Silence radio. Je n’ai pas revu Keith. J’ai bien regardé mon téléphone, comme une adolescente amoureuse qui attend des nouvelles de son crush mais rien. Pas de nouvelles. Il n’en donnera pas. Je le sais, ce sont des choses qui se sentent. Tout s’est terminé si vite, on a consumé le peu que l’on avait. Je ne sais pas si je dois le recontacter. Pour le boulot peut-être, il reste le meilleur docteur que je connaisse et parfois il m’est impossible d’emmener mes hommes à l’hôpital. Je ne sais pas. Je suis un peu perplexe. J’aurais voulu que l’on parle plus, la conversation a été interrompue par les bruits de coup de feu. Et disons qu’en l’espace de dix minutes l’Apocalypse se refermait sur le domaine. Keith a voulu partir. Je sens encore sa main me tirer en arrière. Je l’ai regardé, j’ai hésité. Mon père était à l’intérieur, j’aurais dû rentrer et l’aider mais mon instinct m’a plutôt dicté de me mettre à l’abri, d’être raisonnable. J’ai suivi Keith, on est parti sans doute avant que tout le monde ne sorte blessés, morts… que le sang ne coule. Il m’a ramené chez moi. Puis plus rien. Rien du tout, le silence, le silence radio.
Cela m’agace. Je suis trop bête. Je n’aime pas faire confiance et quand je fais confiance, je le fais avoir. Je ne comprends pas. Je me sens stupide, je n’aime pas que cela prenne une telle importance. Ma fierté est froissée, c’est sans doute cela. Je n’aime pas les hommes pour leur facilité à nous oublier, à nous laisser attendre, miroiter, espérer. L’incompréhension. Le pire c’est que je cherche ce que j’ai bien pu faire ? Peut-être ai-je dit ou fait quelque chose qui ne lui a pas plu ? Je ne sais pas. Je ne crois pas. Alors je laisse tomber. J’aurais juste voulu comprendre. Je peux entendre les choses, je crois. Je ne supporte pas de ne pas savoir le pourquoi du comment, c’est n’importe quoi, je le sais. Il faut lâcher prise.
Je le sors de ma tête. Je ne comprends pas comment il a pu y entrer aussi facilement. Il m’a sauvé mais cela ne fait pas de lui mon prince charmant, c’est évidemment. Je me suis laissée attendrir, je ne sais pas, je pensais que je lui faisais confiance. Je me rappellerais que ma confiance ne doit surtout pas aller aux hommes. Ce n’est pas nouveau, j’ai toujours eu du mal à les laisser entrer dans mon cœur. Mon père a fait souffrir ma mère, elle ne s’est jamais vraiment remise. Mon père a fait souffrir sa femme. Les hommes ne savent faire que cela, faire souffrir, nous torturer les méninges, nous retourner l’estomac. Je me refuse d’être une de ses femmes malheureuses à cause d’un garçon. Je l’oublis et advienne que pourra.
J’attache le harnais de Lucky. Mon golden retriever secoue sa queue, heureux à l’idée du jogging sur la plage qui l’attend. Je suis en tenue. Cheveux relevés comme c’est possible, un peu en vrac mais tant pis. Un short large et confortable, une brassière, des baskets lassées et c’est parti. Je ferme ma porte d’entrée, je cale mes clés dans ma brassière pour ne pas les perdre, mon téléphone en mp3, accroché à un brassard à mon bras, je mets mes écouteurs en Bluetooth et c’est parti. La musique démarre et en rythme avec mes premières foulées. Il ne me faut pas très longtemps pour rejoindre la baie et descendre le long de la plage. L’air est un peu plus frais, le soleil commence à descendre, la vue est sublime, je ne m’en lasse jamais. J’avance vers la zone plus humide du sable, c’est plus simple pour courir, le sol est plus stable. Je lâche Lucky, il court à quelques mètres de moi, les pattes dans l’écume des vagues. C’est assez agréable. Je cours en le regardant, sans vraiment regarder vers où je vais, habituée d’être presque seule, habituée que l’on m’évite quand je cours. Je suis dans mes songes, j’adore voir mon chien heureux comme ça. Je l’ai trouvé, c’était un chiot qui venait d’être renversé par une voiture. Mon cœur en mousse l’a emmené dans une clinique vétérinaire et les docteurs spécialités l’ont soigné. Il a eu une longue convalescence mais à la maison il était un peu comme un prince. Maintenant il est tellement reconnaissant. Il tente d’avaler les vagues un peu plus grosses et je ne peux m’empêcher de rigoler. Je me reprends avant de percuter dans une personne. Un peu plus et c’était la collision. Un coureur lui aussi. Mon regard remonte vers l’homme et mon cœur loupe un battement immédiatement. Je me fige. Comme bloquée d’un coup. Je retire mes écouteurs que je laisse pendre autour de ma nuque. C’est Keith que j’ai en face de moi. Je reprends mon souffle, cela fait plusieurs minutes que je cours sans m’être arrêté et la surprise de le croiser m’a coupé le souffle.
« - Salut… » Lucky déboule, trempé, il jappe sur Keith, il fait ça dès qu’un homme s’approche de moi, quel chien protecteur.
« - Je ne pensais plus te voir… » La phrase est un peu piquante, ma fierté n’a toujours pas digérée, c’est elle qui guide un peu pour le coup cette réplique.
