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Last Ray of Light

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Last Ray of Light - Dim 29 Avr - 19:29

LAST RAY OF LIGHT
Joaquin Costilla ∞ Pya Vetula

(www)

Elle devrait savoir, Pya, depuis le temps, ce que renferment les pièces noires avant qu'elle n'y entre, avant que la Calavera n'ait fait le nettoyage des sols et la lessive des corps blêmes. Elle devrait s'en douter, et quelque part au fond d'elle, elle sait. Les poings qui écrasent les joues, qui font tomber les dents, l'acier qui ronge la chair, le sang qui jaillit d'artères. Et puis, toutes ces autres petites perfidies dont ils font preuve et qu'elle ne pourra jamais appréhender, la cruauté anodine du gang aux armoiries morbides. Mais jusqu'ici, jamais elle n'avait eu le cran de vérifier l'hypothèse, d'effacer l'hésitation. Elle ne voulait pas, parce que cela voudrait dire que le père qu'elle avait quitté n'était pas pire que la famille qu'elle avait retrouvée, et cette évidence, elle préférait la nier, la rejeter en bloc. Elle n'avait pas quitté un démon pour se lier au diable, n'est-ce pas ? Non, avait tranché Pya, quelques heures plus tôt, elle se trompait ; Dieu n'aimait pas l'ironie, pas à ce point.

Elle s'avança, esquissa quelques pas maladroits dans le couloir sans fin, celui qui se trouvait à l'arrière du bâtiment, celui dont on lui avait expressément interdit l'accès, sauf lorsqu'on l'appelait. Lorsque les voix se taisaient derrière les battants, lorsque leurs invités se ramollissaient, que la peau se creusait, pâlissait, et que la mort apparaissait. La mort. Ils crachait ce mot comme une sentence, comme un mal, quand Pya n'y voyait qu'une pause, une brève entrevue accordée à soi-même, loin des autres, loin du déluge des émotions et du grabuge du monde. Mais elle écoutait, elle se rendait sur place, on lui ouvrait la voie, et elle découvrait la non-vie, l'état de repos des soldats entreposés à même le sol ou sur une chaise brunie par l'eau et la javel. Elle découvrait les ravages, que certains avaient soigneusement lavés, découvrait les ennemis, les amis, les ils-en-savent-trop. Elle ne parlait pas beaucoup dans ces moments-là, elle se contentait de baiser les lèvres glacées, d'y insuffler de l'énergie, puis lorsque les premiers hoquets du réveil survenaient, secouaient l'inanimé, on la remerciait et on la raccompagnait jusqu'à sa chambre. Et elle se laissait conduire, brebis docile au sein d'une meute de loups.

Main tendue, elle poussa du bout des doigts une des portes interdites. La curiosité n'est pas un pêché. La curiosité est un des maux de l'humanité mais elle ne me conduira pas en Enfer. Je me repentirai, je jeûnerai, je me flagellerais s'il le faut, mais je dois savoir, je dois transgresser. Ça pivota, ça grinça, les gonds mal huilés protestant contre le traitement infligé, puis les néons jetèrent leur lumière faiblarde dans la pièce, dévoilant l’innommable, la vérité tant redoutée.

L'odeur la frappa en premier. Un parfum âcre, cuivré, auquel s'ajoutait une forte dose de sueur. Ça lui retourna le ventre, avant même qu'elle ne pose un œil déconfit sur la mise en scène macabre.

Sur une chaise, là, devant elle, par-dessus une bonde d'évacuation gorgée de torsades carmines, se dressait difficilement un homme. Son corps courbé, à moitié recroquevillé, ne tenait plus que grâce aux liens qui le rattachait aux barreaux. Son visage défoncé, gonflé de bosses, tordus par des coupures béantes et coloré par des ecchymoses violacées, rendait impossible l'identification. Elle n'aurait pas même pu dire l'âge qu'il avait. Du sang coulait de ses lèvres, s'égouttait par litres – du moins, c'est l'impression qu'elle en garda – sur sa chemise blanche déchirée, ses doigts étaient tordus, braqués en des angles inimaginables, un de ses genoux ressemblait à un amas de chair hachée et seul un gargouillis continu crissait sur sa langue, tandis qu'il braquait ses yeux à demi-clos sur elle. Ce n'est plus un homme, c'est un damné.

L'horreur remonta le long de sa gorge comme une nausée, le couloir la ravala, loin de la porte, loin de l'odieuse vérité. Des hoquets la saisirent et elle les étouffa sous sa paume. Aide ton prochain, Pya. Les larmes coulèrent sur ses doigts tremblants et elle s'avança à nouveau, les jambes flageolantes, à deux doigts de régurgiter son dîner sur le béton tâché. Elle tendit son bras valide vers l'autre, vers le martyr que la souffrance secouait si férocement, mais dès qu'elle eut touché sa jambe, il tressaillit et poussa un gémissement à fendre le cœur de Judas lui-même. « Oh mon Dieu, désolée, je suis désolée... », murmura-t-elle en s'écartant à nouveau. Court-circuit au niveau de ses tempes. Je le libère, songeait-elle, avant de repenser à la Calavera, ses sauveurs, sa famille, ses amis. Les seuls qui connaissaient l'existence d'Esperanza Avila, celle qu'elle avait jadis été, celle qu'on avait enterrée, qui était restée à Cuba, sur la plage où les eaux écumeuses l'avait réveillée, après la fin de son monde. Elle s'écarta encore, loin de la corde qui le liait, loin du sang, des suppliques. Son dos heurta le mur et elle s'effondra, à son tour recroquevillée, genoux repliés contre sa poitrine, agitée par des sanglots inqualifiables.

Que fait-on lorsqu'on est confronté au pire dilemme moral de toute son existence ? Sauver un homme, trahir les siens ou se choisir soi-même, choisir sa famille ? Que fait-on quand on réalise que sa famille est peuplée de monstres, de croque-mitaines cinglés, psychopathes, cannibales, traîtres, fugitifs ? On fuit. Tu l'as déjà fait, Pya. Fuis encore. Elle se recouvrit le visage de ses mains, incapable de raisonner correctement. Arcadia est une géante, peuplée de voyous et de brigands. Préférait-elle être contre eux ou avec eux ? Ils m'ont sauvée. Et au final, c'était peut-être tout ce qui importait, non ? Elle ne savait pas.

Un craquement lui fit relever le nez d'entre ses paumes. Une silhouette se découpait à contre-jour dans l'encadrement de la porte, une ombre imposante, sévère, qu'elle ne reconnut pas tout de suite. Pourtant, elle implora aussitôt, sans se soucier d'avoir été prise la main dans le sac. « Tuez-le. », demanda-t-elle, soudain alerte, les yeux écarquillés sur une émotion empreinte de gravité, « Je vous en prie. Donnez-lui une pause. Juste un instant. Libérez-le. ». Une plaidoirie larmoyante mais lucide. Pya savait ce qu'elle demandait, en revanche,  elle ne comprenait pas ce que cela impliquait pour eux. Si la mort, à ses yeux, ne se révélait pas définitive, qu'elle n'apportait qu'un soulagement temporaire, cette vérité ne s'appliquait pas à tous et il lui était difficile de l'appréhender. D'autant plus quand elle se retrouvait soumise à un stress de cette envergure ; elle réfléchissait selon la supposée déesse qui lui grignotait les entrailles, et plus seulement en tant qu'être humain.

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Last Ray of Light - Mar 8 Mai - 23:53



Last Ray of Light


On l’a appelé pour finir un travail que ses hommes n’arrivent pas à boucler. Joaquin les sait pourtant persuasifs. Il connaît leurs méthodes, leurs manières de faire plier le corps et l’esprit, de torturer la chair, de laisser l’âme au bord du gouffre, sans jamais lui accorder la libération. Il sait comment ils entretiennent l’espoir de s’en tirer, comment ils massacrent les membres, font craquer les os, vident le corps du sang. Il sait comment ils rendent aveugles, muets de peur, bruyant de supplications. Il sait leur soif de sang, leur satisfaction à voir l’autre souffrir, la fierté de se sentir puissants. Il sait aussi ce qui est fait des corps ensuite. Car ce ne sont jamais que ça. Des organes bien disposés. A l’instant où ils ont livré leurs secrets, ils perdent toute valeur et sont abattus. Comme des chiens au mieux. Lentement si on les laisse crever sur la chaise, de faim, de soif, de froid ou d’infections. Les lames ne sont pas nettoyées après chaque séance. Les chaises sont tachées du liquide vermeil. Le lieu pue la javel, la sueur, la peur et la mort. Et quand la vie quitte ce qui reste de l’humain, les organes utiles sont prélevés, le corps est bourré dans du fils barbelé, lesté de plomb, jeté au fond de la baie. Quand le cadavre grossit, se gonfle en se décomposant, alors les barbelés le coupent en petits morceaux qui viennent nourrir les poissons.
Ce n’est pas une belle mort. C’est un abattage en règle, une traque qui prend fin. C’est loin des belles funérailles que les membres de la Calavera se voient offrir par l’association. C’est laid, c’est mauvais. C’est efficace. Tout comme l’est Joaquin quand il descend dans ce bâtiment. Il n’y vient pas souvent. Plus aussi régulièrement avant. Avant, c’était lui qui faisait le sale boulot. C’était ses mains qui se tachaient de pourpre, ses yeux qui recueillaient les scènes sanglantes, ses oreilles qui entendaient tout, les cris, les supplices, les secrets. C’était son cerveau qui ne s’en voulait pas, qui le réveillait chaque matin sans remords. C’était lui le bourreau. Aujourd’hui il les commande.
Alors quand il y va, ce sont pour les plus forts. Ceux qui ne crachent rien malgré tous les efforts. Mais quand Joaquin rentre dans la pièce, la résistance s’envole. Son pouvoir les emplit, leurs promet la libération, la fin de leurs souffrances. Il brise leur esprit sans même les toucher, se contente de parler, de recueillir leurs dires. Les mortels ne tiennent souvent que quelques secondes. Les divins sont plus difficiles à avoir. Mais tous finissent par y passer. Parce que leurs corps restent humains.

Quand il rentre dans la pièce, quelque chose ne va pas. Un corps recroquevillé contre un mur, une figure affaissée, une femme qui fait tache dans le paysage. Un élément pur dans un monde souillé et mauvais. Quelque chose qui n’a pas sa place ici, devant ce corps charcuté, prêt à passer dans le monde des morts. Joaquin, lui, se sent bien. Buluc Chabtan bouillonne en lui, semble se réveiller. Le dieu s’étire, se lèche les babines, prêt à passer à table. Ce n’est pas un sacrifice, un beau comme il les aime, mais cet homme est sur le point de mourir soudainement et violemment, comme il en rêve. Il le sait, il le sent, c’est dans les tripes de l’humain qu’il habite.
Joaquin s’avance, silencieux, regarde d’abord l’homme qui lâche un râle bruyant, qui crache à moitié une glaire de sang. Ses yeux finissent par se poser sur Pya Vetula. Un diamant presque brut. Qui a des fissures, ici et là. Une pierre pure. Il y a une âme dans son corps, contrairement à Joaquin qui a vendu la sienne à sa cause il y a des décennies. La puissance et la Calavera. Voilà ce pour quoi il sacrifiera tout ou presque, y compris sa propre vie.
Il regarde la femme, son corps encore gracile, ses grands yeux horrifiés. Il le sait, sur ses propres traits, on ne lit rien. Il n’y a qu’un masque, deux billes noires qui fixent la fragile tremblante. Il n’y a ni chaleur ni froideur, ni sourire ni grimace. On ne le dirait pas humain, sans doute. Pourtant, sous son crâne, c’est une étrange tempête. Presque calme, mais tumultueuse, méthodique. Il réfléchit vite, mais plusieurs parties de lui n’aspirent pas à la même chose. Une veut préserver Pya, sa pureté, son innocence. Celle-là veut avoir la preuve sous ses yeux, dans sa paume, dans sa mémoire, que le monde n’est pas entièrement pourri. Une autre veut cesser les faux-semblants coûteux que Pya et ses croyances lui imposent. La surveiller, la protéger, faire en sorte qu’elle ne s’égare pas. La logistique de la Calavera n’est pas faite pour ça et le fait qu’elle soit devant lui, les larmes aux yeux dans cette salle en est la preuve. Une autre, égoïste, ne veut pas lui donner ce qu’elle demande. Celle-ci, c’est celle solitaire et presque apeurée. Celle qui sait qu’il cohabite avec un dieu et que ce dernier pourrait l’annihiler. Celle qui ne veut pas couler seule, qui entraînera tout le monde dans sa chute.
Ses yeux se reposent sur l’homme. Il ne peut pas le tuer. Il n’a pas fini ce pour quoi il est venu.
- Ne regarde pas. Ne sors pas.
Les mots s’adressent à Pya. Il la laisse-là alors qu’il rejoint le damné. Il se penche à son oreille, lui murmure quelques mots.
- C’est bientôt fini. Il suffit que tu me dises où tu as appris ça et tu pourras partir.
L’homme sanglote peut-être. C’est difficile à dire, il s’étouffe à moitié, met quelques secondes à nettoyer sa gorge du sang qui s’écoule de son nez. Joaquin sent ses reins se remplir de chaleur, ses doigts lui piquer, sa respiration s’accélérer. Son pouvoir envahit l’esprit de l’homme, embrumé.
- C’est … C’est le gars de la 4ème rue, qui tient une agence immobilière.
- C’est tout ?
- Oui … S’il vous plait …
Il répète les derniers mots, de plus en plus fort, la bouche gênée par les bleus et contusions, alors qu’il se rend compte qu’il vient de poser son dernier atout. Joaquin le croit. Mieux, il sait que l’animal ne ment pas.
Joaquin l’abat en ayant pris un peu de recul, suffisamment pour ne pas être taché par les restes du cadavre chaud.
Il revient vers Pya ensuite, remet en place le pistolet sous le pan de sa veste. Il y a quelques secondes de silence. Elle en a trop vu, l'innocente, elle ne peut plus partir. Il n’en a jamais été question évidemment. Elle est bien trop précieuse, bien trop unique. Bien trop elle pour qu’il la laisse lui filer entre les mains, colibri agile.
Il se baisse à sa hauteur, agenouillé.
- Qu'est-ce qui s'est passé ?
Ses yeux se posent dans ceux de Pya, creusent, féroces.
- Tu ne devais pas venir là. Pour te protéger. Ces hommes sont mauvais, tu te mets en danger.
C'est un mensonge dit avec une sorte de douceur. Comme si c'était vrai, comme si Joaquin se souciait vraiment de ça. Dans un sens, oui. Parce qu'elle attise en lui un feu qu'il a étouffé depuis ses seize ans, depuis qu'il a rejoint cette milice luttant contre le narcotrafic. Une balle contre une balle. Un mort contre un mort.
Ce n'est qu'une demie-vérité. Elle s'est véritablement mise en difficulté en assistant à cette scène. Mais surtout, elle met la Cala en péril, chose que Joaquin ne peut pas permettre, alors il essaie de sauver les meubles. De lui faire croire que cet chose sur la chaise, ce démon déformé a mérité son sort, que la Calavera lutte contre ces monstres. Ça ferait presque rire Buluc Chabtan.

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Last Ray of Light - Sam 12 Mai - 18:05

LAST RAY OF LIGHT
Joaquin Costilla ∞ Pya Vetula

(www)

À travers le brouillard de ses larmes, l'identité de l'homme continuait de lui glisser entre les doigts, mais Pya ne s'en souciait pas. Parce qu'à l'intérieur de sa boîte crânienne, la panique soufflait, l'horreur mugissait, et rien ne lui apparaissait plus clairement. Il n'y avait que cet homme, cet être tordu, brisé, enseveli sous le sang comme Carrie au bal, cet homme et sa souffrance qu'elle crevait d'envie d'éteindre sous les eaux plus calmes de la mort.

« Ne regarde pas. Ne sors pas. ». Ses paupières papillonnèrent, trop vite, de trop nombreuses fois, sur ses iris hagards, et la voix la transperça. Posée, elle possédait toutefois des inflexions autoritaires qui refusaient tout dialogue. L'Esperanza, lovée entre ses côtes, docile et fragile petite chose, ronronna de plaisir, parce qu'elle ne demandait que ça, des ordres auxquels obéir, mais ce besoin de soumission se heurtait à un mur tenace, à une entité plus sombre, qui se repaissait de cette mort prochaine, apaisée, qui refusait de détacher ses yeux grand écarquillés de cette représentation macabre. Je ne sors pas mais je dois regarder. C'est ce qui m'a conduite jusqu'ici. Le besoin de voir.

La silhouette se tordit vers le balafré et un échange prit place. Court, ponctué de suppliques. Et le clou du spectacle se dévoila enfin.

La silhouette sortit un pistolet, un de ceux qui coulaient à flot à Arcadia, un de ceux qu'elle voyait régulièrement accroché aux ceintures, mais dont elle n'avait jamais pu observer l'efficacité. Parfois, il lui arrivait de douter de sa réelle utilité ; l'arme servait à expulser un bout de métal minuscule, extirpé par la gâchette d'un ovale sombre pas tellement plus gros qu'une coquille de pistache, et ce minuscule morceau était censé causer des dégâts que tout le monde disait irréversibles. Pya en doutait. Cet homme, même mal en point, devait bien peser dans les 95 kilos, mesurer un bon mètre quatre-vingt, même s'il était difficile d'en juger à travers la silhouette pliée comme du papier – origami morbide de chair et d'os – alors, que tout cela puisse être mis en veille par neuf millimètres de plomb ? Improbable.

BANG.

Pya frémit jusqu'à l'os, ses lèvres s'écartèrent sur une exclamation ébahie et son cœur se mit à cogner comme un affamé, à pomper avidement sang et adrénaline, sans plus pouvoir s'arrêter. Les yeux écarquillés, son corps figé, elle attendit, coincée dans une appréhension teintée de fascination. Et lorsque le mince nuage de poudre fut enfin dissipé, la surprise se mêla au soulagement. Le menton de l'homme reposait sur le haut de sa poitrine et un rond net trouait son front, un tout petit trou, creusé au milieu d'un carnage et duquel s'écoulait du sang. Ses muscles se délièrent, son estomac reprit une position correcte et les nausées, les sanglots, les tremblements, tout disparut, la tension habitant son corps trop mince envolée. Il ne souffre plus. « Merci... », murmura-t-elle, paupières closes.

Un délicieux bien-être remplaça le malaise précédent, mais il fut presque aussitôt chassé par un frisson terrifié. Cela n'ôtait aucun poids à la vérité : Pya se trouvait dans une famille de croque-mitaines et l'un d'eux se tenait devant elle. Les monstres se mangent-ils entre eux ? Se demanda la Peur. Tu n'es pas un monstre, répondit la Conscience. Toutefois, Pya ne savait plus ce qui était vrai ou faux et elle n'avait pas de réponse satisfaisante à offrir, que ce soit pour la question ou l'affirmation.

La silhouette s'approcha, étouffa les lueurs vives du néon lorsqu'elle se dressa au-dessus d'elle. Puis elle s'agenouilla et à travers la brume des larmes séchées, Pya le reconnut enfin. Le teint chaud, quelques mèches sombres retombaient sur son front mais manquaient à masquer les ombres noyant ses iris. Joaquin Costilla. Commandante. Pya eut du mal à déglutir. Joaquin n'avait jamais porté la main sur elle, ni élevé la voix outre-mesure, mais il suffisait de l'observer là, ramassé comme un aigle prêt à fondre sur sa proie pour comprendre qu'il valait mieux se préserver de sa colère.

« Qu'est-ce qui s'est passé ? ». Elle aurait voulu répondre, vraiment, mais son regard dur lui cloua la langue au palais. Je voulais vérifier mon hypothèse. À savoir que vous tenez plus de la famille Adams que des parfaits Ingalls. Cela dit, j'aime beaucoup la famille Adams, ils me font rire. « Tu ne devais pas venir là. Pour te protéger. Ces hommes sont mauvais, tu te mets en danger. ». Sa voix glissa comme du velours à ses oreilles, ou du moins, elle fut assez douce pour contrebalancer l'inquiétude provoquée par la noirceur de ses iris. « Mauvais ? ». Le mot ricocha sur ses lèvres, l'éclaboussa de toute son étrangeté. Il n'avait pas eu l'air mauvais lorsqu'il l'avait suppliée, lorsqu'il avait gémis et pleuré, mais le mal porte bien des masques pour tromper le bien. Mais est-ce si simple que cela ? « Comment était-il mauvais ? », osa-t-elle demander dans un murmure. Pas pourquoi, parce que tout le monde possédait ses propres raisons, mais comment, en quoi était-il le méchant et eux les gentils ? Il n'a pas dit que cela faisait de nous les gentils. Elle repoussa cette pensée. Quels actes épouvantables avait-il commis pour qu'à son tour, il soit victime d'un déferlement de violence impersonnelle ? Était-ce même la raison pour laquelle on l'avait battu ? Parce qu'il était mauvais ? Peut-être pas. Joaquin lui avait demandé des informations, un nom. Il y avait peut-être un rapport. Elle ne savait plus.

Elle mourrait d'envie de croire en ce que lui disait Joaquin, parce qu'il faisait partie de sa terrifiante famille, parce qu'il connaissait le monde bien mieux qu'elle, pour mille autres raisons encore. Mais. Mais voilà, tout ne collait pas, elle le sentait. Elle glissa un bras autour de ses genoux et posa son menton sur le dit bras, s'arrachant au regard plein de dureté du commandante. « Si un homme bon torture un monstre, est-ce que cet homme devient un monstre à son tour ? ». Ou bien était-ce le juste retour de la vie ? Se faisait-il Main de Dieu ? Exécuteur du divin ? Porteur suprême du karma ? Tu ne tueras point. Non, voilà ce que que Dieu exigeait et Sa Parole ne donnait lieu à aucune exception, n'est-ce pas ? Père Avila aurait su m'éclairer. Ses yeux se braquèrent sur l'arme, dissimulée pour moitié sous le tissu épais de la veste. Père Avila t'aurait fait du mal. Elle tendit le bras, écarta le pan de veste gênant, puis effleura la crosse du bout des doigts. Quelle chose puissante. Il ne fallait même pas être proche, il vous suffisait de viser, puis de presser la détente et PAN, mise en veille forcée.

« Je suis désolée d'avoir désobéi. », murmura-t-elle sans quitter des yeux la masse noire chargée de plomb, et elle le pensait, Pya ne mentait pas, jamais. Cela ne voulait pas dire qu'elle regrettait. Elle braqua à nouveau son regard mordoré dans celui de l'homme, un regard sans agressivité, naïf. « Je voulais voir à quoi ils ressemblent avant que je ne les réveille. ». Ceux qu'ils avaient trop amoché, ceux qu'elle réanimait d'un baiser, ceux qu'elle renvoyait parfois dormir. Des larmes rengorgèrent ses billes mais elle ferma les paupières pour les emprisonner, se reculant pour mieux se coller contre le mur. « Ils sont mieux après. », annonça-t-elle finalement dans un certain soulagement.

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Last Ray of Light - Dim 20 Mai - 19:16



Last Ray of Light


- Mauvais ? Comment était-il mauvais ?
C’est une question dangereuse, intéressante. Pleine de subjectivité. Pourtant, Joaquin est sûr que la vérité ne plairait pas à Pya. Il peut lui dire, que l’homme voulait doubler la Calavera, se faire de l’argent sur son dos. Il peut lui dire, qu’il s’est cru plus malin qu’eux, plus fin, plus intelligent. Il peut lui dire qu’il a mis en danger le trafic d’organes mis en place dans le quartier, qu’il a prévenu de futures victimes de ce que la Calavera, déesse sans pitié, voulait leur faire subir, en échange d’une reconnaissance éternelle et de billets verts généreux. Il peut lui dire que la mafia voulait une partie de leur corps, peut-être de leur âme, qu’elle allait ruiner des vies, qu’elle l’a déjà fait, qu’elle le fera encore. Que ce sera le cas tant qu’un commandante sera à la tête de l’organisation. Il peut tout lui dire, mais comment le faire en la voyant comme ça. A quoi bon ? Elle ne comprendrait pas, ne verrait pas les choses tel qu’il les voit, tel qu’elles sont. Elle regarde sans doute un homme sur cette chaise, rien de plus. Quelqu’un que l’on a fait souffrir sans fin, dont on a arraché la dignité sans remords, qu’on a pris à sa famille, ses amis et ses rêves. Joaquin, ça fait longtemps qu’il a appris à ne plus voir d’âme en ces corps. Que des adversaires, des charognards, des parasites, des gens à tuer, qui pompent le sang de la Calavera en se croyant intouchables. Ce ne sont que des mortels, réincarnés ou pas. Le corps est fragile, si menu qu’il ne faut pas longtemps pour l’effacer de la surface de la terre. Puis se sont les mémoires qui se vident et bientôt, il n’y a plus de traces de ces damnés. C’est ce que craint Joaquin. L’oubli, terrible. La mort, il n’en a pas peur, il l’évite parce qu’il aime la vie ici-bas. La souffrance, il ne la connaît pas, plus depuis ses seize ans, depuis que Buluc Chabtan s’est glissé sous sa peau, y a fait son nid. Mais les souvenirs des autres qui deviennent vierges de sa présence ? Oui, ça il en a peur. Buluc Chabtan revoit ses temples se disloquer, les prières se taire, les sacrifices se tarir. Joaquin revoit ses sept frères et sœurs, mélange de prénoms et de personnalités devenus indissociables dans l’esprit de leurs voisins, au Mexique. Les Payan, voilà ce qu’ils étaient. Et lui, ce n’était que le dernier gamin, celui qui a tué sa mère à l’accouchement. Celui qu’il fallait nourrir en plus, celui qui n’a pas fait d’étude, qui a plongé dans la violence l’année où le dieu est venu frapper à sa porte. Il ne veut pas être oublié Joaquin. Alors il s’efforce de marquer les esprits. Sa survie dépend finalement des autres. Il a une certitude cependant. Celui qui a tué Javier se souviendra de lui jusqu’à la mort. Il y en aura au moins un pour connaître le nom de Joaquin Costilla. Parce qu’il a effacé tous les autres noms dans son esprit pour ne garder que le sien. Pour l’exemple.
- Si un homme bon torture un monstre, est-ce que cet homme devient un monstre à son tour ?
Il plisse les yeux, arraché à ses pensées, à son dilemme intérieur. Elle pose beaucoup de questions. Des questions affûtées, dérangeantes, qui ne devraient pas sortir de sa bouche. Pas devant lui. Pas devant celui qui a tué plus d’hommes qu’il ne s’en souvient. Elle semble ignorer ce qu’il a fait. Ne pas l’envisager, tout du moins. Il n’est pas un homme bon. Il ne le sera jamais. Il ne sait pas quand il a cessé de l’être. Quand il a tué le juge de son frère ? Avant ? Quand il a rejoint une milice paramilitaire au Mexique ? La réponse importe peu dans le fond. Comme celle de la question de Pya. Ce ne sont que des principes pour se rassurer. Les belles paroles de ceux qui peuvent se le permettre. Qui en ont besoin.
Elle s'excuse en regardant son arme alors qu'elle effleure la crosse du bout des doigts. Il n'aime pas la lueur qui brille dans ses yeux, cette sorte d'admiration curieuse. Ce n'est pas bon, pas quand on fixe un M9 chargé. Il referme le pan de sa veste, cache le canon de la vue de la jeune femme, repousse doucement sa main alors qu'elle annonce enfin la raison de sa présence ici. Il pose de nouveau ses yeux sur le corps.
- Ils sont mieux après.
Il ne lui dit pas que quand on veut qu'elle les ramène, ils ne sont pas torturés ainsi. Des méthodes qui laissent moins de traces sont utilisées.
Il se relève et va tourner la chaise où est affalé le corps. De dos, on dirait presque qu'il dort.
- Il a mis en danger la Calavera. Il a mis en danger la famille.
La famille. Voilà ce que c'est, à ses yeux. Avec les membres que l'on n'aime moins et ceux que l'on chérit. Avec les avantages et les inconvénients. A la vie à la mort.
- Nous ne sommes pas toujours bons ici. Mais on te protège d'eux.
Les monstres. La Calavera la protège aussi de ce qu'elle est réellement. L'organisation lui voile face pour qu'elle ne voie pas tous les cadavres. Celui-ci, ce n'est rien, même pas le sommet de l'iceberg.
Il se tourne vers Pya. Il sait qu'il pourrait briser son monde en cet instant. Lui dire qu'il est un monstre. Qu'elle est entourée de monstres. Qu'elle en sera bientôt un si elle reste parmi eux.
Si une bonne personne aide d'autres monstres, est-ce qu'elle en devient un ?
- Ça dépend des intentions de l'homme bon.
Ça dépend de mille choses ou ça ne dépend de rien. Mais Joaquin, il n'est pas devenu commandante pour faire de la philosophie et calmer les remords d'une jeune femme désillusionnée.
Il se rapproche de nouveau, ne s’agenouille pas cette fois-ci.
- Tu ne peux pas aller où tu le souhaites si on ne te l’a pas demandé. Tu comprends ? Que certaines choses pourraient être plus dangereuses que cet homme.
Qu’il ne peut pas autoriser la désobéissance, même de sa part, même venant de cette femme qui réveille en lui des sentiments si mitigés, entre le besoin de la préserver à tout prix et celui de ne plus s’encombrer du poids de son innocence. Pourtant, une petite voix lui souffle que s’il voulait qu’elle reste pure, il ne fallait pas l’emmener avec lui en Enfer.

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Last Ray of Light - Ven 15 Juin - 17:29

LAST RAY OF LIGHT
Joaquin Costilla ∞ Pya Vetula

Une seconde plus tôt, ses doigts effleuraient la crosse du danger personnifié. L'instant d'après, le commandante les repoussait doucement hors d'atteinte, couvrait l'arme d'un pan de veste protecteur, et l'objet de sa fascination disparaissait de sa vue. Quelques minutes plus tôt, l'homme sur sa chaise se tortillait encore, et maintenant, il ne bougeait plus. Ainsi allait la vie ; tout vous était arraché de force et la seule chose que vous contrôliez, c'était la façon dont vous réagissez à la situation. Père Avila avait peut-être outrepassé certaines limites mais son enseignement perdurait et n'en demeurait pas moins vrai. Pya aurait pu se lever, réveiller cet homme abîmé, elle aurait pu tendre le bras à nouveau et chercher à fouiller le vêtement du patriarche de cette famille bancale, elle aurait pu se vexer, s'agacer, mais elle se contenta de soupirer, de baisser la tête. Son rôle se résumait à l'obéissance et elle avait déjà outrepassé trop de règles comportementales pour aujourd'hui. Elle capitulait.

Joaquin se releva dans un froissement de tissu, colonne d'ombre qui se déploie en silence, et s'avança vers le corps inerte. Lorsqu'il retourna la chaise, Pya s'efforça de ne pas intervenir, de ne pas lui demander de ne pas faire ça. Observer la souffrance lui posait problème mais regarder la mort au fond des yeux, sachant qu'elle en constituait le remède, ne la dérangeait pas. Elle savait que ce macchabée n'était rien de plus qu'une coquille de chair, vide, sans plus de propriétaire, et qu'elle ne se remplirait à nouveau que si elle le décidait. Pourquoi cacher une coquille ?

« Il a mis en danger la Calavera. Il a mis en danger la famille. », expliqua Joaquin. Son regard dériva une fois de plus vers le pantin inanimé, qu'elle ne voyait plus que de dos. Comment un être si misérable dans la mort pouvait-il représenter le moindre danger pour un homme de la stature de Joaquin Costilla ? Les deux ne souffraient aucune comparaison. « Nous ne sommes pas toujours bons ici. Mais on te protège d'eux. ». Voilà au moins des paroles dont elle ne doutait pas de la véracité un seul instant. « Je sais. », souffla-t-elle du bout des lèvres. Parce que malgré tout ce qu'elle voyait, tout ce qui l'effrayait à propos de ces gens auprès desquels elle vivait, ils avaient toujours fait preuve de générosité à son égard. Lui confiant un toit sous lequel dormir, un homme pour la protéger, un but sur lequel se concentrer.

« Ça dépend des intentions de l'homme bon. ». Pya reporta son attention sur lui, l'examina avec soin, s'attarda plus longuement sur l'endroit où elle savait reposer l'arme, et décida de se montrer honnête. Une franchise crue, dont elle ne percevait pas toute la brutalité, mais qui lui semblait essentielle, parce qu'elle n'avait jamais pu exprimer sa reconnaissance au commandante. « Pour être sincère, je ne suis pas sûre que vous soyez un homme bon et... ». Brève hésitation, durant laquelle elle chercha ses mots. « Et je ne sais pas quelles sont vos intentions, mais je vous remercie pour tout ce que vous avez fait. Vous avez été bon avec moi. ». Il n'y avait pas de mais qui suivait, pas de condition à sa gratitude, Pya était dévouée à la Calavera, à tous ses membres, et rien ne pourrait changer cette dévotion. Pas même l'homme au visage déformé sur sa chaise.

Elle n'aurait su décrypter les émotions – s'il en avait – de Joaquin Costilla, lorsqu'il se rapprocha. Toutefois, ainsi dressé au-dessus de sa silhouette recroquevillée, il ressemblait à un ogre, à un colosse inébranlable, prêt à affirmer son autorité. Il lui ressemblait, à Avila, lorsqu'il entrait dans ses colères foudroyantes. Elle, par terre, lui, au-dessus, pupilles dilatées par la rage extrême. « Tu ne peux pas aller où tu le souhaites si on ne te l’a pas demandé. Tu comprends ? Que certaines choses pourraient être plus dangereuses que cet homme. ». Mais ce n'était pas lui, ce n'était pas le padre, c'était le commandante et il était probablement plus redoutable encore que son père, et malgré la naïveté qui la caractérisait si bien, voilà un fait dont elle avait pleinement conscience. « Comme vous. ». Ce n'était pas une question, ou une quelconque arrogance de sa part, mais une vérité, Pya établissait un fait. Et ainsi, elle savait où la conclusion à toute cette histoire la porterait : elle avait désobéi et elle en payerait le prix.

Les souvenirs de maux, provoqués par sa désobéissance, lui lacèrent le crâne. La règle en bois qui cinglait le bout de ses doigts, enfant, puis le cuir de la ceinture qui mordait sa chair adolescente. Et les poings, les poings qui s'étaient mis à cogner trop fort lorsqu'elle était devenue une femme, parce qu'il devait la purger d'un pêché plus grave que tous les précédents. Comment avait-elle pu se montrer aussi idiote, au point de fâcher un autre membre de sa famille ? Des larmes gorgèrent le blanc de ses yeux, noyèrent ses pupilles, puis coulèrent sur son visage marqué par la gravité. Elle ne le regardait plus, ses iris mordorés fixés sur un point invisible, droit devant elle. Elle ouvrit la bouche, essaya de dire les mots appropriés, ceux que le padre souhaitait toujours entendre, pour qu'elle comprenne qu'il faisait cela pour son bien, mais ses lèvres se refermèrent sur du vide, tremblèrent. Elle ne voulait pas que la douleur revienne encore, l'idée la terrifiait, mais ce n'est qu'un mauvais moment à passer. La confiance reviendrait ensuite, n'est-ce pas ? Paupières closes, elle inspira longuement, avant de réussir à articuler d'une voix fragile, mais ferme : « J'accepterai ma punition, quelle qu'elle soit. ». Ses paupières papillonnèrent, se débarrassèrent des larmes gonflées, et elle releva enfin les yeux vers lui. « Je suis désolée d'avoir désobéi, je voulais juste... je voulais juste me sentir plus proche de ceux qui m'ont recueillie. ». En apprendre davantage sur ceux qu'ils étaient, sur ce qu'ils faisaient, sur ce qu'elle leur apportait. Sur sa place au sein de cette famille recomposée qu'ils formaient.

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Last Ray of Light - Ven 15 Juin - 23:08



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- Pour être sincère, je ne suis pas sûre que vous soyez un homme bon et... Et je ne sais pas quelles sont vos intentions, mais je vous remercie pour tout ce que vous avez fait. Vous avez été bon avec moi.
On dit souvent que quelqu'un de bon peut faire de mauvais choix. On dit moins souvent que quelqu'un de mauvais peut faire de bonnes choses. Mais était-ce une bonne chose, de la prendre sous son aile, de lui faire miroiter de belles promesses, appuyées par un pouvoir issu d'une mafia violente et sans scrupules ? Etait-ce une bonne idée, de la prendre au creux de sa main, elle, la pure, alors que jamais, jamais, il ne rend les choses bénéfiques ou meilleures ?
Elle a raison. Il n'est pas bon. Il est mauvais, mauvais à crever. S'il n'était pas un dieu, si le seul et l'unique existait bel et bien, son âme, elle irait en enfers. Si on portait ses actions devant les yeux de personnes innocentes, elles le prendraient pour un monstre. Pour quelqu'un qui a pendu le cadavre d'un homme devant la maison de ses enfants. Pour quelqu'un qui a rendu une personne folle à lier pour avoir éliminé un homme qu'il respectait. Pour quelqu'un qui vend des organes, des bouts de chair, de vie et d'espoir, qui les arrache pour les redistribuer à ceux qu'il veut, qui se prend pour plus puissant qu'il ne l'est réellement. Pour quelqu'un qui fait s'affronter des hommes, parfois à mort, qui les pousse à bout, pour un honneur, une gloire, une fortune vaine et illusoire. Pour quelqu'un qui sacrifie des vies humaines, puissantes mais souvent innocentes, pour sa propre puissance et celle de sa famille. Il n'est pas bon. Il l'a accepté il y a bien des années. En même temps que l'arrivée du dieu de la guerre. Il a beau craindre de plus en plus ce dernier, se méfier de sa puissance et de ses appétits encore plus ambitieux que les siens, il sait qu'il est lié à la divinité. Que son destin ne peut être séparé de celui du dieu. Qu'il lui doit en partie son poste et sa vie, telle qu'il la mène à ce jour. Et dans son arrogance, Joaquin Costilla ne veut pas être un corps de chair de plus, que le dieu jettera ensuite, qu'il oubliera. Il ne veut pas que sa malédiction personnelle recommence avec le dieu. Ce dernier est censé lui procurer la gloire, le faire s'élever au-dessus de ses frères et sœurs. Et même après sa mort, celle de l'humain, de Ramón Payan, il veut rester dans la mémoire de l'être millénaire. Et ce ne sera certainement pas en vivotant deci-delà. Il faut savoir faire des sacrifices. N'en est-il pas le dieu, après tout ?
Il ne répond pas. Il ne répond pas parce qu'elle a raison sur beaucoup de choses. Et peut-être tort au sujet de son attitude envers elle. Il ne sait pas encore si les choix qu'il a faits à son égard étaient les plus adaptés. Le fin mot de l'histoire arrivera vite, il n'en doute pas. Il préfère l'avertir et la réponse qu'il obtient, encore une fois, ne soulève sur son visage aussi réaction. Il est normalement satisfait, flatté, voire heureux quand un tiers reconnaît ses … capacités. Et si Buluc Chabtan exulte, Joaquin se sent étrangement vide. Vidé par les mots. Oui, il est plus dangereux que l'homme affalé sur la chaise. Que beaucoup d'autres. Mais il ne ressent aucune joie à l'idée que Pya l'identifie à cette dangerosité latente. Juste le sentiment de passer à côté de quelque chose, de quelque chose d'important.

Et puis elle se met à pleurer. Ce n’est pas inhabituel. Beaucoup de gens pleurent face aux membres de la Calavera. Mais ils sont souvent attachés, torturés, lacérés, pétris de douleur et de désespoir.
Il l’a fait pleurer. Il est pris de court, ne sait comment réagir, quoi dire. Il l'observe, elle et ses yeux fixes, comme attendant une libération. Il finit par détourner le regard, malade de ce sentiment qu’il n’arrive pas à identifier.
- J'accepterai ma punition, quelle qu'elle soit.
Mauvaise réponse. Ce n’est pas ce qu’il voulait entendre. Pas d’elle en tout cas. Pas de celle qu’il voit comme la dernière oasis de pureté au sein d’un groupe gangrené par la violence, l’envie, la colère. Ce n’est pas normal. Ce n’est pas normal qu’elle réponde ainsi, qu’elle accepte aussi facilement, qu’elle ne lutte pas. Il  a deviné ce qui lui est arrivé il y a longtemps, à Pya. Des brides de ce que ce dit, de ce que les oracles ont pu récupérer, des indices qu’elle sème, ici et là, peut-être volontairement, attendant qu’une perche se tende ou involontairement, livrant à des assassins une jeunesse trop éclatante. Il a deviné et ça ne fait que confirmer ses théories glauques.
- Je suis désolée d'avoir désobéi, je voulais juste ... je voulais juste me sentir plus proche de ceux qui m'ont recueillie.
Il plisse les yeux. On veut souvent beaucoup de choses, on ne l’obtient pas toujours.
- Lève toi.
Il lui tend une main qui ne souffre pas de refus.
- Regarde moi.
Il attend qu’elle le fasse, que les prunelles se rencontrent. Les siennes qui en ont tant vu contre celles de Pya, qui en découvre chaque jour.
- Tu es franche alors je vais l’être aussi. Cette fois-ci, tu vas repartir sans rien.
Il ne dit pas pourquoi. Il ne dit pas qu’il n’arrive pas à se résoudre à appeler ses hommes pour la conduire dans une salle adjacente où cette fois-ci, ce sera elle, la personne accrochée à une chaise.
- Je ne sais pas ce qu’on t’a fait par le passé, mais sache que si la Calavera s’en charge, tu n’accepterais plus jamais aucune punition de notre part.
Il la guide vers le cadavre, le contourne pour lui faire face.
- Regarde le.
Le sous-entendu est clair. Tu seras comme toi, si un jour, tu recommences, si un jour, tu fais quelque chose d’aussi grave. Parce qu’elle anime en lui des sentiments mitigés ou pas, la fonction de commandante le forcera à agir.
- La torture physique, ça ne concerne que toi. N’oublie pas que tu ne vis pas ta vie seule.
N’oublie pas qu’il est facile de prendre ce que les autres chérissent.
Il la ramène à l’entrée.
- Nous te protégeons, mais nous nous protégerons aussi. Ce n’est pas contre toi. Ca fonctionne ainsi. Mais tu n’es pas obligée de le subir.
Une perche tendue. Pas celle qu’elle attendait, sans doute.
- Tu fais partie de la famille maintenant. On participe tous à son fonctionnement. Toi aussi.

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Last Ray of Light - Lun 25 Juin - 19:06

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Joaquin Costilla ∞ Pya Vetula

« Lève toi. ». La voix tonna de façon étrange au cœur de cette pièce sans issue. L'ordre sonnait sans appel mais, même s'il l'avait susurré, elle n'aurait pas eu l'intention de désobéir. Elle glissa sa main dans celle calleuse qu'il lui tendait et se releva. Son cœur battait à tout rompre, martelait sa poitrine comme un révolté en cage. Elle avait promis qu'elle accepterait sa punition et elle ne reculerait pas, mais l'idée lui donnait des sueurs froides. « Regarde moi. ». Une fois de plus, elle écouta docilement, se plia à l'autorité. Releva ses yeux embués vers ceux de Joaquin, haute silhouette ombrageuse, en espérant qu'elle ne s'effondrerait pas devant lui.

« Tu es franche alors je vais l’être aussi. Cette fois-ci, tu vas repartir sans rien. ». Pya observa son commandante à travers une volée de battements humides, paupières papillonnantes sous la perplexité que lui conférait soudain cette déclaration. Sans rien ? Elle avait désobéi à un ordre direct, avait commis le pêché de gourmandise – elle avait voulu en savoir plus, toujours plus, incapable de rassasier sa curiosité avec les maigres informations qu'elle détenait déjà. Elle avait interféré avec un châtiment, ; alors, nul doute qu'elle méritait une pénitence à la hauteur de son crime. Pourquoi le lui refuser ? « Je... Je ne comprends pas. », souffla-t-elle du bout des lèvres, le front plissé. « Je ne sais pas ce qu’on t’a fait par le passé, mais sache que si la Calavera s’en charge, tu n’accepterais plus jamais aucune punition de notre part. », reprit-il, confirmant à demi-mots sa décision de non-sanction. Elle voulut répondre qu'elle serait l'éternelle obligée de Dieu et qu'elle accepterait donc tout ce qu'il pensait devoir lui infliger, qu'elle se plierait à chaque épreuve, parce que s'Il les lui imposait, c'est qu'il devait la savoir assez forte pour les remporter, mais elle garda les lèvres closes, tandis qu'il la conduisait jusqu'à l'homme inanimé. « Regarde le. ». Comment ne pas le faire ? voulut-elle répliquer.  Comment ignorer cette silhouette de chair aussi creuse qu'une coquille vide, dont les bras pendaient mollement de part et d'autre de la chaise, dont les pupilles dilatées ne reflétaient plus rien d'autre que leurs ombres graciles ? Ce corps la fascinait, lui donnait envie de plonger pour le sauver de sa noyade des eaux mélancoliques de la mort. Poser les lèvres, insuffler l'élément manquant... mais pourquoi, au final ? Chaque pantin qu'elle ramenait à eux, à cette terre dévorée par les affres de la guerre et de la violence, retournait toujours en paix. Joaquin y veillait.

« La torture physique, ça ne concerne que toi. N’oublie pas que tu ne vis pas ta vie seule. ». Oui, voilà la véritable raison pour laquelle elle avait gardé ses lèvres scellées. Pya aurait aimé se montrer à la hauteur des afflictions de Dieu et de ses serviteurs, toutefois, elle n'était pas certaine de pouvoir encaisser sans craquer ce qu'ils nommaient tous si simplement torture. Torture était un mot-valise, dans lequel on pouvait placer beaucoup de supplices. On pouvait vous briser les doigts, le nez, les jambes. Vous trancher la peau. Vous couper des membres. Pya était peut-être une idiote mais elle n'était pas aveugle : elle voyait parfaitement ce qu'on essayait si durement de lui cacher. C'était même la raison de sa présence en ces lieux : en posséder l'inéluctable certitude. Ils avaient beau frotter la peau et le carrelage, éponger le sang et réparer autant de dégâts que possible ; aucune preuve de souffrance ne s'effaçait aussi simplement. Et cette souffrance, elle ne pensait pas pouvoir s'y mesurer. Ce qu'on t'a fait par le passé, comme il l'avait si bien résumé, ce n'était que l'amuse-bouche d'un long repas. Ici, on lui promettait le dessert, plus rouge, plus lourd.

« Nous te protégeons, mais nous nous protégerons aussi. Ce n’est pas contre toi. Ca fonctionne ainsi. Mais tu n’es pas obligée de le subir. ». Ses yeux se reportèrent sur lui. Elle n'avait même pas eu conscience de leur déplacement, l'image du visage déchiqueté gravé sur ses rétines. Pourtant, ils se retrouvaient près de la porte et Pya commençait à comprendre que Joaquin se montrait tout à fait sérieux. Elle ressortait avec un avertissement, plutôt qu'un châtiment. « Tu fais partie de la famille maintenant. On participe tous à son fonctionnement. Toi aussi. ». Un sentiment étouffa alors tous les autres, la submergea et Pya reconnut celui qui l'avait déjà assaillie lorsque les passeurs l'avait trouvée sur cette route à dériver comme un fantôme. La gratitude écrasa toutes les autres émotions – soulagement, peur.

« Merci. », dit-elle d'une voix tremblante. De son indulgence. De la place qu'il lui accordait. D'être un peu meilleur que son padre. D'un tas de choses qu'elle n'aurait probablement pas su exprimer. « Je ne désobéirai plus et je... ». Elle ne pouvait pas promettre à son tour qu'elle les protégerait, parce que Pya, on pouvait la faire tomber comme un château de cartes : un simple coup de vent suffisait. Non, elle n'avait pas les armes nécessaires pour protéger qui que ce soit, pas même elle, mais elle possédait un atout qu'aucun d'eux ne prenait en compte. Un atout qu'elle seule valorisait, mais qui sauverait peut-être leurs âmes en perdition. Sans y penser, elle tendit la main, la posa sur la poitrine du commandante, par-dessus le cœur, et ferma les yeux. « Je prierai pour vous. Pour nous. ». La familia.

Ses doigts se rétractèrent, puis elle braqua à nouveau son regard sur lui en esquissant un mince sourire. « Bonne nuit, commandante. ». Le rappel de son statut, du respect qu'elle lui portait, de la reconnaissance qu'elle éprouvait. Pourtant, lorsqu'elle s'éloigna, ses pensées égrainaient déjà de nouvelles prières. Parce que tout ce à quoi elle pouvait songer se résumait à une simple phrase.

Les monstres ne reçoivent jamais assez de prières.


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FIN.
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