La journée avait été rude et surtout longue. Les fours tournaient en permanence et la demande était plus importante que d’habitude (sans doute l’effet “après fêtes“ qui consistait à être plus ou moins gentil socialement et à rapporter des douceurs à ses amis et à ses collègues). La galette des rois était partie aussi vite qu’elle était arrivée, suivie peu après de la brioche et ensuite des parts individuelles que Mia faisait distribuer dans la rue. Parfois, les clients entraient puis ressortaient avec une couronne de carton qu’elle avait fait imprimer le mois précédent. Ce n’était pas grand chose, mais dans le climat anxiogène qu’offrait la ville d’Arcadia, ce genre de petite attention légère rendait les sourires et faisait ressortir le meilleur chez les civils. Tout n’était pas que guerre de gangs et horribles meurtres… Enfin si, mais parfois il vaut mieux oublier en manquant de s’étouffer avec une fève.

Et les ventes avaient été fructueuses, tellement que Mia avait du faire repartir les machines pour une dernière fournée. Alors qu’elle s’assure de la bonne montée de la pâte, la jeune femme jette un oeil à son reflet dans la porte du four, remettant en place sa frange qui faisait décidément des siennes. Il fallait vraiment qu’elle trouve le temps d’aller chez le coiffeur… C’est plus possible de ressembler au Cousin Machin. Mais si, la Famille Addams tout ça… Mais alors qu’elle essaye de remettre en place sa crinière, la pâtissière sent son regard attiré par le contenu de l’appareil : elle qui s’attendait à voir sa brioche gonfler ne vit finalement que… De la pâte. Ca n’aurait pas prit ? « Qu’est-ce qu’il se passe ? Non non non, on a encore une grosse journée demain, ça ne peut pas ne pas marcher ! » Parler toute seule était devenu une habitude depuis le décès de son mari, un peu comme si elle s’assurait d’avoir une compagnie permanente. Ce n’était pas le mécanisme de tout le monde mais elle était plutôt satisfaite du sien, les clients prenant parfois la propriétaire des lieux pour une illuminée mais elle s’en fichait, ça rajoutait un trait à son personnage. Au moins, elle ne pleurait pas tout le temps…

Ouvrant la porte du four, elle remarque rapidement deux choses : de un, faut vraiment qu’elle les nettoie. De deux, il faut qu’elle engueule le réparateur venu la semaine précédente, alors qu’il avait révisé toute les machines de la pâtisserie car elle était presque sûre que la fonction première d’un four était de faire cuire… Et manifestement rien ne chauffait. « C’est pas possible ! » Elle pianote sur tous les boutons, pousse un soupir. « J’ai plus qu’à rentrer la pâte au frigo le temps d’arranger ça… » Et clairement, elle allait se faire entendre. Pourtant, quand elle ouvre la porte du frigo, elle réalise que le problème est bien plus important que ça… « C’est quoi cette ville, sérieusement ?! » Un black out, maintenant ? On aura tout vu.


Le début de soirée avait été consacré à sauver toute les denrées alimentaires, à la manière d’un écureuil faisant ses réserves pour l’hiver. Je pourrais jamais manger ça toute seule… C’était consommable mais il fallait faire vite pour ne pas tout perdre. Elle trouverait une solution pour la boutique mais le problème était urgent. Avec qui ? Avec Alban ? Je ramène ça au Royaume ? Non, mauvaise idée. Et sa victime fut vite trouvée alors qu’elle voit l’insigne du cabinet de détectives privés au dessus de sa boutique : elle savait parfaitement qui allait l’aider. Prenant tout dans son sac et entre ses petits bras, elle se précipite au bout de la rue pour rejoindre l’appartement de Jan, espérant qu’il soit présent car le bougre avait la sale habitude d’habiter son cabinet, ce qui n’aurait pas été une mauvaise chose si l’endroit n’était pas constamment squatté. Fort heureusement pour elle, l’homme lui avait indiqué où trouver le double des clés et c’est les bras chargés et dans la pénombre qu’elle tente de récupérer le trousseau, manquant plusieurs fois de faire tomber les cartons pleins de denrées. Elle jure entre ses dents alors qu’elle trouve finalement l’objet de sa convoitise, tourne la clé dans la serrure et ouvre la porte avec un mouvement délicat du pied. « Jan ! A l’aide ! » Bon d’accord, il y avait mieux comme entrée mais ce n’est pas comme si c’était une inconnue… Et de toute façon, il avait une très bonne ouïe et elle, une très bonne excuse. Ca ne pouvait que bien se passer, non ?

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Le lion était inquiet, Jan sentait son grondement sourdre sous sa peau à lui avec autant de force et de bruit que le vent s'engouffrant dans le canyon. Le lion était inquiet, il le resta tout le temps que Jan prit pour allumer les bougies. Il y avait de la lumière dans le salon désormais, assez pour que l'homme lise s'il en sentait le besoin.
Le lion était inquiet.
Quelque chose de primaire, quelque chose d'absurde, car pourquoi Jan avait-il sorti toutes ces bougies? Parce qu'il n'y avait pas d'électricité. Et l'obscurité, le monstre s'en foutait après tout, il y avait juste...autre chose.
Alors, pour ne pas céder à cette chose en lui, Jan refuser de regarder vers... LE TRUC, ce truc qui inquiétant tant l'animal.
La grande boîte blanche ne marchait plus, celle avec toute la bonne viande dedans permettant à Jan (et au lion) de rester en forme sans anémie aucune.
Le frigidaire, le sacro saint frigidaire...
En réalité, l'appareil contenait peu de choses et après une semaine chargée au bureau, Jan n'avait pas encore eu le temps de le remplir.
Pour ce soir, ce serait saucisson. La coupure de courant était générale, peu anodine, et sortir lui semblait imprudent comme idée désormais...

Pour se calmer lui, il tâcha de lire un peu. Les mots dansaient différemment sur les pages à la lueur des bougies. Qu'importe, cela marchait quand même. Dans la semi pénombre qui restait tout autour de lui, une porte entrouverte. Celle de la chambre.
Aucun fantôme ne se cachait dans l'encoignure, juste un souvenir....

Et puis quelqu'un appela son nom alors que la porte s'ouvrait. Il laissa la jeune femme rentrer, avait senti l'odeur de pâtisserie qui annonçait sa venue, savait qui elle était. Pas une ennemie. Elle pu le trouver dans son grand fauteuil en cuir, un livre sur les genoux. Il se tenait le visage d'une main, et les bougies l'éclairaient.
Les éclairaient tous les deux désormais.

”Mia.”

La jeune femme n'avait pas les mains vides. Jan se leva enfin, l'aidant avec tout ce qu'elle tenait. Beaucoup de choses.

”C'est pour manger ou pour stocker?”

Que le bail soit posé rapidement afin d'éviter les drames. Manger, Jan acceptait, stocker...disons que Jan était capable de faire presque payer un loyer à la cousine de sa fiancée disparue pour cela.
Presque.

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Poussant la porte, les mains prises et presque engloutie par les boîtes qu’elle transporte, c’est Mia du haut de son mètre cinquante sept qui s’époumone pour appeler le propriétaire des lieux. La situation était plutôt grotesque, fort heureusement pour elle, l’heure qui avançait et le blackout forçait les gens à rester à la maison. Les lignes téléphoniques étaient coupées aussi, impossible d’avoir des nouvelles ou de prévenir d’une arrivée… D’ordinaire, elle aurai prévenu le lion une fois sur le trajet mais il fallait laisser tomber les politesses habituelle. Et puis c’était une urgence : la pâtisserie, ça se gâte vite. Avec la panique générale, personne n’irait lui acheter son stock alors… Autant en faire profiter quelqu’un d’autre.

Une fois à l’intérieur de l’appartement, elle fit volte face pour fermer la porte d’entrée avec ses fesses, elle en fit même tomber les clés à ses pieds. Le rouquin était installé dans son fauteuil et la jeune femme secoue la tête, sa frange lui cachant presque les yeux : « Ca ne te dérangerai pas de… m’aider ?  » Bon, finalement il se lève et pose son livre, il n’est pas méchant Jan, il est juste… Particulier. Mais après tout on s’y fait, la légende dit même qu’il souriait parfois (en tout cas c’est ce que lui avait dit sa cousine à l’époque). Une fois les boîtes posées et les bras libérés, la pâtissière pousse un soupir de soulagement et essaye d’appuyer sur un point de côté : ok, elle avait sans doute abusé sur ses capacités. Avec leur trente centimètres d’écart, Mia est obligée de lever la tête pour toiler le lion d’un air faussement sévère : « Tu penses sincèrement que je te ferais stocker tout ça ? Ca se consomme frais, figure toi.  » Elle sourit : « Je suis sûre que tu peux manger tout ça à toi seul.  » Une grande confiance en l’estomac de Jan, oui.

Mia n’était pas méchante ni vindicative à son égard. En réalité, elle l’aimait plutôt bien le détective : en ouvrant une boîte pour découvrir les mets salés, elle met les sucrés de côté : « La pâtisserie n’a pas fait exception pour le blackout… Je ne peux pas garder ça.  » Elle aurait pu les donner à Alban, mais elle n’avait pas de nouvelles ces derniers temps… Et géographiquement, c’était plus simple d’aller ici. Elle faisait comme chez elle, ce n’est pas comme si les lieux lui étaient inconnus et elle n’était pas du genre gênée avec ses proches. « Je t’aurais cru encore enfermé dans ton bureau. Je n’étais même pas sûre que tu étais là… Comme ça, si j’avais tout fait tomber par terre, tu n’aurais rien pu dire.  » Oh il aurait certainement adoré : rentrer et voir de la crème partout sur le sol.  

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Un grognement satisfait sembla naître de sa poitrine tandis que Jan pouvait enfin véritablement voir ce que renfermaient les cartons, du moins déjà l'un d'entre eux. Le lion le faisait réagir ainsi parfois par instinct pur. L'homme, lui, préférait rester en retrait. Néanmoins ça lui arrivait de sourire, du moins quelques fois. Rarement. Ou alors pas un sourire normal, comme s'il ne pouvait pas le faire avec sa bouche, comme s'il ne pouvait pas montrer la moindre émotion sur son visage et souriait par le bout de sa cigarette juste.

”De la viande, du sucre...” Le détective hocha la tête, satisfait. Sa manière à lui de dire “c'est parfait Mia, merci”. Niveau dialogue, il était parfois difficile, voir inconcevable pour Jan d'aller plus loin. Une des raisons pour laquelle on pouvait le considérer comme un sale con et, dans le fond, l'homme lui-même n'avait pas décidé s'il en était un ou non.

”J'ai décidé de vivre chez moi pour quelques jours, ça me fait de l'exotisme.” Une bonne décision au vu du black-out violent.
Pour le moment, Jan ne savait rien à ce sujet, ne possédait aucune information pour rassurer Mia si la jeune femme en avait besoin.

”Tu restes ici?” Et la question était posée comme un ordre.
Jan et sa façon de parler... Par la fenêtre, Arcadia toute entière était faite de ténèbres désormais. De ténèbres et d'hiver et même si le centre-ville pouvait sembler épargné en général, la ville comptait beaucoup trop d'aspects dangereux pour que Jan laisse Mia repartir dans la rue ainsi.

”Va chercher un plaid, le chauffage ne marche pas Pendant ce temps, lui, sortait assiettes et couverts. Il est électrique, expliqua Jan.
En attendant, manger leur ferait une occupation saine pour la soirée. D'un placard, le détective sortit une bouteille de vin. Aucune raison de se laisser aller après tout...

”Tu trinques avec moi?” Puisque cela restait une activité sociale comme une autre...

Il en prenait soin de Mia, quand bien même encore une fois Jan n'exprimait aucun sentiment vivace. C'était pour elle qu'ils (quand l’appartement était encore pour deux) avaient fait un double des clés, ni plus ni moins. Jan n'avait jamais eu le temps de se marier avec la femme qu'il aimait, par bêtise, puis par égoïsme et enfin par manque de temps, mais Mia était de sa famille à lui quand même. Pas besoin de papiers administratifs pour cela....
d'une certaine façon et, pour parler métaphore, Mia aurait pu s'appeler Lilo et surnommer Jan “Stitch” tout en lui faisant comprendre ce beau concept qu'était “ohana”. Une version plus hardcore du dessin animé cependant, parce que dans leur vie à eux on ne laissait pas sa famille derrière face aux épreuves, mais face au deuil...

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Les gens lui disent souvent que Jan fait peur et quelque part, ils ont raison. L’homme n’a pas vraiment un visage accueillant et sa brutalité sourde avait quelque chose de rassurant et de dangereux qui attirait les gens à problèmes et repoussaient ceux qui n’étaient pas assez courageux. Mia n’était pas quelqu’un à problèmes mais il y avait un lien entre eux, entre l’amitié et la famille qui avait réussi à faire d’eux un duo plutôt étrange tant ils étaient différents. La jeune femme avait une réputation impeccable, un sourire à toute épreuve et elle était si avenante qu’on lui aurait donné le bon dieu sans confession. Jan avait son passé d’as du barreau et maintenant de détective privé qui reculait rarement devant les épreuves pour obtenir ce qu’il cherchait. Son associée était une jeune femme fragile et il semblait également très proche d’elle, c’était peut être ça qui adoucissait un peu le regard des gens sur lui, parce qu’il savait s’entourer de personnes à protéger et s’il pouvait protéger alors c’est qu’il avait forcément bon fond.

Lorsqu’elle déballe les cartons, Mia jurerait avoir vu un sourire sur les lèvres de Jan et elle décide de ne pas le faire remarquer pour profiter de la satisfaction que cela lui procure. « Tu as le droit de tout manger, à condition que tu m’en laisses un peu, ça va de soi. C’est mon dur labeur que je t’apportes gracieusement !  » Elle plaisante bien sûr, mais bon, elle était la seule à pouvoir détendre l’atmosphère. Mais elle savait qu’il était reconnaissant et ne lui en voudrait jamais de son manque de paroles, puisqu’elle avait apprit à décoder depuis le temps. Sa présence chez lui était inhabituelle et sa réponse vague mais Mia était reconnaissante de le trouver ici plutôt qu’endormi sur son bureau, chose qu’elle l’avait déjà vu faire un bon nombre de fois et qu’elle ne cautionnait absolument pas. C’est quel genre d’hygiène de vie, de dormir sur son bureau ?! « Bon, quelque part, c’est mieux si tu restes ici. Ça doit être lugubre dans ton cabinet avec toute ces photos et tous ces dossiers.  » Tout n’est pas rose à Arcadia, elle en est pleinement consciente mais elle avait quelque chose contre les détectives, elle trouvait que fourrer son nez dans les affaires des gens avaient rarement à voir avec la justice puisque n’importe qui pouvait demander une filature pour à peu près n’importe quel motif. Certains détectives avaient des principes, Mia n’ignorait pas que Jan en avait, mais parfois l’appât du gain est plus important, il y a bien sûr des factures à payer.

Quoi que, avec le blackout, les factures allaient être de moins en moins élevées… Du moins, elle l’espérait. Il lui demande si elle reste ici mais elle sait pertinemment qu’il s’agit plus d’un ordre que d’une question : « D’accord. Je reste pour la nuit ? Je n’ai pas ma voiture et les rues ne seront plus éclairées.  » Et elle doutait qu’il ne la ramène. De toute façon, elle pourrait rester sans mal sur le canapé. Obéissant, la jeune femme se balade avec innocence pour récupérer le plaid et s’enrouler dedans, sa petite taille faisant d’elle un adorable nem quand elle revient auprès de son ami : « Comme ça ?  » Elle sourit, essayant d’apaiser le coeur de l’homme, qu’elle savait toujours en deuil. C’est la différence majeure entre eux : elle a fait le sien, il était encore dedans. « Sors les verres, mais je te préviens, je ne sors plus mes mains de ce plaid, c’est bien trop confortable. Tu me donnes la becquée ?  » Aller, Jan, fais un effort, rien qu’une petite lueur dans les yeux, ça lui suffit.  

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Lugubre, un mot comme un autre et Jan acquiesça à peine. Un réflexe plutôt qu'un geste... L'homme portait avec lui bien des ombres, du chagrin aussi. Un chagrin qu'il n'exprimait plus comme un homme (l'avait-il seulement déjà fait un jour?) mais comme...comme lui. Juste lui.
L'appartement, le bureau...Dans les deux cas Jan dormait sans se poser de questions. Il était ici aujourd'hui, pas dans un “chez lui” mais un “chez eux” où l'autre resterait l'éternelle absente.
Elle lui manquait.
Elle lui manquait mais ce n'était pas la peine de le dire, cela ne lui ferait pas ressentir les choses de manière plus grande ou de façon moindre au contraire. Des mots étaient des mots, rien de plus.
Il y avait ceux des vivants, il y avait ceux des morts aussi.et puis les souvenirs...

En revenant chez lui, ce n'était pas une partie de son âme à lui que l'ancien avocat retrouvait, c'était son âme à elle simplement. Un nom qu'il ne prononçait plus, un visage qu'il voyait encore dans chaque entrebaillement de portes sans jamais le dire. Il portait son fantôme avec toute la force d'un amour, il le créait et le modelait de sa passion, ce désir qui ne deviendrait jamais réalité.

L'homme tourna la tête vers Mia avec pour la jeune femme, le genre de regard pouvant clouer n'importe qui d'autre au sol. Sauf que Mia n'avait pas peur, savait que cela était simplement les yeux de Jan. Il hocha la tête, bref : bien sûr que la brune dormirait ici ce soir, cela valait mieux.
En attendant, Mia avait trouvé le plaid, visiblement heureuse de se blottir dedans. Elle essayait de le faire rire, elle essayait de le faire sourire, des expressions et des mimiques que Jan considérait toujours de loin à part quand quelque chose de lui prenait le dessus, qu'au lieu de l'amusement, son visage exprimait une sauvagerie certaine.
Il ne souriait pas, il retroussait les lèvres, il montrait les crocs.

”Je peux me permettre de te tenir le verre sans que mon image n'en souffre trop.”

Et peut-être était-elle là la lueur d'amusement que Mia espérait. Jan exprimait peu les choses, il se contentait de les ressentir et cela pour lui, semblait déjà beaucoup.

”Pour la becquée, supplie moi et j'y consentirai peut-être.”

peut-être jouait-il comme un lion en vérité? Bagarre d'esprits plutôt que de griffes et de crocs, et à chaque fois il s'agissait de mettre l'autre à terre.
Il y avait pourtant une photo d'accrochée au mur, une photo d'avant, où le jeune avocat souriait.
Et une femme était dans ses bras.

”Allez, tétouffe pas.”*

Grand prince, il saisit l'une des mcréations de Mia pour permettre à la jeune femme d'y mordre le temps d'une bouchée.
Et puis enfin, jan apporta les verres avec dedans, l'un de ces vins grand cru qu'il parvenait toujours à se procurer de manière aussi ésotérique que mystérieuse.

”trinquons”

Sans brutalité, il fit tinter les deux verres entre eux puisque Mia désirait rester blottie. Puis, il apporta le sien jusqu'à elle tandis que Jan, bien coordonné, buvait dans celui qu'il se réservait.

”Alors, tu arrives à en sentir le parfum?”

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Mia aimait profondément Jan. Pas d’un amour romantique, mais d’un amour que seuls connaissaient les amis très proches qui étaient comme la famille. Rares étaient ceux qui pouvaient bénéficier d’une telle relation avec le Lion, lui qui n’aimait ni s’enfermer dans une cage ni se mêler aux hommes. Au final, la seule cage dans laquelle il s’était enfermée, c’était sa tristesse. Oh, comme elle pouvait le comprendre… Du moins, sur la partie tristesse. Mia avait accepté la sienne et vivait avec sans que cela ne soit trop difficile, elle avançait quoi qu’il arrive. Mais elle avait toujours eu l’impression que ce n’était pas le cas du détective, qui lui se complaisait dans le souvenir de sa disparue. Si seulement elle pouvait l’aider… Mais elle savait aussi qu’il s’agissait d’un travail sur soi à effectuer seul, et qu’il pouvait prendre bien du temps selon les personnes. Le deuil, cette horrible maladie…

Emmitouflée dans le plaid et compte tenu de sa petite taille, Mia prend un malin plaisir à prendre des allures d’enfant. Sautillant jusqu’à son hôte, elle finit par le retrouver face à la montagne de nourriture qu’elle avait ramené, un sourire se dessine sur le coin de ses lèvres lorsqu’il finit par répondre à ses taquineries : « Ah ! Pendant un instant, j’ai cru que tu m’infligerai le châtiment du silence ! » Ce à quoi il était un expert. Parfois, il pouvait juste lancer un regard et on comprenait immédiatement ce que cela signifiait, chose que nombreux pouvaient ne pas apprécier mais pour Mia, il s’agissait un comportement normal, elle savait simplement qu’il ne fallait pas le prendre mal, qu’il s’agissait surtout en réalité et tout simplement de ses yeux… Et le ton qu’il emploie lui confirme qu’il tente réellement de faire des efforts, ce qu’elle reconnaît et salue, sans toutefois le pointer du doigt. Inutile… En échange, la pâtissière prend un air surpris, haussant les sourcils et ses prunelles luisant d’un éclat amusé : « Tu effrayes déjà tout le monde, tu n’as pas besoin d’entretenir ta réputation. Et puis, si on te voyais le faire, je suis à peu près sûre que plus personne ne viendrait essayer de négocier le prix des pièces montées à la boutique. » Même la gentillesse de Mia avait des limites, aussi étrange que cela puisse paraître.

La brune lève les yeux au ciel et désigne un des cartons : « Je ne supplie pas, c’est le minimum, j’ai apporté des pizzas au jambon. » Elle n’ignorait pas le goût pour la viande de son hôte et avait choisi ses mets avec soin, évitant à tout prix les légumes et autres pissaladières… Et tandis qu’il s’exécute finalement pour lui donner une bouchée, elle mord dedans avec enthousiasme, essayant d’oublier un instant la coupure d’électricité qui plongeait la ville dans le noir. A bien y regarder, on aurait presque dit le portrait d’un couple, à s’échanger ainsi la nourriture, à se taquiner et à trinquer, si ce n’est que l’ombre de leurs amours perdus continuait de les observer pour objecter tout cela.

Saisissant le verre entre ses doigts, elle trinque à la demande du détective et le porte ensuite à ses lèvres, humant un instant le vin avant de le goûter.

Comment lui dire.
Elle n’aimait pas particulièrement le vin.

Mais tant pis, c’était pour la forme et de toute façon il n’y verrait rien. « Pas plus que tous les autres que tu m’as fait goûter. Cependant, je suis agréablement surprise que tu te réserves encore ce genre de plaisir. A te regarder, on penserait presque que tu vis comme un moine… » Elle ricane : « Encore plus maintenant qu’il n’y a plus d’électricité. » Son sourire s’évanouit, réalisant que cette situation est peut-être un fait d’une mafia ennemie. Dans l’intimité de l’appartement, elle se permet alors de murmurer : « Des militaires commencent à être déployé dehors. J’en ai vu débarquer dans des camions, sur le chemin. » Mauvais présage. « Tu n’as personne sur qui veiller ? » Elle le connaissait, le Lion. Il se croit détaché mais tous ses protégés sont dans la nature.

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”Je ne vis pas comme un moine”, contra le lion. Il avait ses plaisirs après tout, le bon vin et les repas en faisaient partie. Parfois, avec des palais connaisseurs, Jan pouvait aller jusqu'à boire des alcools plus forts également. Il continuait d'être ivre (pas tous les jours, pas toutes les semaines), acceptant de tanguer avec une vision trouble mais dans l'ensemble, l'homme aimait le calme.
Il ne s'en nourrissait pas mais chérissait les instants de silence avec ses livres ou bien, selon le degré de fatigue, un film ou une série. Des plaisirs solitaires, comme un jardin secret... parfois, son visage prenait un air triste que Jan lui-même ignorait cependant. Cela, seuls les autres pouvaient le voir alors que lui restait convaincu de son coeur de pierre au goût de “trop tard”.

Le regard de l'homme gagna une certaine dureté : des militaires? Ce que disait Mia était intéressant tout autant qu'inquiétant. L’électricité coupée semblait donc faite pour durer, le temps d'une opération dont les habitants d'Arcadia ne savait rien. Jan songea aux dossiers sensibles du cabinet, il y en avait quelques uns, des que jules comme lui s'appliquaient à cacher et à protéger des regards indiscrets. Il ne paniqua pas, le Lion, préférant prendre une part de pizza au jambon. La sauce tomate sembla vaciller dangereusement alors que jan engloutissait sa proie mais rien, pas une seule goutte ne vint tâcher ne serait-ce que sa chemise ou bien les contours de sa bouche. Certaines choses étaient ainsi : inexplicables.
Mia savait pour ses protégés bien sûr, notamment parce que Jan achetait chez elle souvent ce qu'il fallait pour les nourrir.

”Ils savent comment venir ici s'ils ont besoin, mes protégés” et possédaient également d'autres protecteurs et protections : Clemens avait sa mystérieuse fiancée que Jan n'avait (croyait-il) jamais rencontré, Anatoli, ses collègues de travail et Roméo, sa chance phénoménale. Jules possédait ses propres griffes, quant à elle, de quoi se défendre jusqu'à joindre ou rejoindre son ami en cas de problèmes. Il ne s'inquiétait pas, Jan, il attendait juste. Attendait de voir si l'on avait besoin de lui ou non...

”Les militaires vont vouloir chercher à nous intimider en posant bien haut leurs couilles sur le comptoir, comme on dit. Ce qui soit dit en passant, n'est pas très poli...” De ce qui lui servait de placard/garde-manger, Jan rapporta une bouteille de limonade sans doutes plus au goût de son invitée.

”Ils oublient cependant une chose : il y a toujours un plus gros poisson” Arcadia était une ville nombreuse en proies et en victimes et, de fait, tout aussi nombreuse en prédateurs pour les dévorer. Ces militaires s'aventuraient sur un terrain de chasse qui n'était pas le leur et, passé l'effet de surprise, eux-même pourraient se retrouver dans le rôle de la proie.

Pensif, Jan s'avança jusqu'à une fenêtre dont il écarta le rideau. Dehors, l'obscurité et quelques rumeurs. Il ne parvenait pas à voir au delà des ombres quand bien même aurait-il demandé au lion d'essayer. Certaines choses avaient leurs limites, ainsi était la vie...

”Si l'électricité ne revient pas, tu comptes rester chez toi quand même?”

Puis, comme se rappelant de quelque chose, d'une rencontre funeste dans un bar à minuit passé, Jan se tourna complètement vers son amie.

"S'il s'avère que tu n'as plus de nouvelles de moi, n'accuse pas les militaires : la mère d'Anatoli peut très bien profiter du manque de lumières pour me kidnapper"

Ce n'était un secret pour personne après tout, que cette femme essayait de mettre le Lion dans son lit. Lion non consentant...

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L’extrême sobriété des lieux laissait penser que Mia avait vu juste sur le côté moine, quand bien même Jan se défendait du contraire. La vérité, c’est que si le Lion se complaisait dans cet antre dédié à la mémoire d’un être cher perdu, enfermé dans ses habitudes dans l’espoir d’y trouver un sens. Des vestiges d’une vie perdue trop tôt, arrachée par des griffes cruelles, le destin peut-être… Du moins, c’est ce qu’il serait aisé de se dire pour apaiser la culpabilité d’avoir survécu à un tel drame, d’être le seul à continuer de respirer et de vivre. Mia avait traversé la même épreuve, la différence étant qu’elle avait été incapable de rester bloquée dans ce tourbillon d’émotions contraires, que l’odeur d’Archie dans ses draps n’était qu’une torture supplémentaire alors que son esprit lui faisant sentir sa présence dans son dos la nuit, son souffle dans sa nuque à des moments impromptus.

Elle avait commencé par abandonner la maison. Vendre la plupart des meubles, donnés les vêtements à des oeuvres caritatives. Elle avait astiqué les moindres recoins de la bâtisse comme pour y effacer la présence de toute cette vie qui semblait être celle “d’avant“. Il y avait eu un avant et un après Archie, à la manière de différents tomes pour une seule et même histoire. Archie avait été un tome entier, un tome que Mia où avait promis de poursuivre l’écriture quoi qu’il arrive, elle lui avait donné sa vie et son avenir à l’âge naïf de dix neuf ans. Les chambres d’enfants étaient des ruines de rêves qui n’existaient plus et les anciennes chemises de son époux n’étaient que de pâles fantômes comparés à cet air rieur qu’elle ne reverrait plus jamais.

Son mari pour elle, sa fiancée pour lui. Tous les deux se retrouvaient confrontés à l’horrible réalité de se voir être privé  d’une partie de soi-même qu’ils avaient confié à quelqu’un d’autre. A défaut de retrouver un jour un semblant de miracle dans leurs palpitants, ils se donnaient aux autres d’une manière détournée, en protégeant les autres de la souffrance que le monde était capable d’infliger, maintenant qu’ils en étaient eux-mêmes des martyrs. « Je sais : la preuve, je me suis invitée ! » Jan et elle se protégeaient d’une certaine manière. A deux coeurs à l’agonie s’étaient trouvés des alliés un peu étranges, eux qui avaient déjà une tendresse familiale instaurée. Peu sont ceux qui oseraient toucher les proches du Lion, mais nombreux étaient ceux prêts à croire que l’air angélique de l’écossaise avait réussi à faire fondre ses apparences froides.

Relevant la tête et chassant des mèches de sa frange venue tomber sur ses yeux, la pâtissière le fixe, les orbites comme des billes sombres : « Tu crois ? » Un soupir s’échappe d’entre ses lèvres, si infime qu’il est presque indétectable : « Pour être honnête, j’ai un peu peur que les choses dégénèrent… Je redoute que quelque chose ne bouge dans l’ombre, les militaires ne m’effraient pas, ils semblent tout aussi perdus que nous. » Leur intervention surprise ne peut pas avoir quelque chose à faire avec les mafias. Les tensions s’étaient largement apaisées depuis quelques temps et le climat était moins à la guerre. Sortant une main de son cocon, elle vient tapoter nerveusement du doigt le bord d’un carton de pizza, puis elle renchérit : « Je ne sais pas, juste… Un instinct. Même si je fais confiance à l’univers pour que tout se passe bien, il faut que ça se passe bien. » Mia et son éternel optimisme, Mia et son besoin de s’en remettre à l’univers à tout bout de champ, ce même univers qui lui avait déjà volé son mari, de nombreux enfants, un avenir, une vie droite et une vie à elle…

L’appartement qu’elle avait prit était spacieux et par conséquent, incroyablement silencieux. Mia s’arrangeait pour ne jamais être seule mais elle doutait que la coupure de courant ne laisse l’occasion à qui que ce soit d’apaiser ce sentiment de solitude : « Je serais tentée de te dire que oui, mais je ne suis pas certaine que rester seule dans cette situation soit l’idéal. » Une excuse peut-être, un léger appel à l’aide. A la mention de la mère d’Anatoli, ses lèvres s’étirent en un sourire amusé : « Raison de plus pour moi de rester ici même si je ne suis pas très impressionnante. Qu’en penses-tu ? Je te rapporterai le repas tous les jours, sorti tout frais de ma pâtisserie ! » Elle ne ferait clairement pas le poids mais cela pouvait toujours retarder le pire, le pire n’étant pas les intentions de cette femme mais bien les crocs du Lion lorsque sa patience serait arrivée à bout.

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Il écouta la jeune femme parler, faisant de la place par son silence pour que les mots s'installent, trouvent une place, leur place. Les fenêtres à double-vitrage empêchaient les trop grandes rumeurs de la rue de venir jusqu'à eux et les murs avaient assez d'épaisseur pour contrer les ombres.
On pensait Jan violent, on pensait Jan irascible. Cela était vrai.
Un peu.
Mais il prenait soin des siens, acceptait que son territoire soit leur territoire à eux aussi. L'homme était chanceux, n'avait pas à se battre contre le Lion en lui pour faire comprendre la notion étrange de famille.
Ceux qu'il fallait protéger.
Ceux qui le protégeaient tout autant, mais à leur manière.

”Alors ne reste pas seule”, répondit-il de la manière dont on donne des ordres. Il comprenait le poids que cela avait, un appartement vide. On était pas toujours forcément triste dedans, on ne souffrait pas toujours mais il y avait a moins le souvenir des larmes qui s'attardait plus que d'autres, plus heureux. Aucune raison de subir cela.

Un mince sourire se dessina à l'ombre de son visage. Il souriait ainsi, Jan, pas comme un homme mais comme autre chose. Comme quelqu'un ayant été un animal un jour peut-être, comme quelqu'un ayant été un monstre surtout. ”Oui, raison de plus.” Et qu'elle lui apporte le repas serait une chose appréciable également.
La main du Lion attrapa celle de la Déesse pour la serrer un peu. La méchanceté n'avait pas lieu d'être ici, pas vraiment, pas du tout...

”J'ai racheté des sels de bain, tu pourras en prendre.” Hospitalité, confort... Du moins, Jan l'espérait.

”Rien d'autre dont tu voudrais me parler?” demanda-t-il encore, ses yeux fixés sur Mia, comme incapable de ciller. ”N'ayant rien à voir avec la coupure de courant ou les militaires...” Parce que contrairement à lui, Mia vivait. Que ce qu'il y avait à croquer de la vie, elle le faisait. Avec raison. Jamais Jan ne comptait imposer ses propres choix aux autres. Il était reclus à sa manière, il gardait ses propres secrets et ses émotions à double tour, acceptant peu les propres cicatrices de son esprit pour les accepter, mais... Mais quand on le lui demandait, l'homme était là. Chacun de ses protégé.e.es le savait.

”Repasse-moi un petit gâteau, ils sont pas mauvais finalement...” Une taquinerie. Mia pâtissait bien, n'avait rien à prouver de ce côté là. L'homme se rappelait qu'il était gourmand, au delà de l'attrait presque névrosé qu'avait la viande pour lui de par le Lion. Le sucre, un luxe qu'il redécouvrait et appréciait là que son propre estomac était en paix...

CODAGE PAR AMATIS
AVATARS PAR BLINDNESS. & endlessly epic.