Angel of (small) Death

@Miodrag Zaliznyak & Isaak

Le corps reposait non loin, sous un drap d’une blancheur trop pure, trop éclatante. Un drap qui n’avait pas servi – chose rare dans cet établissement – pour une coutume dont il ne connaît pas l’origine.  Peut-être pourrait-il sortir son téléphone et taper les bons mots clés sur un moteur de recherche, qui l’entraînerait dans les méandres d’Internet et le perdrait pour les prochains instants qui, à ses yeux, s’annonçait bien long. Peut-être qu’avec un peu de chance, il tomberait rapidement sur des vidéos de chatons mignons effectuant des tours et des bêtises, de chiots jouant avec des balles et autres joyeusetés à portée de main.  A peu près tout pour lui faire oublier qu’il partageait présentement la pièce avec un cadavre.

Parce qu’évidemment, ce genre de responsabilité lui incombe, en tant qu’assistant de direction. Les tâches ingrates, les heures supplémentaires, tout ce que le patron ne veut pas faire. Et Isaak étant Isaak, il n’avait pas su refuser. Sur quelle base aurait-il pu ? Son inconfort ? Encore une bonne réponse pour se faire charrier, rabrouer, rabaisser. Rappeler qu’il n’était pas grand-chose, un gars pas trop taillé pour ce monde, sans doute. Mais qui aimait côtoyer la mort d’aussi près ? Heureusement qu’elle était cachée sous un drap blanc.

Il ne savait pas vraiment ce qui c’était passé. Un jour, on vivait. Un jour, on travaillait au Red Lantern, accueillant clients et désespérés aux portefeuilles grand ouvert pour quelques minutes de plaisir, quelques minutes  d’abandon dans des bras qui leur semblait aimants. Pour finir, un autre jour, raide dans ceux-ci. Un autre jour, on mourrait, dans la fleur de l’âge. Rupture d’anévrisme. Crise cardiaque. Overdose. Il n’en savait rien. Un jour, on vivait tranquille. Le lendemain, on se retrouvait avec une morte sur les bras, à n’en savoir que faire, à la veiller jusqu’à l’arrivée de l’employé des pompes funèbres.

Et le voilà qui arrivait, justement. Isaak se leva, s’épousseta discrètement, comme pour enlever les plis de ce qui lui semblait avoir été une longue attente et s’avança, sourire factice sur les lèvres, pour tendre la main à l’homme. Au jeune homme, qui ne paraissait guère plus vieux que lui. « Monsieur Zaliznyak, bonsoir. Un plaisir de vous voir. J’espère ne pas vous avoir déranger en plein milieu de la nuit. Merci Talia, tu peux rentrer chez toi, ça ira. » raccompagna-t-il la demoiselle qui avait accompagné leur invité – pouvait-on l’appeler de la sorte ce soir ? - jusqu’à lui.

Et puis, il retourna vers le corps. L'autre homme pouvait-il percevoir son malaise ? Ce dernier était constant avec Isaak mais, ce soir, il l'était particulièrement. Il n'aimait vraiment pas la mort et tout ce qui s'en rapprochait. Pourtant, cette dernière n'était que peu présente dans sa vie, ne lui ayant enlevé qu'une mère dont il se souvenait à peine, mais dont l'ombre semblait inlassablement planer au dessus des building d'Arcadia. Non, il n'aimait pas ça, et pourtant... « La voici. » déclara-t-il en indiquant la masse entre eux, comme si c'était nécessaire. Il avança les doigts pour retirer le linceul avant de se raviser. « Je ne sais pas s'il est nécessaire que vous la voyez ? »

Il priait de tout coeur pour que la réponse soit négative, n'étant pas certain qu'il supporterait ce visage paisible. Serein. Et qui pourtant, ne s'illuminerait plus jamais. La vie était si courte, si horriblement courte. Et parfois, elle n'avait pas le sens qu'on souhaitait lui donner. Planté devant ce drap, il ne savait vraiment ce qu'il devait faire, dire ou penser. Son désir le plus ardent était de clôturer cela au plus vite et retrouver la chaleur ardente de son foyer. Peut-être pourrait-il trouver moyen pour s'éloigner, fuir, s'enfuir, avant d'entamer les démarches administratives... Parce qu'il y en aurait, certainement. « Oh, excusez-moi... Mais vous souhaitez peut-être un rafraîchissement à boire avant la paperasse ? On pourrait faire cela dans mon bureau, si cela vous convient, avant de revenir la chercher. »