C’est une habitude prise depuis longtemps maintenant, et récurrente. Plusieurs fois par an, afin de fleurir la tombe de la seule famille qui ne dispose que d’une seule croix au fond du cimetière.
Pas les moyens de lui offrir une tombe descente et digne de toute la souffrance qu’elle a enduré pour le faire vivre.
Survivre.
Pas les moyens en tant qu’adolescent voué à errer dans les rues un temps. Un an. Un an complet à se débrouiller de lui-même et il n’en souffre pas plus que cela aujourd’hui. Gamin des rues et du bordel, élevé dans la déchéance sans pourtant avoir jeté son cœur au feu. Orphelin des bas-fonds qui aujourd’hui foule le sol d’un appartement modeste, légèrement au-dessus de la moyenne, fidèle serviteur d’une bratva aux armes de destructeurs. Aujourd’hui il foule la boutique qu’il commence à connaître par cœur à la recherche des fleurs idéales aux couleurs chatoyantes qui trancheraient avec le morbide. L’aspect écolo de la boutique pourrait très nettement le faire vomir, car bien trop lumineux pour celui qui vit majoritairement de nuit. Il a fait un effort, Fraser, celui de ne pas sortir les gants, esquivant comme il peut tous métaux pouvant contenir un soupçon d’aluminium en son sein. Véritable handicap permanent avec lequel il doit dorénavant composer. La multitude d’odeurs qui enveloppent et entêtent son esprit sont agréables, élan de nature au beau milieu d’une ville de bêton. Pour sûr, Hakon apprécierait les effluves mais il ne peut décemment l’emmener ici, dans un tel endroit, au risque de se faire rabrouer par le patron ou la patronne. Et la silhouette féline se dessine au beau milieu des feuillages et couleurs vives d’un printemps qui n’est pas tout à fait encore là, soleil ayant du mal à faire poindre ses rayons au travers des fins nuages teintés de gris. Ce n’est nullement la faute du faiseur de foudre, qui bien que son contrôle soit de droit divin (ce qu’il ignore d’ailleurs), il n’est pas en mesure de changer le climat par ses simples humeurs un tantinet maussades ou endormies.
Cybele. Nom qu’il a visualisé sur l’un des badges de ses yeux particuliers la dernière fois que ses pas ont foulé ce chemin jusqu’à la boutique de l’entrée. Mains dans les poches, il renifle les effluves en provenance des rosiers, mais ce n’est pas pour une femme qu’il est là, du moins, pas de manière romantique – si tant est qu’il ait un jour été du genre… Romantique. En silence et profitant encore de son avantagée discrétion, le blond vient se poster délicatement derrière elle, billes claires la scrutant depuis plusieurs secondes. D’aucun dirait qu’elle avait un admirateur secret mais si elle est très belle, ce n’en est nullement le cas. «
Excusez-moi. » qu’il ose lâcher d’un sourire en s’annonçant et espérant ne pas la faire sursauter d’une quelconque manière que ce soit. «
Bonjour. ».
Bonjour, un mot qui sonne étrange à ses oreilles car trop habitué à dire
Bonsoir. «
Est-ce que vous auriez déjà des perce-neiges ? ». Perce-neige, un blanc pur et innocent pour celle qu’il a aimé d’un amour filial et qu’on lui a arraché. Pour celle qu’il a tout bonnement fait débrancher. C’est un rituel comme un autre qu’il entretient ici, et il ne peut que tourner la tête en entendant deux retraitées faire des messes basses.
Quand est-ce qu’il lui demande d’aller boire un verre ? Faire semblant de s’intéresser aux fleurs, c’est passé de mode. Sourcils qui se froncent ne restent pas ainsi bien longtemps alors qu’il se tourne à nouveau vers la jeune femme en espérant que cette dernière n’ait pas entendue pareille sottise. Il y a quelque chose de différent chez Cybele depuis la dernière fois qu’il est venu. C’était
avant la foudre qui l’a heurté de plein fouet. Il y a comme le sentiment étrange que la brune est
plus que ce qu’elle n’y parait. Ca lui a fait ça, avec certaines personnes mais Maksim n’est pas encore en mesure de comprendre, perdant d’ailleurs l’usage de la voix et se forçant à papillonner des yeux pour retrouver un semblant de conversation. «
Euh navré, j’ai eu un moment… D’égarement. ». Il disait quoi déjà ? Ah oui, les fameux perce-neiges.
