Le Prestige, restaurant français installé au cœur du quartier historique, réputé pour son chef étoilé et sa cave à vin à faire pâlir de jalousie n’importe quel châtelain de l’hexagone. Augustin apprécie y venir, mais d’ordinaire ce n’est pas un jeune étudiant de dix-neuf ans qu’il y invite. Plus souvent des clients au gros portefeuille, ou des partenaires de la banque. Pas de mafia ici, jamais. Il n’est pas bon de trop mélanger les sphères. Pourtant il fait un écart ce soir, pas de conversations d’affaires, pas de clients plein aux as à courtiser à coup de caviar et de Romanée-Conti. Juste un jeune homme à l’aura fascinante qu’il a rencontré au Silver, totalement par hasard alors qu’il apportait des papiers à Luca. Il l’a senti tout de suite, c’était viscéral. Il ne sait pas si c’est lui ou Hermès qui a tiqué, mais le dieu au fond de lui s’est trouvé étonnamment attiré par ce gosse qu’il ne connaissait pourtant ni d’Eve ni d’Adam. C’est qui, ce gamin ? avait-il demandé à Luca. Un gosse qui cherche son père. Il avait haussé les épaules, et Augustin avait retrouvé le garçon des yeux, sentant Hermès chercher, sentir. Mais quoi, exactement ? Père, voilà un mot qui lui revient souvent ces derniers temps, décidément. L’annonce de la grossesse de Sybille l’a empli d’une joie qui se mêle à la culpabilité et aux remords au sujet de Nina et de ce fantôme qu’il n’arrive pas encore à laisser partir en paix. Il a été père, a échoué. A-t-il vraiment le droit de se présumer digne d’un tel titre une deuxième fois ? Père. Il ne sait pas vraiment encore si c’est bien le mot que Hermès cherchait, mais c’est comme une certitude qui lui vient des tripes. Il y a quelque chose de spécial chez ce garçon qui ne l’a pas laissé indifférent. A tel point qu’il a engagé la conversation, lui a proposé de se voir au restaurant un soir pour faire plus ample connaissance, lui promettant des réponses qu’il n’est pas sûr d’avoir. C’est un peu étrange, comme situation. Mais il sent que c’est ce qu’il faut faire, sans réellement comprendre pourquoi. Hermès et lui se connaissent bien, après tant d’années passées ensemble. Liés comme les deux doigts de la main, ils sont aujourd’hui fusionnels un peu plus chaque jour, et Augustin a une confiance aveugle en son divin. Ensemble, ils ont tout fait. Et ils continueront de tout faire, de réussir et de se planter, quoi qu’il arrive.

Il est en avance Augustin, ce qui est attendu de la part de celui qui invite. Installé tranquillement à table, il attend son rendez-vous patiemment, pianotant sur son smartphone comme tout homme d’affaires de son âge qui ne connaît pas encore bien les réseaux sociaux mais sait parfaitement répondre à ses mails. Ou jouer au casse-brique, un indémodable et un classique de son enfance – on peut essayer d’être à la page mais on ne peut pas tromper son âge. Pas qui approchent, Gus cligne des yeux et lève le regard pour trouver la silhouette jeune et élancée d’Adnae Argyrellis. L’écran entre ses mains affiche game over alors qu’il l’éteint, le pose sur la table avant de se lever pour lui serrer la main. « Adnae. Content de voir que tu as trouvé sans mal. » Pas que ce soit vraiment facile de se perdre aujourd’hui, avec un GPS dans la poche réglé au mètre et à la crotte de pigeon près. Il se rassied en même temps que le jeune homme et lui adresse un sourire poli, essayant de ne pas le dévisager trop avidement. Hermès s’agite, scrute l’aura divine qui s’échappe du jeune homme, l’effleure avec curiosité. Je te connais, toi. « J’espère que tu as faim, » déclare-t-il d’un ton tranquille, pour faire la conversation. « On mange assez bien ici. » Et c’est moi qui régale. Le serveur passe à leur table et leur distribue les cartes, leur demande s’ils voudront un apéritif. Augustin commande un whisky par pure habitude, apprécie encore le goût de la boisson malgré l’inutilité de l’alcool. C’est comme la bouffe. Il n’en a plus besoin, mais ne peut pas s’en passer. « Alors Adnae. Luca m’a dit que tu faisais des études littéraires, c’est bien ça ? » Entame des plus classiques, banales, mais la question est posée avec un sourire aimable et un réel intérêt dans le regard. Hermès est à l’affut du moindre signe, moindre indice, et Augustin partage son envie de réponses. Curieux, intrigué, le jeune homme en face de lui est une véritable énigme, tout comme la raison de sa venue au Silver Arrow l’autre jour. Il cherche un père, apparemment. Augustin ne sait pas ce qu’il cherche, lui, mais entend bien le trouver.