Elle pensait avoir rêvé.

Retomber sur cette aura, sur cet être, Aura ne s’y attendait pas. C’était au détour d’une ruelle, l’aura pourpre lui avait happé les pupilles, tout comme le nom murmuré dans le creux de l’oreille par Hécate.

Hadès.

Hadès, qu’elle avait vu mourir sous ses yeux, qu’elle avait laissé mourir surtout. Sans intervenir, puisqu’elle n’en supportait pas l’hôte. Saturno avait été un des rares qu’elle avait voulu égorger, dans son propre camp. Parce qu’il était inutile, parce qu’il avait tenté de renverser le pouvoir pour prendre la gloire à pleine main. Lui qui n’avait aucune raison de monter les échelons, il avait effleuré son rêve du bout des doigts. Une place au soleil, mais le dieu de la Mort avait été brûlé, lui qui était plus habitué aux ténèbres de sa caverne. Normalement, Aura aurait sauvé son supérieur, quitte à mourir. Normalement. Mais lui n’était rien. Juste un trouble-fête à se croire meilleur, mais à fricoter avec les ennemis. Dommage pour lui, elle avait ses informateurs Aura. Et dans sa chance, il s’agissait du commandante lui-même, celui avec qui Saturno avait conclu une double alliance. Elle était juste en contact avec Flores, et avec le soigneur personnel de celui-ci. Bon, en contact, c’était un mot un peu faible pour ce qu’elle ressentait… Quoi qu’il en soit, elle avait mené à la mort de Saturno, et du fragment d’Hadès par la même occasion. Le recroiser lui rappelait son choix, mais l’étonnait aussi.

Aura s’y connaissait en réincarnation, peut-être plus que d’autres. Par son stade de conscience, certes, mais surtout par les informations accumulées et recherchées par son ancêtre. Maximilio n’aimait pas les énigmes, et il avait recherché à comprendre les mécanismes de récurrence. Alors, si l’italienne n’était pas la plus calée là-dedans, elle savait que seul un primus, éveillé à ses seize ans, pouvait récupérer cette âme. A moins qu’un autre tonnerre s’abatte sur la ville.

Alors, intriguée, elle avait réfléchi, s’était triturée les méninges. Puis quelques recherches s’étaient enchaînées. Les informateurs de la ville lui avaient rapporté ce qu’ils avaient appris sur lui, que ce soit son travail, les lieux, les personnes qu’il fréquentait. L’homme ne se cachait pas forcément, mais aucun pouvoir ne lui avait été rapporté. Le contrôlait-il déjà ? Khaos lui avait-il implanté l’âme ? des milliers de questions tournaient dans son esprit, mais la vie reprit rapidement son cours, la poussant à mettre ce souci de côté, alors que l’envie de se pointer à l’Eglise se faisait fort. Oui, Aura à l’Eglise. Quelle merveilleuse image…

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Un rendez-vous prévu dans l’après-midi. Il était rare qu’un avocat demande à voir un témoin d’une agression sexuelle (terme merveilleux visant à requalifier des faits en un délit moins grave). Il était rare qu’un avocat demande à discuter avec n’importe quel type de témoins. Néanmoins, à cause du type d’affaires, de ceux que l’italienne estimait impliquée (un nom à consonnance russe lui suffisait), et surtout de l’identité du fameux témoin, elle avait dérogé à la règle. De toute façon, ce n’était pas comme si on allait attenter à sa vie d’une quelconque manière que ce soit. Le prochain qui tenterait se retrouverait trancher en deux dans la seconde suivante. Aura n’avait plus de temps à perdre désormais. Et s’il fallait finir baignée dans du sang… qu’importait.

En ce merveilleux jour, ce n’était pas tant une interrogation de témoin, mais surtout la visite d’une récurrence qui lui était… Pas chère. Elle ne pouvait pas le dire ainsi. Mais Hécate s’interrogeait sur sa présence, alors qu’il devrait être en enfer. Et si les deux étaient d’accord, il y avait du souci à se faire. Deux coups portés sur sa porte, et on lui annonça l’arrivée de son invité. Parfait. Sérieux sur les traits, le sourire oublié dans les tréfonds de son âme, elle ouvrit la porte de son bureau, accueillit l’homme. « Bonjour… Monsieur ? » Elle avait encore oublié comment les prêtres s’appelaient. Ce n’était pas comme si sa famille était particulièrement croyante, alors que l’ichor coulait dans leurs veines depuis des générations. « Comment dois-je vous appeler en tant que prêtre ? » Autant demander, pour faire preuve de respect. Il fallait bien le mettre à l’aise en premier lieu, avant de toucher sa divinité du bout des doigts…

Il fallait qu’elle se concentre, qu’elle oublie la douceur amère de l’aura pourpre qui l’enveloppait. L’homme face à elle n’était pas Saturno, et Hadès n’avait rien d’un monstre dans les souvenirs d’Aura. Il était un dieu loyal, souvent injustement considéré comme à la tête de tous les cataclysmes. Dans le fond, il évitait de se mêler aux autres, et Hécate le respectait autant qu’elle le pouvait. Dommage que la dernière récurrence ait été aussi discutable. Les interrogations se bousculaient dans l’esprit, alors que l’italienne faisait de son mieux pour ne pas gaffer. Non pas qu’elle ait peur d’une quelconque conséquence auprès d’un dieu qu’elle considère comme inexistant, néanmoins, elle tenait à faire bonne impression pour ne pas faire fuir l’homme. Pas avant de savoir ce dont il en retournait réellement. « Très bien Raphaël. Vous pouvez m’appeler Aura si vous le désirez aussi. » Pour ne pas s’embarrasser des maître qu’on lui offrait normalement à tout va. Instaurer une relation d’égal à égal était primordial à ses yeux pour tirer des informations par la suite. « Je m’excuse de devoir vous faire venir pour une telle affaire. » Et surtout d’être en dehors des sentiers battus. Néanmoins, l’italienne n’avait jamais été reconnue pour la légalité de ses actes, ou tout du moins leur éthique.

La question la laissa perplexe, avant de se rendre compte que ce devait être les ressentis du dieu que Raphaël partageait. En tout cas, par le passé, Aura avait déjà partagé cela avec Hécate, ces moments où l’ichor vibrait, comme pour la prévenir d’un danger ou d’une connaissance. Cependant, juste ressentir sans savoir expliquer l’avait souvent agacée, et elle était plus heureuse avec les souvenirs de la divinité que sans. Elle lui indiqua un fauteuil dans lequel il pouvait s’asseoir, avant de s’installer sur un non loin. « J’imagine que nous pouvons prendre un peu de temps pour discuter. » Puis finalement, ne l’avait-elle pas fait venir aussi pour cette même raison ? Discuter, en savoir plus sur cet homme de Dieu, qui finalement abritait un Olympien mort au combat… « Oui et non. » Pause. « Arcadia n’est pas une si grande ville que cela, j’imagine que nous nous sommes croisés à plusieurs reprises. » Le sourire se fit poli, mimique utilisé pour rendre à l’aise, elle qui jamais ne souriait. « J’ai aussi quelques affaires à mon actif qui ont pu entraîner cette reconnaissance. » Notamment celle d’un chef de mafia.

Cependant, elle se doutait que ce n’était pas ce dont il parlait. Car jamais ils ne s’étaient parlés, ou vus, avant aujourd’hui, l’un face à l’autre. Mais leurs divinités si. « A moins que vous parliez plutôt de sensations de déjà-vus. » Maintenant, elle allait pouvoir le perdre. Néanmoins, évoquer ouvertement les déités n’était guère ce qu’elle se devait de faire. Mieux valait tâter le terrain avant de dévoiler le grand jeu. « Croyez-vous réellement en Dieu ? » Bon, elle parlait normalement à un homme de foi, cependant, nombreux étaient ceux qui n’étaient plus si croyants après des années dévouées à une entité supérieure. « Ou à la réincarnation ? » Bon, leur statut ne s’apparentait pas réellement à de la réincarnation, mais l’expliquer autrement était impossible. En tout cas pour quelqu’un comme Aura, qui vit dedans depuis des décennies. « Vous avez déjà eu ses sensations auparavant ? » Pourquoi donnait-elle l’impression d’être une psy maintenant ? Oh, elle n’était plus à ça près, une fois lancée…