La ville peut s'avérer une triste peinture aux allures embrumées, aux regards cotonneux, aux bouches flegmatiques et aux pas pressés. Malgré ce décor et la technologie accumulée, pourtant, une chose ne change pas : l'Artiste conserve son rôle, au sein de la société. Les débats peuvent aller bon train, les philosophes de tout bord peuvent continuer à se crêper le parchemin – l'Artiste continuera d'honorer son sacerdoce, de soulever le marasme et montrer, dans toute la grisaille du monde, le timide rayon de soleil. Mai croit en ce pouvoir. Elle s'est lancée dans la danse étant enfant, trouvant l'expression du corps si facile, si naturelle et spontanée, comparée à l'expression du verbe. Elle n'y voyait que son accomplissement personnel, son plaisir, son goût. Maintenant, elle sait que la danse représente bien plus que ce qu'elle y voit. Elle sait qu'elle fait cela pour tous ceux et toutes celles qui regardent, et qui voient en elle ce qui a besoin d'être vu.

C'est cette tâche honorable d'embellissement du quotidien que la jeune fille est venue accomplir ici. Au beau milieu de la rue passante, Luca Salducci leur a donné rendez-vous pour lancer un flash dance resplendissement sur les sept coups de 19h. C'est une première pour Mai, son cœur bat un peu vite, d'excitation et de stress, indissociables. Elle aperçoit Luca au milieu de la foule, se dirige vers lui dans ces quelques minutes qui les sépare du moment fatidique. « T'as pas trop le trac ? », demande-t-elle a celui qui les a lancés dans cette entreprise. Le trac, cette tension du cœur et du ventre, désagréable et pourtant... pas déplaisante. Cette sensation qu'il va se produire quelque chose d'important. Si elle ne ressentait plus cela, peut-être qu'elle serait triste, Mai. Après tout, si l'art ne faisait rien ressentir... à quoi bon s'embêter ?

Le sourire de Luca creuse d'adorables fossettes aux abords de sa bouche, témoignage fait peau d'une malice qui a traversé les âges. « Le trac ? Non, je ne l’ai jamais… » Étrangement, cela ne surprend pas Mai de la part de son professeur intermittent. Il dégage une telle aura de sérénité, de calme, presque une... une chaleur palpable. Un réconfort si dense qu'on croit en sentir l'escalade de température. Puis ses paroles viennent, apportant elles aussi leur lot de charisme bienveillant. Nés pour danser... Mai le sait, elle le ressent elle aussi, d'autant plus intensément depuis l'orage. Elle ne sait pas encore exactement ce – ou plutôt celle – qui l'habite, et à quel point la danse est centrale pour elle. Elle n'a que l'éclat de son cœur et le bonheur de ses pas pour l'aiguiller. « Oui, c'est la première fois, répond-elle. Enfin... j'ai déjà fait des représentations, bien sûr. Mais jamais comme ça. » Les passants et les passantes pressent le pas autour d'eux – ou bien est-ce son rythme cardiaque qui s'accélère à l'approche de l'échéance ? « Je n'ai jamais été aussi proche d'un public. Danser au milieu d'eux... » Est-ce encore même un public ? Brouiller les pistes, changer les règles, casser le mur invisible entre les artistes et les autres, revenir au centre de la cité, toucher les gens directement. Mai ne sait pas ce qu'elle va ressentir. Elle sourit, rayonnante. « J'ai hâte. » Et tant mieux, car le spectacle va bientôt commencer...