Ça empeste. Fragrance entêtante du petit sapin vert qui se balance mêlée à celle indéniablement masculine se faisant sentir d’un bout à l’autre de la carrosserie. Le pire reste cette indéniable odeur de tabac froid, seconde peau qui l’accompagne où qu’il aille. Ça et les tâches de sang aux relents métallisés qui imprègnent les sièges à l’arrière, chose qu’il déteste et l’amène dans un coin pareil. Le moteur ronronne et il se gare devant le garage, inspectant rapidement les alentours avant de couper le contact. On n’est jamais trop prudent et vu l’état de sa banquette, il préfère éviter les curieux qui pourraient s’avérer gênants. Il se redresse alors et ouvre la portière, quittant à regret ce siège qu’il vénère presque. Cette bagnole, c’est toute sa vie mais aussi le trou béant qui ne cesse d’engloutir toutes ses économies. C’est qu’il l’aime, cette caisse qui vaut à elle seule sûrement bien plus que son taudis et la majeure partie de ses fripes. Le gravier crisse sous ses chaussures tandis qu’il se dirige vers l’imposant bâtiment et il y entre sans prendre la peine d’annoncer son arrivée. Le propriétaire a un don pour déceler sa présence de toute façon. Propriétaire qu’il aperçoit justement penché sur un moteur à l’aspect peu rutilant. Il s’arrête quelques secondes, à moitié dissimulé par cette agréable pénombre qu’il peine à quitter une fois le soleil levé. Érèbe fuyant sans cesse l’éclatante lumière de cet astre nommé Soleil. Les orbes bleutés observent le front où perlent quelques gouttes de sueurs, les mains masculines sur lesquelles s’étalent graisse et suie, tâches d’un noir sombre qui contrastent sur la peau hâlée. Spectacle qu’il observe avec une intensité non dissimulée alors qu’il vient croiser les bras contre son torse dans une attitude se voulant nonchalante et détachée. « Lâche cette vieillerie… J’ai besoin de tes services. » lâche-t-il finalement. « C’est plutôt urgent, je suis fatigué et pressé de rentrer alors dépêche-toi de t’en occuper. »
Il jette un coup d’œil à sa voiture toujours garée devant le bâtiment et il soupire en se pinçant l’arête du nez, trahissant son impatience. C’est bien le seul garage en ville où il peut se rendre sans peur de se faire trahir et dénoncer à la police. Une sureté bien assurée par le silence et l’air blasé du travailleur que rien ne semble jamais déphaser. Raison pour laquelle il lui amène sa précieuse beauté, une Chevrolet de 1979 qu’il a entièrement fait retaper et dont il refuse à présent de se détacher. Une vieille américaine qui n’est pas des plus discrètes mais à laquelle il s’accommode sans le moindre problème. Ah, qu’il l’aime. « Je l’amène à l’intérieur. » finit-il par annoncer sans se soucier d’obtenir l’accord du mécanicien. Il fait alors volte-face pour sortir du garage et entrer dans la voiture d’un noir d’encre, démarrant avant de la conduire à l’abri des regards. Là, il coupe le contact, descend et pousse légèrement les lourdes portes qui constituent l’entrée des lieux. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il pointe du doigt le phare enfoncé et pendant presque à moitié, lâchant lentement d’une voix traînante. « Je suis rentré dans un cerf. » Mensonge éhonté qui ne dupe sûrement pas l’homme à la tignasse blonde. Un cerf aux alentours d’une ville comme la leur, ça se fait rare voire presque inimaginable. Il enchaîne cependant en feignant une totale nonchalance, le sourire aux lèvres. « J’ai malheureusement transporté sa dépouille à l’arrière… Je n’allais pas le laisser sur le bas-côté, un tel gibier… » Il pointe du doigt la banquette arrière maculée de sang et soupire sans se départir de sa mimique amusée et faussement innocente. « Si le nettoyage n’est pas efficace je suis prêt à payer pour un remplacement des sièges ou du cuir de celui-ci. » C’est sûrement les seules paroles honnêtes qui ont franchi ses lèvres depuis son arrivée ici. Astan est toujours prêt à débourser tout ce que ses sales boulots ont pu lui rapporter si c’est pour assurer la pérennité de son antiquité. Une antiquité qu’il compte immédiatement faire réparer et ce, sans la quitter un seul instant des yeux. De toute manière, il ne peut s’éloigner et risquer que le garagiste le trahisse en le dénonçant à la police. Le corps à la forme humanoïde qui a dégueulassé l’intérieur de sa carrosserie serait à lui seul un bon motif pour lui attirer des ennuis…
Les gens étaient tellement prévisibles. Ça en était affligeant parfois. Prenez les petits morveux qui ont tentés de le voler quelques minutes plutôt. Jeunes, arrogants, presque des adultes mais toujours des enfants. Cherchant à faire leurs preuves, voulant montrer qu’ils étaient des hommes, des vrais. Pitoyables êtres qui voyant un homme travaillant seul dans un garage miteux, ont cru à une cible facile. Crétins. Ils auraient tout le temps de contempler leur erreur dans l’autre vie maintenant. La seule chose qui l’agaçait réellement, était le bordel qui jonchait son garage après la correction donné aux nouveaux repas pour les vers. Bordel qui avait très vite disparut d’ailleurs, Max ne supportant pas de le voir. Lui qui n’avait jamais été très ordonné, cette nouvelle obsession du rangement était plus que perturbante. Obsession ne semblant pas s’étendre au sang, cependant. Petite particularité qu’il n’avait pas manquer de remarquer, comme le prouvait les nombreuses tâches de sang marquant toujours le sol de son atelier. Oui beaucoup de choses avaient changées depuis l’orage, mais ce qu’il était n’avait pas fondamentalement changé : Il était toujours monstrueux et dénué d’émotions, que les gens aient une sorte de chronomètre au-dessus de leur tête maintenant ne changeait aucunement cela.
C’est le bruit d’une voiture se garant devant le garage qui l’alerta de sa présence. Lui aussi était prévisible. Toujours la même voiture, toujours une à deux fois par mois, toujours du sang à des endroits plus que visibles. A croire que l’homme voulait que le voit. Le voila qui entre d’ailleurs, mais Max ne prend pas la peine de relever la tête de son travail. Ce moteur était plus intéressant que les fanfaronnades de l’autre homme. Car comment appeler autre chose la manière dont il se tenait, la manière dont il parlait et regardait les autres ? Tout dans son attitude exigeait l’attention immédiate de son public. Cela avait le don d’agacer Max profondément. Exploit quand il ne connaissait même pas le nom de l’homme légèrement plus jeune. Alors, ignorant le regard qu’il sentait peser sur son être, le blond se concentrait toujours sur son moteur. Si leur voulait quelque chose, il n’aurait qu’à s’exprimer.
Le son du silence et du crissement de ses outils ne fut rompu que par la voix de l’habitué. « Lâche cette vieillerie… J’ai besoin de tes services. C’est plutôt urgent, je suis fatigué et pressé de rentrer alors dépêche-toi de t’en occuper. » Max fut soudainement prit d’une furieuse envie de lever les yeux au ciel. Il retirait ce qu’il a dit plutôt, l’homme n’était pas une diva, plutôt un gamin gâté s’attendant à ce que tout lui tombe immédiatement dans la bouche. Le blond ne prit même pas la peine de lui répondre, et n’eut pas besoin car, sans nulle surprise, l’autre homme prit les devants, n’en faisant qu’à sa tête. « Je l’amène à l’intérieur. »
L’entendant s’éloigner, Max releva la tête, l’observant. Hm. Son numéro avait encore changé. A chaque voit qu’il lui rendait visite, l’homme en avait un nouveau. Rien que pour cela, Max serait presque curieux de savoir ce qu’il pouvait bien faire pour avoir un destin si changeant. Particulièrement quand son nom était apparu plusieurs fois dans les causes de sa mort. Se relevant à l’arrivée de la familière Chevrolet, le blond attrapa un chiffon et s’approcha de l’homme et de la machine, s’essuyant les mains. « Je suis rentré dans un cerf. » Ne réagissant nullement à cette annonce, Max inspecta les dégâts d’un air impassible. Un cerf, hein ? Et lui était une femme. « J’ai malheureusement transporté sa dépouille à l’arrière… Je n’allais pas le laisser sur le bas-côté, un tel gibier… » Cela lui fit lever de nouveau la tête pour le regarder d’un air blasé avant de regarder l’arrière de la voiture effectivement couvert de sang. « Si le nettoyage n’est pas efficace je suis prêt à payer pour un remplacement des sièges ou du cuir de celui-ci. »
Le blond le regarde un instant sans rien dire, le visage vide de toute expression, avant de soupirer longuement. Le contournant légèrement, Max ouvrit la portière et se pencha dans la voiture pour inspecter les dégâts. « La prochaine fois, range ton cerf dans le coffre. C’est plus discret. » Qu’il lança d’une voix froide par-dessus son épaule. Il y avait du sang partout, et le blond pu constater qu’il y en avait également dans les sièges, rien qu’en appuyant légèrement dessus. « Ça va être la deuxième option alors, tes sièges sont complètements foutus. » Soupirant et claquant la voiture, il se tourna vers l’autre homme qui le regardait toujours aussi intensément. « Va t’assoir dans un coin, ça va être long. » Dit-il avant de s’éloigner sans un mot de plus pour aller chercher des sièges de cuir dans la remise.
