« Moi je suis né ici pour n'être qu'avec toi »

There are twenty years to go and twenty ways to know who will wear the hat.

Bombay. Bombay qui se remet encore des dégâts causés par la dernière mousson. Bombay durant la saison sèche. 35 degrés au thermomètre, et plus encore dans la maison qu’on ne sait rafraîchir.

Tu es là, Salome. Nourrisson enveloppé d’un linge humide, babillant sur un lit bien trop grand, entourée d’oreillers pour t’empêcher de valdinguer sur le plancher. Des solutions improvisées, pour un rôle qui l’est tout autant : celui de père, car le tien n’a pas hésité une seconde quand on lui a dit que c’était lui, ou bien l’orphelinat. Mais il n’était pas prêt.

Et vous deux, ça a commencé comme ça. Passée des mains d’une génitrice qui ne voulait pas de toi - parce qu’un prophète lui avait dit que tu ne serais jamais divine, à celle d’un être un peu froid dans ses attitudes, qui n’allait pas tarder à tout donner pour toi.

Ce soir là de décembre, revenu dans la chambre sur la pointe des pieds, il a su à quel point tu étais faite pour lui quand il a commencé à craindre que tu ne respires plus. Au soulagement éprouvé quand il a vu qu’il s’était trompé, la peur et les obstacles n’avaient plus d’importance. A la vie, à la mort, lui et toi, Salome.

« J'étais pourtant si fier de vivre près de toi »

come with me into the trees, we'll lay on the grass and let the hours pass. take my hand, come back to the land. Let's get away just for one day.

« Ne me regarde pas avec ces yeux là, Salome ».

Elle est pleine de jugement, la gouvernante, et du haut de tes six ans, voilà tout ce que tu trouves à lui répondre :

« J’en ai pas d’autres ».

La moue boudeuse dessinée sur les lèvres, la rage derrière les dents.

Et puis, ton père arrive et il prend le relai. Lui, il s’en moque que tes cheveux soient emmêlés. Que ta robe de princesse soit maculée de boue et que le tulle de ses volants soit déchiré. Il te préfère libre, comme tu le sens, Salome. Il n’a jamais exigé de toi que tu sois guindée dans tes vêtements ou que tu sentes la fleur d’oranger. Qu’importe à ses yeux si tu préfères te vêtir comme un garçon, ou ne pas t’habiller du tout. Ici c’est lui l'autorité, et c’est lui qui décide.

Il te choisit toi, Salome, et pas les conventions.

« Je serai quelqu'un qui sera, tu verras »

that's my daughter. everything she knows, I taught her. everything I say, she takes to heart. every time she fell, I caught her.

Vraiment mauvais, ce bulletin, Salome. Une phrase que tu t’apprêtes à lire dans ce regard que tu connais trop bien. Parce que tu entends les réprimandes jusque sous les paupières, quand bien même elles soient closes, quand il en a à faire. Vous n’avez pas besoin de mots pour vous comprendre.

L’enveloppe déchirée posée sur ton bureau, et le papier froissé qui la rejoint, tu es surprise de le voir attraper ton livre, et s’asseoir en tailleur au milieu de tes dessins. Croquis volants qu’il juge pour le moins réussis, c’est qu’il sourirait presque, devant la caricature que tu as fait de lui.

Sous la pointe du stylo qu’il tient entre ses doigts, tu lis les chiffres et les calculs. Par dessus son épaule, tu suis le raisonnement, et note la neutralité dans sa voix. Quand tu croises l’océan de ses yeux, tu comprends qu’il ne veut que ton bien. Mais qu’il ne t’en voudra jamais.

Tant pis pour l’algèbre. Tu as bien d’autres talents, Salome.

« La vie est belle et cruelle à la fois, elle nous ressemble parfois »

I feel I'm sinking without you. And I miss you, when you're gone.

Jusqu’au dernier moment, tu as l’espoir qu’il s’agisse d’une blague, avec ton coeur d’enfant. Tu as beau savoir que l’homme que tu appelles papa ne plaisante pas, une part de toi refuse de croire qu’il va t’abandonner pour son travail. C’est seulement quelques mois, Salome. Tout au plus une année.

Et puis, tu te rappelles encore de la valise sur le palier. Pas celle que vous preniez pour les vacances, quand vous alliez camper. Une valise trop sérieuse, avec des cartons à côté. Tu te souviens encore du pick-up qui démarre en trombe, chargé, et qui disparaît trop vite, les pneus crissant dans l’allée. Parce qu’il était trop mal pour s’attarder, et qu’un seul regard en arrière, un seul regard vers toi l’aurait tué.

Parfois, tu as encore le goût du sel et la chaleur des larmes dégringolant sur tes joues pâles. Les mains qui te retiennent de partir en courant, sur tes épaules trop frêles, et les mots qui s’étouffent en sanglots.

Me laisse pas, papa. Reviens.

« Ton sang est le mien on ne fera plus qu'un »

je vide tout et je rentre chez moi. je prie fort pour que tu veuilles de moi. ne pleure pas, ton chagrin est le mien. alors on se souviendra, que je me suis noyé sans toi.

Et puis, du jour au lendemain, il est rentré.

Tu la revois encore, la silhouette découpée dans les rayons de lumière de la porte d’entrée. Pas un mot pour dire qu’il revenait, pourtant ce n’était pas comme si durant 10 mois, vous ne vous étiez plus parlé.

Et tu l’as tellement détesté. Les larmes sont montées si fort que tu n’as plus voulu le regarder. Jamais tu n’as atteint si vite le haut des escaliers. Jamais il n’a grimpé si vite jusqu’au sommet pour mieux te consoler.

C’était trop dur de lui dire à quel point il t’avait manqué.

Et puis, pour le punir, tu as refusé de lui adresser la parole durant des mois entiers. Il se peut même que 12 après, tu ne lui aies toujours pas pardonné.

« Nous on y aurait cru, à nos sourires à nos joies »

in the land of Gods & Monsters, screwed up, scared doing anything that i needed.

L’impact. L’éclair. La décalcomanie de la foudre sur ta chair. Et puis la chambre d’hôpital. Le blanc des murs aveuglant, le sol aseptisé. Les médecins qui t’assaillent de questions. L’étrange impression qu’il s’est passé quelque chose d’incroyable, ce jour là, sur la baie.

Ca tourbillonne dans ta tête étriquée, les images de l’orage ; ça t’empêche de dormir, et puis, tu es presque certaine que c’est lié à ce qui vient de t’arriver.

Après les sautes d’humeur et l’agressivité, la douleur sous ta peau. Tes os broyés sous la carcasse en mutation, pliée, le regard révulsé de souffrance, la gamine devenue cabot. Identique à celui que tu venais tout juste de croiser.

Tu ne sais même plus comment tu as réussi à te retransformer. A seulement quelques heures à peine, nue comme un ver sur le campus, presqu’incapable de bouger. Comme si on t’avait brisée.

Et puis, il y a eu ce garçon. Et son blouson pour te couvrir, son téléphone pour prévenir. Rachele. Non pas ton père, mais ta grand-mère.

C’est elle qui est venue te chercher. C’est elle qui te regarde et qui essaie de comprendre. Et c’est à elle que tu mens, effrontée. La drogue. C’était seulement pour essayer.

Et tu t’enfonces un peu plus dans le dossier du canapé. La couverture sur tes genoux, le thé fumant devant tes yeux, c’est plus simple comme ça. Et tu préfères encore que ce soit elle qui soit là avec toi. Trop de disputes, trop d’incompréhensions avec ton père depuis l’éclair.
Avec tout le monde, au fond.

Car tu n’es plus toi-même depuis ce jour d’automne.  

« La vie va trop vite, ton cancer est le mien »

detonate me, shoot me like a cannon ball. granulate me, kill me like an animal. decapitate me, hit me like a baseball. emancipate me, free the animal.

Tous les muscles bandés. La silhouette en arrêt. Et le corps qui s’élance, rapide, précis, celui d’un loup en chasse, que la faim a perdu dans la nuit.
Le petit animal succombe à tes mâchoires puissantes. La peau transpercée par les crocs, les vertèbres brisées, le squelette en paillettes à mesure qu’il suffoque.

Et toi, ça te fait jubiler.
Le vent dans ta fourrure, les courses folles, le goût du sang dans ton palais. La carne crue au goût de liberté.

Quelques fois, tu voudrais bien rentrer, pourtant, Salome. Mais ça va faire des mois que tu es coincée, et tu ne sais pas comment tu as fait pour redevenir toi la première fois que tu t’es transformée.

Au fond, tu te plais dans cette vie de vadrouille.

« Et nous serions invincibles, réussir au moins ça »

lights will guide you home and ignite your bones. and I will try to fix you.

A l’aube, Salome. Aux rayons de soleil caressant ta peau lisse, à ce cœur trop longtemps endormi qui martèle ta poitrine. A sa vue que tu penses être un rêve, à ce matin d’été où l’astre sélénite a relâché ses chaînes.

Ta silhouette étendue dans l’herbe grasse, ses mains qui se glissent sous ta carne pour te tenir contre son torse, c’est tout ce dont tu te souviens. Des mois, des semaines sans le voir, ou à l’apercevoir seulement. Sans comprendre, sans savoir comment tu pouvais le rejoindre. Être toi à nouveau, pas bête, mais humaine. Des mois à vouloir retrouver ton chez toi, puis à succomber à l’appel de la Lune et du grand air.

Et sans savoir pourquoi, ce matin là, à ses yeux qui se sont posés sur toi, Èliakim Reiss a retrouvé sa fille. Nue dans la baie d’Arcadia, recouverte de sang et de terre, incapable de bouger.

Tu as dormi longtemps, après ton retour à la maison. Presque deux jours entiers.

« Nous voulions tous les possibles, aussi loin que l'on pourra »

hold up, hold on. don't be scared. you'll never change what's been and gone. take what you need and be on your way. and stop crying your heart out.

Affamée. Toujours les crocs, Salome. Toujours les tripes dans les talons. Toujours la carne qui balance devant tes yeux sauvages, toujours l’envie de dévorer celui qui t’importune. Toujours à fleur de peau, toujours à rêver de grands espaces et de cours d’eau, de liberté, de la nature qui t’a bercée durant six mois alors que ce sont les immeubles, l’asphalte et les murs que tu as retrouvés. Toujours méfiante Salome, parce que l’homme est un loup pour l’homme, et les dieux sont des loups pour toi. Toujours à l'affût, toujours à l’écart depuis que tu as su te redresser sur tes deux pieds. Humaine en apparence, comme celle que tu as été avant de partager ton corps et ton esprit avec la déesse millénaire, indomptable et féroce ; c’est son cœur qui gronde à travers le tien et qui te rappelle que tu n'es pas seule. Ton père. Rachele. La psy que t'aimais bien. Et le rouquin du quartier vert qui t'a nourrie au clair de lune et qui t'a tenu compagnie.

La meute.

Trouve-toi, et garde-la, Salome.