à trois heures. SIN ET MIKO

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Le cadran indique trois heures du matin. La nuit c'est plutôt tranquille, même si récupérer les saoulons aux premières lueurs du jour n'a jamais été ce à quoi tu pensais être destinée. Ça fait rien, ce job n'est qu'une passade. Un petit pont bancal, et parfois crade, à passer. Tu rigoles. Parfois crade ? C'est seulement la seconde fois que tu es de corvée chiottes et tu menaces de rendre la totalité du contenu de ton estomac. C'est pas que le Kahuna est mal entretenu, plutôt que la clientèle n'est pas habituée à nettoyer sa merde. Littéralement. Armée de gants en plastique jaune épais, se mariant parfaitement à l'uniforme moutarde du restaurant, tu y vas franchement. Il va de toute façon falloir le faire. Alors tu frottes, brosses, arroses de grands jets d'eau et parfumes. Toujours coupée dans tes tâches, un client doit soulager sa vessie, une habituée menace de renverser le seau, dont l'eau est trop sombre pour vouloir savoir ce qu'il contient, si tu ne la laisses pas utiliser la cinquième cabine. Tandis que les quatre autres sont vides et accessibles. Des caprices auxquelles on s'habitue, personne ne vous laisse le choix. Alors tu souris, tu continues de frotter et tu serres les dents. Une foutue passade. Tu préfères nettement être en salle, mais ayant perdu à shifumi contre Miko - qui ne s'est pas gênée de crier victoire -, tu as du céder ta place. Tu te demandes maintenant si elle n'a pas triché, ce serait son genre après tout.
" Madre de dios. "Les festivités ne sont pas terminées, elles ne font que commencer. Soupirant, tu te décides à entrer dans la dernière cabine à nettoyer. Dernière, mais pas des moindres.

Un soupir passe tes lèvres lorsque tu poses enfin tes gants de nettoyage. Il serait plus utile d'avoir une arme de destruction massive pour les WC du Kahuna. Tu ne manqueras pas d'en faire par au gérant. Petit contrôle histoire de ne pas revenir en salle avec une tache sur la robe, et tu repars vers ta collègue. Pas âme qui vive, le fast-food est silencieux. Tu profites pour passer d'abord en cuisine afin d'emmener sur le comptoir quelques petits trucs à manger. Deux tacos et demi, la barquette de guacamole dans laquelle les cuisiniers doivent brasser pas loin d'un kilo d'avocat et des chips. Les bras chargés, tu déposes le tout sur le lino rouge qui recouvre le bar. Tout sourire, tu t'exclames en un italien complètement faux : " Buon appetito ! "Et pile quand tu t'apprêtes à pousser le guac' en direction de Miko, la petite cloche crochée à la porte d'entrée tinte doucement, annonçant l'arrivée d'un client. Non, on est fermé. Festin en cours. Repassez plus tard.

SE POILER:

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à trois heures
(fringale nocturne)

Elle a une faim de loup, la courtisane. Vu l’heure, on pourrait croire qu’elle sort d’un racket qui a été plus long que d’habitude, mais non. Elle est restée sage, ce soir, la Reed. Posée chez elle, à lire un roman policier qu’elle avait laissé en plan un mois plus tôt, faute de temps pour le reprendre. L’heure est passée, elle a oublié de se nourrir, plongée dans l’enquête qui se présentait à elle, portée par les mots et le talent de conteuse de l’autrice. Quand elle a relevé la tête, il était deux heures du matin passées, et elle avait faim, l’estomac qui grondait pour qu’on le remplisse. Et pour couronner le tout, pas le courage de se faire des pâtes, ou même un œuf sunny-side-up. Alors elle a pris sa veste en cuir, a remis un pantalon et des bottines, et elle est sortie pour affronter la nuit plus fraiche, les cheveux ramassés en un chignon grossier.
Ses pas l’ont amenée dans le quartier hispanique, comme d’autres errants de la nuit affamés, qui convergeaient à une heure pareille vers un seul et même endroit : le Kahuna Burger. Ou bien peut-être était-elle seule et avait-elle halluciné en voyant d’autres silhouettes franchir la porte vitrée du fastfood. Parce qu’une fois dedans, elle était bel et bien seule cliente de cet horaire si tardif, face à deux serveuses qui avaient l’air ravies de la voir arriver, séparées par un comptoir d’où parvenait une douce odeur. La rouquine s’éclaircit la voix, enrouée de n’avoir pas été utilisée depuis le début de l’après-midi, moment où elle avait déterminé qu’on n’aurait pas besoin d’elle pour casser des gueules et qu’elle prenait sa journée.

« Excusez-moi, vous servez encore ? J’ai aucune idée de l’heure qu’il est, et j’croyais qu’il y avait encore du monde., dit-elle en s’avançant vers le comptoir, pour enchaîner poliment, Si y a moyen, j’prendrais bien un tacos, s’il vous plaît. » Grand sourire colgate, pour amadouer la Cerbère. Manquerait plus qu’on lui dise d’aller se faire mettre bien profond, ça serait la totale.

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Elle s'amuse, la gamine. L'ambiance du Kahuna, qui lui fait presque oublier ce soir-là. Le rire et les jurons de Carmen, qui lui font presque oublier tout ce qui s'était passé depuis. Comme si elle pouvait vraiment oublier. Il y avait la présence. Il y avait elle. Et tout ce qui avait changé.
Elle avait noyé le stress dans des empanadas et des pots de Ben & Jerry's. Avait cuisiné plus encore qu'elle ne le faisait d'habitude. Avait trouvé la Calavera. Eux plutôt qu'un autre. Eux, au hasard parmi tous les autres.
Et le quotidien, qu'elle s'efforçait de maintenir.
Le Kahuna, ça en faisait partie. Son job. Salissant. Un peu abrutissant. Pas très bien payé. Mais normal. Dans l'odeur de la graisse et de l'avocat. Ça, elle pouvait appréhender. C'était facile. Les joutes avec Carmen aussi. Même si elle perdait trop souvent - dès l'ordre émis des lèvres d'un autre. Elle avait eu de la chance, ce soir-là, c'était tout. Expédier Carmen aux toilettes, profiter du calme du Kahuna et s'offrir un dîner paisible avec la collègue revenue. Elle n'en demandait pas plus.
De la normalité.
Elle engouffre des tacos au guacamole, avec un appétit dévastateur. Ne prend même plus le temps de respirer. Se contente d'un sourire de hamster maculé d'avocat face au faux italien de Carmen. Et se fige en entendant le tintement caractéristique. Un nouveau client. Si tard?
Elle s'essuie les mains de manière expéditive dans son tablier, abandonne à regrets le taco et court vers la rousse qui a fait son entrée - non sans se prendre les pieds dans une table.
Elle ne tarde pas à identifier le visage, sans remettre un nom dessus. An Riocht. C'était mauvais. Mais elle, elle se fichait des dynamiques entre gangs - tout ce qui l'intéressait, c'était la protection de la Calavera. Et elle savait que Carmen n'était pas des membres du groupe. Alors elle triture son tablier, la gamine, et elle sourit. « Excusez-moi, vous servez encore ? J’ai aucune idée de l’heure qu’il est, et j’croyais qu’il y avait encore du monde. Si y a moyen, j’prendrais bien un tacos, s’il vous plaît. » Le sourire artificiel plaqué sur le visage de la celte lui donne envie de lever les yeux au ciel, mais elle se retient, pourtant. Elle ne supporte plus les manipulations, depuis que le djinn qui l'habite l'a rendue maîtresse en la matière. Mais elle hoche du menton, offre son visage-professionnel-commercial-et-cordial-numero-trois. 'Le service est terminé, les cuisines sont arrêtées mais... peut-être qu'on peut essayer de vous trouver quelque chose?' Elle pivote vers sa collègue, hausse un sourcil interrogateur. 'Il reste de quoi manger, Carmelita?'

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Tu te demandes comment Miko fait pour être toujours aussi.. avenante à sa manière ? Elle ne refuse jamais rien aux clients, alors que tu serais prête à envoyer péter un orphelin unijambiste qui chercherait une canne. En réalité, tu serais incapable d'envoyer paître qui que ce soit, mais ce n'est pas l'envie qui manquerait. Tu te contentes d'un sourire contrit et tu t'exécutes. Mais, au jeune âge de Miko, tu ne te souviens pas être si posée et professionnelle. Elle te souffle semaine après semaine, celle que tu appelles pour toi la petite. Elle réceptionne la cliente, grande rousse que tu ne crois avoir jamais vu dans le coin, et manque de s'écraser à terre suite au vil croche-patte d'une table qui vient de bouger. Sa maladresse la tuera un jour, mais en attendant elle te fait bien rire. Guacamole qui manque de t'étouffer, tu te détournes un instant pour avaler une goulée d'eau pour éviter de repeindre les murs de vert avocat alors que Miko se charge d'expliquer que le restaurant n'est plus en marche. Mais qu'on peut sûrement lui trouver un truc. Ça veut dire.. Partager ? L'idée de devoir couper les potions en trois te fait souffler. Mais tu ne saurais dire non : l'inconnue ne trouvera rien d'aussi bon à une heure aussi avancée. Et tu sais ce que c'est ces fringales nocturnes. Les pires ennemies des fêtards ou des gens qui travaillent tard. Tu lèves un sourcil, en réponse à celui de Miko qui reste en suspens.
" Évidemment qu'on va lui trouver quelque chose. Je crois qu'il nous reste un tacos. Si tu les as pas tous mangé Miko. " Tu termines ta phrase en un sourire franc, plus adressé à ta collègue qu'à la grande rousse au teint d'albâtre. De Miko ou toi, tu ne sais pas qui engloutit le plus de mets en cuisine, mais vous vous faites autant engueuler par les cuisines l'une que l'autre. Tu essuies vivement ton tablier parsemé de restes de tortillas. Tu te souviens que la sauce qui les accompagne est restée dans le frigo, en cuisine. Ça sera toujours ça de plus à se mettre sous la dent. Tu disparais à l'arrière, en quête de denrées rares à se mettre sous la dent. Une sauce aigre douce peut toujours servir, comme cet autre paquet de tortillas, ou bien les quatre autres tacos protégés de papier d'aluminium que tu n'avais pas vu avant. La date est écrite dessus, celle d'aujourd'hui. Et bien c'est parfait. Tu te rediriges derrière le bar, en libérant tes bras des différents mets. Miko a installé la cliente, qui apparemment vous accompagnera dans votre festin au comptoir.
" C'est pas très varié, mais je crois que c'est tout ce qu'il nous reste.. On avait commencé avant que vous ne veniez, en fait. " Et c'est maintenant en regardant franchement la cliente à la chevelure de feu que tu fais mine de rigoler. C'est pas super pro et très conventionnel de partager les restes avec les clients. Mais tu oses croire que celle-ci n'en dira rien et pourra se contenter d'une bonne critique sur google. Elle n'a rien d’hispanique pourtant. Tu te demandes pourquoi elle traîne dans Delray à cette heure-là. Tu es tentée de faire part de tes suppositions à ta collègue en un espagnol discret, mais l'expérience t'a appris de te méfier. Les apparences sont parfois trompeuses. Alors tu gardes ça pour toi. " Et bien, bon appétit. Vous avez couteau fourchette juste-là. J'espère que si on mange avec les doigts ça vous dérange pas. Et si jamais on a un micro-ondes, mais froid c'est pas si terrible. "Parce qu'avaler un tacos avec des couverts, c'est franchement un scandale. Si la nouvelle venue s'amuse à le faire, tu t'engages personnellement à la renvoyer dehors.

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à trois heures
(fringale nocturne)

Ça passe. La serveuse un peu forte semble acquise à sa cause et enjoint à l’autre de partager, peut-être. Sinead s’avance, marche presque sur des œufs, consciente de l’heure, des imbécilités. Les silhouettes dansent de nouveau autour d’elle, et au vu de l’absence de réaction des deux jeunes femmes, elle suppose que ce sont des hallucinations plutôt que des figures réelles et palpables. Tandis que la plus menue disparaît dans les cuisines, l’autre lui propose de s’installer et voilà la rouquine qui s’accoude au bar. Elle ne connaît pas les demoiselles et se retient de se hisser sur le comptoir pour y trouver une assise improvisée. Après tout, elle était assise toute la journée, elle peut bien rester debout un peu, il paraît que c’est bon pour la circulation, ou le dos, ou qu’importe.

Un sourire sincère étire ses lèvres quand elle hume les mets apportés par la seconde serveuse, de retour, qui esquisse une excuse un peu bancale. « Oh non, ne vous excusez pas, c’est un miracle que vous vouliez bien m’accueillir, merci ! » Elle remercie encore, elle se fait aimable, sympathique, et essaie d’oublier les paroles qu’elle est probablement la seule à entendre, les billes qui vrillent parfois dans un coin de la pièce, sur sa droite. « De toute façon, les tacos et tout ce que vous faites ici, c’est fait pour être mangé avec les mains, non ? Pas besoin d’être maniéré, vous en faites pas. » Elle attend que les serveuses piochent dedans, le signale verbalement aussi pour qu’elles ne s’attendent pas l’une les autres bêtement : « Je vous en prie, allez-y, ne m’attendez pas. » Et la voilà qui ôte sa veste en cuir et la pose un peu plus loin sur le comptoir, en grommelant un « Pousse-toi » à un personnage halluciné qui la gênait dans son avancée.

Revenant à leur hauteur, elle imite les demoiselles qui ont repris leur festin, et la bouche pleine, la voilà qui leur demande, plus pour faire la conversation qu’autre chose : « Ça va, vous craignez rien dans ce quartier ? » Delray, c’est la Cala. Elle se demande si elles doivent payer une taxe pour voir leur vitrine toujours intacte… L’idée que des petites mignonnes comme elles appartiennent à la Calavera la dépasse complètement, bien entendu. Pourtant, elle n’était guère plus jeune qu’elles quand elle avait prêté allégeance au Royaume, autrefois…

Spoiler:

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