règles et sa routine, elle s’en était éprise. Et cela se voyait. Sans qu’on ne sache trop dire si c’était dû à sa grossesse, au palpitant énamouré ou un ensemble de changements, elle était rayonnante.
Le regard allégé de ses tourments habituels, les cheveux d’un roux éclatant et le teint frais, elle gardait ses lèvres étirées en permanence. Un sourire qui n’en partait plus, même si parfois il se faisait à peine visible, accompagnant ses yeux rêveurs de mère en devenir. Et bien souvent elle s’égarait dans ses pensées, orbes glacées fixées à l’horizon ou bien aux alentours, les bras enroulés sur son ventre.

Exactement comme à l’instant.

Ce n’était pas la première fois qu’elle se perdait dans la contemplation de ces vitrines. Qu’elle appréciait l’odeur du cuivre, du bois vieilli et le son des talons sur les lames de plancher. L’endroit n’était pas grand. Il n’était pas moderne ; il était authentique. Il n’y avait pas quantité de rayons à observer entre ces quatre murs, et quand plusieurs clients y entraient à la fois, on pouvait s’y sentir à l’étroit. Mais c’était sa boutique favorite, et le moment qu’elle préférait : celui juste après que la cloche de la porte ait sonné, où la voix résonnait depuis la pièce voisine, priant les gens de patienter. Elle admirait le travail des orfèvres au lieu de les attendre devant un comptoir vide. Comme on contemple l’art dans une galerie, au calme, et seul avec soi-même.

« Bonjour ».

Mais elle ne s’offusquait jamais d’être éventuellement interrompue par les artistes. Et justement, celui qu’elle était venue voir apparaissait pour l’accueillir. Une silhouette et un visage qu’elle aurait reconnus entre mille ; les traits doux d’un enfant contrastant avec sa mélancolie brute au fond des yeux, pourtant cachés derrière des mèches de cheveux effilées. « Comment vas-tu ? ». Elle s’approcha et déposa sur la surface entre eux, un sachet en papier rempli de ses remèdes, qui lui était destiné. Depuis peu, il était son patient en plus d’un maître orfèvre ;
héros et déesse échangeaient leurs talents.