Trinidad a demandé à lui parler. Les mots, agencés ainsi, donneraient presque à la femme la posture hiérarchique la plus élevée.
Il a accepté. Parce qu’on ne refuse pas de parler à un capitano quand il demande à être entendu. Pas parce qu’ils lui sont supérieurs. Parce qu’il s’agit de bon sens. Qu’on ne dirige pas une entreprise seul. Et c’est ce qu’est la Calavera. Une entreprise. Œuvrant dans des secteurs particuliers, sanglants, mais répondant à l’appel d’une clientèle toujours prête à mettre la main au porte-monnaie.
Entreprise qui fonctionne bien, qui prospère, qui fait ses affaires. Qui a donc besoin de têtes pensantes et agissantes. Et de petites mains pour tout mettre en place. De victimes pour régner. C’est cet aspect que Joaquin étudiait avant qu’il n’apprenne la demande de Trinidad. Il abandonne les sicarios chargés de faire disparaitre quelques yeux trop trainants. Les rues sont rapidement traversées avant de rejoindre le QG et sa façade familière. Quelques visages connus sont vaguement salués. Pas d’éclat, comme toujours. Pas le genre de la maison. On dit pourtant les hispaniques chaleureux. Il faut bien une exception. Et qu’elle soit à leur tête.
La belle est rejointe rapidement. Il la salue en silence. Pas de sourire sur les lèvres, comme souvent. Il n’est pas venu pour bavarder. On lui demande rarement de couper court à ses « activités ». Ce doit être une urgence. Trinidad le connait trop bien pour que ce ne soit que ça.
- Tu as reçu du courrier. Quelques amis qui ne te veulent pas du bien. L’espagnol roule à ses oreilles. Il se crispe. Des amis qui ne lui veulent pas du bien ? Des amis, il n’en a pas, en dehors de la Calavera, si ce terme leurs convient. Les gens qui lui veulent du mal, il ne les compte plus. Du courrier ? Une menace ?
Il se glisse sur le siège offert, tire la lettre déchiquetée et difficilement maintenue entière vers lui. Pas de menace. Une invitation déchiffrée difficilement.
La Nuova Camorra a le plaisir de vous convier à son bal masquerade, qui prendra place ce vingt juillet prochain. La réception débutera dans la grande salle d’Eden Manor (Arcadia, Maine) dès 20 heures. Cocktail et buffet offerts lors de la soirée.
Les festivités se poursuivront au Trianon avec en point d'orgue la présentation de Mendes aux invités choisis pour l'occasion, afin de célébrer la paix.
Veillez à vous entourer de personnes dignes de confiance.
En espérant pouvoir compter sur votre présence,
Alcide Bellandi.
A quoi joue Bellandi ?
- Ça ne peut être qu'un piège, pourquoi est-ce que des gringos dans leur genre prendraient le temps d'inviter toute la populace à un bal ? Bonne question. Trop peu de détails pour qu’il puisse en juger. Assez pour qu’il soit d’accord avec Trinidad. Les ritals n’ont pas été bavards en explications claires. Mendès est évoqué. La paix aussi. Un consensus autour de la personne du traitre Italien serait-elle possible ? Ou s’agit-il d’un simple piège ?
Le trafic de drogue marche pourtant bien. Trop bien même ? Voudraient-ils les éliminer pour reprendre la place vide et faire main basse sur le commerce ? Pari risqué et mise en scène couteuse.
- Ordonne et je ferais couler le sang. Il se recule dans son siège, agite la carte qui manque de tomber en morceaux.
- Ils invitent toute la ville. A moins qu’une alliance avec d’autres mafias ne nous soit pas parvenue, ils ne peuvent pas tous nous éliminer. Ils ont Mendès. Ils préparent quelque chose avec lui. Les doigts partent à la recherche de son briquet et d’une clope dans les poches de sa veste.
La fumée nait doucement. Ça fait des semaines que la nicotine n’a plus d’effets sur lui, mais le geste est familier. C’est une routine vieille de plus de trente ans qu’on n’abandonne pas comme ça. Pas quand on ne le veut pas.
- Je veux savoir si les autres mafias ont reçu la même chose. Et si elles s’y rendent. Il ne veut pas passer à côté de quelque chose d’important à ce « bal ». Il ne veut pas non plus se faire doubler ou piéger. N’empêche qu’il s’agit d’une manière bien théâtrale de tuer un ennemi, même pour la Nuova Camorra.