do I know you ?


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Isak Derjavine & Camille Archambault

Dans les vapeurs d’alcool et les nuages de fumée, la silhouette éthérée se déplace sans inquiéter la foule. Jolie blonde au corps frêle, maquillée, presque maigre, poupée articulée comme elles sont des centaines, l’océanide se fond à merveille dans ce décor nocturne. On la remarque peu, à moins d’être célibataire en chasse, et son corps glisse autant dans la masse que celui de la nymphe dans les eaux de l’hadès.
Pas de garde pour elle aujourd’hui, pas de patient ni d’hôpital. Plus d’appartement vide. Elle vadrouille dès qu’elle peut dans les bars ou dans les lieux publics et grapille ça et là quelques informations utiles pour le compte de la mafia. Le visage innocent et le pouvoir d’occultation ont raison de tous ceux qui ne prennent pas de précautions ; l’aura éteinte, elle est humaine aux yeux de tous, banale, sans intérêt. Les oreilles traînent, les verres s’enchaînent, et alors qui s’en méfierait ?  

Paupières dorées, longs cils qui dansent, elle s’attable au comptoir et trempe ses lèvres fines dans un cocktail sucré. Éloignée des lumières aveuglantes, des vibrations et des corps mélangés, elle affiche un sourire discret, tout en profitant des effluves. Il y a des mois que l’alcool ordinaire n’a plus d’effet sur elle, mais l’euphorie latente trouve une cause bien particulière. « Vous fêtez quelque chose ? » Le barman le devine alors qu’elle est restée muette. Le torchon sur l’épaule, il accroche son regard et se noie un instant dans les orbes dépareillées. « Un retour ». Le sourire s’agrandit. Elle se livre en faisant tourner le liquide dans sa coupe, et songe déjà à voir sa famille réunie.

Le fils divin de la nymphe reviendra bientôt d’Italie. Ce n’est plus qu’une question de semaines, et la mère en elle se languit de le voir ; de le savoir près d’elle. Les enfants du Fleuve sont restés sa mission principale ; le cœur d’une existence qui se répète et ses battements. Les souvenirs n’ont pas besoin de lui revenir pour ressentir cet attachement et occuper tout son esprit.

Du son déchirant les tympans, elle passe un index sur ses lèvres rougies qu’un long soupir traverse. Les visages se retournent brusquement vers la piste et la musique reprend, comme si de rien n’était. La surprise dessinée sur les traits de la blonde s’évapore aussitôt, et parmi les silhouettes réunies autour d’elle, l’une semble se détacher du lot.
Elle pressent qu’on l’observe, et contient sa nervosité. Ses cheveux rabattus de côté se faufilent dans sa gorge laiteuse, quand elle relève les yeux pour affronter le regard insistant. « Je peux vous aider ? » Méfiance dans la voix, et détermination.