Journée terminée – si tant est qu’elle puisse l’être à l’heure des smartphones, où le travail ne vous quitte jamais vraiment – Augustin repasse rapidement chez lui pour prendre une douche et redonner un petit coup de frais à son allure. D’humeur sensiblement meilleure depuis la veille et cette annonce étonnante de la part de Sybille, il sifflote un air pop en se savonnant, l’un de ces hits qui passent en ce moment à la radio et que les jeunes ont l’air d’apprécier. Il ne peut pas leur en vouloir, il aime bien lui aussi. Il faudrait d’ailleurs qu’il se décide un jour à télécharger Shazam, Alf lui en a parlé et ça pourrait vraiment l’aider à connaître les titres de ces chansons qui restent en tête et qu’on est frustré de ne pas pouvoir écouter à volonté. Il faudrait, ouais, c’est ce qu’il se dit sous la douche. L’ennui c’est que d’ici cinq minutes, il aura déjà oublié.

Petit coup de peigne, un brin de parfum et une nouvelle tenue un peu plus décontractée, Augustin est fin prêt à partir quand l’heure du rendez-vous approche. Il y a un petit groupe de blues qui passe au Piada ce soir, et c’était l’occasion d’y convier ce cher Julius avec qui il a échangé des textos assez amusants. Il découvre l’avocat sous un nouveau jour depuis son arrivée à la Camorra. Est-ce qu’il se lâche parce qu’il se sent en confiance avec Augustin, ou est-ce que c’est la proximité des dieux qui fait cela ? Sûrement un mélange des deux. Sans même savoir que Julius était Arès, Augustin avait après tout déjà un comportement de petit frère agaçant avec Monsieur Gates, et autant dire qu’après cette révélation les choses ne vont pas aller en s’arrangeant. La preuve.

20 heures, le moment du rendez-vous est arrivé et comme souvent, Augustin n’est pas pressé. Il ne craint pas les bouchons après tout, et ne s’embête pas avec les transports en commun – pas toujours, en tout cas. Et ce soir, il a prévu de rentrer en taxi si jamais le nectar coule un peu trop à flots. Chemise sans cravate, pantalon chic mais un peu plus détente qu’un costard, monsieur Esposito enfile sa veste et se téléporte non loin du Piada, dans une allée peu fréquentée. Il franchit bien vite les portes de cet établissement qu’il affectionne particulièrement, la musique lui ravit les oreilles dès son entrée – totalement son style. Il repère Julius déjà attablé un peu plus loin qui lui adresse un signe de la main. Augustin sourit en le voyant – sacré Jules. On dirait au moins qu’il est content de le voir, ça fait plaisir. Tous les deux ont passé les dernières semaines à ruminer pas mal d’idées sombres, et ce petit aparté entre hommes de leur âge ne peut pas leur faire de mal. Car ils ont beau avoir l’air de deux vieux un peu trop sérieux, les hommes ça ne grandit jamais vraiment dans la tête, ça c’est une chose à savoir malgré tout ce qu’ils peuvent palabrer et faire croire aux yeux du monde.

Gus s’assoit en face de Julius, sourire de merdeux déjà bien en place. Ça lui rappelle un peu sa jeunesse avec Benicio. Un frangin à agacer, ça ouais ça lui avait manqué. « Salut Jules. Plutôt pas mal en fait, et toi ? » Plutôt pas mal ouais. Je vais être papa, Jules, tu te rends compte ? Le sourire s’étire à cette pensée, et il sent qu’il lui manque un verre dans la main pour trinquer à ça avec lui-même. Il se tourne, cherche du regard un serveur et lui fait signe. Ici, l’avantage, c’est qu’ils servent des boissons au nectar. Il demande au garçon de revenir avec deux pintes de bière arrangée avec l’alcool spécial des divins, puis sourit de nouveau à l’avocat. « C’est moi qui te rinces ce soir, Jules. Apparemment t’as beaucoup de choses à me dire, hein ? » Il n’a jamais vu Julius pompette, il espère sincèrement que ça arrive ce soir. C’est le bon moment, non ? Une trêve un peu ensoleillée dans cette période au temps de merde. Ils ont bien mérité ça.

Le serveur revient assez vite et pose deux grandes pintes devant eux. Augustin laisse échapper une exclamation appréciatrice et prend la pinte en main, savourant le contact du verre frais sur ses doigts. « A la tienne ! » Ils trinquent et Gus se boit une première gorgée avant de reposer la pinte sur la table, et de se pencher en avant pour regarder Julius d’un faux air sérieux – le sourire un peu narquois retirant toute crédibilité à la manœuvre. « Bon alors, par où tu veux commencer ? C’est toi le prof, j’te laisse faire. »

La légèreté sur le visage de Gus n’est pas passée inaperçue aux yeux de Julius, qui le regarde d’un air presque suspicieux. Non, Augustin n’a pas fait de farce de mauvais goût dont il devrait se méfier, en tout cas pas encore. Mais selon l’avancée de la soirée, il compte bien trouver une ou deux idées pour ennuyer l’avocat, que ce soit en direct ou en différé. Il lui demande la raison de son bien-être apparent, et Augustin prend un faux air offusqué – toujours avec le sourire. « On n’a plus le droit d’être de bonne humeur maintenant ? Il faut forcément qu’il y ait une raison ? » Bon d’accord, ces derniers temps tous les deux n’étaient pas vraiment d’humeur festive. Ils se sont surtout vus les traits tirés par l’agacement et la fatigue. La fatigue est toujours présente, tout comme les soucis qui le taraudent, mais le tout est enfoui sous une bonne grosse dose de bonheur dont la puissance dépasse le reste. Les questions existentielles sur la paternité viendront plus tard. Alors oui, Augustin en aurait des choses à raconter, des belles et des moins belles. Mais ce n’est pas pour ce soir, ni le prochain d’ailleurs. La bonne nouvelle passerait encore, à la limite, mais ils ne sont pas ici pour parler de ça, et Augustin n’est pas encore sûr de pouvoir annoncer la nouvelle à qui que ce soit.  « Oh, pas tant que ça. Tu sais ce que c’est, un client au gros portefeuille de gagné, et c’est le bonheur assuré. » Ou comment noyer le poisson avec un sourire assuré. Il ment comme il respire, Hermès, et toujours avec un air de gamin sûr de lui. A voir si le flair de l’aîné mordra à l’hameçon très longtemps.

Pintes en main, ils boivent et Augustin observe Julius en se demandant s’il est au courant de ce qu’il boit. Petit sourire filou, il le cache en buvant une nouvelle gorgée et décide de ne rien dire, espère que la supercherie tiendra assez longtemps pour bourrer son acolyte. C’est son objectif, ce soir, et Augustin est un homme têtu qui adore les challenges. Julius en tout cas a l’air amusé par leur conversation, même s’il fait l’homme un peu désabusé par le comportement de Augustin, au fond il voit bien que ça lui plaît. Ça le divertit, et il se prend au jeu. Joueur, le Jules, voilà une facette de l’avocat que Augustin est heureux de découvrir. Il aime beaucoup rire à ses dépends, mais s’il y met du sien ça risque d’être encore plus drôle.

Augustin fait mine de s’apitoyer un peu sur son propre sort quand Julius lui tapote l’épaule avec une fausse compassion. Manque d’éducation, oui, au moins ça. Il n’a jamais fait de galipettes dans un lit, non, ça ne lui ressemble en rien. Augustin le saint. Il hausse les sourcils d’un air surpris quand il lui avoue ne pas avoir enfanté tous les garçons du monde. « Mais alors les enfants ne naissent pas non plus dans les fleurs ? » demande-t-il d’un ton naïf. Un sourire amusé vient rompre l’air scandalisé qu’il tentait d’adopter. C’est bien trop amusant. Il a hâte d’en arriver aux parties plus croustillantes et crues de la conversation, parce qu’il a très envie d’entendre certains mots sortir de la bouche de l’éminent Monsieur Gates. Écouter Arès, dieu de la Guerre toujours trop sérieux parler de sexe, ça le ferait mourir de rire, vraiment. « Du coup les histoires de planter la petite graine, c’est pas vrai ? » Il prend une gorgée de sa bière, par ce geste invitant Julius à en faire de même. La boisson sociale, ça fonctionne comme ça : la tentation par effet de mimétisme. S’il boit, Julius aura certainement envie de boire lui aussi. « Raconte moi alors comment on fait. En détails, s’il te plaît, parce que je n’y connais vraiment rien. »

C’était une bonne idée de renchérir sur les fleurs, ça inspire à Julius encore un peu plus d’exaspération. Si Augustin était payé à chaque expression désabusée de l’avocat, il n’aurait même plus besoin de travailler. Bon, si, sûrement. Il faudrait juste voir à quel point il serait rémunéré. Il acquiesce à la proposition de Julius sur la campagne. « Oui s’il te plaît. J’ai pas fait de classes vertes à l’école. » En vérité il en a fait, comme tout le monde. A Nice ils faisaient souvent des sorties, et puis même après une fois au collège à Lyon. Il avait visité des fermes. Sans parler des domaines des Esposito en Italie. Ils n’avaient pas que des citronniers là bas, ils avaient aussi des bêtes même s’ils avaient des gens payés pour s’en occuper. Il se souvient des bois au fond du domaine de Toscane, de la rivière qui coulait au fond et des dizaines de conneries qu’ils avaient fait avec Benicio et leurs cousins. C’était le bon temps. Il n’irait pas jusqu’à dire qu’ils étaient innocents, mais presque. « En fait je suis pas allé à l’école, » rajoute-t-il histoire de remettre une petite couche de ridicule sur la tartine de foutage de gueule.

Il a un rire quand Julius fait référence à l’entreprise d’agents de sécurité, apprécie la mention inattendue d’un sujet sérieux au milieu de cette conversation décalée au possible. Il prend une gorgée de bière au nectar et pointe Julius du doigt, comme pour mettre un marque page dans le discussion, histoire d’y revenir un peu plus tard. « D’ailleurs il faudra que tu me dises où ça en est, après. Mais continuons. J’ai besoin d’apprendre. »

Et Arès ne se fait pas prier, il continue, en bon professeur, et Augustin l’écoute très attentivement. Les bras croisés sur la table, il ne lâche pas Julius des yeux et fait mine de s’abreuver de savoir à ses paroles. Il fait des « oh » et des « aah » au fil de ses explications, et finit par adopter une expression un peu confuse. Il fronce les sourcils, fait semblant de réfléchir intensément, bouge l’index en l’air comme pour faire des liens dans sa tête. « Alors, ça veut dire que… si je t’embrasse, maintenant par exemple, ça va faire un bébé ? » Il regarde Julius avec un énorme sourire, se retient de ne pas éclater de rire, beaucoup trop fier de sa relance encore plus abrutie que le reste. C’est bien trop amusant. En fait, il aurait dû dire à Alcide de venir, rien que pour assister au spectacle qui est bien plus divertissant que ce qui peut passer à la télé.

Julius manque de s’étouffer sur sa bière, et ça pour Augustin c’est un grand signe de victoire. Pas besoin de médaille ou de coupe en toc, la réaction de l’avocat qui s’étrangle sur l’alcool vaut bien tout l’or du monde. Augustin doit faire appel à tout son self-control pour ne pas éclater d’un grand rire qui attirerait toute l’attention du bar, mais il rigole tout de même devant l’expression effarée de Julius. Dégoûtée, même, il en serait presque offensé tiens. L’avocat fait alors ce que Augustin n’osait même pas espérer : il finit son verre d’une traite. Cul sec, comme ça. Pinte terminée, suivante s’il vous plaît. Sacré Julius. Surpris (et agréablement, ne vous y méprenez pas), Augustin hoche la tête d’un air appréciateur et prend une bonne gorgée pour célébrer cette action mémorable. Souriant, satisfait, il se redresse sur sa chaise et cherche du regard le serveur qu’il appelle d’un signe de la main. « La même chose, s’il vous plaît ! » Lui n’a pas encore fini, mais tant pis, il en aura une d’avance. Oh vraiment, cette soirée s’annonce magistrale.

Augustin reporte son attention sur l’avocat, sourire de sale gosse bien en place. Il n’en n’a pas fini avec lui, loin de là. « Mais techniquement, c’est ça hein ? Il suffit de faire un bisou alors ? Ou il y a autre chose ? » Il remet le sujet sur le tapis car il n’en n’a pas encore eu assez. Il veut tirer les vers du nez de Julius, le pousser à bout de l’exaspération et du malaise. Oui oui Julius, je ne vais pas te lâcher avec ça. Il ne fallait pas le titiller par textos. D’ailleurs, Augustin sort son téléphone de sa poche et retrouve leur conversation, remonte un peu pour retrouver des citations croustillantes à utiliser. « Dans les SMS, tu disais ’je ne pense pas qu'un oeuf soit l'objet le plus approprié pour cet endroit dans le cadre d'agréables amusements‘ tu parlais de quels amusements ? Se mettre un objet dans le cul c’est supposé faire du bien ? T’as déjà essayé ? » Il hausse les sourcils d’un air curieux, comme s’il s’agissait d’une question scientifique des plus intéressantes, puis fais passer son envie de rire par une grosse gorgée de bière, puis une deuxième. Julius va sûrement faire une syncope avant la fin de sa deuxième pinte.

L’alcool divin semble commencer à faire son petit effet sur Julius, on dirait. Augustin se retient d’afficher un sourire ravi en le voyant se rapprocher de lui et lui passer un bras autour des épaules, comme deux vrais potes, des bros venus boire une pinte pour refaire le match du week-end. Il l’écoute avec attention, sourire hilare aux lèvres, s’attendant au pire comme au meilleur. Et il ne sait pas vraiment de quoi il s’agit, en fait, en entendant Julius faire une référence spéciale à Alcide et son équivalent divin. Il ne sait pas vraiment lequel des deux a le plus d’enfants, en vérité, et la réflexion fait bien rire le banquier. « Eh bien tu vois Jules, ça c’est un pouvoir que je suis bien content de ne pas avoir, » répond-il, donne une tape fraternelle sur l’épaule de l’avocat – on en est dans les démonstrations d’amitié virile, alors allons-y gaiement.

Julius se lance ensuite dans l’explication plus théorique de la procréation, et Augustin se délecte de l’entendre prononcer les mots spermatozoïde et ovule. C’est une situation qui semble sortie tout droit d’une autre dimension, et c’est vraiment amusant. Il hoche la tête en écoutant son ami parler, essaie de ne pas imaginer Julius en train de forniquer mais c’est le genre d’images qu’on a toujours en parlant de ce genre de choses, et il fait passer son envie d’éclater de rire dans une longue gorgée de bière au nectar – longue, très longue, vraiment trèèèès longue. Il sent la chaleur agréable de l’alcool divin lui envahir le corps doucement, et ça lui rend la tête à la fois très légère et très lourde. Il aime tellement cette sensation d’oisiveté, ce stade d’ivresse légère où tout paraît encore drôle et exaltant. Quand Julius se met à parler de lubrifiant, par contre, il craque, pouffe dans sa bière. Et lorsqu’il évoque les doigts, s’en est trop. Écroulé de rire, il crache une nuée de bière sur la table (par chance, il n’en avait plus beaucoup dans la bouche). L’hilarité passe un nouveau stade, et il manque de s’étouffer dans son rire. Il n’est pas aidé par les questions et le faux air inquiet de Julius qui lui demande s’il a des soucis et s’il est encore puceau. C’est tellement drôle.

Augustin tousse un peu, se remet de ses émotions et adresse un sourire ravi à Julius. Il s’est pas échappé. Merci la bière. « Oui, j’avais désespérément besoin d’un guide sexuel, merci pour tous ces précieux conseils, frérot, » répond-il en riant encore un peu. « Blague à part, teste autre chose que les doigts, franchement. Tu peux être surpris. » Le sourire plein de dents est un peu plus scabreux cette fois, et il adresse à l’avocat un clin d’œil qu’il interprétera comme bon lui semble – il espère qu’il soit un peu outré, c’est le but du jeu ce soir. La bière retrouve le chemin de sa gorge qui a soif de rires et de célébrations en cette soirée qui les sort d’une période assez mouvementée. Il lève sa pinte et fait le geste pour trinquer de nouveau avec Julius, l’incite à boire encore un peu plus. Des gens s’agitent sur la petite scène au fond de la salle, les gosses préparent leur matériel pour le show. Augustin lève un index vague dans leur direction. « Le groupe qui passe ce soir, c’est des petits jeunes qui sont vraiment prometteurs. Ils sont d’Arcadia, en plus, » commente-t-il d’un ton distrait, parce qu’il aime bien tout commenter, Augustin, c’est un bavard. « Ils font souvent des petites scènes comme ça, à droite à gau… Julius, mon gars, c’est quoi cette montre ? »

Il pointe du doigt l’objet à son poignet. « Elle est super classe, c’est quelle marque ? Je pensais m’en racheter une justement, j’ai commencé à regarder mais rien ne m’a vraiment plu jusqu’ici.. » L’alcool n’aide pas à freiner le moulin à paroles, pas plus qu’à recentrer le flot de ses pensées enthousiastes. « Pas que j’ai trop eu le temps d’y réfléchir, en fait, tu comprends bien, avec les querelles divines et tout ça. » Il s’esclaffe, reprend une gorgée de bière, se laisse aller sur le dossier. « Ah oui, faut que tu me dises. » Il donne une petite tape sur le bras de Julius. Un rital, tactile, qui parle avec les mains au moins autant qu’avec sa langue bien pendue. « T’en es où de ton projet de boîte de sécurité ? A moins que tu préfères investir dans les sextoys après notre petite discussion. »

Augustin siffle d’admiration quand Julius lui explique la provenance de sa montre, et les circonstances de son obtention. Détendu par l’alcool divin, il saisit la montre et s’approche un peu pour la regarder. « Wouah, made in Italy, carrément, » commente-t-il d’un air appréciateur. « Peut-être que je devrais noter la marque tiens ! » Intelligente, cette remarque, mais comme souvent ce genre de note mentale est bien vite oubliée, surtout après plusieurs pintes. « Ah, les femmes, hein ? Faut croire que la montre t’es restée plus longtemps. » Il rit à sa remarque, lui s’en fiche pas mal de ces considérations. Il n’a jamais cru en l’amour et en une relation qui serait supposée durer une vie. Le mariage, encore moins. Néanmoins il s’est attaché. A Sybille, par exemple. Il sourit en repensant à l’heureuse nouvelle qu’elle lui a annoncée, le bonheur de l’alcool lui faisant oublier les questions et les doutes qu’il se pose. Tout comme l’ombre d’un certain gaulois sur leurs vies, à tous les trois.

Heureusement la discussion change complètement de direction. Très habile comme virage à 180 degrés, bien joué Augustin. Faut dire que c’est une de ses spécialités dès qu’il commence à avoir un coup dans le nez. Bavard, curieux, son temps de concentration devient immensément réduit. Julius a l’air bien atteint, plus que lui même. Il n’est pas habitué au nectar. C’est tellement amusant. « On trouvera quelqu’un, t’inquiètes, » répond-il en lui tapotant l’épaule. « On a des gars qui peuvent gérer une boîte comme ça. Et l’investissement, ça, tu vois avec bibi. » Le pouce pointé sur sa propre poitrine, il lui adresse un nouveau clin d’œil complice. Nouvelle gorgée, la pinte est presque finie. Quelle tristesse. « Les sex toys, haha. Monte pas de boîte, j’t’en offrirai à Noël va. »

Le groupe commence à faire quelques accords pour tester l’installation, et Augustin sirote sa bière au nectar tranquillement en les écoutant, appréciant le brouhaha du pub, les notes de musique et l’agréable sensation de chaleur et de tournis qui l’envahit. Le serveur repasse, Gus l’interpelle d’un geste et désigne leurs pintes du doigt pour qu’il vienne les remplir. Il tape un peu du pied en rythme, puis le serveur revient et Augustin se délecte du frais de sa boisson. Après quoi il se tourne vers Julius, l’image de l’échographie lui revenant inlassablement en tête. « Jules, j’ai un truc à te dire. Mais faut pas trop en parler. » Pas du tout même. Ça finira par se savoir, mais pour l’instant, tant que ça ne saute pas aux yeux, autant garder ça un tant soi peu privé. « Je vais être papa ! » Il annonce ça à mi voix, un grand sourire sur le visage. C’est fou comme il est content. Il a les jetons, mais il est content.

Il fait un geste vague quand il demande ce qu’il a en banque. « Bah, des broutilles, » qu’il répond avec un faux air modeste. Il est riche Augustin, comme un bon directeur de banque, qui gère les succursales de l’état. Loin d’être parmi les plus grosses fortunes d’Arcadia, il n’a tout de même pas à se plaindre. Sans compter les petits butins qu’il cache dans sa cave, larcins sporadiques mais nécessaires à son équilibre – un jour un voleur, toujours un voleur. Ça le fait pouffer de rire dans sa bière quand son ami éméché insulte l’honnêteté des banquiers.

Quand il se met à parler tout haut de son expérience en sex toys, c’est… juste plus possible. Un fou rire l’attrape, le genre qui fait travailler les abdos, et il passe de longues secondes hilarantes à essayer de récupérer son souffle. Il sait même plus quoi dire tellement il rit. Oh punaise oui,c c’était une bonne idée de faire boire Arès et sa récurrence. Quel spectacle. « Fais gaffe que je te prenne pas au mot, ou je débarque dans ton bureau lundi avec des propositions de boutiques à racheter ! »

La nouvelle de sa paternité laisse Julius interdit un moment, puis il le félicite à grands coups de main dans le dos, et à grands cris encore une fois. Il est un peu surpris que ça le rende aussi heureux, mais sa bonne humeur accentue encore un peu plus la sienne. Il rit et adresse un clin d’œil à son frère divin, farceur ouais, il le sait et le constatera aussi à ses dépends. Il reprend une gorgée, bien attaqué par le nectar lui aussi, faut l’admettre. Il fronce les sourcils et réfléchit, compte sur ses doigts maladroitement. « Hmm, attends voir… décembre, janvier… ouais, mars ou avril ! » Il sait même pas s’il l’a vraiment entendu, sait pas s’il retiendra vraiment ce qu’il lui dit. Car Julius a décidé d’aller commander au bar et Gus le regarde tanguer dangereusement, rit et sent un rot lui titiller la gorge. Ah, la bière… Julius a l’air de tenir debout, coriace le dieu de la guerre.

Et les yeux d’Augustin ne manquent pas de remarquer le beau smartphone de son collègue, oublié sur la table. Déverrouillé, en plus. Il a dû… regarder l’heure ? Non… Arf, l’alcool… et ses mystères. Il saute sur l’occasion, plisse un peu les yeux car la lumière le dérange, évidemment. Il essaie d’être rapide et efficace, les gestes moins précis à cause du nectar mais quand Augustin a un objectif en tête il n’en démord pas, et en particulier s’il s’agit de faire une blague. Arcader, l’équivalent de Tinder mais pour la ville. Honnêtement, il s’est jamais inscrit. Promis. Mais inscrire Julius… ça peut être drôle… il choppe une photo sur Google – forcément, il est connu – et le profil est vraiment rapide à créer en fait. Julius n’est pas rapide à revenir, heureusement, il y a un peu de monde au bar et… Le voilà qui revient, deux pintes pleines à craquer dans les mains. Augustin repose le téléphone à sa place et fait mine de siroter sa bière nectarisée d’un air serein. Ivre mais serein.

Il récupère sa pinte et le remercie, ils trinquent à nouveau. « A mon petit bébé ! » Ah, c’est mignon dit comme ça. Ça redeviendra plus flippant demain. Il darde sur Julius un regard un peu songeur – enfin, il essaie d’avoir l’air songeur. Il sait pas trop s’il songe vraiment dans cet état là. « Jamais eu de gosse, Jules ? » Il espère qu’il aura des notifications demain matin, histoire qu’il se demande ce qui lui arrive. Il sait pas trop s’il y a vraiment que des jeunes sur cette application. « Faudrait qu’ils fasse un karaoké. J’suis sûr que tu chantes bien. » Pas sûr non. Mais ça pourrait être fantastique comme expérience.