Après une bonne demi-heure passée à sociabiliser autour du buffet, Augustin rumine sur son troisième cocktail sans nectar. Le liquide l'aiderait pourtant bien à trouver la soirée plus agréable, sûrement, à mettre de côté ces pensées irritantes qui s'emmêlent dans son esprit, entêtantes. Ses yeux scannent la foule de longues secondes, il cherche et finit par trouver sa nièce qui s'en revient du billard.

Le banquier s'éclipse discrètement du buffet, laisse Sybille discuter avec une des jeunes femmes de la Cala et s'approche de @Aura Sciarra. Leurs regards se croisent, un signe de tête et il suit Aura un peu plus loin, dans un coin tranquille et moins peuplé. Il regarde en passant les quelques personnes sur la piste de danse, mais même la vision d'Alcide en train de swinguer ne lui tire pas un sourire. C'est sérieux, là.

Les yeux trouvent ceux de la jeune femme, il n'y va pas par quatre chemin, comme ils font tout le temps. "Tu voulais me parler." Le regard dur, il n'a pas besoin de faire semblant avec Aura, pas besoin de faire semblant de s'amuser. Elle le connaît. Pas autant qu'elle le croit, mais elle le connaît. Trop de mensonges s'élèvent cependant entre eux, des mensonges qu'il se doit pourtant d'entretenir. Pour elle, pour lui.

Elle avait du mal, à s’amuser, à profiter de la soirée, surtout quand le sang chaud des deux camps s’en mêlait. Et puis, il y avait toujours Augustin qui traînait dans un coin de son esprit, alors que les pupilles allaient s’accrocher régulièrement à sa silhouette. Elle n’avait pas voulu le déranger, lui poser trop de questions devant la jeune femme qui l’accompagnait, elle aussi blessée. Sauf que du coup, c’était son frein et ses ongles qu’elle devait ronger.

Puis une énième fois, le regard se heurta au corps, puis aux iris de l’homme. Il était plus proche désormais, et d’un geste de la tête, il lui fit comprendre qu’ils avaient une discussion à tenir, et Aura ne le fit pas attendre. Elle avait trop besoin de réponses elle-même. Elle passa à côté de Julius, murmura quelques mots à son  encontre, et quitta le groupe pour la durée de la prochaine partie de billard, dans la discrétion la plus totale.

Ils s’éloignèrent des groupes les italiens, passèrent un groupe de danseurs, un autre d’alcolos. Clairement, cette soirée allait mal finir…

Et peut-être pour Augustin ou Aura aussi. Il ne passa pas par quatre chemins pour débuter la discussion, comme d’habitude. Et tant mieux, car la tueuse répondit sur le même ton, dans la foulée : « Que s’est-il passé ? » Le regard s’attarda sur les blessures, masquées en petite partie par le maquillage. « Et ne me mens pas. » Pas comme la dernière fois. Parce qu’elle avait vu l’agresseur, son nom, elle savait qui il était. Et elle voulait la vérité désormais. Parce que y’avait l’autre femme d’impliqué, femme vers laquelle ses pupilles glissèrent.

Le suspense est de courte durée, pas qu'il y en ait vraiment eu de toutes manières. Aura n'avait pas envie de lui parler de la décoration, sinon elle aurait très bien pu le faire devant Sybille. Elle lui demande la vérité sur l'agression, son ton implique qu'elle sait très bien ce qu'il lui cache. Il suit son regard dirigé vers sa Némésis, encore en train de discuter non loin du buffet. Les mâchoires se serrent un peu sous la contrariété, il évite son regard, sent cet agacement royal lui revenir, colère relevée par un soupçon d'inquiétude.

Il boit une gorgée de son cocktail sans alcool, le temps de décider de l'attitude à adopter. Il n'aime pas mentir à Aura, sait de toutes manière qu'elle doit déjà avoir découvert le pot aux roses. Henry McKennit, voilà une fausse identité qui ne suffira pas à berner une femme avide de vengeance qui a été formée depuis son plus jeune âge à traquer et à tuer. Une Esposito, qui plus est. Ceux là ont la rancoeur tenace. Le baratin qu'il lui a sorti sur une histoire d'argent ne l'a évidemment pas convaincue ; il y a de grandes chances pour qu'elle ait reconnu Alan. Mais il n'en n'est pas sûr - pas encore.

Augustin retrouve son regard, le feu rencontre la glace. "Quelqu'un s'en est pris à elle. J'ai perdu mon sang froid." Pas un mensonge, mais une semi-vérité. Il dévisage Aura, à l'affut de la moindre expression, du moindre petit froncement de sourcils. Quelqu'un pour rester vague, provoquer une réaction, peu importe laquelle. Il doit savoir, mais ne pas mettre les pieds dans le plat.

Et elle attendait. Sans un mot, sans une seule pression. Les pupilles se suffisaient d’elles-mêmes pour cela. Elles ne quittaient à aucun moment le visage d'Augustin, sauf pour s'attarder sur la silhouette de l'autre jeune femme quelques instants. Elle avait été impliquée d'une manière ou d'une autre dans une agression pour finir avec de tels bleus sur le corps. Alors, Aura voulait la relation, le lien de cause à effet. L'italien avait beau avoir le sang chaud, se battre pour un nombre incalculable de raisons, pas avec cette violence. Et il l’agaçait à croire que moins il lui dirait , plus elle se calmerait, car c’était tout l’inverse qui se passait.

« Qui ? » Elle avait rebondi dans la foulée de ses propos, tandis que l'italien avait repris ses droits sur ses lèvres. Ça suffirait à cacher l’objet de leur discussion à certains invités. Les bras se croisèrent sur sa poitrine, posture défensive adoptée, là où Augustin se crispait. « Tu pensais que je ne découvrirai pas le pot-aux-roses ? » Pourquoi avoir menti ? C'était si sérieux comme sujet, en lien avec Nina, avec son tueur, et lui cherchait à cacher, à masquer les réelles causes et impliqués…

Deux pas vers lui, pour bouffer son espace vital, même si elle faisait deux bonnes têtes de moins, et ce fut un murmure qui clôtura son intervention : « La prochaine fois, elle ne survivra peut-être pas. Tout comme Nina. » Bombe lâchée. Continue de me mentir si tu peux…

Elle sait, alors. Cette fois c'est certain. Il se tend Augustin, les doigts serrent un peu plus le verre dans sa main. Changement de stratégie. Il pourrait très bien tout lui dire, rajouter quelques braises sur le feu pour s'assurer qu'elle le trouve. Si c'était la vengeance définitive qu'il cherchait, il n'aurait qu'à lui filer les clés du camion, et attendre tranquillement de la voir lui ramener sa tête. Mais la mort du tueur n'est pas ce qu'il veut, n'est jamais ce qu'il a voulu. Ils ont essayé, tant de fois - mais jamais le cycle ne s'est brisé. S'il meurt, cet être qu'il abhorre pourtant de lui avoir volé sa vie, volé son enfant, s'il meurt... il ne sait pas ce qu'il se passerait.

Son regard se fait presque furieux quand elle lui agite la menace de Nina sous le nez, mots qui sonnent comme une accusation à peine camouflée à ses oreilles. Lui qui patauge toujours dans cette culpabilité qui nourrit sa colère. Comment ose-t-elle... "Ça n'arrivera pas," qu'il répond sèchement. C'est faux, bien sûr. Il n'en sait rien et ça le rend dingue. "Tu ne le touches pas," prévient-il entre ses mâchoires serrées, se retient de pointer un index autoritaire dans sa direction. Il sait ce qui fonctionne avec elle, et ce qui ne fonctionne pas. "Il est à moi. C'est à moi de m'en occuper."

Les regards se heurtaient, les deux étaient prêts à exploser. Chaque cœur battait, trop fort, trop vite, et chaque pulsation prouvait qu’aucun n’allait lâcher l’affaire. Ils étaient bornés à n’en pas douter, élevés dans le même environnement… Les doigts se glissèrent doucement dans les cheveux, remirent une mèche rebelle à sa place. Elle aimait être carrée Aura, propre sur elle. Rien ne devait dépasser, tout était contrôlé, dans son apparence, dans ses gestes, dans ses mots. La langue claquait sur le palais, la colère pouvait se lire par intermittence dans le fond des iris. Mais elle restait là, toujours.

« Est-ce un ordre ? » Oui c’en était un. Techniquement, il restait au-dessus d’elle dans la hiérarchie de la mafia, et certainement qu’en mission elle lui obéirait. Sauf que ce n’était pas une mission, mais une affaire personnelle. Et sur ce point… Il n’avait rien à dire. Absolument rien. « Y arriveras-tu ? » Elle en doutait la gamine, et ça se percevait dans son ton. « Je ne risquerai la vie de personne d’autre dans cette affaire. Si cela est nécessaire ou devient trop dangereux, je m’en chargerai. » Autant mettre les choses au clair dès maintenant. Comme s’il pouvait l’arrêter de toute manière…

Aura n'apprécie pas évidemment, pas plus que lui n'apprécie ses menaces. Elle ne comprend pas, ne sait pas ce qu'il s'est passé et à quel point cette histoire est complexe. Sur le papier, c'est assez simple : un meurtre, un tueur, une vengeance à accomplir. Et douze années déjà, douze années où une simple balle aurait suffi. Il sait, Augustin, sait que si Aura se décide, l'affaire sera conclue en quelques heures. Et elle doute de sa capacité à remettre les compteurs à zéro. Ce qu'elle ignore, c'est que ces compteurs sont faussés de puis le début. Si Nina est morte, c'est par sa faute à lui, à cause d'une erreur de jugement.

Mais le mal est fait, il continue à être fait tous les jours et l'égoïste ne veut pas voir Aura s'en mêler. "Je sais ce que je fais." La déclaration est cinglante, le regard dur juge sa nièce qui pourtant est dans le vrai. Est-ce qu'il y arrivera ? Non. Il y a une semaine à peine il avait un couteau dans la main et l'ennemi qui lui offrait sa mort sur un plateau. Il n'en a rien fait. "Plus personne ne mourra," assure-t-il, stoïque et droit comme un i, le regard strict. Ce ne sont même plus des mensonges. La colère au fond de lui l'en assure : cette merde se finira bien assez tôt. "Ca se joue entre lui et moi, maintenant." Alors prépare le champagne, ou bien mon enterrement. "Et personne d'autre. Compris ?"

Il était très compliqué de mettre Aura en colère, très rare de voir les émotions se refléter sur les traits de l’assassin. Elle savait les enfermer dans leur prison dorée, pour sa survie, pour continuer d'avancer sans jamais s’écrouler. Augustin était l'un des seuls à pouvoir se vanter d’avoir perçu La colère, la haine, la tristesse qui se cachaient derrière le marbre. Était-ce une bonne chose ? Non, elle ne le pensait pas Aura. Car il était parfaitement au courant de ce qu'elle pouvait devenir sous les effets de la rage. Rien qu'aujourd'hui, les ombres à ses pieds tremblotaient, prêtes à exploser sous l'impulsion de la propriétaire. L'italienne n’était jamais aussi puissante que lorsqu'elle n’avait plus le contrôle. C’était arrivé à la mort de Nina, sur le coup. C’était déjà arrivé, et face à Alan, ce serait l’unique moment où cela reviendrait. Mais elle ne se doutait de rien…

« Pourquoi je n'arrive plus à te croire Augustin ? » Comment tu peux douter de lui Aura ? Ils avaient été si proches, et certainement que la plus jeune avec une confiance aveugle en lui. Elle avait tué pour lui. Elle avait trahi pour lui. Elle avait sacrifié pour lui. Et voilà où ils en étaient. « Comment peux-tu en être si sûr ? Tu n'as pas pu la protéger. Tu n'as même pas réussi à l’éliminer, pourtant, tu en as les capacités. » La voix tremblait presque, sous l'impact des souvenirs. « Ne tarde pas alors. » Menace sous-jacente de s'en charger, si le moment retardait sans cesse…

Et elle se calme. Quelques fractions de seconde pour que la tempête dans les pupilles s’aplatissent, et le masque de marbre de reprendre sa place sur son visage. « Cela fait longtemps que vous vous côtoyez ? » Revenir sur une illusion de positif. Il était vrai qu’elle ne l'avait jamais vue avant, cette jeune femme…

La voix tremble presque sous la colère et une autre émotion qu'Augustin ne veut pas reconnaître. Quelque chose paraît brisé entre eux, et si Aura savait ? Si elle apprenait la vérité, est-ce que ça serait pire ? Sans doute. Mais peu importe, pour l'instant leurs problèmes sont exposés sur la table, clairs et évidents tout comme la menace qu'elle lui annonce. S'il tarde, la mort viendra de sa main vengeresse réclamer justice. Justice pour Nina. Car il n'y a rien d'autre qui puisse faire sortir Aura ainsi de ses gonds, rien d'autre qui puisse faire briller ses yeux froids comme ils le font maintenant. Nina. Et lui qui la trahit chaque jour un peu plus, en se montrant faible devant la mort, faible devant l'ampleur de sa méprise. Faible devant la promesse qui grandit doucement dans le ventre de Sybille, promesse qui le tiraille sans fin. Père indigne.

Il la trouve du regard quand Aura change de sujet, tentative honorable pour mettre fin à leurs échanges houleux. Le verre porté à ses lèvres se vide un peu plus, goût fruité pour faire passer l'amertume, manquant cruellement de nectar. "Quelques mois." Plus en vérité, cela fait bien deux ans qu'ils se connaissent. Mais dernièrement les gens semblent les traiter comme un couple, et il considère que leur lien s'est renforcé un peu avant le début de l'été. "Elle ne souhaitait pas rejoindre la Camorra avant. Elle restait discrète." Difficile pour elle de passer inaperçue, désormais. Némésis annoncée, débarquée au bras d'un sous boss. Mais Augustin préfère qu'elle soit connue des siens, de sa famille, son panthéon. Cela fait toujours plus d’œils attentifs à sa sécurité. "C'est une fille redoutable, sous ses airs angéliques." Et si elle n'avait pas été là, sans doute aurait-il crevé comme une merde dans les semaines qui ont précédé, le nez dans l'alcool et les poumons explosés. "Comme toi."

Elle s'était calmée, ou du moins était-ce qu’elle laissait croire, derrière les pupilles désormais gelées. Qu’Augustin y croit ou non la laissait de marbre. Lui passait son temps à lui mentir, à arranger la vérité à sa sauce. Pourtant, elle n’était pas stupide l’enfant, elle savait extrapoler les actions, lire entre les lignes. Et son réseau d'informateurs n’était pas à négliger dans cette histoire. Que le dieu ne le prenne pas en compte était étonnant en soi. Enfin, elle espérait réellement qu'il tiendrait parole ou, le cas échéant, qu'il lui en parlera. Elle était toujours prête Aura, à trancher la gorge du meurtrier. Il ne suffisait que d’un seul ordre pour que la machine se mette en branle…

Mais la discussion n’était plus à Nina, à Alan, à ce passé destructeur mais lui permettant d’avancer, de ressentir quelque chose dans son cœur. « Ça fait quand même quelque temps. » Mais moins que ce qu’elle aurait imaginé au vu de leur complicité affichée. « Je peux comprendre. » Vraiment ? Elle qui n’avait que vécu au sein de mafias, elle ne pouvait pas s'imaginer une vie en dehors…. « Je n'en doute pas. Mais aura-t-elle le mental ? » Elle jugeait déjà des capacités de la nouvelle. Parce qu’Aura gardait cette froideur, la tête sur les épaules en toutes circonstances. C’était ce qui faisait sa force pour certains. Elle passa outre les derniers propos d'Augustin, douce résonance amère. « Tu n'es pas sans savoir que la Nuova est particulièrement… misogyne. » Ce n’était un secret pour personne, le sexiste de la mafia…

La conversation change mais l'atmosphère reste la même, la tension palpable ne trompe personne : rien n'est réglé mais rien ne se réglera ce soir. Aura émet des doutes sur l'intégration de Sybille à la Camorra et Augustin l'écoute avec le peu de patience qui lui reste. Elle doute de tout, elle se méfie de tout, Aura, les Esposito l'ont bien formée. Jusqu'à il y a peu pourtant, elle ne doutait pas de lui. Pas autant.

Il hausse un peu les épaules, le regard insondable qui la jauge. "C'est vrai." Il ne le nie pas. Mysogynie affichée par les ritals, certes, mais le panthéon grec serait stupide de refuser les puissantes déesses qui en font partie. Il en est coupable lui aussi, considère souvent les femmes comme des créatures fragiles à protéger. Est-ce qu'il en a honte ? Pas du tout. Les déesses réincarnées restent une exception à la règle. Il n'y a qu'à voir Aura, ou Sinead pour être convaincu qu'elles aussi en ont dans le pantalon. Il n'en reste pas moins vrai qu'aucune des italiennes n'étaient conviées au Trianon, quelque soit leur grade ou leurs compétences. Et la suite leur avait donné raison : il n'y avait qu'à voir les décisions stupides prises par les bonnes femmes à la tête du Royaume et de la Bratva. Roucouler sous le nez de Mendes, par exemple. "Ça ne t'a pas empêché d'en arriver où tu en es."

Il laisse cette constatation faire son bout de chemin, ne sait pas vraiment où se dirige cette discussion. Le sang chaud tourne en rond, l'agacement n'en finit pas de lui titiller les poings. "Tu n'auras qu'à aller lui parler pour te faire ton propre avis," répond-il, peu enclin à continuer la conversation. Elle serait contente, Sybille, de rencontrer une autre femme de la Camorra qui a à peu près son âge. Bien qu'à la suite de leur discussion, il ne soit pas sûr que ce soit la meilleure des idées, mais tant pis. Il n'est plus à ça près. Il finit son cocktail sans alcool d'une traite et le lève à l'attention de Aura, ne cachant pas le moins du monde que c'est une excuse pour couper court à leur discussion. Hermès, dieu des menteurs. Dieu des fuyards, aussi, à moins que ça soit juste Augustin. "Tu m'excuseras, il faut que je remplisse ça." Sourire sans joie, effronté, énervé, il tourne les talons et se dirige vers le bar.

Elle avait toujours eu besoin de protéger ceux qui avaient de l'importance pour les siens Aura. Alors oui, d'un côté, ça apparaissait comme de la méfiance, du doute, mais dans le fond, y'avait toujours l’horreur et la réalité de sa propre vie qui lui revenaient en pleine face. Elle avait réussi, comme le lui soulignait Augustin. Elle avait déjoué tous les pronostics, s’était imposée comme un élément brillant et toujours utile, que ce soit auprès des italiens comme à Arcadia. Mais à quel prix ? « Ça ne m'en a pas empêché car j'ai abandonné mon humanité Augustin. » Était-ce ce qu'il désirait pour sa compagne aussi ? Peut-être. « Elle est certainement bien plus forte que moi après. » Elle ne deviendra pas un monstre. Elle avait l'air de mieux jouer des codes de la douceur et de la tendresse. Nina aurait certainement était ainsi, si elle avait survécu… Le regard s’assombrissait à nouveau. Le passe était toujours bien trop pesant…

Et il tenta de s’esquiver, le fourbe. Et elle aurait pu le laisser faire, comme le hurlait la tension qui s’était glissée entre les deux corps. Sauf qu'on lui avait appris à ne pas lâcher l’affaire. Laisser ces doutes et cette tension évoluer n’était guère le bon choix…

Les ombres réagirent à la demande de leur maîtresse, bloquant celle d'Augustin, s'enroulant par la suite autour de ses chevilles. Le mouvement fut ralenti, puis stoppé. Quelques secondes, il finirait de toute façon par se téléporter… « Je suis… Désolée Augustin. Je me suis emportée et je n’aurais pas dû. » Ça n'effacera certainement rien mais au moins c’était dit. Elle ne s’excusait pas souvent la gamine, bien trop habituée à avoir raison. Et puis, c’était être faible que de concéder à l'autre une victoire, non ? « Je discuterai avec elle mais dans un contexte peut-être moins… Mafieux. » Oui, ailleurs. Pour oublier qu'elle n’était définie que par une organisation criminelle…

Son humanité. Il tique à ses mots, conscient d'avoir une grande part de responsabilité dans ce qu'elle est devenue, dans cette affirmation, ce ressenti qui est le sien. Il n'a pas donné les ordres, n'a pas approuvé, mais le nom Esposito restera à jamais gravé dans l'histoire de Aura qui aurait pu être tellement différente. Il n'y croit pas, cela dit. Elle n'a pas perdu son humanité. Elle est là, au fond, il lui suffirait de gratter pour la trouver. Elle est comme lui, comme beaucoup ici dans cette salle : toujours à repousser les limites de l'âme, se donnant l'image de la froideur et de la rigidité jusqu'à finir par s'en persuader. Il n'est pas différent, et ces derniers temps lui ont rappelé à quel point.

Fuite avortée, jambes entravées. Augustin reconnaît sans mal les attributs de Hécate et ce don précieux que Aura maîtrise. Il ne bouge pas, forcé d'entendre ses paroles. Des excuses. Il baisse les yeux, mâchoires serrées. Comme si c'était à elle de s'excuser dans cette histoire. Il ne dit rien pourtant, énervé, soucieux de garder la main tant qu'il le peut encore, de ne pas lâcher le volant avant d'affronter le précipice. Aura évoque le fait de parler à Sybille, jette de l'eau sur les braises qui se sont allumées entre eux. Les doigts pianotent sur le verre, il constate une fois de plus qu'il n'est pas le plus raisonnable dans l'histoire. Aura fait un geste, tente de réparer les dégâts. Mais elle ignore que, quoi qu'elle fasse, le vase finira par se briser.

Contemplant l'étendue du pétrin dans lequel il les a fourrés, Augustin finit par se retourner, masque insondable sur le visage. Il acquiesce, accepte ses excuses bien qu'il n'en ait pas le droit. "Elle sera contente de te rencontrer." Simples mots sans plus de commentaire. Il l'observe un instant, regrette de ne pas pouvoir en dire plus, en faire plus. Le sang de son sang, Aura, vestiges d'une vie perdue. Aura à qui ils ont volé la vie, la vérité. Il la perdra, il le sait. C'est un faible sourire qu'il lui adresse, un sourire qui pourtant n'atteint pas ses yeux. Cette fois quand il s'éloigne, aucune ombre ne le retient.

RP TERMINE