Les malédictions prennent des formes incongrues. La mienne fait quinze kilos tout mouillé et me lorgne du haut de ses cinq pommes. Le derme rose, mais martelé de bosses et d’écorchures de son âge, il me fixe avec d’énormes billes et un sourire troué. Je ne sais foutrement pas comment gérer ce genre d'espèce rare. Un gosse. Je n’en côtoie jamais. La voisine -un modèle de mère célibataire surmenée- me l’a collé dans les pattes avant de se barrer. Je suis le seul crétin qui a bien voulu lui ouvrir la porte.
Ma veine.
Heureusement, j’ai appelé du renfort...

- JODER!  

Le gamin a pris la poudre d’escampette entre les jambes de mon aide de camp. Quelle idée d’avoir des échasses aussi longues, aussi ( bien qu’ agréable à caresser… Dégage image mentale !) !  Je venais juste de l’engueuler parce qu'il foutait ses doigts pleins de crottes de nez partout. C’est franchement dégueulasse les mouflets ! Barbecue est plus propre !


- Aide-moi à rattraper le merdeux ! que je lance à Bro.

Je me lance à grandes enjambées dans la cage d’escaliers, à la poursuite des rires d’enfants qui ricochent sur les marches.

Si je t’ai appelée, c’est pour ne pas tomber seul, tu sais...

(100 mots)

Alors que je cavale, maudissant la créature simiesque de petite taille qu’on a diaboliquement collé dans mes branches, un projectile fuse. Précis. Funeste. Incroyablement efficace. Le gamin, assommé, vacille et je parviens de justesse à sa hauteur pour l’agripper avant qu’il finisse en bouillis sur les degrés suivants. Attrapant le chiard comme un sac à patates et ramassant la botte, je lève le pif vers les étages, pouce en l’air.

- Y’a plus qu’à s’assurer qu’il n’a pas une commotion cérébrale! Rire mauvais.

Rejoignant Bro, je lui claque un bécot mal cadré, entre la joue et la commissure des lèvres.

(99 mots)

Dérapage incontrôlé. Interrupteur allumé. En croisant ses prunelles qui pétillent, mon esprit prend feu.

- Tu veux jouer les infirmières… ? Sourire en coin, nez frôlant le sien.

Inutile de préciser qui sera le patient. Cet enfant n’est qu’un bibelot. Pas sûr que sa mère me le confiera de sitôt.

- Aucune idée. Je n’ai pas spécialement envie d’attendre pour le savoir… T’as envie toi ?

Vilaine provocation. Cette fois ci, je vise juste. Je happe sa bouche, semant sur ses lèvres un désir partagé. Je la plante là, prenant le chemin de ma piaule.

Reste à savoir ce que je fais de “ça”.

(100 mots)

Bro me rattrape avec la volonté farouche de me faire bander. Une réussite, s’il en est. J’ai la présence d’esprit de déplacer le gosse juste à temps avant que sa tête ne s'encastre dans le mur. Il dodeline sur mon torse, faisant mollement rempart entre nos deux corps chauffés à blanc.

- Et toi, Toi tu veux quoi ? Je la dévisage, tâchant de garder mon flegme. J’aime cette aura dévorante qui m’écrase presque.

“Lui” aussi.

Une voix pâteuse nous interrompt. Le gosse s’éveille et, paniqué, chiale sa vie.

- Mamaaaaaaaaan!!!!
Soupir.
- L’est pas là, niño. T’as fait une mauvaise chute...

(98 mots)

La frustration de ma comparse m’amuse. Sa trépignation est excitante et son refus de materner aiguise mon rire.

- Fais pas chier la dame. On va t’mettre de la glace et tu vas faire la sieste, fais-je d’autorité.

Nous rentrons chez moi. Barbecue est aussi impatient que Bro. L’idée d’enfermer le gosse dans le congélo me traverse, alors que je sors un paquet de surgelés pour lui coller sur le front.

- Les chaussures..., que j’ordonne à destination de ma Furie. “La” chaussure, que je corrige.

Pommade posée. Malgré ses glapissements, j’enferme à clés le môme dans ma chambre.

- Nous disions donc...

(100 mots)

La godasse me gifle la gueule sans sommation. Je masse l’angle de la mâchoire qui s’est bouffé le talon, la fixant d’un air vipérin.

- Jalouse…

Je m’approche avec la lenteur calculée du prédateur. Je m’arrête juste à temps pour la frôler. Elle est plus haute que moi d’une poignée de centimètres. Une jument sans le charme de la croupe. Une tige fascinante pourtant, roseau qui ne plie pas, qui s’y refuse. Je plisse les yeux, claquements de langue à l’appui.

- On m’a promis une infirmière… Tu en vois une ?

Je joue avec le feu.

Mais, après tout, j’adore me brûler.

(100 mots)

La fièvre se lit dans ses prunelles. J’ignore ce qu’elle lit dans les miennes. “Lui” ou moi, ça n’a guère d’importance : nous vibrons au diapason d’une volonté commune. Là. Maintenant. L’air est électrique. Ma peau grêle par anticipation, à mesure qu’elle s’acharne sur les boutons. Ma peau dévoilée, marquée par les violences infligées, accueille son empreinte dans un souffle délictueux.

Marque-moi !
Marque-nous !
Le rouge de mon sang,
et de ta chevelure de guerrière…

Porte qui vocifère.
Interruption du jeu.
Yeux au ciel.

On ne peut plus baiser tranquille, bordel!

- J’en ai jamais voulu !

Je le laisse entrer.

- Reprends-le ton chiard.

(100 mots)

Ah.
Voilà que la dame change son fusil d'épaule. De tortionnaire, la voilà protectrice de bambins. Je m'adosse au mur, bras croisés, migraine me chatouillant les tempes. Tout ce petit monde braille et s'agite, aiguisant mes nerfs.

-SILENCE !

La cacophonie se rend muette. Je suis fatigué de ce chaos dramatique et je sens bien que lui aussi.

-Tout le monde dehors. J'en ai ma claque de vos conneries. Réglez vos comptes hors de mon salon. Regard pour ma Coléreuse. Toi, si tu veux le buter, ce sera dans le couloir. Si tu compte revenir après, tu enlèvera tes chaussures.

-Avec qui ?

Tout ne devient que bruit de fond, brouillard sonore, alors que Bro s'immisce en moi avec la détermination d'une dragonne. Ekahau gronde et écartèle mon âme. La seule bride qui le retient est mon ego bien humain.

-Tu crois qu'je réfléchis qu'avec ma bite?

Je lui bouffe les lèvres à mon tour, incapable d'y résister. Ça me rend dingue. Viscéralement

-T'es une putain d'anguille….  
-Vous êtes complètement barjos, crache le père en embarquant son fils de force. Maureen est vraiment inconsciente !

Il passe le seuil de la porte en pétard.

-Tu peux toujours le rattraper si tu veux…

La résistance est vaine. Je m’y agrippe, mâchoire crispée. J’aimerais être libre de choisir. Mon frère, mon dieu, m’imposent leur loi, évidant comme un vulgaire poisson, les arêtes de mon individu. Je ne suis qu’un bibelot qu’on déplace au gré des nécessités.
Le corps réagit sans se soucier de mes futiles réticences.
Pire, mon palpitant cavale, fou furieux, écumant sur ses mors.

Qui suis-je en train d’essayer de convaincre ?

- Tu fais chier… Je claque la porte, la soulevant  par les cuisses, pressant sa carne entre la mienne et le mur opposé. Tu fais vraiment chier….

Baiser vorace ponctuant la reddition.

Mouvement désordonnés, impatients et brutaux.
Animalité crasse.
Bouches perdues sur les peaux.
Sueurs et sèves en mélasse.

L’urgence est si vive que j’en perds le langage. Les vêtement sont dégrafés, tirés, déchiré. Ce ne sont que des entraves dont nous nous libérons maladroitement, tout en maladresse brusque. Soupirs entrecoupés de grognement mécontents. Je ne sais plus Qui est Qui ou Qui veut Quoi.

Je m’en fous.

Râle qui se meurt dans la buée de son cou.

Là.
En elle.
Ma place.

Deux pièces d’un puzzle infernal.

Dans le miroitement de ses prunelles,
je lis une fragilité qui me fait douloureusement écho.

Carcasses qui s’entrechoquent sous la houle passionnée. Nos divinités nous affligent de cet appétit vorace l’un pour l’autre. Je contemple, comme projeté hors de mon enveloppe, la violence tutélaire de notre étreinte. Elle fait écho à d’autres, dans d’autres vies, dans d’autres peaux.
Et chaque fois, la question se pose : qu’est-ce qui différencie l’Amour de la Conquête ?

- Tu me retrouves toujours…

Ces palabres ne sont pas miennes, et ce regard fiévreux ne m’est pas destiné. Je jalouse ma propre récurrence qui me spolie de ses propres cadeaux. Cris et gémissements nous poursuivent en écho.

Le Commerce s’engraisse de la Guerre.