Elle sourit, Lyra. Elle sourit tellement que ça va finir par lui faire mal. Et c’est pourtant tellement bon. Comme les baiser qu’il dépose dans son cou. Un réveil en douceur comme elle les aime, ce qu’elle ignorait complètement en réalité. Ca fait partie de ces choses qu’elle se surprend à apprécier, mais aussi à se découvrir elle-même, grâce à Finn. Elle rit, se colle un peu plus, son dos contre le torse de l’irlandais alors que son étreinte se resserre. Les mains qui se font baladeuses, qui se glissent sous le large t-shirt qu’elle lui a emprunté. Ils seraient bien capable de remettre ça, encore. Seulement ça fait plus de 30 minutes que son estomac est tout sauf discret. Tellement habituée à manger tôt en semaine, qu’une fois neuf heures dépassées, son estomac se met à hurler. Mais elle est bien, là, dans les bras de Finn. Son souffle chaud dans le cas, peau contre peau. Jusqu’à ce qu’il ne se recule un peu trop brutalement à son goût. Elle se retourne aussi, le voit sortir du lit, alors elle grogne Lyra. Elle grogne toujours le matin, quand ça va pas comme elle veut. Du moins jusqu’à ce qu’elle ne prenne son café. « Fiiiiinn ! » la voix qui traine, l’envie de le voir revenir près d’elle, encore un peu. C’est dimanche après tout. « Reviens. » Il lui offre un sourire en coin en guise de réponse avant de descendre les escaliers.

Grognement insatisfait alors qu’elle entend le bruit des poêles et ustensiles. Ca sent déjà les pancakes. Nouveau sourire bien plus aimable sur ses lèvres. Faudrait penser à l’épouser celui-là, qu’elle s’amuse à penser. Elle s’étire, songe un instant à se rendormir, en se demandant si finn finirait par la tirer de l’obliger à avaler quelque chose. Probablement. Elle a pas le temps de tester son hypothèse qu’elle entend un bruit pour le moins inattendu pour une aussi matinale –pour un dimanche. Des clés, et une voix qu’elle reconnaitrait entre mille. Merde. Lyra se lève en vitesse, tant pis pour la tenue, et dévale les escaliers. Pas de Nerissa à l’entrée, alors elle avance dans le couloir. Déjà dans la cuisine, le regard plus qu’interrogatif, mais surtout amusé. « T’as plus à manger chez toi ? »  elle se pince les lèvres, se retient de ne pas rire, mais vient déposer un bisou sur la joue de sa sœur. Elle se recule légèrement, observe, plisse les yeux. « T’as fait quelque chose ? » elle se déplace doucement vers Finn, en réalisant qu’il est torse-nu, devant sa frangine. Sacrée présentation. « Hm Finn, ma sœur. L’une d’elles du moins, Nerissa. Nessie… Finn, mon… » elle hésite un instant, pas certaine des mots qui vont sortir, ils n’ont jamais mis dessus, sur ce qu’ils avaient. « copain ? » ouais, son petit-ami. C’est bien ce qu’il était, ce qu’il était devenu, en espérant que l’étiquette ne le fasse pas flipper. Mais elle se rassurait, en se disant qu’il était régulièrement là, à faire des pancakes à moitié à poil dans sa cuisine, c’était bon signe, non ?

Un dimanche matin comme un autre. Précédé d’une nuit de travail, à l’issue de laquelle il s’est précipité chez Lyra. Son propre appartement a beau occuper l’étage supérieur de la librairie, il ne supportait pas l’idée de se retrouver en tête à tête avec sa solitude, une nouvelle fois. Alors il est venu, ce soir comme les autres, se réchauffer à la chaleur de la jordanienne. Et lorsqu’il ouvre les yeux le premier, il ne peut s’empêcher de la contempler un long moment. Si Finn a certainement lu trop de romans d’amour et a bâti dans son esprit une représentation trop idéalisée de la passion, il ne pense pas se tromper sur l’origine des papillons qui lui grignotent l’estomac. Il y a trop longtemps qu’il ne les avait pas sentis et son cœur de romantique s’en réjouit. Lui qui se croyait définitivement une cause perdue, découvre qu’il n’en est rien. Alors, quand Lyra ouvre les yeux à son tour et lui sourit, son premier réflexe est de se pencher pour l’embrasser. Tendrement, délicatement. Un baiser comme une offrande, un baiser comme un hommage. […] Ses lèvres effleurent la peau de la nuque, parcourue de frissons. Le rire qui agite les côtes et résonne dans sa propre cage thoracique est un enchantement. Pour la première fois, Finn ne cherche pas la comparaison avec son passé. Pour la première fois, Finn est parfaitement ancré dans le présent. Il est heureux. Et son bonheur enfle derrière sa peau, semble vouloir sortir par tous les pores. C’est un bonheur qu’il peine à contenir, qu’il voudrait partager avec la terre entière. Un bonheur qu’il veut partager avec Lyra. Encore, et encore. Alors il laisse ses mains caresser la peau du ventre, délicate et chaude. Il rit en enfouissant son nez dans son cou, en respirant leur parfum de la belle sur son t-shirt. Les doigts effleurent ; les doigts se meurent, alors qu’il sent quelque chose sous ses paumes. Une idée folle traverse son esprit. Il s’arrête un instant, refuse d’y croire. Non, ça ne peut pas… Il s’écarte brusquement, rejette la couverture et se lève. Comme un automate il se dirige vers l’escalier. La voix plaintive de Lyra lui fait tourner la tête, machinalement. Comme l’aiguille d’une boussole revient toujours vers le Nord. Avec un sourire faux plaqué sur le visage, il quitte la chambre. Retour à la solitude.

Sitôt disparu dans l’escalier, l’esprit cogite. Il sait ce qu’il a senti. Un nouveau cycle de vie. Le début d’une nouvelle existence. La sensation, si particulière, lui est pourtant familière. Elle est l’essence même de la nature. Ce renouveau incessant, ce cycle perpétuel de vie et de mort. Et cette fois, il n’est pas question de l’autre monde. Abasourdi, Finn atteint la cuisine au radar. Il ne sait même pas ce qu’il vient chercher ici, à part une bonne raison de rester seul. Mécaniquement, il commence la préparation du petit-déjeuner. La cuisine l’a toujours aidé à réfléchir. Et cette fois ne fait pas exception. Les mains s’occupent, tandis que les pensées s’agitent. L’esprit bouillonnant, il lance la cuisson d’une première fournée de pancakes. L’odeur envahi peu à peu l’appartement, alors qu’il réfléchi toujours. Le choc prime toujours. C’est si tôt, si soudain. Si inattendu. Il ne se sent pas prêt. Ne s’imagine pas père. Pas si vite. Même avec Eo, il lui a fallu du temps pour simplement envisager l’éventualité d’un enfant. Et voilà qu’en trois mois à peine… Une odeur de brûlé le tire de sa réflexion et il se dépêche de sortir les crêpes brunies de la poêle. Au même moment, le bruit de clés dans la serrure lui fait lever la tête. Il n’a pas le temps de se diriger vers l’entrée qu’une grande brune pénètre dans la cuisine, appelant le nom de Lyra. L’un comme l’autre reste surpris, un peu gênés aussi. Un rapide coup d’œil de la jeune femme lui confirme qu’il est bel et bien torse nu, chose qu’il avait oublié en quittant le lit de son amante. Une cavalcade dans l’escalier leur fait tourner la tête et ils découvrent en même temps Lyra, échevelée de sa course. La belle jordanienne s’avance pour embrasser l’inconnue, la taquinant visiblement. Lorsqu’elle le rejoint, il passe machinalement un bras autour de sa taille et effleure la peau de son ventre. Oui. La sensation est bien là. Un filet de sueur froide lui coule dans le dos, alors que Lyra s’efforce de coller un nom sur ce qu’ils sont. Bêtement, il hoche la tête en guise de réponse. Après le choc, c’est la panique qui le gagne peu à peu. Il s’efforce néanmoins de faire bonne impression. Plaquant un sourire chaleureux sur son visage, il tend la main à Nerissa pour la saluer convenablement. « Copain sera parfait, en attendant mieux. » Trait d'humour qui cache les accents effrayés de sa voix. Il réalise soudain que Lyra ne doit pas encore savoir. Et qu’à moins qu’elle ne le découvre seule, il ne pourra pas lui cacher bien longtemps.

Croft, croft, croft. Le mot résonne dans sa tête. Un léger sourire sur les lèvres en constatant l’arrivée de Nessie, mais aussi un bref élan de panique qui étreint son palpitant. Elle n’a présenté Finn à personne. Anthea est bien tombée dessus quelques fois, mais elle ne l’a présenté à personne. Comme un secret gardé précieusement, comme pour empêcher que le monde extérieur ne les atteigne. Et elle sait mieux que personne à quel point sa sœur, meilleure amie et binôme peut être surprotectrice.

Un baiser déposé sur sa joue, quelques taquineries avec, et la voilà déjà dans les bras de Finn. Impossible de manquer l’atmosphère un peu étrange qui vient de s’installer dans la cuisine. Lyra n’a toujours juré que par Bellandi, même quand elle aurait dû l’oublier, même lorsqu’elle visitait les draps d’autres mecs. Aucun n’avait tenu assez longtemps pour qu’elle les autorise à s’installer ou à prendre le petit déjeuner. La main de l’irlandais qui glisse doucement sur son ventre, alors qu’elle tourne la tête, déposant un baiser à la naissance de sa mâchoire. Mais elle se retient, la môme, elle se retient avant que sa frangine ne transforme en véritable inquisitrice. « Copain sera parfait, en attendant mieux. » elle sent ses pommettes se colorées, ne s’étant pas attendue à ça, humour ou non, et elle note de lui en reparler un jour, quand aucun d’eux ne sera sous le regard inquisiteur de son aînée. Et si le mariage a toujours eu le don de l’effrayer, ce matin, elle n’arrive pas à déterminer si elle trouve ça horriblement craquant et excitant, ou si, comme à son habitude, ça la panique tout autant. Peu importe, pour le moment, elle profite, et elle colle un peu plus son dos contre le torse de Finn. Nessie ne le quitte pas des yeux, et un instant, Lyra se demande si elle va le bouffer ou le faire fuir. Ou les deux. « Nessie. Sa soeur préférée. Elle m'aime tellement qu'elle m'a pardonné d'avoir envoyé son dernier copain six pieds sous terre. » elle lève les yeux au ciel, un peu crispée, à deux doigts de vouloir lui envoyer un pancake au visage. Elle parle de Saturno là ? Y’a le cœur qui s’emballe et l’envie de lui faire des signes dans tous les sens, de laisser tomber ce sujet en particulier pour le moment. Et en même temps, Lyra ne voit pas bien de qui elle pourrait parler d’autre. C’est bien le seul à avoir bénéficié de ce titre. Le seul qui est assez compté, même lorsque ça devait être fini. « Enchantée, Copain-en-attendant-mieux. » « J’suis fière de toi, tu l’as pas fait fuir. » qu’elle marmonne, un sourire sur le coin des lèvres alors que les iris de sa sœur se repose sur elle. « Si tu préfères que je repasse plus tard...? » elle se mort l’intérieur de la joue, parce que Nessie a parfaitement grillé ce qu’ils faisaient avant, et peut-être la même façon dont aurait pu tourner leur petit-déjeuner. Seulement ça faisait un moment qu’elle n’avait pas vu son ainé, et elle voulait en profiter. Elle ne savait pas si Nessie avait été trop occupée ou si elle s’était elle-même laissée aller à sa récupération puis dans les bras de Finn, en oubliant –presque- le monde extérieur. « Déconne pas. Reste. On a des pancakes. » qu’elle lache, un grand sourire sur le visage, comme si ça justifiait tout. Et pour les frangines al Khayzuran, c’était sans doute le cas. « Puis, Finn est plus doué que moi pour la cuisine. Mais t’as de bonnes joues… J’sais pas si ce serait sage de t’en donner... » La cadette se pince les lèvres, se retenant de ne pas rire en voyant la tête de sa frangine. Elle tient cinq secondes, à peine, avant qu’un éclat de rire ne se fasse entendre. « Détends toi, ça te va bien. » elle attrape alors une petite assiette, un pancake et le tend à sa sœur, avant qu’elle ne lui saute à la gorge. Une autre préparation dans la poele, elle s’applique à ne pas la faire bruler, ni même à en faire un gros paté, elle soupire avant de rendre la spatule à Finn. « Ok, tiens. » qu’elle dit en guise de capitulation avant de se retourner vers sa sœur. « Ca va mieux ton épaule ? »

Il s’efforce de le cacher, mais Finn est mal à l’aise. La situation n’est pas idéale, il faut l’avouer. Depuis le mois de juillet, et cette nuit hors du temps au cours de laquelle lui et Lyra s’étaient véritablement découverts, il avait l’impression d’avoir vécu dans une bulle. Un microcosme de bonheur et d’amour, que rien ne semblait pouvoir ébranler. Pas même l’arrivée inopinée d’une (première) sœur, plus jeune mais aux mêmes allures de tornade. Pas même l’anniversaire de la mort d’Eo, passé depuis quelques jours, et qu’il a tu à la jordanienne. Pas même l’arrivée de cette seconde sœur, au visage assombri, l’espace d’un instant, par une ombre paniquée et fugace. S’il ne l’avait pas observée attentivement, tâchant de savoir s’il devait prendre ses jambes à son cou ou non, il n’aurait rien vu. Rien surpris. Il ne lui faut pas longtemps pour comprendre que Nerissa a un secret, même s’il en ignore la teneur. Et décider dans la seconde de se taire. Lui aussi cache des choses à Lyra, depuis peu. Environ vingt minutes, pour être précis. Son regard se pose à nouveau sur la jordanienne – la plus jeune – alors qu’elle fait les présentations. La poignée de main de Nerissa est franche, accompagnée d’un sourire. Quelque chose passe entre eux, quelque chose qu’il a déjà rencontré et qu’il connaît. Mais ce n’est pas le moment. Et la réponse qu’elle lui adresse amène un sourire en coin à ses lèvres, chasse ses questions. Il lève un sourcil interrogateur et amusé à la fois, se tourne vers Lyra l’air de dire il faudra qu’on reparle de ça. Alors que son sourire s’élargit, il jette un coup d’œil à Nerissa, qui poursuit sans relever l’air affolé de Lyra. « Si tu parles du croque-mort, il avait l’air plutôt vivant pour un cadavre. Pas forcément en meilleur état que ses clients cela dit, mais vivant. » L’événement a suffisamment agité leurs vies pour qu’il s’en souvienne – et qu’il pardonne à Lyra son escapade et l’inquiétude folle qu’elle a provoqué chez lui. Le murmure de la cadette le fait sourire et se mordre les lèvres. Une main discrète vient effleurer celle de Lyra, lui signifiant qu’elle n’a pas besoin de s’inquiéter. Il ne fuira pas. Pas maintenant. Il doit lui dire. Et quand Nerissa propose de s’en aller, il est tenté de dire oui. Mais Lyra a l’air trop heureuse de voir sa sœur pour qu’il vienne gâcher ce bonheur passager. Alors il se tait lorsque sa belle repousse la proposition et offre de partager leur petit-déjeuner avec son aînée.

Le compliment fait monter un sourire à ses lèvres. Combien de repas ont-ils loupés, parce que Lyra préférait le mettre dans son lit plutôt que de passer à table ? Combien de fois se sont-ils réveillés au beau milieu de la nuit, la faim au ventre, pour se concocter un dîner improvisé en riant et en s’embrassant ? Un peu stupidement, il coule un regard amoureux vers Lyra, mais surprend du même coup un nouvel éclat de peur sur le visage de Nerissa. Lyra semble le prendre à la rigolade, mais Finn ajoute cette nouvelle information. Rien ne se dessine encore, rien de précis du moins. Mais le puzzle commence à se mettre en place. Il en pleurerait. L’ironie de la situation ne peut lui échapper, mais il est contraint de se taire. Parler de Nerissa l’amènerait à parler de Lyra, et il n’est pas encore prêt. La réalité, si elle l’a déjà frappé durement, n’a pas encore repris ses droits. Alors il profite de la distraction offerte par la belle, qui s’efforce de faire cuire une nouvelle crêpe. Obligeamment, il prend la spatule qu’elle lui donne et s’applique à préparer pour sa reine un petit-déjeuner grandiose. Il laisse les deux sœurs discuter sans s’immiscer dans la conversation, perdu dans ses propres pensées. Il n’écoute que d’une oreille, fait machinalement couler la pâte à pancake dans la poêle, avant de faire glisser les crêpes fumantes sur une pile dont la progression reste stagnante, alimentée par l’irlandais et dévorée par les jordaniennes. Il s’éclipse un instant pour faire couler du café et les servir tous les trois, avant de retourner à ses fourneaux. Le manège dure un moment, lui laissant tout le loisir de réfléchir.