Une soirée comme une autre. Une soirée comme tant d’autres. Soirée off, elle reprend au Teddy Beer demain soir, alors elle vient profiter dans un bar des docks. Pubs en tout genre qui regorge d’irlandais ou d’anglais. Ou de quelques spécimens étrangers attirés par les têtes rousses.
Y’a l’odeur de la Guinness partout, un air de musique celtique dans le fond. C’est pas aussi fort qu’à Galway, ni aussi authentique. Un peu moins chaleureux, sans doute, mais ici, ça fera bien l’affaire, qu’elle se dit à chaque fois.

Et cette soirée ne diffère vraiment pas. A peine sa bière en main, qu’elle se fait accoster. L’accent l’interpelle, la fait sourire. Manchester. Un touriste à Arcadia. Elle se tourne, le regard amusé, sans doute aussi un peu curieuse, et bien déterminée à s’amuser. Il lui fait pas bien longtemps pour imiter son accent. Talent naturel pour ce genre de conneries. Et le me, il y voit que du feu.
Mais  faut bien l’avouer, Gavin est pas très doué pour la drague. Un peu maladroit, mais surtout amusant. Sans doute pas très sympa de sa part, mais elle le laisse continuer, surtout galérer, juste pour passer le temps, alors qu’elle connait déjà l’issu de cette entrevue. Aussi ennuyée qu’elle soit ce soir, elle ne rentrera pas avec lui. Elle a appris à reconnaitre, à force de soirées et de plans en tout genre, à reconnaitre ceux avec qui ça vaudra le coup. Que ça soit pour une heure ou pour la nuit. Malheureusement pour cet adorable gars, il n’en fait pas partie.

Quinze bonnes minutes qu’elle rit à ses blagues maladroites, qu’elle hausse les épaules, dans une moue trop innocente pour qu’elle soit sincère –surtout chez elle- ou qu’elle le laisse continuer son baratin. Quinze minutes de divertissement interrompu par un faux irlandais qu’elle ne connait que bien trop. La main puissante se pose sur l’épaule de l’anglais. « Maeve. » elle hausse un sourcil, tente de deviner la suite. Les yeux perçant se détournent bien vite de sa silhouette pour se poser sur Gavin. « Tu peux t'en aller l'ami, merci d'avoir gardé la place. » Pardon ? « Caleb tu fous quoi ? » il l’ignore, continue son manège. Et un bref instant, elle a un peu de peine pour ce pauvre gars qui n’a rien de demandé. Il a pas demandé à se trouver face à musclor, ou à subir un quelconque sursaut de jalousie mal placée. Elle le sait mieux que personne, la poigne de Caleb est ferme, facilement douloureuse. Sans doute trop à lent à son goût, il le bouge à sa manière sous les yeux médusés de la rouquine. Le sourire narquois sur les lèvres, Caleb s’installe face à elle. « Ta place ? J’espère que tu te fous de ma gueule. C’était quoi ça ? » les yeux toujours aussi écarquillés, Maeve cherche Gavin du regard. Bravo la soirée. « J’suis pas ta chose. Et c’est quoi cette gueule ?! » œil amoché qu’elle désigne d’un geste de main passablement agacé. S’il veut se battre ou de défouler, y’avait qu’à demander, quelques esprits manipulées, et la môme était susceptible de lui trouver un adversaire faussement volontaire. « Pourrir ma soirée, c’était ton plan ? »

Il lève les yeux au ciel, et Maeve, elle fait pareil. Parfois si semblables, et pourtant infoutus de se comprendre les trois quarts du temps. La vérité, c’est qu’elle n’est pas mécontente de le voir. Juste irritée par ses méthodes, par cette manie qu’il a de tout s’approprier. Elle avec. Et pourtant… Pourtant, faudrait qu’elle ouvre les yeux., mais c’est plus fort qu’elle. Ce qu’elle voit, c’est ses manières. Son côté brut qui n’en fait qu’à sa tête, quoiqu’en elle en dise. Et comme pour illustrer son point de vue, il prend un peu plus ses aises sur son siège, étire ses bras sur la table. A lui. « Quoi ? Il avait qu'à dire non ! » « Il avait qu’à dire non ? » qu’elle répète incrédule, comme s’il venait de lui sortir la pire connerie au monde. A vrai dire, c’était bien le cas. Un c’mon à l’accent fortement irlandais s’échappe de ses lèvres alors qu’elle lève les yeux au ciel. L’anglais n’a jamais eu le choix. A partir du moment où Caleb les avait repéré et que son idée était fixé, il n’avait rien d’autre à faire qu’obéir. « tu lui as pas franchement laissé le choix. La main sur son épaule, c’était une petite caresse amicale ?! » ils savaient l’un et l’autre que Gavin avait fait le choix le plus judicieux en laissant sa place. Et s’il avait hésité un instant, Maeve ne doutait pas une seule seconde que Caleb avait mis la force nécessaire dans ce contact pour le dissuader de répliquer quoique ce soit.

« J'te sauve d'un mauvais plan Maeve, il revient même pas regarde, aucune volonté ! Me dis pas que tu préfères sa compagnie à la mienne!» « C’est même pas le sujet ! » Les mains qui se font nerveuses, agacées, et qui ne tiennent pas en place. Y’a vraiment pas à dire, O’Sullivan a définitivement un don pour l’énerver en un temps records. « Tu veux, tu prends ! tu m’as demandé mon avis ? Qui te dit que j’avais pas envie de passer une soirée tranquille avec lui ? » Pourtant les mots tranquille et Maeve allaient rarement dans la même phrase. Rarement conjugués et associés. Et elle ne pouvait pas dire mieux, elle était comme lui là-dessus. Elle voulait, elle prenait, et au diable les conséquences. Mais lorsqu’elle était concernée, ça la faisait voir rouge. Elle jette un coup d’œil à celui qui lui tenait compagnie avant, parti retrouver ses potes sans doute. Du moins elle imagine que c’est avec eux qu’il est venu, avant qu’il ne tente de lui faire son numéro. Peu importe. La môme s’approche de Caleb, contourne la petite table pour se retrouver à côté de lui. Elle le force à la regarder en attrapant son menton entre ses doigts, la poigne plus ferme qu’à l’accoutumée –bien que rien à voir avec celle de Caleb. « que tu sois un bon coup veut pas dire que tu peux te permettre ce qu’il te chante. » la machoire crispée, maeve est réellement agacée, ou peut-être est-ce l’hybris qui la fait réagir au quart de tour. Hybris qui intensifie ses colères, la rende plus explosive, plus tranchante, et qui tend parfois à la faire jouer plus rapidement de son don d’odikinésie. Sans doute comme ce soir. « et qui sait… peut-être qu’il pourrait revenir te montrer… sa volonté de rester. » les yeux se teintent d’une couleur dorée. Légère lueur, à peine perceptible si on est trop loin. Foutrement séduisante et déstabilisante lorsqu’on est tout prêt. Comme un brasier qui danserait au fond de ses pupilles. Comme les flammes qui lècheraient un champ de bataille. « tu veux tester ? » le ton du défi dans la voix, alors que l’esprit est déjà ailleurs, et pendant un instant, le regard aussi, posé sur Gavin. Le don qui s’exerce, se prépare. Pourrait se ramener d’une minute à l’autre, bien moins calme que lorsqu’il est parti. Si au départ elle devait avoir un contact physique pour avoir de l’influence, ce n’était désormais plus le cas, pas dans les espaces aussi confinés, pas lorsque c’était un humain. Elle devait parfois l’accompagner d’un geste, et ça prenait quelques fois plus de temps… sur les esprits plus calmes, moins apte à la colère et aux explosions. Restait plus qu’à savoir dans quelle case se rangeait l’anglais.

Un coup d’œil par-dessus son épaule, et Caleb comprend ce qu’elle veut dire. Au moins en partie. Ils n’ont jamais parlé de ce qu’elle était capable de faire, ou de sa réincarnation, des différents choix qu’il y avait. Il ne lui avait jamais demandé si elle faisait voler des papillons ou si elle ravageait des forêts. « T'as juste envie que je me batte pour toi hein ? D'accord.» elle hausse les épaules « ou juste envie de voir ton sourire arrogant s’effacer » elle répond du tac au tac, sourire moqueur sur le coin des lèvres alors qu’il se redresse, collé à elle, elle ne bouge pas d’un iota. Les regards ancrés, lueur de défi dans les yeux, elle l’incite silencieusement à continuer.
Et il est là, Gavin, pauvre victime de leurs conneries. D’une possessivité mal placée et d’un jeu qui pourrait être dangereux. Rapidement, -et un peu sans qu’elle ne s’y attende malgré son influence- l’anglais décoche une droite à Caleb. Pas une vraie droite professionnelle, mais elle a au moins le mérite de le faire grimacer –avant de le faire sourire. Elle ne pensait pas qu’il cèderait si vite. La main plaquée sur sa bouche, elle étouffe un rire. Elle l’imaginait plus se perdre en paroles pendant quelques minutes, avant de voir Caleb perdre patience. Perdue. Que de surprises… Et lui, ça semble l’avoir réveillé. Comme si une bonne dose de testostérone était tout ce qu’il lui fallait. Mais pas quu’à lui. A la déesse qui sommeille aussi en elle. Le spectacle semble la réjouir… Et en un rien de temps, Caleb le soulève par le col, mains à la gorge. La pression sur son cou ne laisse aucun doute. Pourtant, elle sait qu’il peut serrée plus.
Elle reste de marbre, Maeve, peu impressionnée, elle le fixe attendant la suite. Sa force, elle la connait. Assez pour en avoir eu des marques sur sa peau trop pale. « C'est tout ce que tu sais faire Maeve? » c’est comme s’il titillait sa fierté ou remettait en cause ses capacités. La mâchoire contractée d’agacement, elle relève silencieusement le défi. Il veut plus ? il aura plus, mais qu’il ne vienne pas se plaindre ensuite. C’est dingue, cette capacité qu’il a, à lui donner envie de se jeter sur lui autant qu’à vouloir l’étrangler. Mais malgré sa facilité à se glisser sous sa peau, à l’agacer en un regard ou avec un mot, elle ne l’aimerait pas autrement. Paradoxalement, c’est cette capacité à l’irriter et à la faire sortir de ses gonds qui lui plait plus qu’elle ne veut l’admettre. Cette tension et ces éclairs qu’ils sont constamment prêts à se lancer.
La déesse le lâche des yeux, pour les poser sur Gavin. Le pauvre, il n’a aucune chance. Pourtant, elle ne le relache pas de son emprise. Au contraire. Un bref instant, elle clôt ses paupières, pour les rouvrir, le regard pétillant et brillant de lueur si particulière qui lui est propre. Concentrée, c’est comme si elle se ressentait reliée à plusieurs personnes de cette pièce par un fil invisible. Connectée à leurs émotions les plus négatives, parfois les plus refouler. Pour elle, c’était comme un jeu d’enfant de jouer ça. S’il y avait des prodiges de la musique, Maeve était une virtuose en ce qui concernait la colère et la rage. Elle joue une partition invisible dont elle seule connait la mélodie, et il ne faut pas longtemps pour que le charme opère. Maeve est bien tentée de lui balancer qu’il ne sait pas avec quoi –ou qui il joue- mais la vérité, c’est qu’elle l’ignore aussi. Parce qu’elle ignore encore dans quels recoins peut la pousser son don. Si elle en expérimenter certains contre coups, elle a toujours fini par se calmer avant que ça ne soit critique. Et peut-être que si elle savait qui elle était, ça aiderait… Si seulement.
La rouquine recule d’un pas, voyant le coup arriver, touchant Caleb dans le dos. Sourire amusé, un peu moqueur qui étire le coin de ses lèvres en voyant le dieu dans une drôle de posture. Elle sait qu’il faudra plus que deux personnes pour en venir à bout. Force trop colossale pour que ça soit humain. « je voudrais pas te fatiguer trop vite surtout… » deux autres les rejoignent rapidement, et elle fait un autre pas en arrière. Ça dégénère toujours plus vite. Même les esprits non touchés s’échauffent et se questionnent. Se demandent ce qu’il se passe ou quelle mouche les a piqué. Et si un de leur pote est concerné, elle n’a même pas besoin de les contrôler pour qu’ils y prennent part… Pour défendre ou retenir… Mais un coup est si vite parti. Un autre pas en arrière, une jambe de côté, et un mec se casse la gueule sous son regard amusé. « t’as l’air occupé… j’crois que j’vais te laisser » avant qu’elle se laisse déborder surtout. Mais en réalité, elle reste là, attrapant plus de monde sous son emprise

Ils se démerdent, Caleb. Et pas qu’un peu, mais elle n’en doutait pas vraiment. Elle connait son caractère, et elle a une vague idée de sa force, bien qu’il l’utilise avec elle dans des circonstances plus agréables. S’il se lâche parfois, elle sait que ça n’a rien à voir avec ce qu’il pourrait envoyer dans la tronche de ces mecs. Il les retient, ou frappe sans se soucier des conséquences ou des blessures qu’il pourrait infliger. Et Maeve, elle en manque pas une miette. Elle voit chaque muscle se contracter, chaque mouvement de rejet. Cette lueur de combattant au fond des pupilles. Ce quelque chose de primaire et de sauvage, encore différent de ce qu’elle avait vu jusque-là. Et elle pourrait presque sentir son bas ventre réagir. Pourtant, elle sent encore sa colère et son agacement. C’est le plaisir malsain qui la fait rester là. Cette envie de le voir galérer et qu’il lui demande d’arrêter. Pour une fois, qu’il voit de quoi elle est capable. Bien que même si elle n’avait été qu’humaine, elle n’en aurait été pas moins… dérangeante et dérangée. Une vision du monde particulière, des mœurs qui le sont tout autant. Sans doute un peu folle. Ou juste différente, comme elle aime le dire.

Mais les gens s’aglutinent et se pressent. Les esprits s’échauffent, même ceux qu’elle ne contrôle pas. Sans doute pour défendre un pote, ou un sale besoin de se défouler. Caleb se fait submerger.
Finalement…
« J'ai compris Maeve, arrête ça. » elle évite une bouteille qui aurait pu faire mal, et qui finit sur un autre mec. En réalité, ils commencent aussi à l’agacer… Tout le paradoxe de son pouvoir. C’est drôle jusqu’à un certain point. Il agrippe son bras et elle se crispe. Il serre, elle sent son agacement, mais surtout ça commence à lui faire mal. « Arrête ça ! » « sinon quoi ?! » elle a le visage fermé, défiant.. « c’est insupportable de se voir imposer les choses ? » elle a juste eu une manière très personnelle de lui faire comprendre et de se venger. Elle pousse un mec, une file, se rapproche de l’irlandais. Elle se fait légèrement bousculer, et elle ne retient pas le droite qu’elle envoie avant de secouer son poing, à cause de la douleur. Fais chier. « On peut parler tranquille ?! » c’était pas une question, elle attend pas la réponse qu’elle se tourne vers Caleb. « J’ai quoi en échange ? » qu’elle demande, un sourire narquois sur les lippes. Elle l’écarte, lui fait éviter un coup avant de soupirer. Elle ferme les yeux un bref instant, se concentre pour les calmer. Petit à petit, le brouhaha se dissipe. Un peu. Pas complètement. Elle rouvre les yeux, et croise certains regards interloqués. Sans doute se demandent-ils ce qui les a amené à agir ainsi. Mais d’autres semblent vouloir continuer. Elle le prend par le bras, tire brutalement « on se barre » parce qu’elle ne contrôle pas tout. Parce que certains n’ont pas besoin d’elle pour agir comme des idiots. Et parce qu’à ce stade, elle fatigue doucement, pas certaine de calmer ou d’empirer les choses. « Active ! » elle pousse un mec violemment –autant qu’elle le peut, en se ruant vers la sortie, la main de Caleb dans la sienne. « La prochaine fois t’agiras pas comme un idiot. Tu l’as mérité. » aboie-t-elle une fois dehors en le lachant, la porte claquant derrière eux.

La soirée ne se passe pas vraiment comme elle l’avait imaginé. Premièrement, elle n’avait pas pensé y voir Caleb. Deuxièmement, provoquer une baston dans un bar n’était pas franchement dans ses options. Et enfin, elle ne pensait pas que les élans colériques et naturels de certains la ferait sortir du bar aussi rapidement. Elle n’avait pas le contrôle sur tout, ou sur tout le monde. Et ce soir, elle pressait Caleb pour qu’ils sortent de là. S’ils restaient, ça n’en finirait pas. Ou dans un sale état. Alors elle tir sur sa main jusqu’à ce qu’ils atteignent la sortie.
Impossible de garder sa langue dans sa poche. Ou son avis pour elle. Si la fin était une petite vengeance personnelle qu’elle avait plutôt appréciée, il y avait toujours cet agacement, cette colère et cette frustration qui bouillait dans ses veines. Et vu la tête qu’il faisait, Maeve était de tenter croire qu’il avait compris leçon. Pourtant, elle connaissait aussi Caleb, et se doutait qu’il serait bien susceptible d’agir exactement de la même manière la prochaine. Il veut, il prend. Et faudrait un autre moyen pour elle de contenir sa colère sans lui arracher la tête.

Il s’assoit sur l’une des marches, visiblement irrité ou vexé. L’idée l’amuse plus que de raison, elle ne pensait pas voir ce jour arriver. « Depuis quand tu sais faire ça ? » « te faire taire ? Une nouveauté apparemment. » elle se pince les lèvres, se retint de rire, sachant pertinemment que ce n’est pas de ce dont il parlait. Il regarde ailleurs, bout sans doute encore un peu. Première fois qu’elle le voit sans son sourire arrogant. Première fois qu’elle fait utilisation de son pouvoir sur lui, ou qu’il en soit la cible. C’est étonnant que ça ne soit pas arrivé avant. Elle a eu tellement d’incident. Sa colère qu’elle ne contrôlait pas, le pouvoir qui se déclenchait sans qu’elle ne s’en rende réellement compte.
Ce soir, c’était bien volontaire. Ce soir, elle voulait lui faire comprendre le fond de sa pensée. Mais elle soupire, se rapprochant,, s’accroupissant devant lui. Sans permission, elle attrape son menton entre ses doigt, le force à tourner la tête quelque part.  « ça va ? j’veux dire, t’es blessé ou pas ? » quand même… elle s’inquiète. Un peu. Même si elle tente de se la jouer nonchalante et je m’en foutiste. En réalité, elle sait pas ce qu’elle aurait fait si l’un d’eux avait eu plus de force que prévu. Comme d’habitude, elle réfléchit aux conséquences après. Sans doute ce serait-elle encore plus énervée, sur le mec en question. Un énième soupire s’échappe alors qu’elle pose ses fesses face à lui. « Plusieurs années. J’sais pas, mes 16 ans. Ou 17, peut-être » elle sort une clope de son paquet, l’allume en inspirant une grande bouffée. « des fois ça se manifestait sans que je le veuille vraiment. J’étais juste… énervée. Ou des envies de faire payer je ne sais quelle connerie » qu’elle explique, comme si tout cela n’avait aucune importance. La vérité, c’est qu’elle a été en colère une bonne partie de sa vie, sans jamais y faire quoi que ce soit. Jurer, insulter, provoquer était devenu une habitude. Un mécanisme. Une habitude. En bref, y’a eu quelques dérapages. Plusieurs incidents plus ou moins volontaires. « des fois, j’ai juste du mal à en contrôler… l’étendue » elle se fout d’admettre qu’elle ne contrôle pas tout. Elle n’a jamais prétendu le contraire, et peut-être que ça sera jamais le cas. Elle continue de tirer sur sa clope, se remémorant ces quelques fois à Galway.  Plus excitée que paniquée. Elle a bien paniqué une fois. Peu de temps après la disparition de son père. Alors elle a juste fui au fond du Connemara. Là où il n’y aurait personne autour d’elle. Principalement des moutons, mais rien pour l’emmerder, personne pour la contredire ou l’exaspérer. A Arcadia, ça a toujours été plus compliqué. Plus de monde. Trop de monde. Ou un terrain de jeu à la hauteur de ses conneries.

« Arrête ça tu veux ? J'ai compris. » « ça va calme toi. » le ton est tranchant. Si elle a pu être amusée, elle l’est de moins en moins. Son ego est touché et il ne s’en remet pas. Et ça, ça commence à sérieusement lui taper sur le système. « donc t’as le droit de me chercher et je dois rien dire ? Sourire bêtement ? Te laisser faire sagement ? » S’il ne la connait pas parfaitement, il sait au moins que ce n’est pas comme ça qu’elle fonctionne. Plutôt le contraire. Mais elle voit à son regard qu’il veut pas parler. Rien du tout. Complètement fermé.
Sale con, qu’elle pense. Il en faudrait peu pour que ça dégénère complètement. Pourtant, dans une volonté d’apaiser les choses –sans doute une grosse connerie- la môme se baisse face à lui, étudiant son visage. En un rien de temps, et avec un geste de main indélicat, il se dégage de son emprise ; Son sang ne fait qu’un tour, la mâchoire serrée, elle se retient de ne pas exploser. Elle déteste se faire dégager lorsqu’elle est plus… vulnérable. Moins… elle. Moins brute de décoffrage. « Bien. Va te faire foutre. » son bras ramené contre son corps, elle détourne le regard, et hésite un instant à le laisser là, qu’il soit en état de rentrer ou non. Après tout, il lui a bien fait comprendre qu’il ne voulait ni parler, ni qu’elle s’intéresse à ses possibles blessures.

Pourtant, Maeve finit tout de même par répondre à ses questions. Ils n’en jamais parlé de leur statut divin. Et après ce qu’elle vient de démontrer, malgré son agacement, elle trouve ça plutôt légitime d’y répondre. Si elle le trouve complètement insupportable ce soir, il a le droit d’être curieux. Dans la limite du raisonnable. Et plus encore de l’amabilité. Elle se demande ce qu’il pense… de tout ça. De son don. Il la prend pour un monstre ? Ses réactions sont insupportables parce qu’indéchiffrables. Comme si… il ne la croyait pas. Elle se contrôle en partie. Pas complètement. Pas toujours. Nettement mieux qu’avant, il n’y a pas photo… Mais y’a des erreurs, et parfois des grosses.
« T'es qui ? » ça sort subitement. Trop directement et surtout sans délicatesse. Même pas aimable. Elle hausse les épaules. Aucune idée, et c’est même pas pour le faire chier. Elle en sait rien. Au mieux elle peut tenter quelques hypothèses, mais rien de très sûr ou de précis. « J’sais pas. » « Panthéon celte ? T'es Irlandaise non ? Alors dis moi qui t'es maintenant. » elle hausse un sourcil avant de se lever. « J’te jure que si tu veux pas que ça dégénère, t’as intérêt à te calmer. J’suis pas ton clebs. Parle moi mieux que ça. » elle bout, retient sa colère. Pourtant, y’a l’hybris qui est à deux doigts de la faire exploser, et cette fois, il se pourrait qu’elle ne retienne plus rien. « Ma mère est anglaise. J’croyais qu’elle était folle, t’sais genre complètement dingue, parce qu’elle voyait des gens… Des fantômes. Alors j’me suis démerdée seule assez vite jusqu’à ce qu’elle me dégage chez mon père à mes dix ans. Il a essayé de m’expliquer tout ça. Tout ce bordel. Pas que ça m’intéressait grandement non plus. Seulement à mes seize ans, quand c’est devenu un peu plus… réel… Et faut le dire vite… Il y a mis un peu plus d’entrain, il a essayé de m’aider. Avant de disparaitre en mer, peu de temps après. Alors oui, il était irlandais, ce qui fait que c’est surement une déesse du panthéon celte. Le reste, je sais pas et j’dois me démerder. » elle fait une pause, la machoire crispée. « ça va, t’es content, c’est tout ce que tu voulais savoir ? » cette fois, son regard est presque méprisant. Elle lui en veut surtout de l’avoir presque obligée à devoir déballée tout ça. Personne –si ce n’est sa cousine- ne connait son histoire. Elle a toujours entretenu les rumeurs.. qu’on la dise venue de birmingham ou de manchester. De Derry ou de Belfast. Elle ne dit jamais rien. Rien de vrai concernant son passé, parce que ça ne concerne personne. Et Caleb, elle lui en veut d’avoir été aussi peu délicat. Elle frotte les mains sur ses cuisses, prête à se barrer.

Rien, aucune remarque, aucune réflexion. Pas même une réaction. Le blanc total. Ou seulement sa voix à elle. Elle se demande ce qu’elle fout encore. Elle ferait mieux de rentrer et d’aller se coucher. Ça éviterait qu’ils se foutent sur la gueule, que ça dégénère encore plus. Maeve a l’impression de passer un interrogatoire plus que d’avoir une quelconque conversation. Alors elle soupire, et y’a plus rien de joyeux sur son visage. Les traits tirés, irrités, elle pense pouvoir se barrer. Mais c’est son compter sur la main qui se referme autour de son poignet. Elle tente de récupérer son bras, mais rien à faire. « Lâche moi, Caleb. C’est loin de me faire marrer » parce qu’il y a un moment où va falloir s’arrêter. Avant qu’elle ne pète un cable, que ça dégénère totalement. Il a pas l’air de comprendre, qu’elle veut juste qu’on lui foute la paix. Il a dépassé les bornes, et il doit le comprendre. L’obliger à rester ou à parler n’arrangera rien. Loin de là. « Qui t'a expliqué tout ça alors ? » Sourcil arqué en se demandant s’il ne se paie pas sa tête. Une putain de blague de mauvais goût ? elle l’espère même pas. « Tu te fous de moi ? Est-ce que t’as écouté ne serait-ce qu’un mot de ce que je viens de te dire ? » d’un coup sec elle retire son bras à sa poigne trop ferme à son goût. Elle ne sait pas ce qui la fait le plus bouillir. De devoir se répéter ou se dire que s’il ne l’a pas écouté, c’est qu’il se fout de son histoire et de son passé alors qu’elle ne se livre jamais. « Mon père m’a expliqué. Ma mère m’en parlait. Mais j’étais jeune. Et mon père il a essayé ! il l’a fait. Ça a juste été trop court. Quelques mois après mon éveil il a disparu en mer. Ça va c’est assez clair ou je répète encore ? » elle soupire avant de reprendre « répond même pas. Moi j’en ai fini. T’en as rien à foutre et ça me gonfle.  » pour une soirée pourrie, elle était bien pourrie. Si leurs embrouilles pouvaient parfois tourner autrement, parce qu’il en avait toujours été ainsi entre eux, elle était certaine que ce n’était pas ce soir que ça s’arrangerait. Alors cette fois, elle démarre plus vite, pour qu’il ne l’attrape pas par le bras une deuxième fois. Et dans le silence de cette nuit déjà bien entamée, y’a plus que les bruits de ses pas qu’on entend. Et leurs jurons muets, à l’autre. A eux-mêmes.