Un rictus marque ses babines assoiffées d’admiration carnassière ; une main glisse sur le comptoir, quelques doigts s’enroulent autour d’une coupe, et bientôt quelques billes d’alcool longent son palais. Sa langue claque, et dans ses iris brillent les lueurs d’une satisfaction sans borne. Une main glisse sur une épaule, et d’un regard il fausse compagnie à quelques invités – partenaires, collègues, ennemis, les terminologies se contredisent et s’épuisent aux angles de toutes ses extravagances.

Ce sont les extravagances qui tapissent le club de lumières artificielles et marbrent les couloirs de luxueuses fioritures. C’est au rythme de ses propres extravagances que claquent ses talons ; une main pousse une porte, découvre l’intérieur tamisé et embué, vibrant au rythme des basses. Il plonge – descente aux enfers, entre les carcasses d’une populace qu’il n’apprécie que lorsqu’elle empli ses poches de billets par liasses. Son regard balaye les alentours, une fois, deux, et enfin : la voilà.

Un signalement qui se répète, une fois, deux fois, et enfin : le voilà. Il a intimé à ses agents de le laisser agir – quelque idée saugrenue aura une fois encore éclot aux confins de sa boîte crânienne. Souple, il glisse vers l’avant, le regard porté sur les cascades ébènes de sa chevelure. Elle a l’attitude qui frise l’indécence, quelque chose d’inhabituel qui attire les regards et attiserait sans aucun doute les pulsions libidineuses de plus d’un être alentours. Et bientôt, sans précipitation, il est à sa hauteur.

C’est tout d’abord un bras qui se glisse à l’arrière de son dos, mais seulement une main qui se pose contre l’épaule dénudée. « Si je peux me permettre. » Il glisse un bâtonnet de nicotine entre ses lippes, fait mine de tendre le reste du paquet vers la demoiselle. « Nous allons vous demander de partir. » D’un coup d’œil, il glisse le long de la stature de son interlocutrice – un rictus mauvais tranche ses lippes, dévoile ses canines acérées. « A moins que vous préfériez vous expliquer. En privé. » C’est Enma qui gronde à l’ombre de ses iris, d’envies et de colères froides – d’ambitions mortifères à en finir aux enfers.

drapée d’ombre et de velours, elle se repaît des regards lubriques que pose sur sa chair l’homme au bras de fer. poigne rude sur sa nuque, il l’exhibe tel un trophée, pression croissante jusqu’à ce que qu’elle ploie le cou. gorge dévoilée, jugulaire saillante lorsque la chevelure glisse, pan de nuit délicat. aika sourit, rictus triomphateur — elle gagne un peu plus chaque fois qu’il croit asservir. son rire se mêle au brouhaha, ne résonne que pour elle, et dans la liesse ambiante sa main semble agripper un verre qu’elle ne porte jamais à sa bouche. elle rit, sans agio, sans joie. elle rit pour plaire et tapies à l’ombre de ses orbes sommeillent mille conjectures servant le même dessein : bras de fer ne verra pas le petit matin.

soudain elle se dérobe, fuit l’emprise, regard langoureux et froid, cocktail subtil dont elle seule a le secret, déploie ses courbes chastement suggestives et se mêle à la foule. disparaître, créer manque et frustration ; lentement, tisser la toile d’un prochain péché.

ses yeux se promènent, las, sur les corps qui s’enlacent et se défont, silhouettes lascives familières dont elle méprise la petitesse. elles se laissent aller aux dépravations du soir, oubliant toute gloire au profit des plaisirs fugaces. aika progresse, silencieuse dans les vapeurs d’alcool, mais une main glaciale sur son épaule interrompt sa réflexion. elle ne se retourne pas tout de suite. c’est si froid que ça la brûle, d’une ardeur à laquelle elle pourrait se laisser consumer. et lorsqu’une voix s’élève, aigre-douce, pour prier son attention, c’est comme si l’on sifflait à son oreille. elle oscille, laisse ses yeux soutenir le regard de l’inquisiteur.

qui est-il ? elle fronce les sourcils, paupières plissées en demi-lunes tandis qu’un grognement guttural lui échappe — un rire, sauvage et contempteur. « nous ? » voix rauque. regard jaugeur. les lueurs éclectiques dévoilent un rictus, une mâchoire brute tailladée d’arrogance. elle le discerne mal, mais l’homme dégage quelque chose d’inhabituel, puissant et sinistre. ka n’est pas de ceux que l’on impressionne. ni de ceux qui se donnent en spectacle. un coup d’œil à son mécène d’un soir confirme ses craintes. il darde sur elle un regard déjà furieux. possessif et jaloux ; l’inconnu met en péril sa mission. « vous devez faire erreur. » élude-t-elle. « je suis occupée. vous m’excuserez. »

et la démarche suave, elle le dépasse. mais lorsque le dos de sa main frôle l’avant-bras de l’homme, un nouveau frisson parcourt son échine et arde sa peau.

A l’encontre de leurs pupilles sillent de maigres éclats, reflets artificieux des néons auxquels viennent pernicieusement se mêler les ombres furtives de quelque démon famélique : quelque chose râle et se languit au creux des entrailles du japonais – c’est de la colère songe-t-il. C’est toujours elle qui l’habite et qui l’anime : la colère, vectrice de toutes ses passions, conductrice de tous ses excès. Le rictus s’élargit, funeste présage et sa langue claque contre son palais tandis qu’un regard coule le long de la stature de son interlocutrice. « Je ne fais jamais erreur. »

Vêtue de son manteau de nuit et d’affronts, dressée dans ses apparats d’arrogance, elle a dans l’attitude ces accents de provocations qui ne manquent pas de se miroiter dans les iris de Jun et il jauge chacun de ses gestes, la courbe de ses lèvres, et les noirceurs infernales de son regard le temps d’une seconde. Or, elle s’éclipse ; lunaire, elle le dépasse, et de nouveau, à l’encontre de leurs dermes, quelque impression, telle une lointaine réminiscence, remue à l’ombre de ses organes. Instinctivement, ses doigts, griffes interminables, viennent s’enrouler autour du poignet de la belle – elle ne se dérobera pas ainsi ce soir.

De la prison de ses doigts, il resserre la pression, et penche ses babines alléchées par-dessus l’épaule de l’oiseau en cage (pour combien de temps). « J’aurais pu me contenter de te faire embarquer par la sécurité. » Il ricane, éclipse la politesse de ses palabres – cassant, sifflant. « Alors si tu ne veux pas trop te faire remarquer, tu ferais bien de me suivre. » L’enfant-roi jette un regard altier au royaume qu’il a conçu de toutes pièces, jubile de ses positions, abuse de son pouvoir et se complait dans l’agressivité et la hargne qui l’habite. Il vocifère en dedans.

Pourtant ce soir, quelque chose déraille, et il n’en bout que plus encore ; la proximité de la vipérine agite ses sens, et quelques frissons parcourent son derme, comme s’ils avaient éclos au contact de leurs dermes, remontant le long de son échine jusqu’à la base de son crâne. Mais il ne s’y attarde pas, balaye d’un regard assassin les sensations étrangères et délie finalement sa prise. « Donc… si mademoiselle veut bien. Par ici. » Narquois, il indique d’une main lascive l’exact même chemin qu’il a emprunté afin de la rejoindre – à l’exact opposé des portes d’entrées.

friselis glacial. les doigts se ferment, habiles, sur le poignet délicat. l’emprise est ferme, presque rude, porteuse d’une essence bestiale qu’aika ne saurait expliquer. son toucher l’abîme et l’électrise, étrange alchimie qu’elle ne peut ignorer. tous sens en alerte, elle fait volte-face pour adresser à l’insolent un regard chargé de colère, noir à en faire trembler un bourreau, tente en vain de chasser cette main qui la menotte et la ramène aux soirs de ténèbres où les coups pleuvaient sur son corps alangui.

le temps suspend son cours ;

long frisson traverse encore sa chair scarifiée. drapée de démons et d’orgueil, ka sent le trouble resserrer son étau sur sa gorge, spectre perfide qu’elle ne pensait plus connaître — la crainte. il inspire le mal, de son rictus fallacieux à ses orbes de jai, de son timbre acerbe à son aura impérieuse. et la belle, réduite à la proie qu’elle n’est jamais, laisse filer un sifflement furieux. « lâchez-moi. » son regard va du visage encore baigné de pénombre qui la toise à la silhouette de celui qu’elle accompagne ce soir. un sentiment d’impuissance la fait frémir de rage ; la voilà prise au piège d’un inconnu, le pied au-delà du vide, incapable de reprendre sa danse macabre. il a raison, elle n’a pas d’autre choix que de se plier à ses exigences avant que le kyosei ne lui file entre les doigts. tout se déroulait bien trop aisément…

aussitôt délivrée, aika obtempère, presse le pas là où on le lui indique. elle fera vite, réduira l’effronté au silence et redoublera de prudence une fois de retour. elle pressera une main délicate contre le torse de sa pauvre victime, apposera contre son cou un soupir et suggèrera quelque adresse pour regagner ses faveurs. gracile aika s’efface pourtant aux sillons de ka, tempétueuse, qui pénètre dans un bureau assombri. une seule porte ; celle qui claque derrière elle. le souffle de l’inquisiteur s’échoue contre son épaule, et sans comprendre pourquoi, elle tremble de le savoir si proche. mais sa voix, elle, n'en laisse rien paraître.

« qui êtes-vous ? que me voulez-vous ? allez droit au but, qu’on en finisse. »

quelques idées lui viennent à l’esprit ; rien qu’elle ne connaisse pas encore. certaines lui glacent le sang, d’autres l’irritent à peine. cette mascarade n’est rien qu’une perte de temps.

Floraisons de dédales de pensées sordides à l’ombre maîtresse de son mental infernal, labyrinthes tonitruants et torturés de son esprit mortifère ; vapeurs et ivresses tapies savamment ici, à chaque détour de ses idées fantasques – cervelas malfaçonné, l’abandonnant à mille pulsions, et mille fois plus encore de déraisons. Personne n’y entre sans qu’il ne l’y guide volontairement – personne ne souhaite y entrer. Dédales de couloirs. La porte du bureau claque – et peut-être est-il déjà trop tard : c’est l’inhumain qui prend vie lorsqu’il croise son regard.

Monstruosités – voilà ce qu’ils sont. Elle claque quelques palabres, presque impérieuse dans son attitude – effrontée, songe-t-il, un sourire narquois émergeant à la commissure de ses babines pourfendues. Tempétueuse dans le regard, qu’il soutient et nargue ; il se hisse plus près d’elle. « Je ne me suis pas présenté en effet. » La langue claque contre le palais, démon se délectant dans l’affrontement, jouissant des sentiments les plus vicieux des âmes. « Jun Kiryuu. Propriétaire de… tout ça. Et d’autres choses. » D’un geste vague du bras, il désigne les alentours, laisse le flou planer ; le bras se pose délicatement à l’arrière du dos de son invitée de choix, indiquant l’un des fauteuils d’un geste du menton – lui, se laisse choir sur celui d’en face. Les picotements à l’extrémité de ses doigts arrachés à la peau de la demoiselle ne l’alarment pas ; la sensation est étrange, sans être désagréable. Il la jauge d’un nouveau coup d’œil furtif, avant d’extirper de sa poche un petit paquet. « Vous fumez ? » Un bâton de nicotine glissé entre les lippes, le briquet craque ses étincelles dans l’espace avant qu’il ne laisse la boite glisser sur la table qui les sépare. Il tire sur la cigarette, et un nuage de fumée nourrit l’espace entre eux. « C’est osé de venir exercer votre… profession, ici. » Il ricane, mais ses yeux ne rient pas. « J’aurais pu me contenter de vous faire faire sortir, et faire en sorte que vous ne puissiez pas revenir. » Un soupir s’échoue ; il aspire davantage de nicotine. Quelque chose de captivant trône dans les prunelles de la jeune femme, miroir quinteux de ses propres vices. « Mais votre profil pourrait m’intéresser. Enfin, pourrait intéresser ma sœur. »

les ombres se façonnent. doucement, les iris d’aika se font à la noirceur du bureau. elles soutiennent aussi celles de l’insolent, sans jamais parvenir à lui faire détourner le regard, ne soit-ce qu’un instant. il ne cille pas, comme si rien ne saurait désarçonner son arrogance, et cela trouble la jeune femme au-delà de tout le reste. qu’importent les décharges qui secouent son échine au frôlement de leurs dermes, personne n’a jamais su défier ses yeux de gorgone. pourquoi le propriétaire d’une boîte, fût-ce le théâtre de commerces ou de crimes, doit-il inspirer tant de méfiance ? aika garde sa superbe, s’évertue à ne rien montrer du sentiment d’impuissance qui la gagne et resserre son étau sur sa poitrine.

souffle court, elle s’assied en silence. kiryuu porte les méandres de quelque charade dont elle aurait oublié la réponse, un nom vaguement familier auquel elle ne saurait mettre ni date ni visage. en vain, elle scrute les traits de l’homme, presque juvéniles, décrit la ligne de son nez et la courbe de sa bouche, le menton volontaire qu’il tient un peu trop haut, et la toison qui tombe, indolente, sur des oreilles ornées. rien ne réveille le moindre souvenir. c’est un gosse comme on en voit partout à tokyo, se convainc-t-elle.

elle ne prend pas la peine de refuser le paquet qu’il met à sa disposition, le laissant glisser sans répondre. il y a quelque chose de surréel dans les mots qui suivent et si le jeune homme ne semblait pas si sérieux aika lui rirait au nez. le sens de ses accusations lui échappent, mais le mépris qui transperce sa voix ne laisse bientôt plus de doute. une vulgaire prostituée. l’insulte claque à demi-mots ; pourtant à aucun moment la kyōsei ne perd son calme. seules flottent les insolences du jeune kiryuu, qui habitent le silence bien après qu’il se soit tu. aika voudrait le gifler, s’indigner ou lui rendre la pareille, mais au-delà de toute offense subsiste cette mission qui la presse à tourner les talons.

« est-ce que vous prenez souvent vos clients à part pour les insulter ? » siffle-t-elle avec hauteur, drapant son estime de tout son orgueil pour ne pas céder à sa pulsion première : lui crever les yeux. « ou n’est-ce réservé qu’à une élite qui vous fait sentir misérable ? » elle se lève, les deux mains à plat sur la table pour se pencher vers lui, regard méprisant, ton acerbe. « revoyez vos phrases d’accroche si vous ne voulez pas rester puceau. ou contactez votre sœur, après tout. »