Micro-sieste effectuée sur le front, pour ne pas rater le début de l’opération. Le sable et les vents d’Afghanistan lui laissaient un souvenir déplorable une fois teintés de carmin. Les chairs volaient, les bouts de corps disparaissaient, pour un peu que les pas se glissent sur les mines disséminées aux quatre coins du champ. Les batailles faisaient rage depuis des années dans cette région. Les civils avaient fui, trouvé refuge ailleurs, pour peu qu’on considère les camps dans lesquels ils s’entassaient de cette façon… Guérilla dont il n’avait guère l’habitude, qui mettait sur les nerfs la plupart des soldats. Ca se sentait dans les iris, dans les regards jetés par-dessus les épaules. Pourtant, une fois que la mission serait lancée, tout cela donnerait l’illusion de disparaître, et d’appartenir au passé…



Ni les questions, ni les doutes n’étaient exprimés face au silence de leurs supérieurs. Ils attendaient tous, soldats habitués à cela. Ils gardaient tout pour eux, obéissaient quand il le fallait. Sans un mot, ils se comprenaient, s’adaptaient dans une cohésion parfaite. C’était ce qu’on attendait d’eux. Pourtant, ce jour-là, lui pouvait sentir que quelque chose clochait. Entrailles qui se tordaient, et pour un peu, il serait prêt à faire demi-tour.


Sortie des divers chefs, et les ordres tombèrent. Un sourcil s’arqua, face à l’incompréhension. Calquer leur future expédition sur les dires d’un prisonnier… Et il tenta, un instant, de prévenir, d’expliquer, de souligner tous les problèmes que cette décision engendrait, tous les trois noirs qui restaient sans réponse. Cependant, à l’armée, en temps de guerres, c’était l’échine qu’il fallait courber, les ordres qu’il fallait suivre, qu’ils soient complets ou non. Défaut d’informations qui le fit s’enrager, gardant pour lui la haine et le dégoût. Peut-être que l’éthique était trop forte encore, malgré les années passées sur le terrain, au milieu des gerbes de sang et des explosions…


Les bombardements avaient repris, à quelques kilomètres de là. Bruits sourds auxquels il s’était habitué, qui l’empêchait seulement d’avoir accès à une mine d’informations sonores. Fallait se calquer sur le visuel, sur les gestes faits par le chef de l’escouade. Il était parti avec le premier groupe, pour s’assurer de cet instinct certainement. Puisque personne ne l’avait écouté – compréhensible en soi – alors, il enlèverait une victime à la prochaine attaque. A trente ans, sans attache, sa mort n’impacterait personne au pays…


Soleil brûlant frappant les silhouettes. Discrétion presque impossible tant l’étendue de sable semblait infinie devant eux. Pourtant, tout cela n’était qu’illusion causée par la chaleur et la fatigue. Nerfs toujours à vif, pour mieux réagir aux différents stimuli. De multiples dunes se dessinaient, quelques crevasses aussi par endroit. C’était soi-disant dans l’une d’entre elles qu’ils pourraient prendre à revers un groupe de talibans, et trouver des plans utiles à l’avenir... Certes, une attention particulière avait été prêtée aux détails, pour s’assurer qu’aucune embuscade ne leur soit tendue, mais y’avait toujours cette épée de Damoclès qui semblait danser au-dessus de leur tête…


La troupe s’arrêta à quelques pas, de quoi envoyer un robot s’assurer que la zone ne contenait pas de mines. Protection assurée le temps de, ouïe toujours étouffée par les bombardements non loin. Intervalles réguliers durant lesquels l’attention se devait être à son paroxysme.


Et il était temps de vérifier les dires de ce prisonnier… Sur fond d’explosions lointaines, qui leur porta préjudice. Les pupilles ne suffisaient pas à capter toutes les informations, et la rafle de balles qui les effleura, les toucha, sembla sortir de nulle part. Réaction instantanée, mais sans ennemi à viser, ils étaient condamnés à chercher, à fouiller les environs de leur regard. Sans fin. Sans jamais rien trouver.


Ils y étaient toujours, au milieu de ce vacarme. Et certains y resteraient à jamais.


Le danger se rapprochait, Faucheuse silencieuse se glissant au milieu des ténèbres avoisinantes. Le soleil avait terminé de brûler les chairs, et laissait désormais la nuit récolter les corps. Quelques minutes, quelques secondes peut-être, et lui aussi tomberait, nombres incalculables de corps inertes dans les alentours. Trop peu nombreux pour faire face, quand les autres avaient l’avantage du terrain…

Et l’ordre vrilla par-dessus le bruit des armes et des pas. Le corps réagit bien avant l’esprit, depuis longtemps court-circuité, attrapa sous le bras celui à ses côtés, et la fuite fut instiguée. C’était ça ou crever.


Souffle court, dans cette étendue qu’il ne reconnaissait pas. Y’avait que les pas non loin, les cris qui le poussaient à continuer, toujours en avant, sans jamais regarder en arrière. Parce que ce serait la fin sinon. Et même si tout était perdu, y’avait toujours une part de lui pour s’accrocher…


Ca sonnait comme le glas, comme la fait de l'épopée. C'était presque l'oubli finalement. Les bruits s'étaient tassés, effacés, le goût de rouille tapissant son palais s’évanouissait. Plus d’odeur, plus de sensations dans le corps, mais il continuait d’avancer. Quand tout s’écroulait, tout s’abandonnait. La douleur s’attardait dans l’esprit, maux épuisants de l’âme en perdition. Le pied butta sur une roche, l’une des multiples dans cet environnement. Hébété, le corps finit par lâcher. Vulgaire cadavre encore chaud, qui bouffait la poussière jusqu’à ce qu’on le sorte de là…